Recrutement sur titres à l’ENM : une candidate obtient la censure de la condition d’âge minimal
L’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et le décret du 4 mai 1972 relatif à l’École nationale de la magistrature organisent les modalités et conditions d’accès au corps judiciaire. Il existe traditionnellement plusieurs voies d’accès, parmi lesquelles les trois concours d’entrée, qui constituent la voie principale de recrutement, et le recrutement dit « sur titres ».
Le recrutement sur titres est notamment ouvert aux professionnels qui justifient de quatre années d’activité dans les domaines juridique, économique ou des sciences humaines et sociales, et qui remplissent les conditions de diplôme exigées pour l’exercice des fonctions judiciaires. Les dossiers de candidature sont examinés par une commission d’avancement, chargée d’apprécier les compétences et les mérites des différents candidats. Les candidats retenus sont nommés directement auditeurs de justice et intègrent la promotion de l’ENM au même titre que les personnes recrutées par la voie des trois concours d’entrée, et effectuent une scolarité de trente-et-un mois comportant des stages pratiques, en particulier en juridiction.
Parmi les conditions de recevabilité au recrutement sur titres, le premier alinéa de l’article 33 du décret du 4 mai 1972 précise que les candidats doivent être âgés de trente et un an au moins et de quarante ans au plus au 1er janvier de l’année en cours.
La contestation de l’acte réglementaire fixant la condition d’âge minimal
En l’espèce, une candidate remplissait la condition de diplôme et d’expérience pour se présenter au recrutement sur titres aux fonctions d’auditeurs de justice pour l’année 2022, mais ne satisfaisait pas à la condition d’âge minimal au cours de l’année de dépôt de son dossier.
Par une demande préalable formée devant le garde des Sceaux, ministre de la Justice, elle a tout d’abord sollicité l’abrogation de l’article 33 du décret qui fixe cette condition. Elle a ensuite saisi le Conseil d’État d’une requête dirigée contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le garde des Sceaux.
En effet, s’il est possible pour toute personne justifiant d’un intérêt à agir de demander au juge administratif l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte réglementaire dans un délai de deux mois suivant la publication de cet acte, il est également possible de demander, à tout moment, à l’auteur de cet acte réglementaire de l’abroger et, dans l’hypothèse d’un refus, de contester ce refus – même implicite – devant le juge administratif compétent.
Saisi tout d’abord par la voie du référé-suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le Conseil d’État a estimé que la requête ne remplissait pas la condition d’urgence, dans la mesure où la juridiction s’apprêtait à juger l’affaire au fond dans les plus brefs délais et, à tout le moins, avant la date limite de dépôt des candidatures fixée au 1er janvier 2022 (CE 1er juill. 2021, n° 453470).
C’est ainsi que par une décision du 8 septembre 2021, le Conseil d’État s’est prononcé sur la conformité, au regard notamment du droit européen, de la condition d’âge minimal fixée par le décret de 1972.
Méconnaissance du principe européen de non-discrimination
La requérante soulevait en premier lieu une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dirigée contre les dispositions de l’article 18-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, qui renvoient au décret en Conseil d’État le soin de fixer les limites d’âges pour candidater au recrutement sur titres.
Le Conseil d’État commence par rejeter la QPC, au double motif que ces dispositions, issues d’une loi organique régulièrement promulguée, doivent par principe être regardées comme conformes à la Constitution (CE 29 juin 2011, n° 347214, AJDA 2011. 1355 ), et que les réformes constitutionnelles intervenues depuis son entrée en vigueur ne sont pas de nature à caractériser des circonstances nouvelles justifiant la transmission de la question au Conseil constitutionnel.
Afin de contester la conformité de la règle fixée par l’article 33 du décret, la requérante soutenait que cette disposition méconnaissait le droit de l’Union européenne, notamment le principe général de non-discrimination et l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux. Il est vrai que la Cour de justice de l’Union européenne a, de longue date, reconnu que ce principe général, concrétisé par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, interdit les discriminations en fonction de l’âge (v. CJUE 19 janv. 2010, aff. C-555/07, AJDA 2010. 248, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RDT 2010. 237, obs. M. Schmitt ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron ; ibid. 599, chron. L. Coutron ; ibid. 673, chron. S. Robin-Olivier ; ibid. 2011. 41, étude E. Bribosia et T. Bombois ; Rev. UE 2013. 313, chron. E. Sabatakakis ).
Le Conseil d’État reconnaît que les dispositions attaquées du décret « réservent un traitement moins favorable aux personnes qui n’ont pas atteint le seuil d’âge de trente et un ans par rapport à celles qui ont atteint cet âge en les privant de la possibilité de présenter leur candidature pour être nommées auditeur de justice sur titres », et qu’elles constituent donc une discrimination directe fondée sur l’âge. Le ministère de la Justice n’apportant, en défense, « aucun élément de nature à justifier que cette différence de traitement répondrait effectivement à une exigence professionnelle essentielle et déterminante », et ce alors même que l’accès aux fonctions d’auditeur de justice par d’autres voies statutaires n’est, quant à lui, pas soumis à une condition d’âge minimal.
Le Conseil d’État annule donc la décision implicite par laquelle le garde des Sceaux a refusé d’abroger ces dispositions, et ordonne l’abrogation des dispositions litigieuses dans un délai de trois mois.
La candidate évincée, âgée de trente ans, devrait donc pouvoir régulièrement candidater au recrutement sur titres en vue d’intégrer le corps des auditeurs de justice en 2022.