Recours contre les décisions du directeur de l’INPI : un revirement de jurisprudence

Recours contre les décisions du directeur de l’INPI : un revirement de jurisprudence

La société Sogiphar, titulaire de la marque Libeoz pour désigner notamment des produits pharmaceutiques, a formé opposition en 2016 à la demande d’enregistrement de la marque Libz déposée par la société Biogaran. À la suite du rejet de cette opposition par le directeur de l’INPI, la société Sogiphar a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Douai. Cette dernière a déclaré le recours irrecevable par une décision du 8 février 2018.

En effet, selon l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle (en vigueur avant le 1er avr. 2020), le recours contre une décision du directeur de l’INPI devait comporter un certain nombre de mentions à peine d’irrecevabilité prononcée d’office. En particulier, pour une personne morale, ce recours devait indiquer l’organe qui la représentait légalement. Or, en l’occurrence, la société Sogiphar s’était contentée de former un recours « prise en la personne de ses représentants légaux », mention qui ne suffisait pas, selon la cour d’appel, à identifier l’organe la représentant légalement.

La société Sogiphar a contesté la décision d’irrecevabilité devant la Cour de cassation en s’appuyant sur le droit à l’accès au juge protégé par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour devait donc décider si les mentions obligatoires imposées à peine d’irrecevabilité par l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle portaient une atteinte disproportionnée au droit du justiciable d’accéder à la justice.

Les règles de procédure applicables au recours à l’encontre d’une décision du président de l’INPI

Cette affaire posait également en creux la question des règles de procédure applicables aux recours en annulation formés contre les décisions du directeur de l’INPI. Il s’agit en effet d’une procédure inhabituelle en ce qu’elle soumet un acte administratif individuel, la décision du directeur de l’INPI, au contrôle du juge judiciaire (Com. 31 janv. 2006, n° 04-13.676, Bull. civ. IV, n° 26 ; Dalloz actualité, 5 mars 2006, obs. J. Daleau ; D. 2006. 581, obs. J. Daleau image ; ibid. 2319, obs. S. Durrande image ; CCE 2006, n° 59, note C. Caron). Des interrogations ont donc pu être soulevées quant à la question de savoir si les règles de procédure civile devaient s’appliquer.

Plus particulièrement, dans cette affaire, la Cour de cassation devait examiner la possibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance. En effet, selon l’article 126 du code de procédure civile, dans le cas où une situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. Cependant, selon une jurisprudence constante (Com. 7 janv. 2004, n° 02-14.115 ; 17 juin 2003, n° 01-15.747, Bull. civ. IV, n° 102 ; D. 2003. 2633, et les obs. image, obs. S. Durrande image), l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle était considéré comme une « disposition spécifique » qui excluait l’application de l’article 126 du code de procédure civile. Lors d’une procédure de recours contre une décision du directeur de l’INPI, il n’y avait donc aucune possibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance.

Un clair revirement de jurisprudence

Dans cette décision particulièrement explicite et pédagogique, la Cour de cassation effectue un revirement de jurisprudence.

Elle note d’abord que les mentions imposées par l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, et en particulier l’obligation pour une personne morale d’indiquer l’organe qui la représente légalement, répondaient à un objectif légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique. La Cour relève ainsi que « l’obligation pour la personne morale de mentionner l’organe la représentant permet au juge et à la partie défenderesse de s’assurer que le recours est formé par un organe habilité à engager et représenter la personne morale » (§ 9).

Dans un second temps, la Cour estime qu’en revanche, l’impossibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance n’est pas justifiée. Une régularisation en cours d’instance ne porterait pas atteinte aux intérêts de la partie défenderesse et n’affecterait pas les objectifs de bonne administration de la justice et d’accès au juge (§ 12). Ainsi, la Cour de cassation en conclut que « l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’il a jusqu’à présent été interprété, n’assure pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et porte une atteinte excessive au droit d’accès au juge » (§ 13) et qu’« il apparaît donc nécessaire d’abandonner la jurisprudence précitée et d’interpréter désormais l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l’application de l’article 126 du code de procédure civile » ouvrant ainsi la possibilité d’une régularisation en cours d’instance (§ 14).

La Cour note par ailleurs qu’en l’espèce, ce revirement de jurisprudence ne « saurait […] être [opposé] à la société Sogiphar, pour lui reprocher de ne pas avoir procédé à la régularisation de la situation ». La société n’aurait en effet pas pu procéder à une régularisation en cours d’instance « dans la mesure où la jurisprudence antérieure excluait toute possibilité de régularisation » (§ 15).

La décision d’irrecevabilité dont a fait l’objet le recours formé par la société Sogiphar portait donc une atteinte disproportionnée au droit de cette société à l’accès au juge et l’arrêt de la cour d’appel est cassé.

Un revirement cohérent avec les développements récents 

Le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation n’est pas surprenant en ce qu’il va dans le sens de la jurisprudence récente qui tend à reconnaître la pleine application des règles de procédure civile à la procédure de recours contre une décision du directeur de l’INPI (v. not. Com. 13 mars 2019, n° 17-10.861, Dalloz actualité, 28 mars 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 583 image ; ibid. 2020. 451, obs. J.-P. Clavier image ; RTD com. 2019. 370, obs. J. Passa image).

Cette décision, bien que rendue sous l’empire des précédentes dispositions du code de la propriété intellectuelle, s’inscrit également dans la lignée de la réforme issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 et du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, et entrée en vigueur le 1er avril 2020. Cette réforme prévoit en effet, dans un nouvel article R. 411-20 du code de la propriété intellectuelle, que les recours à l’encontre d’une décision du directeur de l’INPI « sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du code de procédure civile ». À cet égard, l’abandon par l’arrêt commenté de l’exception procédurale prévue par l’ancienne interprétation de l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle est en parfaite cohérence avec cette évolution réglementaire.

(Original publié par nmaximin)
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Maitre Didier ADJEDJ   SELASU AD CONSEIL AVOCAT   34, COURS ARISTIDE BRIAND    84100 ORANGE

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