« Le travail en cabinet est passionnant mais dur, avec beaucoup d’horaires et de pression. Il fallait faire un choix : je poursuivais ma carrière ou je choisissais mon équilibre familial ». Chaque année, des avocats quittent la profession. Sur les 3 500 ayant prêté serment en 2014 par exemple, 22 % n’étaient déjà plus avocats cinq ans plus tard. Les données sur leur reconversion sont inexistantes. Mais on sait que parmi eux, certains, comme Marine Lacreuse il y a sept ans, deviennent juristes en entreprise. La recherche d’un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et personnelle est la première raison de cette reconversion, observe Aurélie Thibault, de la division juridique et fiscale chez Michael Page. D’ailleurs, elle constate que « ce sont majoritairement des femmes qui décident de quitter la robe ».
Autre argument : la frustration d’intervenir ponctuellement pour résoudre un problème, sans toujours savoir ce qu’il se passe ensuite pour le client, racontent plusieurs concernés.
« Ce qui m’a frustré lors de ma courte carrière d’avocat est que le client venait pour raconter une histoire plus ou moins vraie. On lui proposait un scénario, il repartait et une fois sur deux, on ne le revoyait plus », se rappelle par exemple Renaud Champetier de Ribes, directeur Juridique Europe, M&O, Afrique de Schneider Electric.
Vision à 360
« J’adore le contentieux, mais j’avais davantage envie d’accompagner les gens : d’anticiper leurs problèmes plus que de les régler », raconte David Masson, avocat depuis une vingtaine d’années, spécialiste en propriété intellectuelle qui vient tout juste de quitter le cabinet Dentons dont il était associé pour devenir directeur juridique chez Scalefast. « En tant qu’avocat, vous ne pouvez pas avoir l’initiative. En tant que juriste d’entreprise, vous êtes vous-même aux manettes : c’est un changement de vision de droit qui est total », ajoute-t-il.
« Avoir une vision à 360 » des sujets. Voilà une expression qui revient souvent dans la bouche des avocats reconvertis qui comparent leur travail actuel avec l’ancien. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Ouria Yazid s’est laissée séduire par le métier de juriste en entreprise. Au début, cela devait juste être un remplacement pour un client. Puis :
« Je me suis noyée dans la négociation, les procédures de licenciement, les relations avec la direction générale… J’étais dans le cœur du réacteur. J’ai découvert une pratique in concreto, in vivo », explique celle qui a finalement accepté de rester pour un salaire moins élevé et des horaires plus soutenus. « J’ai l’impression de désormais faire le tour du globe de cette planète droit social. Si je retournais en cabinet, j’aurais le sentiment de ne faire qu’une partie du travail », anticipe la directrice juridique des relations humaines d’un grand groupe de cosmétique.
La variété des sujets traités est aussi un avantage parfois mis en avant, même si cela dépend de la taille de l’entreprise et du poste occupé. « Je ne trouvais pas ce que l’on te vend avec le métier : la liberté. On parle de collaboration libérale mais il n’en est rien puisque tu es à la merci de tes clients », a ressenti Noémie S., qui a bifurqué après seulement trois ans et demi en cabinet. Puis « la facturation et la comptabilité, bon débarras ! », se réjouit aussi celle qui sort d’une expérience de quatre ans chez Louis Vuitton.
Prestige et égo
Mais alors, que des avantages et pas une ombre au tableau, donc ? Contentieux et plaidoirie manquent à certains. D’autres, comme Marine Lacreuse, aujourd’hui directrice juridique d’Ealis, font référence au prestige de la profession d’avocat et à son image dans la société, tout en reconnaissant qu’il s’agit juste d’une histoire d’égo mal placé.
Pour autant, décrocher un poste de juriste n’est pas forcément facile : il y a plus de demandeurs que de postes à pourvoir, observe Aurélie Thibault. Aussi, être avocat n’est pas forcément un atout. Après quelques années d’expérience, il est trop cher (les titulaires du CAPA perçoivent 25 % de rémunération de plus en moyenne que les autres juristes d’entreprise, d’après une étude de l’AJFE de 2016). Ensuite, il peut apparaître « loin du terrain ». « Il y a une dizaine d’années, il y avait un gros engouement pour ces profils, gages de qualité et d’expertises pointues. Aujourd’hui, on recherche des collaborateurs très opérationnels capables d’identifier les conséquences, les risques financiers par exemple, d’une disposition sur le business », explique Aurélie Thibault. Elle résume : « on ne cherche plus des responsables juridiques pour être les gardes fous des équipes, mais plutôt être main dans la main avec elles ». D’après la spécialiste du recrutement, avoir seulement deux ou trois ans de barreau et avoir eu comme clients des PME, aux services juridiques externalisés, est plus facile pour trouver un poste. Son conseil ? Insister sur le volet opérationnel de son expérience d’avocat.
Édition du 13 septembre 2021
Droit antérieur à la réforme
Les privilèges représentent probablement l’une des notions les plus disparates du droit des sûretés. Ce constat provient d’une conception plurielle de leur assiette tant en matière mobilière qu’en matière immobilière (Rép. civ., v° Privilèges généraux, 2020, par J.-D. Pellier, n° 2). Il reste, ainsi, difficile d’en dresser une liste ; l’exercice est peut-être d’ailleurs tout simplement impossible (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 708, n° 757). Une telle difficulté s’explique par l’histoire et notamment par les différentes données économiques qui ont conduit à conférer des avantages à certains créanciers. En somme, ces sûretés réelles se sont multipliées car « c’est une tendance naturelle à chaque créancier de revendiquer un privilège, en s’estimant prioritaire » (L. Aynès et P. Crocq, Droit des sûretés, 12e éd., LGDJ, Droit civil, 2018, p. 273, n° 460). La définition du privilège reste, au demeurant, très simple malgré cette grande diversité. C’est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré à d’autres créanciers comme l’évoque l’actuel article 2324 du code civil. Nous n’étudierons ici que les privilèges mobiliers, les privilèges immobiliers étant traités dans un article distinct au titre des sûretés réelles immobilières (C. Hélaine, Les sûretés réelles immobilières, Dalloz actualité, à paraître).
Quelles sont les lignes directrices du droit antérieur à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ? Les privilèges mobiliers peuvent être pris sur l’intégralité des meubles du débiteur (on parle de privilèges généraux) ou seulement sur certains meubles précisément (on parle alors de privilèges spéciaux ; Rép. civ., v° Privilèges mobiliers spéciaux, par M. Julienne, 2018, n° 6). Ils se caractérisent par un droit de préférence mais surtout par l’absence de tout droit de suite. Comme le résument certains auteurs : « en tant que sûreté réelle, le privilège confère à son titulaire un droit sur la valeur du bien qui lui est affecté en garantie. Cette valeur apparaît en cas de vente, mais aussi en cas de destruction du bien » (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, op. cit., p. 713, n° 762).
Le droit actuel a connu une explosion quantitative de ces sûretés réelles légales fondées sur la préférence : frais de justice, frais funéraires, frais quelconques de la dernière maladie, rémunérations des gens de service, etc. Trois critiques se dégagent du droit des privilèges mobiliers. D’abord, évidemment, le manque de clarté. Comme nous l’avons évoqué plus haut, la liste proposée par le Code civil n’est pas exhaustive. Elle ne peut se comprendre qu’en combinant toute une série de dispositions extérieures. Le droit des privilèges mobiliers pèche ensuite par diverses applications inadaptées à l’époque contemporaine qui – au moins depuis l’apparition de la sécurité sociale – connait des dispositions spécifiques pour des créanciers exorbitants du droit commun. Si ce constat est vrai pour certains privilèges mobiliers généraux, il l’est d’autant plus pour nombre de privilèges mobiliers spéciaux devenus complètement obsolètes comme le privilège de l’hôtelier ou les privilèges résultant de créances suite à des abus ou prévarications de fonctionnaires publics. Ce caractère désuet s’explique par un certain effet d’empilement, enfin, que les privilèges mobiliers ont connu. Voici donc l’objectif de la réforme : clarifier, supprimer et aménager ces sûretés réelles légales aussi nombreuses qu’indispensables. L’ordonnance entend donc remettre un peu d’ordre dans le désordre, un peu d’harmonie dans le chaos. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 confirme cet objectif à l’article 60, 2° : « clarifier et adapter, dans le code civil, la liste et le régime des privilèges mobiliers et supprimer les privilèges devenus obsolètes ». L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 fait sienne cette quête en procédant à des modifications tantôt de fond tantôt de forme.
Droit issu de la réforme
La réforme n’entend toutefois pas bouleverser l’univers des privilèges mobiliers. Il s’agit de dépoussiérer, parfois de réécrire ponctuellement. À titre liminaire, l’ordonnance supprime les références aux privilèges des articles 2323 à 2327 antérieurs du code civil. Il s’agit de déplacer ces précisions (notamment sur le paiement par concurrence des créanciers privilégiés au même rang) dans le Chapitre premier du Sous-Titre II « Des sûretés sur les meubles ». C’est ainsi que l’article 2324 issu de l’ordonnance vient reprendre la substance de l’article 2330 actuel du code civil lequel vient prévoir la distinction entre les privilèges mobiliers généraux et les privilèges mobiliers spéciaux. Le nouveau texte vient généraliser la formule à l’ensemble des sûretés réelles. L’ordonnance n° 2021-1192 renforce, en outre, le régime général de ces privilèges en rappelant les caractéristiques principales de ces sûretés mobilières au nouvel article 2330 du code civil : interprétation stricte et droit de préférence pour le créancier privilégié. On notera que l’article rappelle également l’absence d’un droit de suite et, corrélativement, le report sur le prix de vente dû par l’acquéreur, qui codifie un acquis prétorien. Nihil novi sub sole : tout ceci n’est donc qu’une reprise du droit antérieur et une codification à droit constant de la jurisprudence sur les caractéristiques des privilèges mobiliers (v. sur l’absence de droit de suite, Civ. 19 févr. 1894, H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, GAJC, tome 2, Les obligations, contrats spéciaux, sûretés, 13e éd., p. 840 s., n° 306).
L’apparition et l’importance de la sécurité sociale ont conduit l’ordonnance à se questionner sur certains privilèges généraux comme les frais de dernière maladie. Certains sont d’ailleurs purement et simplement supprimés : ceux cités aux 6°, 7° et 8° de l’actuel article 2331 du code civil notamment (la créance de la victime de l’accident, les allocations dues aux ouvriers et employés, les créances des caisses de compensation). Cette suppression était une proposition de l’avant-projet rédigé sous l’égide de l’association Henri Capitant. La Chancellerie s’est écartée légèrement toutefois du projet en distinguant dans une disposition spécifique les privilèges du Trésor Public mais également de la Sécurité sociale au nouvel article 2331-1 du code civil. En ce qui concerne les frais de justice, ces créances ne sont privilégiées que « sous la condition qu’ils aient profité au créancier auquel le privilège est opposé » (art. 2331, 1°, nouv.). Là-encore, c’est un acquis de la jurisprudence du droit antérieur (Com. 17 nov. 1970, Bull. civ. IV, n° 305). La modernisation des privilèges généraux inclut également une utile renumérotation des articles du Code du travail à la suite des dernières réformes opérées en la matière.
En ce qui concerne les privilèges spéciaux énoncés à l’article 2332, il faut noter une grande opération de modernisation qui vise à expurger la liste du code civil de trois privilèges inutiles comme nous l’avons évoqué précédemment : le privilège de l’aubergiste, le privilège des créanciers d’abus ou de prévarications de fonctionnaires publics et celui lié aux accidents de la circulation. La formulation de l’article opte pour une structure plus aisée à la lecture. Des mécanismes permettent de compenser la perte de ces privilèges ; c’est le cas de l’action directe de l’article L. 124-3 du code des assurances pour les accidents de la circulation. L’article 2332 nouveau du code civil supprime également la référence au gage dont on sait qu’elle n’était pas à sa place ; le gage étant conventionnel là où le privilège est légal. On doit remarquer avec une certaine bienveillance l’aménagement du privilège du bailleur d’immeuble. Seuls les biens qui appartiennent au débiteur sont grevés du privilège spécial. La solution de l’actuel article 2332 du code civil n’était pas adaptée quand elle prévoyait que tous les biens garnissant le local étaient inclus dans l’assiette du privilège. La revendication entre les mains d’un tiers est supprimée pour éviter les confusions entre les concepts (résolution et rétention notamment). Voici donc un aspect pragmatique du changement, mieux distinguer les sûretés entre elles et mieux délimiter le périmètre des différents privilèges. L’article 2332 débute désormais d’ailleurs par une référence aux sûretés hors du Code civil : « outre celles prévues par des lois spéciales ». Le projet de la Chancellerie insistait sur l’importance de cette référence en prenant comme exemple les porteurs d’obligations foncières de l’article L. 515-19-2° du code monétaire et financier (v. sur ce point, P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés. La publicité foncière, op. cit., p. 744, n° 805, note 1).
Quid du classement des privilèges des articles 2332-1 et suivants du code civil ? L’ordonnance maintient la hiérarchie opérée entre les privilèges spéciaux et les privilèges généraux, les premiers primant les seconds. Elle sauvegarde également la référence dans l’article 2332-2 du code civil à l’ordre de l’article 2331 qui permet de hiérarchiser les privilèges généraux les uns par rapport aux autres : les frais de justice en premier, les frais funéraires en deuxième, etc. On comprend ainsi que les suppressions mentionnées précédemment permettront à certains privilèges de remonter dans la hiérarchie ; formellement au moins car ceux supprimés n’étaient plus – en pratique – utilisés et le privilège inférieur avait déjà gagné sa place à l’échelon supérieur dans le droit antérieur à l’ordonnance commenté. Il s’agit donc d’un simple toilettage ici. En ce qui concerne l’ordre des privilèges spéciaux, l’ordonnance supprime la précision de l’article 2332-3 sur le conflit entre deux créanciers titulaires du privilège du vendeur de meuble puisqu’il n’y a pas de droit de suite en matière de privilège.
Perspectives
La réforme n’entend donc pas réaliser l’impossible, à savoir dresser une liste exhaustive des privilèges mobiliers. On ne peut pas vraiment contredire ce choix de raison. L’ordonnance est avant tout axée autour du pragmatisme conféré par la loi d’habilitation de 2019. Ce projet d’une liste complète pourrait-il se réaliser un jour ? La question se discute. L’ordonnance impulse la volonté de maintenir un droit des sûretés de droit commun dans le code civil, ce qui est conforme à l’objectif des travaux de l’Association Henri Capitant. Ainsi, par exemple, l’article 2332-4 du code civil (concernant les créances antérieures dues aux producteurs agricoles) est purement et simplement transposé dans le Code de commerce à l’article L. 624-21 par le jeu de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce puisque la disposition concerne le droit des entreprises en difficulté. Le nouvel article 2332-4 du code civil issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 vient régler une question de droit commun qui concourt à l’objectif de lisibilité du droit. Cet article précise désormais que « sauf loi spéciale, le droit de préférence conféré par le gage s’exercera au rang du privilège du bailleur d’immeuble ». Le texte vise à accorder au gagiste le même rang que le privilège du bailleur d’immeuble. Comme le notait le projet Capitant, le conflit tournera toujours en faveur du gagiste puisqu’il peut exercer son droit de rétention en cas de dépossession. Cette précision vient montrer à quel point les privilèges mobiliers peuvent être au carrefour du droit des sûretés réelles.
Dans tous les cas, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 vient parfaitement répondre à l’un des objectifs de la réforme résumé dans le compte-rendu du Conseil des ministres précédant le texte : « le dernier objectif est le renforcement de l’attractivité du droit français. Sont ainsi abrogées les sûretés inutiles ou obsolètes qui rendaient notre droit illisible depuis l’étranger ». C’est donc une rénovation sur le fond et sur la forme qu’entend opérer le nouveau texte. Expurgé de privilèges mobiliers désuets ou inutiles, le droit des sûretés réelles mobilières en sort globalement amélioré. Mais, en réalité, peu de choses changent sur le fond. Loin de régler tous les problèmes dont souffrent les privilèges, la réforme permet surtout de redonner de la lisibilité à cette sûreté réelle indispensable mais aux visages multiples. L’objectif est probablement réussi à ce niveau. Il faudra observer comment la jurisprudence réagira à ces changements et notamment aux simplifications opérées.
Sur la loi « Réforme des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
Droit antérieur et présentation de la réforme
La section III, devenue la section IV, relative à « l’extinction du cautionnement » était avant la réforme peu fournie puisqu’elle ne contenait, pour l’essentiel et outre le renvoi au droit commun des obligations, que l’article 2313 ancien relatif à l’opposabilité des exceptions – dont le régime est remonté au sein de la section II sur l’étendue du cautionnement –, l’article 2314 ancien sur le bénéfice de subrogation et l’article 2316 ancien sur le recours avant paiement en cas de prorogation du terme. Ces dernières dispositions ont été adaptées et précisées. Elles sont en outre complétées par des textes propres à l’extinction du cautionnement de dettes futures, et plus précisément de l’obligation de couverture, qui reprennent pour l’essentiel des solutions jurisprudentielles consécutives à la thèse de Christian Mouly (C. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979, préf. M. Cabrillac).
Les causes d’extinction régies par cette section sont les causes d’extinction par voie principale de l’obligation de la caution qui s’ajoutent, d’une part, aux causes d’extinction du droit commun des obligations, visées par l’article 2313 nouveau, alinéa 1er, d’autre part, aux causes d’extinction par voie accessoire auxquelles renvoie l’alinéa 2 du même texte qui dispose que l’obligation de la caution « s’éteint aussi par suite de l’extinction de l’obligation garantie » (sur le caractère accessoire du cautionnement, voir le commentaire de la section II relative à la formation et à l’étendue du cautionnement).
Le bénéfice de subrogation
L’article 2314 nouveau relatif au bénéfice de subrogation reprend en substance l’ancien, avec une rédaction plus claire. Il dispose en ces deux premiers alinéas que « Lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. Toute clause contraire est réputée non écrite ». On remarque en particulier la suppression de la référence aux « droits, hypothèques et privilèges du créancier » qui permet d’inclure plus clairement tout type de droit, et de consacrer ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation (v. not. Com. 3 mai 2006, nos 04-17.283 et 04-17.396 P, D. 2006. 1693 , note D. Houtcieff ; ibid. 1364, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 229, obs. A. Martin-Serf ; RD banc. fin. 2006. 18, obs. D. Legeais ; Defrénois 2006, art. 38449, p. 1386 s., obs. S. Piedelièvre, visant tout « droit exclusif ou préférentiel » ; et, sur le droit de gage général, Com. 19 févr. 2013, n° 11-28.423 P, D. 2013. 565, obs. A. Lienhard ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2013. 416, obs. P. Crocq ; RTD com. 2013. 346, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 573, obs. D. Legeais ; Dr. et patr. juill. 2013, obs. A. Aynès ; RDC 2013. 1454, obs. A.-S. Barthez).
La seule modification apportée par la réforme au régime du bénéfice de subrogation résulte de l’alinéa 3 de l’article 2314 qui dispose que « La caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d’une sûreté ». Il s’agit là pour le législateur de combattre la jurisprudence selon laquelle « si l’attribution judiciaire du gage ne constitue qu’une faculté pour le créancier, ce dernier, lorsqu’il est par ailleurs garanti par un cautionnement, commet une faute au sens [de l’article 2314 ancien du code civil] si, en s’abstenant de demander cette attribution, il prive la caution d’un droit qui pouvait lui profiter » (Com. 8 mars 2017, n° 14-29.819 ; 13 mai 2003, n° 00-15.404 P, D. 2003. 1629 , obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2004. 52, obs. P.-M. Le Corre ; RTD com. 2003. 803, obs. B. Bouloc ; ibid. 2004. 156, obs. A. Martin-Serf ; Banque et droit juill.-août 2003, 61, obs. N. Rontchevsky ; adde Com. 17 févr. 2009, n° 07-20.458, Bull. civ. IV, n° 22 ; D. 2009. 625, et les obs. ; RTD civ. 2009. 555, obs. P. Crocq ; RTD com. 2009. 425, obs. D. Legeais ; RD banc. fin. 2009. Comm. 90, obs. A. Cerles ; Banque et droit mars-avr. 2009. 52, obs. F. Jacob). Une interprétation a contrario de l’article 2314, alinéa 3, laisse en revanche penser que le législateur est favorable au maintien de la sanction du créancier qui aurait omis d’exercer une faculté autre que la demande d’attribution judiciaire, telle que l’inscription d’une sûreté légale (Civ. 1re, 3 avr. 2007, n° 06-12.531, D. 2007. 1572 , note D. Houtcieff ; ibid. 1136, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2327, chron. P. Chauvin et C. Creton ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 595, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 584, obs. D. Legeais ; JCP 2007. I. 158, n° 13, obs. P. Simler), ou l’inscription définitive d’une sûreté provisoire (Ch. mixte, 17 nov. 2006, n° 04-19.123, Bull. ch. mixte, n° 10 ; D. 2006. 2907 , obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2007. 157, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 215, obs. D. Legeais ; RLDC, janv. 2007, p. 32, obs. J.-J. Ansault ; RDC 2007. 428, obs. D. Houtcieff ; Defrénois 2007, art. 38562, n° 27, p. 440 s., obs. E. Savaux).
L’extinction de l’obligation de couverture. La réforme consacre, au sein des articles 2315 à 2317 nouveaux, la spécificité de l’extinction du cautionnement de dettes futures, qui connait des causes et des effets qui lui sont propres. L’article 2315 dispose que « Lorsqu’un cautionnement de dettes futures est à durée indéterminée, la caution peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ». Il s’agit là de l’application au cautionnement de la faculté de résiliation unilatérale commune à tous les contrats à durée indéterminée, elle-même fondée sur la prohibition des engagements perpétuels (C. civ., art. 1211, issu de l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016). L’effet de cette résiliation est précisé par l’article 2316 qui dispose que « lorsqu’un cautionnement de dettes futures prend fin, la caution reste tenue des dettes nées antérieurement, sauf clause contraire ». La résiliation du cautionnement de dettes futures emporte l’extinction de la seule obligation de couverture, c’est-à-dire de la garantie des dettes futures, et le maintien des obligations de règlement, c’est-à-dire des obligations de payer les dettes déjà nées, même si elles ne sont pas encore exigibles, en cas de défaillance du débiteur (la jurisprudence est constante en ce sens ; v. par ex., Com. 16 oct. 1990, n° 88-17.252 P ; 1er avr. 2008, n° 07-11.003). L’article 2316 est au demeurant général, et s’applique à d’autres causes d’extinction que la résiliation, telles que la survenance du terme, qui ne met donc elle aussi fin qu’à l’obligation de couverture, sauf stipulation contraire (v. dans le même sens, Com. 29 févr. 1984, n° 82-16.662 P ; Civ. 1re, 6 nov. 1985, n° 84-12.523 P ; Com. 24 oct. 1989, n° 88-15.988 P ; 28 févr. 1995, n° 93-14.705 NP ; 15 nov. 2005, n° 04-16.047 NP ; 4 mai 2017, n° 15-25.616 NP ; 28 févr. 2018, n° 16-25.069). Le décès de la caution produit les mêmes effets puisque l’article 2317 nouveau dispose que « Les héritiers de la caution ne sont tenus que des dettes nées avant le décès », et consacre ainsi la célèbre jurisprudence Lempereur (Com. 29 juin 1982, n° 80-14.160 P, D. 1983. 360, note C. Mouly ; RTD civ. 1983. 354, obs. P. Rémy). L’alinéa 2 du même texte précise en revanche que, contrairement aux autres causes d’extinction, « toute clause contraire est réputée non écrite » (Com. 13 janv. 1987, n° 84-14.146 P, D. 1987. Somm. 453, obs. L. Aynès ; JCP 1988. II. 20954, note S. de la Marnière). Les mêmes effets sont enfin attachés par l’article 2318, alinéa 1er, nouveau à la dissolution de la société débitrice ou créancière par l’effet notamment d’une fusion, ce texte codifiant là encore des solutions antérieures (v. not., pour l’absorption du créancier, Com. 20 janv. 1987, n° 85-14.035 P, D. 1987. Somm. 453, obs. L. Aynès ; JCP 1987. II. 20844, note M. Germain ; et pour l’absorption du débiteur, Com. 8 nov. 2005, n° 02-18.449 P, JCP 2006. I. 123, nos 17 s., obs. A.-S. Barthez ; Dr. et patr. févr. 2006, p. 126, obs. P. Dupichot ; JCP 2005. II. 10170, note D. Houtcieff ; Dr. et patr. sept. 2006. 80, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm ; JCP 2006. I. 131, n° 9, obs. P. Simler). Un sort particulier est réservé à la dissolution de la caution personne morale puisqu’elle celle-ci n’emporte aucune extinction des obligations, que ce soit de couverture ou de règlement (C. civ., art. 2318, al. 2 nouv.).
La prorogation du terme. L’article 2320 nouveau dispose que « la simple prorogation de terme, accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge pas la caution. Lorsque le terme initial est échu, la caution peut soit payer le créancier et se retourner contre le débiteur, soit, en vertu des dispositions du livre V du code des procédures civiles d’exécution, solliciter la constitution d’une sûreté judiciaire sur tout bien du débiteur à hauteur des sommes garanties. Elle est alors présumée justifier de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance, sauf preuve contraire apportée par le débiteur ». Ce texte reprend l’article 2316 ancien tout en l’adaptant à la suppression, par l’ordonnance, des recours avant paiement tels qu’ils étaient prévus par l’article 2309 ancien, pour renvoyer au droit commun des mesures conservatoires. Mais la caution peut également choisir de payer le créancier et exercer contre le débiteur son recours après paiement (v. déjà, Com. 5 nov. 1971, Bull. civ. IV, n° 264). Enfin, si le texte ne le dit pas expressément, il ne fait aucun doute que la caution qui serait appelée en paiement par le créancier au terme initial pourrait lui opposer la prorogation conventionnelle en application du principe d’opposabilité des exceptions de l’article 2298. La prorogation du terme n’est donc pas opposable à la caution, mais opposable par la caution.
Le cautionnement d’un solde de compter courant
La réforme innove enfin en consacrant un texte au cautionnement du solde d’un compte courant ou de dépôt. L’article 2319 nouveau dispose que « La caution du solde d’un compte courant ou de dépôt ne peut plus être poursuivie cinq ans après la fin du cautionnement ». L’utilité de cette précision est certaine. En effet, la dette principale ne devenant exigible qu’au jour de la clôture du compte, la caution peut être poursuivie longtemps après que le cautionnement a pris fin. Certes, la solution jurisprudentielle selon laquelle la caution ne couvre pas les avances consenties par le créancier postérieurement à l’extinction du cautionnement, tandis que les remises postérieures effectuées par le débiteur s’imputent sur la dette de la caution (Com. 22 nov. 1972, n° 71-10.745 P, RTD com. 1973. 309, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange), conduit à libérer progressivement la caution. Mais il est fréquent qu’une clause contraire, jugée valable (v. par ex., Com. 18 févr. 2003, n° 99-21.313), prévoie que la caution est tenue du solde existant au jour de la clôture du compte, sans que son engagement puisse excéder le solde provisoire au jour de la résiliation, de sorte que les remises postérieures s’imputent prioritairement sur les avances postérieures. La caution risquait alors d’être tenue perpétuellement, sans pouvoir invoquer la prescription puisque la dette n’est pas exigible tant que le compte n’est pas clôturé (v. not., M. Cabrillac, Obligation de couverture, obligation de règlement et cautionnement du solde du compte courant, Mélanges Mouly, t. 2, Litec, 1998, p. 293 ; P. Simler, Cautionnement. Garanties autonomes. Garanties indemnitaires, 5e éd., LexisNexis, 2015, n° 818 ; A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit de sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678). La loi nouvelle peut donc être approuvée de limiter ainsi dans le temps le droit de poursuite du créancier (dans le même sens, Com. 5 oct. 1982, n° 81-12.595).
Perspectives. La réforme du cautionnement est riche quels que soient les aspects de régime concernés : dispositions générales, formation et étendue, effets, extinction. Elle clarifie le droit positif en le rendant plus lisible et accessible. Elle opère aussi des modifications importantes des textes existants – notamment sur la mention manuscrite et la disproportion – et combat des solutions jurisprudentielles qui sont pour certaines très critiquées, que l’on songe au cautionnement réel, à l’opposabilité des exceptions, au bénéfice de subrogation ou, dans une moindre mesure, au devoir de mise en garde. Il sera particulièrement intéressant d’observer l’attitude de la Cour de cassation. Va-t-elle continuer d’appliquer certaines solutions décriées, et non imposées par les textes, aux cautionnements conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme ? Ou va-t-elle s’inspirer des dispositions nouvelles pour opérer des revirements et permettre, indirectement, une application des solutions nouvelles à ces cautionnements antérieurs ? L’impact de la réforme sur la pratique et le volume du contentieux sera également à observer. On peut souhaiter que l’ordonnance assèche une partie du contentieux et contribue ainsi à stabiliser la matière, même si l’on ne peut exclure que de nouvelles interrogations apparaissent.
Sur la loi « Réforme des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
Droit issu de la réforme – Les effets du cautionnement
Les effets du cautionnement font l’objet d’une section 3 au sein du chapitre relatif au cautionnement. Les auteurs de la réforme n’ont pas modifié la structure interne de cette section, celle-ci se déclinant toujours en trois sous-sections consacrées respectivement aux effets du cautionnement entre le créancier et la caution, aux effet du cautionnement entre le débiteur et la caution et aux effets du cautionnement entre les cautions (le terme de cofidéjusseurs, survivance du droit romain, ayant été abandonné, sans doute au nom de la simplification – artificielle – du droit si chère au législateur contemporain). Le cautionnement produit donc une pluralité d’effets, raison pour laquelle il était préférable d’employer le pluriel, conformément à l’avant-projet sous l’égide de l’Association Henri Capitant (l’avant-projet d’ordonnance de la Chancellerie du 18 décembre 2020 avait curieusement envisagé d’employer le singulier). Le législateur a fait œuvre utile en simplifiant un certain nombre de règles, conformément aux vœux de la doctrine (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Les sûretés personnelles en droit prospectif, in L’incidence de la réforme du droit des obligations sur les sûretés personnelles, Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, L. Andreu et M. Mignot [dir.], LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2017, p. 499, spéc. nos 34 s.).
Effets du cautionnement entre le créancier et la caution
Ce sont tout d’abord les obligations d’information pesant sur le créancier professionnel qui se trouvent unifiées au sein du code civil et corrélativement supprimées des différentes textes au sein desquelles elles pullulaient (pour l’information relative au montant de la dette, C. civ., art. 2293 anc. ; C. consom., art. L. 333-2 et L. 343-6 ; CMF, art. L. 313-22, Loi du 11 févr. 1994 relative à l’initiative et l’entreprise individuelle, art. 47, II ; pour l’information relative à la défaillance du débiteur, C. consom., art. L. 314-17, L. 333-1 et L. 343-5 ; CMF, art. L. 313-22 ; Loi du 11 févr. 1994 relative à l’initiative et l’entreprise individuelle, art. 47, II).
Le nouvel article 2302 prévoit ainsi une obligation d’information relative au montant de la dette : « Le créancier professionnel est tenu, avant le 31 mars de chaque année et à ses frais, de faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette, des intérêts et autres accessoires restant dus au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie, sous peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu’à celle de la communication de la nouvelle information. Dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. Le créancier professionnel est tenu, à ses frais et sous la même sanction, de rappeler à la caution personne physique le terme de son engagement ou, si le cautionnement est à durée indéterminée, sa faculté de résiliation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci peut être exercée. Le présent article est également applicable au cautionnement souscrit par une personne morale envers un établissement de crédit ou une société de financement en garantie d’un concours financier accordée à une entreprise » (le rapport au président de la République précise qu’« Il est prévu depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que la réalisation de cette obligation ne peut être facturée à la caution. Le nouvel article 2302 va plus loin en affirmant que cette information est fournie aux frais du créancier, ce qui lui interdit de la facturer au débiteur principal »).
Le nouvel article 2303 devient quant à lui, le réceptacle de l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur : « Le créancier professionnel est tenu d’informer toute caution personne physique de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement, à peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de cet incident et celle à laquelle elle en a été informée. Dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette ». L’article 2304 étend opportunément ces obligations d’information au sous-cautionnement (figure désormais définie par l’art. 2291-1 c. civ.) : « Dans le mois qui en suit la réception, la caution communique à ses frais à la sous-caution personne physique les informations qu’elle a reçues en application des articles 2302 et 2303 ». Cela est parfaitement logique, dans la mesure où la caution est le créancier de la sous-caution. Il est donc normal qu’elle soit tenue à son égard des mêmes obligations que le créancier. On observera toutefois que cette caution peut ne pas être un professionnel, ce qui jure avec le domaine des articles 2302 et 2303. Toutes ces modifications méritent d’être pleinement approuvées et n’auront, pas plus demain qu’hier, une incidence sur la nature unilatérale du cautionnement (sur cette problématique, v. M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement ?, préf. D. Houtcieff, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », 2011, t. 528).
Les textes suivants n’innovent pas fondamentalement, dans la mesure où ils reprennent, pour l’essentiel, les dispositions relatives aux bénéfices de discussion (art. 2305 et 2305-1, la caution n’étant toutefois plus tenue d’avancer les frais de la discussion) et de division (art. 2306 à 2306-2) ainsi qu’au « reste à vivre » (art. 2307).
Effets du cautionnement entre le débiteur et la caution
Fondamentalement, l’architecture des recours après paiement n’est pas modifiée par la réforme, l’ordonnance s’étant contentée de moderniser et de préciser les textes relatifs aux recours personnels (C. civ., art. 2308) et subrogatoire (C. civ., art. 2309), sans toutefois prendre parti sur leur fondement (sur cette question, v. J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation – Contribution à l’étude du concept de coobligation, préf. P. Delebecque, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 539, 2012, nos 259 s.) et sans indiquer qu’ils pouvaient parfaitement se cumuler (v. en ce sens, Civ. 1re, 29 nov. 2017, n° 16-22.820). Mais il ne fait aucun doute que cela sera toujours possible, ce qui est heureux (v. à ce sujet, L. Bougerol et G. Mégret, Droit du cautionnement, préf. P. Crocq, Gazette du Palais, coll. « Guide pratique », 2018, n° 241).
Le nouvel article 2310 prévoit, quant à lui, que « Lorsqu’il y a plusieurs débiteurs principaux solidaires d’une même dette, la caution dispose contre chacun d’eux des recours prévus aux articles précédents ». À première vue, l’on pourrait croire qu’il y a là une reprise pure et simple des dispositions de l’actuel article 2307, le nouveau texte précisant tout au plus que les deux types de recours sont ouverts à la caution solvens (ce qu’affirment d’ailleurs les auteurs de la réforme). Mais la règle est en réalité modifiée dans la mesure où l’article 2307 prévoit que « Lorsqu’il y avait plusieurs débiteurs principaux solidaires d’une même dette, la caution qui les a tous cautionnés, a, contre chacun d’eux, le recours pour la répétition du total de ce qu’elle a payé » (c’est nous qui surlignons). Seule l’hypothèse où la caution s’était engagée pour chacun des codébiteurs solidaires était donc formellement envisagée, ce qui était incohérent, car la dette est unique pour l’ensemble des coobligés et il était donc logique de considérer que la caution s’étant engagée à garantir cette dette puisse exercer un recours (personnel ou subrogatoire) à l’encontre de chacun, peu important qu’elle ne se soit pas formellement engagée à l’égard de tous (v. en ce sens J.-D. Pellier, op. cit., n° 264). Au demeurant, l’on peut parfaitement cautionner une personne à son insu (C. civ., nouv. art. 2288, al. 2 ; act. art. 2291, al. 1er). La caution bénéficie donc désormais d’une sollicitude plus grande de la part du législateur. Elle doit toutefois se montrer vigilante, les hypothèses de déchéance de ses recours étant reprises au sein de l’article 2311, qui supprime en outre la condition relative à l’absence de poursuite de la caution (dans le but d’ « inciter la caution à systématiquement informer le débiteur principal du paiement à intervenir ») : « La caution n’a pas de recours si elle a payé la dette sans en avertir le débiteur et si celui-ci l’a acquittée ultérieurement ou disposait, au moment du paiement, des moyens de la faire déclarer éteinte. Toutefois, elle peut agir en restitution contre le créancier ». On sait que la jurisprudence avait considérablement étendu le domaine du second cas de déchéance, prévu par l’actuel article 2308 du code civil en son alinéa 2 (« Lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n’aura point de recours contre lui dans le cas où, au moment du paiement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; sauf son action en répétition contre le créancier »). La première chambre civile de la Cour de cassation a en effet récemment considéré qu’« Il résulte des constatations de l’arrêt qu’au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt » et que « Dès lors que cette annulation conduisait à ce qu’ils restituent à la banque le capital versé, déduction faite des sommes déjà payées, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que leur obligation de remboursement à l’égard de la caution devait être limitée dans cette proportion » (Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 19-14.568, Dalloz actualité, 25 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1789 ; ibid. 2021. 483, chron. X. Serrier, S. Robin-Raschel, S. Vitse, Vivianne Le Gall, V. Champ, C. Dazzan, E. Buat-Ménard et C. Azar ; AJ contrat 2020. 574, obs. D. Houtcieff . Comp. Civ. 1re, 24 mars 2021, n° 19-24.484, Dalloz actualité, 9 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier). C’était doublement trahir la lettre de l’article 2308, alinéa 2 : d’une part, les débiteurs se trouvent partiellement déchargés (alors que le texte prévoit une déchéance totale) et, d’autre part, ils sont exposés à cette déchéance alors qu’ils n’ont pas, à proprement parler, « des moyens pour faire déclarer la dette éteinte » (celle-ci ayant été annulée). Le nouveau texte employant les même termes que l’ancien, l’on peut subodorer que cette solution (malgré tout mesurée) sera toujours d’actualité.
Enfin, les recours avant paiement, qui étaient envisagés par l’article 2309 du code civil, se trouvent purement et simplement supprimés par la réforme, le rapport au président de la République indiquant à ce sujet que « De nombreux cas prévus par ce texte sont en effet désuets. De plus, la faculté pour la caution d’être indemnisée alors qu’elle n’a pas encore payé est critiquable ».
La caution pourra néanmoins pratiquer une mesure conservatoire, sa créance de recours prenant au demeurant naissance dès son engagement (v. par ex., Com. 1er mars 2005, n° 02-13.176, D. 2005. 1365 , note P. M. Le Corre ; ibid. 2078, obs. P. Crocq ; v. à ce sujet, A. Gouëzel, La date de naissance de la créance de recours de la caution, in Mélanges en l’honneur de Corinne Saint-Alary-Houin, Un droit « positif », un droit de progrès, LGDJ, 2020). L’avant-projet d’ordonnance diffusé par la Chancellerie le 18 décembre 2020 contenait d’ailleurs un article 2315 aux termes duquel « La caution peut, même avant d’avoir payé, pratiquer une mesure conservatoire sur tout bien du débiteur dans les conditions prévues au livre V du code des procédures civiles d’exécution ». Même si le principe des recours avant paiement ne manquait pas de fondement (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 174), l’on peut approuver leur suppression : il pouvait en effet paraître curieux que la caution puisse agir contre le débiteur avant même d’avoir payé. Au demeurant, la possibilité de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens du débiteur suffit amplement à lui assurer la possibilité d’exercer, une fois qu’elle aura payé, un recours personnel ou subrogatoire.
Effets du cautionnement entre les cautions
Le nouvel article 2312, unique texte de la section relative à l’effet du cautionnement entre les cautions, prévoit qu’« En cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours personnel et un recours subrogatoire contre les autres, chacune pour sa part ». Il diffère ainsi de l’actuel article 2310 sur deux points : d’une part, les deux recours sont formellement consacrés par le nouveau texte (alors que l’actuel texte prévoyait simplement, en son alinéa 1er, que « Lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette, a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion »). La controverse relative au domaine de ce texte se trouve ainsi définitivement tranchée (on sait en effet que, pour certains auteurs, l’article 2310 ne vise que le recours personnel, le recours subrogatoire étant directement fondé sur les textes relatifs à la subrogation. V. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 261). Au demeurant, comme l’avait relevé le Doyen Jacques Mestre, « l’opposition demeure cependant des plus réduites dans la mesure où tous, aujourd’hui, s’accordent pour dire que le cofidéjusseur solvens a bien, de toute façon, deux recours : un recours subrogatoire ainsi appuyé pour les uns sur l’article 2033 ou bien, directement pour les autres, sur l’article 1251-3°, et un recours personnel (…) » (J. Mestre, Les cofidéjusseurs, Dr. et patr. avr. 1998. 64). D’autre part, l’ordonnance a supprimé l’alinéa 2 de l’ancien article 2310, qui disposait que « ce recours n’a lieu que lorsque la caution a payé dans l’un des cas énoncés en l’article précédent », c’est-à-dire l’ancien article 2309 relatif aux recours avant paiement. Cela est tout à fait logique puisque lesdits recours ont été supprimés.
Sur la loi « Réforme des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 19 septembre 2021
Droit antérieur à la réforme
Les textes du code civil relatifs au cautionnement datent pour la plupart de 1804, à l’instar des autres contrats spéciaux, au titre desquels il était étudié jadis (v. à ce sujet, P. Rémy, Brève histoire du caractère accessoire du cautionnement en droit français, Congresso Internazionale ARISTEC, La garanzia nella prospettiva storico-comparatistica, G. Giappichelli editore, Torino, 2003). Certes, de nombreuses évolutions, pour la plupart contenues au sein d’autres codes, ont peu à peu transformé le visage de cette sûreté personnelle, autrefois appréhendée comme un « petit contrat », un service d’ami, à tel point qu’il était possible de se demander si le code civil était encore le réceptacle du droit commun du cautionnement (v. à ce sujet, P. Delebecque, Le cautionnement et le code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004. 226). C’est la raison pour laquelle la Commission présidée par le Professeur Michel Grimaldi avait proposé, en 2005, de réformer la matière (M. Grimaldi, Orientations générales de la réforme, Dr. et patr., sept. 2005, p. 50 s. ; P. Simler, Les sûretés personnelles, Dr. et patr., sept. 2005, p. 55 s. V. égal. du même auteur, Codifier ou recodifier le droit des sûretés personnelles ?, in Le Code civil, 1804-2004, Dalloz-Litec 2004, p. 373). Mais cette proposition resta lettre morte, faute d’habilitation législative (v. P. Simler, 2006, une occasion manquée pour le cautionnement, JCP N 2016. 1109). Il aura fallu attendre la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », pour que le gouvernement soit enfin habilité à « Réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (art. 60, I, 1°).
Droit issu de la réforme
À titre liminaire, il faut préciser que le droit nouveau n’aura vocation à régir que les cautionnements conclus à compter du 1er janvier 2022, date d’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance (art. 37, I, al. 1er « Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er janvier 2022 »). L’article 37, II, de cette dernière prévoit en effet que « Les cautionnements conclus avant la date prévue au 1er alinéa du I demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public » (on aura reconnu la célèbre formule de l’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 : « Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public »). Toutefois, le III du même texte prévoit que « Les dispositions des articles 2302 à 2304 du code civil sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, telle que prévue au premier alinéa du I, y compris aux cautionnements et aux sûretés réelles pour autrui constitués antérieurement » (ces dispositions concernent les obligations d’information relative au montant de la dette et à la défaillance du débiteur principal).
Formellement, l’ordonnance de réforme a tout d’abord modifié le titre de la première section du chapitre relatif au cautionnement, qui s’intitule désormais « Dispositions générales ». On y trouve, en premier lieu, la définition même du cautionnement au sein de l’article 2288, alinéa 1er : « Le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci » (l’alinéa 2 du même texte reprend en substance le contenu de l’actuel alinéa 1er de l’article 2291 : « Il peut être souscrit à la demande du débiteur principal ou sans demande de sa part et même à son insu »). Cette définition, purement et simplement tirée de l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, constitue, selon le rapport au Président de la République, « une définition modernisée du cautionnement, en faisant expressément mention du caractère conventionnel du lien qui unit la caution au créancier, du caractère unilatéral de ce contrat et du fait que le débiteur est un tiers à celui-ci ». Si cette nouvelle définition permet en effet de mettre en exergue la dimension contractuelle du cautionnement (sans toutefois laisser dans l’ombre sa dimension obligationnelle puisque c’est précisément « la dette du débiteur » que la caution s’oblige à payer. Sur cette conception, v. J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation – Contribution à l’étude du concept de coobligation, préf. P. Delebecque, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 539, 2012, nos 157 s.) ainsi que le caractère unilatérale de ce contrat (sur lequel, Com. 2 juin 2021, n° 20-10.690, Dalloz actualité, 15 juin 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 1076 ; Rev. prat. rec. 2021. 19, chron. O. Salati ), l’on peut exprimer un regret quant à l’emploi du terme « payer », en raison de la connotation monétaire qu’il porte en lui, même si le paiement est défini par l’article 1342, alinéa 1er, du code civil comme « l’exécution volontaire de la prestation due » (sur cette conception du paiement, A. Sériaux, Conception juridique d’une opération économique : le paiement, RTD civ. 2004. 225 ). Au demeurant, il est intéressant d’observer que la nouvelle définition se rapproche de celle qui avait été exposée dans un premier temps au Conseil d’État par M. Bigot-Préameneu au début du XIXe siècle : « Celui qui se rend caution d’une obligation s’oblige envers le créancier à lui payer, au défaut du débiteur, ce que celui-ci lui doit » (Jouanneau et Solon, Discussions du code civil dans le Conseil d’État, t. 2, éd. Demonville, 1805, p. 652). Jugée trop réductrice, cette définition fut finalement délaissée, après conférence tenue avec le Tribunat. Comme le souligne le Professeur Philippe Dupichot dans sa thèse, « précisément, cette modification de rédaction avait tendu à remplacer le terme de « payer », à consonance trop « monétaire », par celui de « satisfaire », plus général (…). L’intention des rédacteurs de cette disposition a été, sans nul doute, de préciser qu’une caution pouvait accomplir toute espèce d’obligation, qu’elle soit de donner, de faire ou de ne pas faire, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même » (P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, préf. M. Grimaldi, éditions Panthéon-Assas, 2005, n° 277). De ce point de vue, la nouvelle rédaction de l’article 2288 représente donc une régression et non une modernisation (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement. À propos de l’Avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri Capitant, D. 2018. 686, n° 3 ).
En second lieu, ce sont les différents types de cautionnement qui sont envisagés. Le nouvel article 2289 dispose d’abord que « Lorsque la loi subordonne l’exercice d’un droit à la fourniture d’un cautionnement, il est dit légal. Lorsque la loi confère au juge le pouvoir de subordonner la satisfaction d’une demande à la fourniture d’un cautionnement, il est dit judiciaire ». On sait en effet que la source du cautionnement est nécessairement contractuelle et qu’il ne saurait donc y avoir, à proprement parler, de cautionnement légal ou judiciaire (v. en ce sens, P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, nos 7 et 62). Voilà pourquoi il est juste d’affirmer que le cautionnement « est dit » légal ou judiciaire. Il y a là une simple commodité de langage et non une réalité juridique.
Le nouvel article 2290 dispose ensuite que « Le cautionnement est simple ou solidaire. La solidarité peut être stipulée entre la caution et le débiteur principal, entre les cautions, ou entre eux tous ». Ce texte permet de prendre conscience que la solidarité peut s’appliquer au sein de plusieurs rapports et qu’elle peut ainsi concerner les seules cautions (naguère désignées par le terme de cofidéjusseurs, v. à ce sujet, J. Mestre, Les cofidéjusseurs, Dr. et patr., janv. 1998. 66 ; ibid. avr. 1998. 64). Comme le précise le rapport au président de la République, la solidarité peut ainsi être « verticale » entre la caution et le débiteur principal, « horizontale » entre les différentes cautions, ou à la fois « verticale » et « horizontale » entre eux tous. Le texte est toutefois insuffisamment précis, car il ne nous éclaire en rien quant aux effets de cette dernière, qui consistent dans la suppression du bénéfice de division et dans l’application des effets dits secondaires de la solidarité (v. en ce sens, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 205). Il convient d’observer que, dans un premier temps, la Chancellerie avait envisagé d’ajouter un alinéa aux termes duquel « La solidarité entre la caution et le débiteur a pour seul effet de priver la première du bénéfice de discussion ». Il est heureux que ce texte n’ait finalement pas été adopté, car il était trompeur : la jurisprudence applique également les effets secondaires de la solidarité dans cette situation (v. par ex., Civ 1re, 14 juin 2005, n° 04-10.911, concernant l’effet collectif de la mise en demeure ; Com. 1er juin 1999, n° 96-18.466, concernant l’effet collectif de l’autorité de la chose jugée, D. 1999. 182 ; RTD civ. 1999. 882, obs. P. Crocq ; ibid. 884, obs. P. Crocq ; v. à ce sujet, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., nos 200 s. V. égal., sur la signification de la stipulation de solidarité en matière de cautionnement, A. Gouëzel, La subsidiarité en droit privé, préf. P. Crocq, Économica, 2013, nos 511 s. ; J.-D. Pellier, op. cit., spéc. n° 174).
Enfin, les deux derniers textes de la section consacrée aux dispositions générales relatives au cautionnement font œuvre utile en définissant deux figures classiques en matière de cautionnement : d’une part, l’article 2291 prévoit qu’« On peut se porter caution, envers le créancier, de la personne qui a cautionné le débiteur principal » (comp. Avant-projet de la Chancellerie du 18 décembre 2020 : « Une personne peut se porter caution envers le créancier de la dette de la caution ». V. égal., Avant-projet de l’Association Henri Capitant, art. 2292 : « La certification de caution est l’engagement par lequel une personne s’oblige envers le créancier à exécuter l’obligation de la caution en cas de défaillance de celle-ci »). Il s’agit de la certification de caution, qui est actuellement prévue par l’alinéa 2 de l’article 2291 (« On peut aussi se rendre caution, non seulement du débiteur principal, mais encore de celui qui l’a cautionné »). La figure, relativement rare en pratique (v. P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 77), n’en méritait pas moins d’être mentionnée. Il est heureux qu’il ne soit pas fait référence à la « dette de la caution » ou à « l’obligation de la caution », dans la mesure où celle-ci n’est autre que la dette même du débiteur, ainsi d’ailleurs que le met en lumière le nouvel article 2288 (sur cette conception, v. J.-D. Pellier, op. cit., spéc. n° 172).
D’autre part, l’article 2291-1 dispose que « Le sous-cautionnement est le contrat par lequel une personne s’oblige envers la caution à lui payer ce que peut lui devoir le débiteur à raison du cautionnement ». Beaucoup plus fréquente en pratique, cette figure avait pourtant été laissée sous le boisseau par le Code de 1804 (sans doute parce qu’elle était plus rare à l’époque : le cautionnement étant originellement un service d’ami, il ne devait pas être courant de s’assurer du remboursement de la caution en prenant une contre-garantie). Il est donc heureux qu’elle soit désormais gravée dans le marbre du code civil, eu égard à l’importance des contre-garanties dans le monde contemporain (v. P. Delebecque, Garanties et contre-garanties, in Mélanges C. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 91 ; v. égal., C. Houin-Bressand, Les contre-garanties, préf. H. Synvet, Dalloz, coll. « Nouvelles bibliothèques de thèse », vol. 54, 2006).
Par ailleurs, l’article L. 110-1 du code de commerce a été enrichi d’un 11°, réputant actes de commerce « Entre toutes personnes, les cautionnements de dettes commerciales » (comp. Avant-projet d’ordonnance de la Chancellerie du 18 décembre 2020, art. 2290 : « Le cautionnement est civil ou commercial selon la nature de la dette garantie ». V. égal., Avant-projet de l’Association Henri Capitant, art. 2290, al. 2 : « Le cautionnement par un non-commerçant d’une dette commerciale est civil »). La règle est bonne, qui permet d’éviter les affres du contentieux relatif à l’intérêt patrimonial personnel (v. à ce sujet, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 68) et de traiter les litiges relatifs au cautionnement devant la même juridiction. Le rapport au Président de la République précise d’ailleurs à ce sujet que « Cette modification répond à un objectif de bonne administration de la justice, en permettant que le tribunal de commerce soit saisi à la fois du contentieux relatif à la dette principale et de celui relatif au cautionnement ». Corrélativement, l’article L. 721-3 du Code de commerce, relatif à la compétence des juridictions commerciales, qui prévoit in fine que « les parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à l’arbitrage les contestations » énumérées par ce texte, est complété par la phrase suivante : « Par exception, lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci ». Le rapport au Président de la République nous éclaire parfaitement à ce sujet : « Dès lors qu’un acte relève de la compétence du tribunal de commerce en application de ce texte, la clause compromissoire est en effet licite. Le second alinéa de l’article 2061 du code civil prévoit certes que « Lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause [compromissoire] ne peut lui être opposée ». Néanmoins, la jurisprudence a eu l’occasion d’indiquer que l’application de cette disposition et celle du dernier alinéa de l’article L. 721-3 c. com. sont autonomes (Civ. 1re, 22 oct. 2014, n° 13-11.568). Ce dernier texte est donc modifié pour prévoir que lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci ; l’extension de la commercialité du cautionnement n’a en effet pas vocation à conduire à une extension du champ de la clause compromissoire ».
Pour conclure, l’on observera que le « cautionnement réel » brille par son absence (sur cette figure, v. J.-J. Ansault, Le cautionnement réel, préf. P. Crocq, Doctorat et Notariat, t. 40, Defrénois, 2010), alors même que l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, souhaitant briser la jurisprudence (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210, BNP Paribas, D. 2006. 729 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais ), avait proposé sa réhabilitation (art. 2291 : « Le cautionnement réel est une sûreté réelle constituée pour garantir la dette d’autrui. Le créancier n’a d’action que sur le bien qui en forme l’objet ». Pour une critique de cette conception, v. J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement, art. préc., n° 4. Comp. A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 ). C’est parce que les auteurs de l’ordonnance ont fait le choix (judicieux) de le traiter au titre des sûretés réelles tout en lui appliquant un certain nombre de règles du cautionnement : le nouvel article 2325 dispose en effet que « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2299, 2302 à 2305-1, 2308 à 2312 et 2314 sont alors applicables ». Le rapport au président de la République précise à ce sujet que « la nature de sûreté réelle de cette figure est ainsi réaffirmée conformément à la jurisprudence actuelle et dans un souci de sécurité juridique (…). En revanche, en rupture avec le droit antérieur, cette sûreté se voit appliquer un certain nombre de règles protectrices de la caution ». Certaines solutions jurisprudentielles, contestées par une partie de la doctrine, seront donc abandonnées (v. par ex., Civ. 3e, 12 avr. 2018, n° 17-17.542, D. 2018. 1540 , note A. Gouëzel ; ibid. 1884, obs. P. Crocq ; RDI 2018. 385, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2018. 241, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2018. 461, obs. P. Crocq ; RTD com. 2018. 773, obs. A. Martin-Serf , concernant le bénéfice de subrogation). Il serait peut-être temps de s’atteler à l’édification d’un véritable régime des sûretés pour autrui (v. à ce sujet, A. Aynès, Quelques aspects du régime juridique des sûretés réelles pour autrui, Liber Amicorum Christian Larroumet, Économica, 2009, p. 1 ; J.-D. Pellier, La poursuite de la construction d’un régime des sûretés pour autrui. À propos de la modification de l’article L. 643-11 du code de commerce par l’ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014. 1054 ; v. égal. J. Crastre, La summa divisio des sûretés pour soi et des sûretés pour autrui, Thèse Paris 1, P. Dupichot [dir.], 2020).
Sur l’ordonnance « Réforme des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
L’accès des débiteurs en difficulté financière à un cadre de restructuration préventive lorsqu’il existe une probabilité d’insolvabilité représente l’un des trois grands dispositifs de la directive « restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019 (Dir. [UE] 2019/1023 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive [UE] 2017/1132, JOUE, n° L 172, 26 juin). Dans le cadre de cet objectif, l’instauration de « classes de parties affectées » en était l’un des traits saillants. Ces classes sont désormais transposées en droit français par l’article 37 de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 et remplacent les comités de créanciers (modification de la section III du chapitre VI du titre II du livre VI du code de commerce [C. com., art. L. 626-29 à L. 626-34]). Elles pourront être mises en place pour les procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021, et ce même si une procédure de conciliation a été ouverte avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, afin que le cadre de restructuration préventive puisse être rapidement mis en œuvre (v. Rapport au président de la République). La notion de « partie affectée » vise « les créanciers dont les droits sont directement affectés par le projet de plan », ainsi que les détenteurs de capital si leur participation au capital du débiteur, les statuts ou leurs droits sont modifiés par le projet de plan (C. com., art. L. 626-30, I nouv.). En sont exclues, « les créances résultant du contrat de travail, des droits à pension acquis au titre d’un régime de retraite professionnelle et des créances alimentaires » (C. com., art. L. 626-30, IV nouv.). L’acception retenue par l’ordonnance est plus restrictive que celle de la directive « restructuration et insolvabilité », laquelle englobe « les travailleurs » (considérant 62 de la directive « restructuration et insolvabilité »). Le régime des classes de parties affectées reste toutefois fidèle aux grands axes de la directive.
Le champ d’application pour la constitution des « classes de parties affectées »
La constitution de classes de parties affectées s’impose dans trois situations : la première, pour l’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée, qui constitue le cadre de restructuration préventif au sens de la directive transposée (Ord., art. 38 ; C. com., art. L. 628-1 nouv.) ; la deuxième, lorsque l’entreprise atteint des seuils qui seront fixés ultérieurement par décret ; la troisième, lorsque les sociétés qui détiennent ou contrôlent une autre société, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3 du code de commerce, dès lors que l’ensemble des sociétés concernées est supérieur à ces seuils. Ce critère lié au contrôle vise à faire entrer dans le champ d’application les sociétés holdings. Les seuils prévus dans les deux dernières situations seront définis par référence soit au nombre de salariés et au montant du chiffre d’affaires, soit au montant net du chiffre d’affaires des entreprises ou sociétés (C. com., art. L. 626-29, al. 3 nouv.).
En deçà des seuils prévus, en sauvegarde, seul le débiteur pourra demander au juge-commissaire la constitution de classes de parties affectées (C. com., art. L. 626-29, al. 4 nouv.). Le législateur opère ici une restriction par rapport à la rédaction antérieure sur les comités de créanciers qui offrait cette faculté de manière alternative au débiteur et à l’administrateur judiciaire alors même que l’administrateur judiciaire était amené à assister le débiteur en sauvegarde ou en redressement judiciaire. En redressement judiciaire, la demande de constitution des classes de parties affectées peut désormais être formée par le débiteur ou l’administrateur judiciaire (Ord., art. 39 ; C. com., art. L. 631-1 mod.).
Répartition des créanciers en « classes représentatives d’une communauté d’intérêts » et nouveaux critères
Parmi les modifications majeures figure celle de la répartition des « parties affectées en classes représentatives d’une communauté d’intérêt économique suffisante » au vu des créances nées antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure (C. com., art. L. 626-30, III nouv.). Est donc abandonnée la constitution de deux comités de créanciers au maximum (hors créanciers obligataires), de même que la répartition en fonction de leurs qualités. Les sociétés de financement, les établissements de crédit et les principaux fournisseurs de biens ou de services disparaissent au profit du critère plus large de la « communauté d’intérêt économique ». La nouvelle rédaction de l’article permet d’ouvrir les classes à toutes les parties affectées par la procédure, en dehors des créances résultant du contrat de travail, des droits à pension acquis au titre d’un régime de retraite professionnelle et des créances alimentaires, qui ne sont pas affectées par le plan. En l’absence de dispositions dérogatoires spécifiquement prévues pour les créanciers publics, il faut en déduire qu’il sera possible d’intégrer les créanciers publics en une ou plusieurs classes (en ce sens, v. Rapport au président de la République), et leur imposer ainsi un plan.
Le pouvoir d’appréciation dont dispose l’administrateur judiciaire avec la notion de « communauté d’intérêt économique » renforce son rôle central dans cette procédure. Un éclairage a été apporté par le Haut Comité Juridique de la Place Financière du Paris pour lequel la notion de « communauté d’intérêt » peut s’entendre comme « l’intérêt strict du créancier ou d’un intérêt plus large » comme la poursuite d’une relation commerciale établie (v. Rapport sur les classes de créanciers pour la transposition de la directive du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, 25 sept. 2020, p. 14).
Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’administrateur judiciaire devra toutefois définir des « critères objectifs vérifiables » et respecter les trois critères de répartition énoncés au III du nouvel article L. 626-30 du code de commerce :
Premier critère, « les créanciers titulaires de sûretés réelles portant sur les biens du débiteur, pour leurs créances garanties, et les autres créanciers » doivent être répartis en classes distinctes, ce qui implique la constitution de deux classes de parties affectées a minima.
Deuxième critère, la répartition en classes doit respecter les accords de subordination entre parties affectées conclus avant l’ouverture de la procédure. Ce critère suppose que les parties affectées les aient portés à la connaissance de l’administrateur judiciaire dans un délai prévu par décret. À défaut, ils seront inopposables à la procédure (C. com., art. L. 626-30, II nouv.). Un délai court serait ici opportun afin d’accélérer le process des classes de parties affectées.
Et, troisième critère, les détenteurs de capital sont répartis dans une classe ou plusieurs classes sauf s’ils ne sont pas affectés par le projet de plan (C. com., art. L. 626-30, III, 3° mod.). Cette classe ne s’impose que si le projet de plan emporte une modification des droits, du capital ou des statuts, comme un coup d’accordéon. On notera que l’ordonnance n’a pas repris le critère introduit par la directive « restructuration et insolvabilité » exigeant que l’administrateur judiciaire veille à ce que la « répartition en classes protège les créanciers vulnérables », ce qui correspondait aux « petits fournisseurs » (art. 9, § 4).
Le nouvel article L. 626-30-1 du code de commerce prévoit que « la qualité de partie affectée et le droit de voter dans une classe constitue un accessoire de la créance née antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure et se transmet de plein droit à ses titulaires successifs nonobstant toute clause contraire ». Il est à noter qu’avec le nouveau régime des classes de parties affectées, le choix d’intégrer ou non une classe ne semble pas offert au créancier.
L’administrateur judiciaire soumet ensuite « à chaque partie affectée les modalités de répartition en classes et le calcul des voix correspondant aux créances leur permettant d’exprimer un vote » (C. com., art. L. 626-30, V nouv.). Il est précisé que « le montant des créances pris en compte est celui indiqué par le débiteur et certifié par son ou ses commissaires aux comptes ou, lorsqu’il n’en a pas été désigné, établi par son expert-comptable ». Et, « pour les parties affectées bénéficiaires d’une fiducie constituée à titre de garantie par le débiteur, seuls sont pris en compte les montants de leurs créances non assorties d’une telle sûreté. » En cas de désaccord, chaque partie affectée, le débiteur, le ministère public, le mandataire judiciaire ou l’administrateur peut saisir le juge commissaire (C. com. art. L. 626-30, V in fine nouv.). Des délais courts permettraient également ici d’éviter de retarder excessivement le déroulement de la procédure (v. Direction des affaires civiles et du sceau, Propositions de rédaction des titres II et III de la directive « restructuration et insolvabilité », p. 56).
La consultation et le vote des « parties affectées » sur le projet de restructuration par chacune des classes
Le nouvel article L. 626-30-2 du code de commerce détermine le contenu du projet de plan. Le décret d’application précisera les différentes informations que le plan doit comporter, tels que des délais de paiement ou des remises. L’alinéa premier indique qu’« en deçà des seuils prévus par l’article L. 721-8, les détenteurs de capital du débiteur, s’ils sont affectés par le projet de plan, peuvent apporter une contribution non monétaire à la restructuration, notamment en mettant à profit leur expérience, leur réputation ou leurs contacts professionnels » (transposition du considérant 59 de la directive « restructuration et insolvabilité »). Le projet de plan peut également prévoir, « lorsque le débiteur est une société par actions dont tous les actionnaires ne supportent les pertes qu’à concurrence de leurs apports, des conversions de créances en titres donnant ou pouvant donner accès au capital » (C. com., art. L. 626-30-2, al. 2 nouv.). Il convient de s’interroger ici sur la pertinence de l’exclusion de la société à responsabilité limitée dont le capital est constitué de parts sociales.
Les classes de parties affectées sont convoquées et se prononcent sur chaque projet dans un délai de vingt à trente jours suivant la transmission du projet de plan (C. com., art. L. 626-30-2, al. 4 nouv.). Les conditions de quorum sont modifiées pour prendre en compte le nombre de voix et non plus le montant des créances ; les conditions de majorité restent en revanche inchangées, soit une majorité des deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote (C. com., art. L. 626-30-2 al. 5 nouv.). La faculté de remplacer ce vote par un accord, au sein d’une classe, ayant recueilli, après consultation de ses membres, l’approbation des deux tiers des voix détenues par ceux-ci a été insérée au dernier alinéa de l’article L. 626-30-2 du code de commerce ; cela permettrait à la classe de parties affectées concernée de « forcer » le vote favorable.
Pour les détenteurs du capital et les titulaires de valeurs mobilières donnant accès au capital, les conditions de majorité applicables sont celles, selon le cas, des assemblées générales extraordinaires, des assemblées des associés, des assemblées spéciales ou des assemblées de masse. Le vote en classe remplace alors le vote en assemblée générale ; les dispositions des premier et deuxième alinéas de l’article L. 626-3 et du deuxième alinéa de l’article L. 626-18 étant inapplicables (C. com., art. L. 626-30-2, al. 6 nouv.), ce qui présente le mérite d’assouplir le formalisme.
La décision du tribunal et l’instauration d’une application forcée interclasse
Après la consultation des parties affectées sur le projet, les nouveaux articles L. 626-31 et L. 626-32 du code de commerce prévoient deux situations.
1. Soit le plan a été approuvé par chacune des classes, conformément à l’article L. 626-30-2 du code de commerce. Dans ce cas, la nouvelle rédaction de l’article L. 626-31 du code de commerce impose au tribunal, lorsqu’il statue sur le projet de plan, de vérifier le respect de cinq conditions :
(1) le plan doit d’abord avoir été adopté conformément à l’article L. 626-30 du code de commerce ;
(2) le tribunal doit veiller à ce que « les parties affectées partageant une communauté d’intérêt suffisante au sein de la même classe, bénéficient d’une égalité de traitement, et sont traitées de manière proportionnelle à leur créance, ou à leur droit ». On peut d’abord relever un certain pléonasme dans la formulation dans la mesure où les créanciers d’une même classe sont dans la même classe parce qu’ils partagent une communauté d’intérêt. Ensuite, l’égalité de traitement se substitue ici au traitement différencié qui pouvait exister au sein d’un même comité (C. com., art. L. 626-30-2, al. 2 anc.) ;
(3) la notification du plan doit avoir été effectuée régulièrement à toutes les parties affectées ;
(4) le tribunal doit également vérifier qu’en présence de créanciers dissidents ayant voté contre le projet de plan, le tribunal doit vérifier qu’« aucune de ces parties affectées ne se trouve dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qu’elle connaîtrait s’il était fait application soit de l’ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l’entreprise en application de l’article L. 642-1, soit d’une meilleure solution alternative si le plan n’était pas validé » ;
(5) et, enfin, il doit, le cas échéant, vérifier que « tout nouveau financement est nécessaire pour mettre en œuvre le plan et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts des parties affectées ».
Le tribunal peut toutefois « refuser d’arrêter le plan si celui-ci n’offre pas une perspective raisonnable d’éviter la cessation des paiements du débiteur ou de garantir la viabilité de l’entreprise » (C. com., art. L. 626-31, al. 2 nouv.). Le tribunal doit également s’assurer que « les intérêts de toutes les parties affectées sont suffisamment protégés » (C. com., art. L. 626-31, al. 3 nouv.).
2. Soit le plan n’a pas été approuvé par chaque classe, et c’est dans ce cas la procédure visée à l’article L. 626-32 du code de commerce qui s’applique. La nouvelle rédaction de l’article L. 626-32 du code de commerce permet au débiteur ou à l’administrateur judiciaire, avec l’accord du débiteur (l’article 11, §1er, de la directive « restructuration et insolvabilité » ouvre d’ailleurs la possibilité de supprimer l’exigence d’un accord du débiteur pour les grandes entreprises) ou d’une partie affectée (en redressement judiciaire : Ord., art. 45 ; C. com., art. L. 631-19 mod.), de demander au tribunal de statuer sur le plan afin qu’il soit imposé aux classes dissidentes. Il s’agit là d’une nouvelle pratique instaurée par l’ordonnance transposant l’article 11 de la directive « restructuration et insolvabilité » relatif à l’« application forcée interclasse » et consacrant le mécanisme de cross-class cram-down (v. R. Dammann, Première réflexions sur la transposition de la future directive sur les restructurations préventives, D. 2018. 2195 ). Si le plan n’est pas adopté dans ces conditions, alors le nouveau projet de plan est élaboré hors le cadre des classes de parties affectées.
3. Le plan doit toutefois remplir différentes conditions énumérées par l’article L. 626-32 du code de commerce.
Première condition, il doit respecter les conditions visées précédemment à l’article L. 626-31 du code de commerce (cet article prévoit notamment que le tribunal doit s’assurer que « les intérêts de toutes les parties affectées sont suffisamment protégés »).
Deuxième condition, le plan doit avoir été approuvé par « a) une majorité de classes de parties affectées autorisées à voter, à condition qu’au moins une de ces classes soit une classe de créanciers titulaires de sûretés réelles ou ait un rang supérieur à celui de la classe des créanciers chirographaires ; b) A défaut, par au moins une des classes de parties affectées autorisée à voter, autre qu’une classe de détenteurs de capital ou toute autre classe » qui n’aurait droit à aucun paiement ou à ne conserver aucun intéressement si l’ordre de priorité des créanciers pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l’entreprise en application de l’article L. 642-1 du code de commerce était appliqué.
Troisième condition, les créances des créanciers affectés d’une classe dissidente autorisée à voter sont « intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu’une classe de rang inférieur a droit à un paiement ou conserve un intéressement dans le cadre du plan ». Toutefois, il peut être dérogé à cette règle dite « de priorité absolue » lorsque les « dérogations sont nécessaires afin d’atteindre les objectifs du plan et si le plan ne porte pas une atteinte excessive aux droits ou intérêts de parties affectées » (C. com., art. L. 626-32, II mod.).
Quatrième condition, « aucune classe de parties affectées ne peut, dans le cadre du plan, recevoir ou conserver plus que le montant total de ses créances ou intérêts ».
Cinquième et dernière condition, « lorsqu’une ou plusieurs classes de détenteurs de capital ont été constituées et n’ont pas approuvé le plan : a) L’effectif de l’entreprise atteint un seuil défini par décret en Conseil d’État, qui ne peut être inférieur à 150 salariés, ou son chiffre d’affaires est égal ou supérieur à un seuil défini par décret en Conseil d’État, qui ne peut être inférieur à 20 millions d’euros ; lorsque le débiteur est une société qui détient ou contrôle une autre société, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, ces seuils sont appréciés au niveau de l’ensemble des sociétés concernées ; b) On peut raisonnablement supposer, après détermination de la valeur d débiteur en tant qu’entreprise en activité, que les détenteurs de capital de la ou des classes dissidentes n’auraient droit à aucun paiement ou à ne conserver aucun intéressement si l’ordre de priorité des créanciers pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l’entreprise en application de l’article L. 642-1 était appliqué ; c) Si le projet de plan prévoit une augmentation de capital souscrite par apport en numéraire, les actions émises sont offertes par préférence aux actionnaires, proportionnellement à la partie du capital représentée par leurs actions ; d) Le plan ne prévoit pas de cession de tout ou partie des droits de la ou des classes de détenteurs de capital qui n’ont pas approuvé le projet de plan ». À ce titre, il est prévu que « la décision du tribunal vaut approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital ou des statuts prévues par le plan », le tribunal pouvant alors désigner un mandataire de justice chargé de passer les actes nécessaires à la réalisation de ces modifications.
Le nouvel article L. 626-33, I, du code de commerce prévoit que le tribunal statue sur le projet de plan, en déterminant la valeur de l’entreprise du débiteur, au besoin en ordonnant une expertise, lorsque le plan est contesté par une partie affectée dissidente, en vue de vérifier le respect des critères prévus au 4° de l’article L. 626-31 ou aux I et II de l’article L. 626-32. La question de la valorisation d’une entreprise en sauvegarde ou redressement judiciaire apparaît économiquement complexe et un contentieux sur ce sujet n’est pas à exclure. Un encadrement par le juge du recours à l’expertise, y compris en cas de contestation sur la valeur de l’entreprise retenue, serait souhaitable pour ne pas allonger les délais. Au surplus, cette notion de détermination de la seule valeur d’entreprise est restrictive. Dans le cadre de l’application forcée interclasse, pour apprécier le deuxième critère (celui du meilleur intérêt des créanciers), il est nécessaire pour le tribunal de déterminer tant la valeur de l’entreprise (en cas de plan de cession) que la valeur des biens pris isolément (en cas de vente de biens isolés en cas de liquidation judiciaire sans cession d’entreprise).
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Si la transposition de la directive « restructuration et insolvabilité » dans l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 est le premier volet d’une réforme plus globale d’harmonisation du droit de l’insolvabilité dans les pays membres de l’Union européenne afin de renforcer les marchés de capitaux, d’autres dispositions de transposition de la directive doivent encore voir le jour. Il en est ainsi des dispositions relatives aux moyens de communication électroniques qui doivent être transposées au plus tard le 17 juillet 2024 (pour les déclarations de créances, la soumission de plans de restructuration ou de remboursement, les notifications aux créanciers) et le 17 juillet 2026 (pour l’introduction de contestations et de recours).
Après plus d’un an de mesures d’adaptation au contexte de la crise sanitaire, le droit des entreprises en difficulté est une nouvelle fois réformé par l’ordonnance n° 2021-1193 en date du 15 septembre 2021. Prise en application de l’article 196 de la loi Pacte (Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, JO 23 mai), l’ordonnance transpose en droit français la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019, dite directive « restructuration et insolvabilité » (Dir. [UE] 2019/1023 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive [UE] 2017/1132, JOUE, n° L 172, 26 juin). Elle saisit également l’occasion qui lui est donnée pour instaurer dans le code de commerce des mesures prévues par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 (Ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, JO 21 mai ; v. K. Lemercier et F. Mercier, Nouvelle ordonnance d’adaptation du droit des entreprises en difficulté aux conséquences de l’épidémie de covid-19, Dalloz actualité, 28 mai 2020). La réforme s’articule avec l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés en application de l’article 60 de la loi Pacte, et en particulier le I, 14° de cet article qui vise les règles relatives aux sûretés dans le cadre des procédures collectives. L’ordonnance n° 2021-1193 en date du 15 septembre 2021 entre en vigueur le 1er octobre 2021, sans que ses dispositions ne soient applicables aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur. Après une première étape de consultation en 2019 sur la transposition de la directive « restructuration et insolvabilité », le ministère de la Justice a élaboré un avant-projet d’ordonnance soumis à contribution au début de l’année 2021. Au final, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 modifie plusieurs dispositions du livre VI du code de commerce sans pour autant apporter de grands bouleversements au droit des entreprises en difficulté, le « législateur » ayant fait le choix de ne pas « remettre en cause son architecture générale, mais plutôt de garantir sa lisibilité » (Rapport au président de la République). Plusieurs dispositions sont tout simplement modifiées, ajustées ou coordonnées. L’ordonnance adapte les dispositions du code de commerce à la mise en place du « comité social et économique » en supprimant la référence au « comité d’entreprise », aux « représentants » et « délégués du personnel ». Elle se met également en conformité avec le vocabulaire du droit des sûretés en remplaçant notamment les termes de « privilège spécial », « gage », « nantissement » ou « hypothèque » par ceux de « sûreté réelle spéciale » ou « hypothèque légale ». D’autres dispositions sont supprimées ; on pense ici tout particulièrement aux dispositions propres à la sauvegarde financière accélérée au profit de la procédure de sauvegarde accélérée, choisie comme cadre de restructuration préventif au sens de la directive transposée. La modification du régime des comités de créanciers en « classes de parties affectées » reste l’aspect le plus notable de la réforme (sur cet aspect, v. K. Lemercier et F. Mercier, Réforme du droit des entreprises en difficulté: instauration des “classes de parties affectées” dans le livre VI du code de commerce, Dalloz actualité, 20 sept. 2021, à paraître).
Les dispositions relatives à la prévention des difficultés des entreprises
Accélération de la procédure d’alerte et pouvoir renforcé du président du tribunal
L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 n’apporte pas de modification substantielle à la procédure d’alerte ; le dispositif existant étant d’ailleurs en conformité avec les dispositions prévues à l’article 3 de la directive « restructuration et insolvabilité ». Seules deux modifications sont apportées.
La première renforce le pouvoir du président du tribunal en lui permettant de déclencher une phase de « mini-enquête » dès qu’il convoque le dirigeant, alors qu’auparavant il devait attendre le terme de l’entretien avec le dirigeant ou alors la constatation effective de la non-présentation du dirigeant à sa convocation (Ord., art. 2 ; C. com., art. L. 611-2 mod.).
La seconde vise à accélérer la procédure en pérennisant une mesure prévue temporairement dans l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020. Ainsi, l’article 3 de l’ordonnance insère un nouvel article dans le code de commerce prévoyant que le commissaire aux comptes pourra « informer le président du tribunal compétent dès la première information faite, en application des articles L. 234-1, L. 234-2, L. 251-15 et L. 612-3, au président du conseil d’administration ou de surveillance ou au dirigeant » (C. com., art. L. 611-2-2 nouv.). À noter que l’on retrouve une incohérence textuelle que nous avions relevée dans un précédent commentaire lorsque la procédure s’applique à la société anonyme, puisque c’est plutôt le président du directoire et non le président du conseil de surveillance qui devrait être visé ici (K. Lemercier et F. Mercier, préc.).
Pérennisation et clarification pour la procédure de conciliation
L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 reprend en partie, en son article 5, une mesure phare de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 en permettant au débiteur de demander au président du tribunal ayant ouvert une procédure de conciliation de faire application de l’article 1343-5 du code civil relatif au délai de grâce à l’égard d’un créancier qui n’accepte pas « dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance » pendant la durée de la procédure (C. com., art. L. 611-7, al. 5 mod.). Le débiteur peut ainsi demander au juge de reporter ou échelonner le paiement des sommes dues. Toutefois, dans ce nouveau cas d’application de l’article 1343-5 du code civil, le juge ne peut reporter ou échelonner le règlement des créances non échues que dans la limite de la durée de la mission du conciliateur (et non sur une période de deux ans). Il faut comprendre que s’agissant de créances échues, le juge doit pouvoir faire application de l’article 1343-5 du code civil. Les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie bénéficient également de ces délais de grâce (ord., art. 7).
L’article 8 de l’ordonnance insère par ailleurs dans le code de commerce un nouvel article pour préciser que « la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences » (C. com., art. L. 611-10-4 nouv.). La clarification apportée sur la validité de ces clauses est opportune après deux décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation qui avaient suscité les foudres d’une grande partie de la doctrine en rendant caduques les sûretés octroyées dans le cadre de l’accord de conciliation par l’effet de l’ouverture d’une procédure collective (Com. 25 sept. 2019, n° 18-15.655 P, Dalloz actualité, 16 oct. 2019, obs. X. Delpech ; 21 oct. 2020, n° 17-31.663, BJE janv. 2021, n° 118J1, p. 10, note C. Fort et T. Fornacciari).
Dispositions relatives à la sauvegarde et à la sauvegarde accélérée
Diminution des délais pour la période d’observation et le plan de sauvegarde
Jusqu’à présent, l’article L. 621-3 du code de commerce, qui était applicable au redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-7 du même code, prévoyait une durée initiale de la période d’observation de six mois, pouvant être renouvelée pour une durée complémentaire de six mois. À titre exceptionnel, et seulement sur requête du ministère public, et par décision motivée, le tribunal pouvait prolonger pour une durée maximale de six mois, de sorte que la durée maximale de la période d’observation en sauvegarde était fixée à dix-huit mois. Cette dernière prolongation est supprimée par l’article 13 de l’ordonnance pour la procédure de sauvegarde. Elle reste en revanche possible pour la procédure de redressement judiciaire (Ord., art. 41 ; C. com., art. L. 631-7, al. 2 nouv.). Désormais, le jugement ouvre une période d’observation d’une durée maximale de six mois, qui peut être renouvelée une fois pour six mois sur « décision spécialement motivée » (Ord., art. 13). La durée de la période d’observation en procédure de sauvegarde est donc réduite et portée au maximum à douze mois, conformément à l’article 6, § 8, de la directive « restructuration et insolvabilité », l’objectif étant de favoriser une sortie plus rapide de la procédure de sauvegarde. Le renouvellement de la période d’observation aux termes des six premiers mois sur décision « spécialement » motivée par le tribunal participe également à l’objectif de célérité de la procédure de sauvegarde. Ces modifications sont cohérentes avec la différence de philosophie entre les procédures de sauvegarde et de redressement. La situation du débiteur qui sollicite une procédure de sauvegarde justifie a priori une durée de procédure moins longue qu’en cas de redressement judiciaire puisque le débiteur, sans être en état de cessation des paiements, fait face à des difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter.
Toujours dans l’objectif de réduire la durée de la procédure collective, l’article 31 de l’ordonnance vient modifier l’article L. 626-10 du code de commerce en prévoyant désormais que « lorsque les engagements pour le règlement du passif peuvent être établis sur la base d’une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes, ils portent sur les créances déclarées admises ou non contestées, ainsi que sur les créances identifiables, notamment celles dont le délai de déclaration n’est pas expiré » (C. com., art. L. 626-10, al. 2 nouv.). Cette faculté a pour objectif d’accélérer le déroulement de la période d’observation et l’examen d’un plan de sauvegarde ou de redressement par le tribunal (sur renvoi de l’article L. 631-19, I mod. C. com. ; Ord. art. 45) en se basant sur une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes, et donc sans attendre le terme de la procédure de vérification des créances. De prime abord, cette faculté sera réservée aux entreprises dont la comptabilité est particulièrement bien tenue et suivie afin de permettre à l’expert du chiffre de prendre cet engagement.
Des modifications diverses portant sur les créanciers et garants
Par son articulation avec l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 modifie plusieurs dispositions relatives aux créanciers et garants énumérées ci-après.
Afin de simplifier et d’améliorer les droits des créanciers en période d’observation, l’article 15 de l’ordonnance permet au juge-commissaire d’autoriser la constitution de toute sûreté réelle conventionnelle et remplace à cette fin l’énumération limitative prévue au 1er alinéa du II de l’article L. 622-7 du code de commerce. Le juge-commissaire peut également autoriser le transporteur « à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante de l’entreprise, à consentir une sûreté réelle conventionnelle en garantie d’une créance postérieure à l’ouverture de la procédure, à payer le transporteur exerçant une action au titre de l’article L. 132-8 du code de commerce ou à compromettre ou transiger » (Ord., art. 15 ; C. com. art. L. 622-7, II mod.). Entérinant la pratique, l’ordonnance précise clairement la possibilité pour le débiteur de garantir une créance postérieure, ce qui participe au renforcement du financement de l’entreprise soumise à une procédure collective. Il s’agit là d’une nouvelle exception à l’interdiction des paiements des créances antérieures, en faveur du transporteur routier qui peut exercer son action directe en paiement des prestations postérieures. Cet aménagement est en pratique particulièrement important en vue de favoriser la poursuite d’activité de l’entreprise débitrice de sommes à l’égard d’un transporteur, notamment lorsque la poursuite des relations avec ledit transporteur apparaît indispensable à son retournement.
Afin de favoriser le financement de la période d’observation, l’article 18 de l’ordonnance modifie l’article L. 622-17 du code de commerce. Un privilège est conféré à l’« apport de trésorerie » consenti pendant la période d’observation, et non plus seulement au prêt, ce qui élargit les sources de financement.
Dans l’ordre de paiement établi par l’article L. 622-17, III, du code de commerce, le privilège de cette créance relative à l’apport de trésorerie intervient en second rang, devant les créances résultant de l’exécution des contrats poursuivis conformément aux dispositions de l’article L. 622-13 du code de commerce et dont le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé, alors que jusqu’à présent, leur rang était identique.
Par réécriture de l’article L. 622-21 du code de commerce, le créancier titulaire d’une sûreté réelle conventionnelle, constituée en garantie de la dette d’un tiers, sera soumis à l’arrêt des poursuites et des procédures d’exécution, et à l’obligation de déclarer sa créance (Ord., art. 19 ; C. com. art. L. 622-21, III, mod.). Le créancier doit indiquer la nature de la sûreté qu’il déclare et désormais son assiette, ainsi que, le cas échéant, si la sûreté réelle conventionnelle a été constituée sur les biens du débiteur en garantie de la dette d’un tiers (Ord., art. 20 ; C. com. art. L. 622-25 mod.)
L’article 21 de l’ordonnance modifie l’article L. 622-26 du code de commerce pour étendre son application aux sûretés. Désormais, les créances « et les sûretés » non déclarées régulièrement dans les délais sont inopposables au débiteur, pendant l’exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Jusqu’à présent, l’inopposabilité était limitée à l’exécution du plan pour les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.
S’agissant des sûretés personnelles, l’article 23 de l’ordonnance prévoit que « même avant paiement, les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent procéder à la déclaration de leur créance pour la sauvegarde de leur recours personnel » (C. com., art. L. 622-34). Une précision utile est apportée par l’ordonnance en indiquant que ces créances peuvent être déclarées avant paiement, règle qui s’applique à la fois aux garants personnes physiques et aux garants personnes morales.
Dans un souci de protection des garants, l’article 26 de l’ordonnance précise que « les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie, lorsqu’elles sont poursuivies, ne peuvent se voir opposer l’état des créances lorsque la décision d’admission prévue à l’article L. 624-2 ne leur a pas été notifiée » (C. com., art. L. 624-3-1, al. 2 nouv.). L’obligation de notification va permettre à la caution de faire valoir ses droits alors même que le juge-commissaire a statué sur la créance. D’ailleurs, celui-ci peut désormais affirmer l’irrecevabilité de la saisine ou de la déclaration (alors qu’auparavant il ne pouvait qu’« admettre », « rejeter » ou « constater »). De cette façon, la caution ne pourra se prévaloir d’une décision de rejet.
Par ailleurs, l’article 27 de l’ordonnance opère une mise en cohérence textuelle pour les règles régissant le paiement par priorité des producteurs agricoles pour les produits livrés au cours des quatre-vingt-dix jours précédant l’ouverture d’une procédure collective. Ces règles actuellement prévues par l’article 2332-4 du code civil vont désormais venir se loger dans le livre VI du code de commerce. À noter que l’effectivité de l’abrogation et de l’entrée en vigueur de ces dispositions respectives interviendront le 1er janvier 2022, par dérogation au principe général d’entrée en vigueur le 1er octobre 2021 (Ord., art. 73 II).
Enfin, l’article 32 de l’ordonnance instaure une annuité minimum de 10 % à compter de la sixième année. Cette disposition renforce les droits de créanciers dans le cadre des procédures collectives et vise à écarter toute proposition de plan de sauvegarde ou de redressement qui prévoirait, par exemple, seulement un paiement d’annuité égal à minimum 5 % du passif jusqu’à la neuvième annuité.
Extension du champ d’application de la sauvegarde accélérée
L’article 38 de l’ordonnance opère une refonte du chapitre VIII du livre VI du code de commerce qui modifie plusieurs dispositions relatives à la procédure de sauvegarde accélérée, et emporte suppression des dispositions propres à la sauvegarde financière accélérée. Principalement, on retiendra que le champ d’application de la procédure de sauvegarde accélérée a été étendu à toutes les entreprises dont les comptes ont été certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable (Ord., art. 38 ; C. com., art. L. 628-1, al. 4 nouv.). L’ordonnance pérennise ici l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 qui avait supprimé les seuils d’ouverture afin d’adapter le droit des entreprises en difficulté à la crise sanitaire. Par ailleurs, la durée de la procédure est désormais de deux mois à compter du jugement d’ouverture, prorogeable jusqu’à quatre mois maximum (C. com., art. L. 628-8 nouv.). La constitution de classes de parties affectées reste obligatoire en procédure de sauvegarde accélérée (C. com., art. L. 628-4 mod.), puisqu’elle constitue le siège du cadre de restructuration préventif au sens de la directive transposée. La procédure de conciliation reste également maintenue comme préalable à la sauvegarde accélérée (C. com., art. L. 628-1 mod.). L’exigence est cohérente avec le délai dans lequel est enserré la préparation du plan de sauvegarde ; le plan devant être arrêté (et non présenté) dans le délai de quatre mois à compter du jugement d’ouverture. La conciliation doit ainsi être le siège des négociations et de la préparation du plan de sauvegarde.
La création d’un privilège de sauvegarde et de redressement
L’article 31 de l’ordonnance crée un privilège de sauvegarde au bénéfice des personnes qui consentent un nouvel apport de trésorerie au débiteur pendant la période d’observation en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité (C. com., art. L. 626-10 mod.). L’octroi d’un tel privilège est conditionné à l’autorisation de l’apport par le juge-commissaire et à la publicité de sa décision. Un même privilège est accordé aux personnes qui s’engagent, pour l’exécution du plan de sauvegarde arrêté ou modifié par le tribunal, à effectuer un tel apport. Un privilège de redressement s’appliquera également en redressement judiciaire. À ce titre, l’article 28 de l’ordonnance prévoit désormais que « le projet de plan mentionne les engagements d’effectuer des apports de trésorerie pris pour l’exécution du plan » (C. com., art. L. 626-2 al. 2 nouv.). Ce privilège pourra être accordé en cas de modification du plan pour les procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021 (Ord., art. 36). Ce privilège ne pourra pas bénéficier aux apports consentis par les actionnaires et associés du débiteur dans le cadre d’une augmentation de capital. Il faut ici comprendre que l’apport doit être un apport « d’argent frais » et non, par exemple, une conversion de créance (de compte-courant) en capital. Les créances garanties par ce privilège ne peuvent faire l’objet de remises ou de délais qui n’auraient pas été acceptés par les créanciers (Ord., art. 33 ; C. com., art. L. 626-20, I, al. 5 nouv.). Ce nouveau privilège s’inscrit dans le prolongement des mesures de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 en instaurant un privilège de « new money » et « post money », lui-même inspiré de l’article 17 de la directive « restructuration et insolvabilité ». Il reprend les caractéristiques du privilège de « new money » de l’article L. 611-11 du code de commerce.
Cette possibilité est à saluer s’agissant de la question cruciale du financement des entreprises en phase de rebond, dès lors qu’elles bénéficient d’un plan de sauvegarde ou de redressement. Les entreprises se heurtent, en effet, souvent à des difficultés pour obtenir des financements bancaires en raison d’une part, de leur ratio d’endettement, et d’autre part, de leur cote de crédit automatique de la Banque de France. Ce nouveau privilège peut permettre aux entreprises de financer des investissements cruciaux pour la consolidation de leur rebond et ainsi favoriser la pérennité de leur redressement.
Consécration du principe « silence vaut acceptation » des créanciers en cas de modification substantielle du plan
L’article 36 de l’ordonnance pérennise une mesure de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 (Ord., art. 5, III) en insérant un nouvel alinéa 2 à l’article L. 626-26 du code de commerce afin de consacrer le principe selon lequel « le silence vaut acceptation » pour la consultation des créanciers en cas de modification substantielle du plan (hors remises de dettes ou conversions de titres en capital).
Ce principe n’est pas inconnu du livre VI du code de commerce (l’art. L. 626-5 c. com., applicable en sauvegarde et en redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-19, prévoit, en son deuxième alinéa, qu’en cas de consultation par écrit, le défaut de réponse, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire, vaut acceptation). Déjà applicable au moment de l’élaboration du plan de sauvegarde ou de redressement, ce principe l’est donc désormais au moment de sa modification substantielle. Toutefois, le périmètre de son application en cas de modification du plan apparait plus restreint qu’au moment de son élaboration. Le principe selon lequel « le silence vaut acceptation » n’est pas applicable en cas de proposition de remise de dettes ou de conversion de titres en capital. On peut regretter cette exception. Au moment de l’élaboration du plan, et à condition que la consultation soit explicite sur le fait que le silence du créancier vaudra acceptation d’un abandon (par exemple), la mise en œuvre de ce principe ne semblait pas poser de difficulté. Un parallélisme sur l’application de ce principe entre l’élaboration et la modification du plan aurait été souhaitable.
Dispositions relatives au rebond du dirigeant
Remise de dettes
L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19 avait adopté de manière temporaire différentes mesures afin de favoriser le rebond du dirigeant. Les retours d’expériences de ces mesures étant positifs (v. Direction des affaires civiles et du Sceau, Propositions de rédaction de la transposition du titre II de la directive « restructuration et insolvabilité », p. 83 et 84), l’ordonnance les a pérennisées. Il en est ainsi pour la procédure de liquidation judiciaire simplifiée qui est désormais ouverte aux entrepreneurs individuels, avec pour seule condition celle de l’absence de bien immobilier (Ord., art. 52 ; C. com., art. L. 641-2, al. 1erin fine mod.). Il en est également ainsi pour le rétablissement professionnel puisque la valeur de la résidence principale est expressément écartée pour déterminer l’actif du débiteur (Ord., art. 64 ; C. com., art. L. 645-1 mod.). L’ouverture plus large du rétablissement professionnel s’inscrit pleinement dans l’objectif de rebond souhaité par la directive « restructuration et insolvabilité » en permettant aux entrepreneurs individuels d’échapper à la sanction de l’interdiction de travailler. Cette disposition se justifie aussi par « l’une des raisons d’être de ce rétablissement professionnel, qui est la maîtrise des frais de procédure » (Rapport au président de la République).
Déchéance
L’article L. 651-2 du code de commerce relatif à la responsabilité pour insuffisance d’actif a été légèrement modifié afin de clarifier le périmètre de l’exception de « simple négligence » en substituant à la notion de société, celle de « personne morale » (Ord., art. 65). La modification législative, suggérée par la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2019 (Rapport annuel 2019, Doc. fr., 2020, p. 68), permet une mise en cohérence de l’article en ce qu’il visait deux sujets de droit distincts en évoquant d’abord « la liquidation judiciaire d’une personne morale », puis « la simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société » ; l’emploi du terme « société » étant plus réducteur que celui de « personne morale ». La distinction, non justifiée, était source de confusion et créait une distorsion des règles de droit applicables aux dirigeants de personnes morales de droit privé (et notamment les associations), en fonction de leur forme juridique. La maladresse rédactionnelle est désormais réparée.
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La réforme du droit des entreprises en difficulté opérée par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 prend toutefois une résonance particulière dans le contexte économique actuel. La vague de défaillance d’entreprises tant crainte depuis plus d’un an n’est pas survenue, sans faire disparaître pour autant les inquiétudes ; l’instauration d’une procédure judiciaire de traitement de sortie de crise en témoigne (v. K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : instauration temporaire d’une procédure judiciaire de traitement de sortie de crise, Dalloz actualité, 7 juin 2021). La réforme s’inscrit ainsi pleinement dans l’objectif de « sauver » des entreprises fragilisées par la crise sanitaire – mais viables – en renforçant les restructurations préventives. Elle n’apporte toutefois pas de grands bouleversements dans les équilibres du droit des entreprises en difficulté. Seule l’instauration de classes de parties affectées apparaît comme la modification la plus innovante, même si son champ d’application risque de demeurer relativement restreint. À suivre.
L’ordonnance du 19 juillet 2021 transpose en droit interne la directive de 2019 fixant les règles facilitant l’utilisation d’informations financières aux fins de la prévention ou de la...
La nouvelle réforme du droit des sûretés a enfin vu le jour ! Il était en effet nécessaire de parachever la réforme opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés, raison pour laquelle, à la demande de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, un groupe de travail avait été constitué par le Professeur Michel Grimaldi, sous l’égide de l’Association Henri Capitant. Un avant-projet de réforme du droit des sûretés avait été présenté par ce groupe en septembre 2017 (M. Grimaldi, D. Mazeaud et P. Dupichot, Présentation d’un avant-projet de réforme du droit des sûretés, D. 2017. 1717 ). Il ne manquait plus que la volonté politique de mener cette réforme à son terme, ce qui fut chose faite avec la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », dont l’article 60, I, a habilité le gouvernement « à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants », le même texte énumérant ensuite un certain nombre de points à réformer (V., C. Juillet, L’article 60 de la loi Pacte, coup d’envoi de la réforme du droit des sûretés, JCP N 2019. 1208 ; M. Julienne, Garanties et sûretés réelles : innovations passées et à venir, RPC n° 4, juill. 2018, Dossier 16 ; J.-D. Pellier, La réforme du droit des sûretés est lancée, Dalloz actualité, 2 juill. 2019 ; La réforme des sûretés est en marche !, Dalloz actualité, 25 juin 2018).
Le gouvernement avait donc, initialement, jusqu’au 23 mai 2021 pour adopter cette réforme, mais le délai d’habilitation avait été prorogé de quatre mois grâce à l’alinéa 1er de l’article 14 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (soit jusqu’au 23 sept. 2021). Conformément à la méthode adoptée par la Chancellerie depuis quelques années, un avant-projet d’ordonnance fut diffusé le 18 décembre 2020 a des fins de consultation des professionnels du droit, des acteurs économiques et des universitaires, invités à faire part de leurs observations avant le 31 janvier 2021 (V., D. Legeais, Commentaire du projet de réforme du droit des sûretés soumis à consultation, RD banc. et fin. 2021. Étude 2).
À la suite de ces fructueux échanges, un projet d’ordonnance a vu le jour en juin 2021. Puis, après consultation du Conseil d’Etat, naquit l’ordonnance sous commentaire n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, accompagnée d’un substantiel rapport au président de la République. Les dispositions de cette ordonnance, pour la plupart, entreront en vigueur le 1er janvier 2022 « afin de laisser aux opérateurs économiques le temps de se mettre en conformité avec le droit nouveau » comme l’indique le rapport au Président de la République, étant toutefois précisé que les dispositions relatives au registre des sûretés mobilières et au gage automobile, qui nécessitent des mesures réglementaires d’application et des développements informatiques, entreront en vigueur à une date qui sera fixée par décret, sans pouvoir être postérieure au 1er janvier 2023 (ord. préc., art. 37 ; ce texte prévoyant en outre quelques subtilités s’agissant de l’application dans le temps de certaines règles relatives au cautionnement et aux privilèges immobiliers spéciaux, subtilités qui seront présentées dans le cadre de l’étude consacrée à ces sûretés).
Conformément à la loi d’habilitation, se trouvent ainsi peu ou prou réformés le cautionnement, les privilèges mobiliers, le gage de meubles corporels, le nantissement de créance, la réserve de propriété, la fiducie-sûreté ainsi que les sûretés réelles immobilières. Sont également consacrées, de manière tout à fait remarquable, la cession de créance (de droit commun) à titre de garantie ainsi que la cession de somme d’argent à titre de garantie (au lieu du nantissement de monnaie scripturale, qui était proposé par l’avant-projet de l’Association Capitant), signe de la vitalité des sûretés fondées sur le droit de propriété.
De l’absence d’une théorie générale des sûretés (et des sûretés personnelles en particulier)
Chacune de ces sûretés sera présentée dans les toutes prochaines éditions que Dalloz actualité consacra à la réforme, qui mérite d’emblée d’être saluée tant elle paraissait nécessaire. Il est toutefois permis d’exprimer quelques regrets : si le législateur a fait œuvre utile en précisant et en réformant un certain nombre de points qui avaient été délaissés en 2006, il ne s’est toujours pas attaqué au vaste chantier que représente la théorie générale des sûretés (V. à ce sujet, T. de Ravel d’Esclapon, Le droit commun des sûretés, Contribution à l’élaboration de principes directeurs en droit des sûretés, Thèse Strasbourg, [dir.] F. Jacob, 2015 ; v. égal. C. Dauchez, Pour une théorie générale des sûretés, RRJ, 2016, vol. 3, p. 1121). L’avant-projet de l’Association Henri Capitant avait pourtant proposé les linéaments d’une telle théorie : la sûreté y était ainsi définie, de manière fonctionnelle, comme garantissant « l’exécution d’une ou plusieurs obligations, présentes ou futures » (C. civ., art. 2286) et certains traits de son régime étaient précisés : son caractère accessoire (C. civ., art. 2286-2 : « Sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie » (C. civ., art. 2286-2), l’absence d’enrichissement du créancier à la faveur de sa sûreté (C. civ., art. 2286-3 : « La sûreté ne peut procurer au créancier aucun enrichissement »), ainsi que certaines règles relatives à la réalisation de la sûreté (C. civ., art. 2286-4 : « Le créancier choisit librement le mode de réalisation de sa sûreté. S’il est titulaire de plusieurs sûretés, il est libre de l’ordre de leur réalisation » ; sur cette question, v. C. Séjean-Chazal, La réalisation de la sûreté, préf. M. Grimaldi, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », vol. 190, 2019).
Le législateur a cependant, de manière opportune, supprimé la prohibition de la constitution des sûretés personnelles et réelles par voie électronique, qui avait été instituée par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et qui figurait au sein de l’article 1175 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (V. à ce sujet, F. Binois, Consensualisme et formalisme à l’épreuve de l’électronique. Étude de droit civil, thèse Paris-Saclay, [dir.] F. Labarthe, 2019, spéc. nos 427 s.).
Comme le précise le rapport au président de la République, « Lever ce frein, injustifié à l’ère du numérique, est indispensable pour inciter les opérateurs économiques internationaux à utiliser le droit français ». Mais, au-delà de cette règle générale (qui concerne au demeurant plus le droit commun des contrats que le droit des sûretés), le législateur ne s’est résolument pas engagé dans la voie d’une théorie générale des sûretés.
Peut-être a-t-il estimé qu’il était trop audacieux d’édicter des règles générales gouvernant des mécanismes aussi disparates que les sûretés personnelles et réelles. Mais il demeure à tout le moins possible, croyons-nous, d’édicter des règles générales propres à chacune de ces deux catégories (rappr. J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Traité de droit civil, J. Ghestin [dir.], Droit commun des sûretés réelles, LGDJ, 1996, n° 6 : « il est possible de considérer les règles gouvernant chaque sûreté comme un ensemble de dispositions de droit spécial, obéissant à des principes généraux, à un droit commun. Les auteurs qui doutent que l’élaboration d’une théorie générale des sûretés soit vraiment possible, reconnaissent qu’il est sans doute, en revanche, réalisable de présenter un droit commun des sûretés personnelles d’une part, des sûretés réelles d’autres part »). Or, à cet égard, le résultat est très décevant en matière de sûretés personnelles. L’avant-projet de l’Association Henri Capitant, s’il ne proposait pas à proprement parler de théorie générale des sûretés personnelles, avait au moins le mérite de définir la notion, conformément à la conception communément admise depuis les travaux de Christian Mouly : « La sûreté personnelle est l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal » (C. civ., art. 2286-1, al. 1er; pour une définition alternative, v. J.-D. Pellier, Les sûretés personnelles en droit prospectif, in L’incidence de la réforme du droit des obligations sur les sûretés personnelles, Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, L. Andreu et M. Mignot [dir.], LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2017, p. 499, spéc. n° 25 : « serait une sûreté personnelle toute technique permettant au créancier de disposer de plusieurs débiteurs pour la même prestation ou pour des prestations différentes pourvu que la finalité de l’opération soit la même ». V. égal., J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation – Contribution à l’étude du concept de coobligation, préf. P. Delebecque, LGDJ, « Bibl. dr. privé », t. 539, 2012, n° 201). Or, cette définition n’est pas reprise par l’ordonnance de réforme (il est vrai que le gouvernement n’était pas habilité à définir la notion de sûreté personnelle). En revanche, l’on saura gré au législateur d’avoir conservé l’article 2287-1 du code civil, issu de la réforme de 2006. Selon ce texte, « Les sûretés personnelles régies par le présent titre sont le cautionnement, la garantie autonome et la lettre d’intention » (ces deux dernières sûretés étant d’ailleurs totalement délaissées par l’ordonnance. Pour des propositions de réforme, v. J.-D. Pellier, Les sûretés personnelles en droit prospectif, art. préc., nos 38 s.).
À première vue, l’on pourrait croire que ce texte se contente d’énumérer les sûretés personnelles qui vont suivre. Mais en vertu d’une interprétation a contrario de cet article, il est possible d’admettre l’existence d’autres sûretés personnelles, non régies par le présent titre, des sûretés personnelles innommées en somme (V. en ce sens, A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Traité de droit civil, in J. Ghestin [dir.], Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, nos 1216 et 1472 ; N. Borga, L’ordre public et les sûretés conventionnelles – Contribution à l’étude de la diversité des sûretés, préf. S. Porchy-Simon, Dalloz, « Nouv. Bibl. thèse », vol. 82, 2009, n° 228 ; P. Simler, La réforme du droit des sûretés. Un Livre IV nouveau du code civil, JCP E 2006. 1559. Comp. M. Bourassin, La rationalisation du droit du cautionnement, RD banc. et fin., janv. 2016, Dossier 3, spéc. n° 14. V. égal., P. Dupichot, L’efficience économique du droit des sûretés personnelles, LPA, 14 avr. 2010, p. 3).
Plus généralement, il est regrettable que la nouvelle réforme du droit des sûretés n’ait pas été l’occasion de poser les bases d’un droit commun des sûretés personnelles qu’une partie de la doctrine appelle pourtant de ses vœux (V. par ex., M. Bourassin, L’efficacité des garanties personnelles, préf. M.-N. Jobard-Bachellier, LGDJ, « Bibl. dr. privé », t. 456, 2006 ; J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation – Contribution à l’étude du concept de coobligation, op. cit., nos 131 s. ; Les sûretés personnelles en droit prospectif, art. préc., spéc. nos 26 s. V. égal. L. Andreu, La simplification du droit des sûretés, in D. Bert, M. Chagny et A. Constantin [dir.], La simplification du droit. Recherches à la confluence de la légistique et de la pratique, Institut universitaire Varenne, 2015, p. 187, spéc. n° 18).
De quelques règles générales en matière de sûretés réelles
Cela est d’autant plus décevant que le Gouvernement n’a pas hésité à proposer (à juste titre mais au-delà de la loi d’habilitation) des règles générales en matière de sûretés réelles (sur la théorie générale des sûretés réelles, v. C. Gijsbers, Sûretés réelles et droit des biens, préf. M. Grimaldi, 2015, Économica. V. égal., C. Lledo, Essai d’une théorie générale des sûretés réelles. Plaidoyer pour la réhabilitation du droit de préférence, Thèse Paris II, P. Théry [dir.], 2020). C’est ainsi que la notion se trouve définie par le nouvel article 2323 du code civil, conformément à la proposition de l’Association Henri Capitant relayant l’opinion de la doctrine majoritaire, comme « l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier ». L’article 2324 propose ensuite trois classifications des sûretés réelles en fonction de leur source et de leur assiette : « La sûreté réelle est légale, judiciaire ou conventionnelle, selon qu’elle est accordée par la loi, à raison de la qualité de la créance, par un jugement à titre conservatoire, ou par une convention. Elle est mobilière ou immobilière, selon qu’elle porte sur des biens meubles ou immeubles. Elle est générale lorsqu’elle porte sur la généralité des meubles et des immeubles ou des seuls meubles ou des seuls immeubles. Elle est spéciale lorsqu’elle ne porte que sur des biens déterminés ou déterminables, meubles ou immeubles » (pour des classifications alternatives, v. L. Andreu, Les insuffisances de la nomenclature légale des sûretés réelles [à propos de l’ordonnance du 30 janv. 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie], LPA 5 juin 2009, p. 5 ; M. Dagot, Sûretés monovalentes et sûretés polyvalentes, JCP N 1999. 381 ; C. Gijsbers, Sûretés réelles et droit des biens, préf. M. Grimaldi, 2015, Économica, nos 610 s. ; J.-D. Pellier, Réflexions sur la classification des sûretés réelles, LPA, 24 avr. 2014, p. 7). Sont enfin envisagés le régime de la sûreté réelle pour autrui (C. civ., art. 2325 : « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2299, 2302 à 2305-1, 2308 à 2312 et 2314 sont alors applicables ») et la possibilité pour une personne morale de constituer des sûretés réelles (C. civ., art. 2326 : « Une sûreté réelle peut être constituée sur les biens d’une personne morale de droit privé en vertu de pouvoirs résultant de délibérations ou délégations établies sous signatures privées alors même que la constitution de la sureté doit l’être par acte authentique ». Rappr. C. civ., art. 1844-2 actuel : « Il peut être consenti hypothèque ou toute autre sûreté réelle sur les biens de la société en vertu de pouvoirs résultant de délibérations ou délégations établies sous signatures privées alors même que la constitution de l’hypothèque ou de la sureté doit l’être par acte authentique »).
Voilà autant d’éléments qui nous font regretter de plus belle qu’une théorie générale des sûretés personnelles n’ait pas été adoptée.
La loi du 6 décembre 2016 dite « Sapin 2 » a opéré une évolution considérable de la lutte contre la corruption en France. Au lieu de se focaliser sur la pure répression, le législateur a réorienté en incitant à la prévention, avec l’obligation pour les plus grandes entreprises de déployer des dispositifs de compliance anticorruption cohérents, inspiré des pratiques étrangères les plus abouties, notamment celles des États-Unis. Bien entendu, tout cela est placé sous le contrôle d’une autorité, l’Agence française anticorruption, créée à cette occasion.
Presque cinq ans plus tard, le Parlement a procédé à une évaluation de l’impact de la loi, pour apprécier des évolutions obtenues, mesurer les marges de progression envisageables et, surtout, préconiser les adaptations appropriées.
Telle est la mission considérable confiée aux deux députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, qui ont déposé leur rapport le 7 juillet 2021, qui présente 50 propositions (Dalloz actualité, 7 juill. 2021, interview P. Januel).
Prévention et détection de la corruption
La première partie du rapport est consacrée au dispositif de prévention et détection de la corruption dans son ensemble, et surtout à l’action de l’Agence française anticorruption.
Les rapporteurs proposent de supprimer la condition de localisation en France du siège social de la société mère, afin de soumettre aux obligations de l’article 17 les petites filiales de grands groupes étrangers établies en France. C’est une mesure souhaitée par nombre de praticiens, qui permettrait à la France de bénéficier d’une forme d’extraterritorialité qui lui fait défaut.
Les autres propositions de cette partie sont consacrées à l’AFA. Certaines visent à réformer la procédure de contrôle (en encadrant les délais notamment), d’autres la procédure de sanctions, en limitant la saisine directe de la commission des sanctions et en faisant précéder cette saisine d’une mesure d’injonction. C’est la conséquence des décisions de relaxe rendues par la commission dans les deux affaires dont elle a été saisie, les entreprises visées s’étant mises en conformité avant l’audience. La confidentialité des débats est aussi souhaitée. Le rapport préconise aussi que l’AFA accentue ses actions de conseil. Les praticiens savent pourtant que la sous-direction du conseil ne ménage pas ses efforts, publiant recommandations et guides, multipliant les échanges et conférences à vertu pédagogique. Le sujet est en réalité celui du budget alloué à l’AFA, qui ne lui donne pas les moyens nécessaires pour faire plus encore.
La proposition 10 est importante : renforcer le pilotage gouvernemental de la lutte contre la corruption en réunissant régulièrement un comité interministériel spécialisé, présidé par le Premier Ministre, et dont l’Agence française anticorruption assurerait le secrétariat permanent. Le GRECO a critiqué vertement la France en janvier 2020, notant l’insuffisant engagement des plus hautes instances politiques, visant même la présidence de la République, qui pourrait utilement être représentée à ces comités.
La proposition 11 va faire naître plus de débats : la fusion-absorption de l’AFA – service interministériel – par la HATVP – autorité indépendante, pour créer une « Haute autorité de la probité ». Sans doute la transformation de l’AFA en autorité administrative indépendante, avec des moyens plus conséquents, est souhaitable. Peut-être la coexistence de deux autorités en matière de probité serait-elle une redondance administrative partielle.
Mais l’absorption envisagée ne doit pas faire oublier que, si la corruption peut être liée à des acteurs publics, il existe une corruption privée, entre acteurs privés exclusivement, qui est infiniment plus développée que la corruption publique et tout aussi redoutable. Il faut également s’assurer que l’autorité ait une connaissance du fonctionnement des entreprises, ce que la HATVP n’a pas eu à développer compte tenu de ses attributions actuelles.
Convention judiciaire d’intérêt public
La deuxième partie est consacrée à la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).
Cet outil inspiré du deferred prosecution agreement des États-Unis est une avancée majeure dans la procédure pénale. Il est enfin acté qu’il peut être plus adapté de convenir d’une sanction financière lourde que de mobiliser les services de l’État et porter atteinte durablement à la réputation des entreprises, en engageant une procédure pénale lourde, longue, et au retour sur investissement moindre pour les pouvoirs publics. Une appropriation plus générale de cet outil par les parquets (seuls 3 s’en servent à ce jour, PNF, Paris et Hauts-de-Seine) et une extension des infractions concernées seraient souhaitables. Les propositions formulées vont en ce sens et visent également à rassurer les entreprises et les inciter à solliciter d’elles-mêmes cette mesure. Les freins existants sont le manque de visibilité et de sécurité, et l’absence de confidentialité des échanges avec le parquet tant que la CJIP n’est pas signée. Le rapport préconise précisément que la prise en compte de la révélation spontanée et de la coopération soit clairement valorisée (c’est le cas en pratique, mais là un barème public est proposé), et que les échanges soient confidentiels. Enfin, des mesures demandées depuis longtemps par les praticiens sont proposées, comme d’assouplir les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales.
Deux propositions concernent l’enquête interne. La première est très générale : « Favoriser le recours à l’enquête interne, en encadrant davantage son usage et en offrant plus de garanties aux personnes physiques. ». Il y a tout de même un encadrement jurisprudentiel strict, notamment par la chambre sociale de la Cour de cassation, visant à sécuriser précisément les salariés auditionnées comme témoins ou mis en cause. Il est aussi proposé : « Assurer l’indépendance de l’enquêteur interne : permettre au parquet de demander la nomination d’un mandataire ad hoc ou la création d’un comité spécial, afin de mener l’enquête interne, de négocier la CJIP et de représenter l’entreprise en justice. » Mais l’entreprise doit déjà choisir son enquêteur sur des critères de compétence et d’impartialité (exigée par la jurisprudence). En imposant l’enquêteur, l’enquête n’est plus interne, elle devient administrative ou judiciaire.
Enfin, sur cette partie, revient la proposition de « Renforcer la confidentialité des avis juridiques, et réfléchir à l’instauration d’un legal privilege à la française ». L’auteur de ces lignes n’a jamais caché être favorable à la réforme de l’avocat en entreprise. Rien en pratique ne rend inconciliable le fait d’être salarié en entreprise avec le respect plein des principes essentiels de la profession d’avocat et sa déontologie. Les projets sont prêts. Dans l’attente, puisque la profession d’avocat retarde une réforme qui pourtant lui bénéficierait politiquement et économiquement, il est urgent de sécuriser la confidentialité des avis des juristes d’entreprises comme le demandent leurs associations représentatives.
Statut des lanceurs d’alerte
La troisième partie est consacrée au « statut des lanceurs d’alertes », en réalité plus généralement au régime des alertes.
On peut s’étonner que plusieurs préconisations soient en réalité déjà adoptées puisque figurant dans la directive européenne en cours de transposition (par ex., le soutien financier aux lanceurs d’alertes, le fait de pouvoir déposer directement une alerte auprès des autorités, ou garantir l’indépendance des dispositifs de recueil – sur ce dernier élément la directive demande même « l’impartialité », ce qui va plus loin que la seule indépendance, pourtant seule retenue dans la proposition de transposition).
Il faudrait surtout rappeler que le déploiement d’un dispositif d’alertes n’est pas une contrainte mais un moyen sans équivalent pour les entités concernées d’être informées de ce qui se passe en leur sein, dont elles sont elles-mêmes victimes, de se sécuriser et de sécuriser en même temps leurs équipes, leurs cocontractants, leurs investisseurs.
Registre des représentants d’intérêts
Enfin, la quatrième partie est consacrée au registre des représentants d’intérêts. Un encadrement plus poussé des représentants d’intérêts est préconisé, de même qu’inclure le président de la République et les membres du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État parmi les décideurs publics envers lesquels les actions de représentation d’intérêts doivent être déclarées qu’une extension des autorités concernées.
Plus intéressant, il est proposé que les décideurs publics eux-mêmes communiquent la liste des représentants d’intérêts qu’ils ont sollicités ou qui sont entrés en contact avec eux. On peut regretter qu’il ne soit proposé que des « encourager » à le faire, de surcroît « en interne », la HATVP pouvant consulter la liste au lieu de la recevoir systématiquement.
Il reste tout de même assez surprenant que les obligations de registre et de déclaration continuent à ne peser que sur les représentants d’intérêts et non sur les décideurs eux-mêmes, alors que seuls ces derniers ont des fonctions de représentation ou de puissance publique, et qu’ils sont seuls véritablement redevables auprès des citoyens.
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En conclusion, la législation française n’est pas si mauvaise que certains se plaisent à le dire. Certes le classement de la France dans certains classements n’évolue pas, mais les critères sont discutables, incluant le fait par exemple que d’anciens dirigeants soient poursuivis pour corruption alors que les faits sont anciens et surtout que cela démontre que la justice française ne favorise pas les puissants. Les entreprises françaises se sont véritablement investies dans l’anticorruption, et se développe même peu à peu une forme de cercle vertueux (disons un commencement pour ne pas paraître naïf), puisque des entreprises sous le seuil de l’article 17 déployant des dispositifs structurés pour démontrer leur engagement éthique à leurs cocontractants, notamment clients, eux-mêmes assujettis.
L’AFA quant à elle n’a certainement pas démérité, tant dans ses prérogatives de conseil et de contrôle, avec des moyens très limités. Elle a même fait évoluer ses recommandations et ses pratiques, montrant un réel pragmatisme.
Évidemment, des améliorations sont souhaitables, des sécurisations sont nécessaires. Le rapport va indéniablement dans ce sens.
Il faudra l’accompagner d’une pédagogie renforcée.
Auprès des entités publiques et aux administrations, une piqûre de rappel est nécessaire : l’équivalent public d’une entreprise assujettie à l’article 17, c’est une commune de 80 000 habitants. Combien d’entre elles, combien de départements, régions, administrations de l’État ont une cartographie des risques, une politique d’évaluation des tiers, un dispositif d’alertes. Trop peu encore. Les entreprises privées ont souvent le sentiment qu’elles sont seules sollicitées, même si les dernières recommandations ont consacré une partie importante et nécessaire aux acteurs publics.
Auprès des entreprises privées et de leurs dirigeants, qui observent à juste titre qu’une démarche anticorruption est un investissement lourd, en moyens matériels, financiers et humains, le message essentiel à porter est que c’est en réalité un investissement rentable. La compliance bien pensée, bien implémentée, est un levier de croissance.
Cette décision de l’Autorité de la concurrence sanctionne plusieurs opérateurs économiques du secteur du transport de routier de marchandises pour entente par boycott. Il n’est pas rare que l’Autorité stigmatise un boycott, stratégie d’éviction qui, pour l’essentiel, « vise à refuser de commercialiser ou d’acheter des biens ou services d’une ou plusieurs entreprises, dans le but de les évincer du marché ou de les empêcher d’y entrer » (Aut. conc., Les organismes professionnels, Les essentiels, pt 211). Comme a déjà eu l’occasion de le préciser l’Autorité, les actions de boycott ont, par leur nature même, un objet anticoncurrentiel et constituent des infractions d’une « particulière gravité » (Cons. conc. 17 mars 1998, n° 98-D-25, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des analyses de biologie médicale, confirmée par Paris, 3 déc. 1998, n° 1998/15305).
Cela ne surprendra pas, en l’occurrence les auteurs du boycott – bourses de fret, groupements de transporteurs prises et organismes professionnels – sont des acteurs traditionnels, tandis que la victime de leurs agissements sont des « disrupters », à savoir des plateformes numériques d’intermédiation, nouvellement apparues, à l’instar d’Uber dans le domaine du transport de passagers, qui a obligé les chauffeurs de taxi et autres centrales de réservation à une remise en cause. Comme le relève l’Autorité dans sa décision du 9 septembre 2021 (pts 27 s.), les plateformes numériques d’intermédiation dans le secteur du transport routier de marchandises, telles que Chronotruck, Everoad ou Fretlink, sont apparues en France, au cours de l’année 2016. Ces plateformes bifaces « visent à mettre directement en relation les clients chargeurs avec des transporteurs au travers d’une interface en ligne, en utilisant des méthodes de...
La Commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et des résolutions (ACPR) a prononcé un blâme et une sanction pécuniaire d’un montant de 2 millions d’euros à l’encontre de la société American Express Carte France (AECF). Cette société, filiale à 99,99 % d’American Express France, a le statut d’établissement de paiement. Elle commercialise des cartes de paiement internationales permettant, en contrepartie d’une cotisation comprise entre 60 et 3 000 €, de régler des achats de biens et services chez des commerçants appartenant au réseau American Express, chaque carte étant associée à un compte de paiement lié à un compte bancaire ouvert auprès d’un autre établissement, choisi par le client.
Plusieurs griefs – douze très exactement – ont été invoqués à l’encontre de cet établissement, qui constituent, pour l’essentiel, des manquements à la législation sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Un contrôle sur place effectué au siège d’AECF en 2019 par des agents de l’ACPR a, en effet, révélé que la classification des risques, les modalités d’établissement du profil de risque de la relation d’affaires et le dispositif de surveillance des opérations d’AECF présentaient de nombreuses carences. En outre, certaines missions du contrôle interne de l’établissement avaient été externalisées dans des conditions irrégulières et AECF entrait en relation avec des clients qui indiquaient qu’ils rembourseraient le solde de leur compte de paiement par virement d’un compte ouvert dans les livres d’un établissement « non autorisé sur les cartes Amex ». Par ailleurs, la...
L’intégration du crime contre l’humanité au droit pénal français est relativement récente, et met toujours en tension les principes fondamentaux du droit pénal (il s’agit notamment de la seule infraction imprescriptible en droit français. Par ailleurs, certains faits justificatifs ne sont applicables - comme l’ordre de la loi ou le commandement de l’autorité légitime). Dans l’arrêt n° 19-87.367, la Cour a répondu par l’affirmative à la question de savoir si le « droit commun » devait s’appliquer à la complicité de crime contre l’humanité. Dans deux autres arrêts nos 19-87.036 et 19-87.031, les juges ont par ailleurs fait une interprétation restrictive des conditions de constitution de partie civile des associations, notamment en ce qui concerne les infractions à caractère terroriste.
L’application du « droit commun » à la complicité de crime contre l’humanité
La confirmation de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation
Pour mémoire, la société de droit syrien Lafarge Cement Syria (LCS), détenue à 98 % par le groupe français Lafarge SA, a maintenu en activité une cimenterie en Syrie entre 2012 et 2015, alors même que différents groupes armés, dont notamment l’organisation dite de « l’État islamique » (EI), occupaient le territoire. Dans le même temps, LCS aurait versé 15 562 261 $ à certains groupes terroristes en Syrie, dont l’EI.
Pour ces faits, la société Lafarge SA avait été mise en examen par le juge d’instruction le 28 juin 2018, notamment pour complicité de crimes contre l’humanité. Toutefois, cette mise en examen a été annulée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris le 7 novembre 2019 au motif que les versements d’argent aux groupes terroristes ne manifestaient pas une adhésion à leurs projets criminels.
La chambre de l’instruction avait retenu que le dol général, à savoir le versement de sommes d’argent à des groupes combattants en Syrie en connaissance des exactions commises par celui-ci, et le dol spécial, à savoir l’adhésion du complice au plan concerté de l’auteur du crime contre l’humanité, n’étaient pas caractérisés en l’espèce.
La chambre criminelle écarte clairement ce raisonnement et ouvre pour la première fois la voie à la mise en examen d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité.
En effet, l’article 121-7 du code pénal, prévoyant le régime général de la complicité en droit pénal français, requiert simplement que le complice ait sciemment facilité la préparation ou la consommation d’un crime. Il ressort également de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’élément moral du complice est distinct de celui de l’auteur et qu’il n’est pas nécessaire de caractériser chez le premier la même intention criminelle que chez le second (Crim. 9 nov. 1992, Bull. crim. n° 364). En l’espèce donc, la Cour de cassation a jugé que la chambre de l’instruction n’avait pas à exiger un dol spécial de la part de la société Lafarge SA.
Dans sa décision du 23 janvier 1997 rendue dans l’affaire Papon, la Cour de cassation estimait déjà qu’il n’était pas nécessaire que le complice ait appartenu à l’organisation ayant commis les crimes contre l’humanité, ou qu’il ait adhéré à la politique d’hégémonie idéologique des auteurs principaux (Crim. 23 janv. 1997, n° 96-84.822, D. 1997. 147 , note J. Pradel ; ibid. 249, chron. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ). En cassant l’annulation de la mise en examen de Lafarge SA pour complicité de crime contre l’humanité, la Cour reste donc fidèle à sa jurisprudence antérieure.
Le but commercial de la société n’empêche pas l’engagement de sa responsabilité en tant que complice de crime contre l’humanité
Une des innovations majeures de cet arrêt n° 19-87.367 est que la Cour de cassation tranche pour la première fois la question de l’élément moral de la complicité de crime contre l’humanité en ce qui concerne une personne morale. Ce faisant, la Cour affirme que le but économique des grands groupes internationaux n’empêche pas leur mise en cause pour complicité de crimes s’ils en ont sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation.
Dans son avis à la Cour, le premier avocat général Frédéric Desportes concluait cependant au rejet du pourvoi des associations et défendait une solution de compromis entre la position de la chambre de l’instruction et celle finalement tenue par la Cour de cassation.
Selon lui, il n’est certes pas nécessaire que le complice ait adhéré au plan concerté de l’auteur du crime, mais il doit avoir eu l’intention de faciliter sa commission, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce (avis de M. Desportes, premier avocat général, Crim. 7 sept. 2021, nos 19-87.031, 19-87.036, 19-87.040, 19-87.362, 19-87.367 et 19-87.376, pt 2.2.3.4.). Pourtant, les juges de cassation rejettent cette interprétation en affirmant qu’il « suffit [que le complice] ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation » (Crim. 7 sept. 2021, n° 19-87.367, pt 67).
Les crimes contre l’humanité, qui incluent en droit français le crime de génocide, sont considérés comme les crimes les plus graves. En adoptant une définition large de la complicité, fondée sur le droit commun et appliquée à des personnes morales, certains, dont le premier avocat général Frédéric Desportes, craignaient que le crime contre l’humanité perde de sa spécificité (crainte ancienne d’une banalisation, par exemple que l’extension de la qualification de crime contre l’humanité aux crimes commis à l’encontre des résistants pendant la Seconde guerre mondiale, Crim. 20 déc. 1985, n° 85-95.166, banalise le crime contre l’humanité).
L’infraction de crime contre l’humanité trouve en effet son origine dans le droit international (art. 9-c de la Chartes du Tribunal militaire international de Nuremberg [TMIN] de 1945) et n’a longtemps existé en droit français que par référence à la TMIN. Il a fallu attendre la réforme du code pénal de 1992 pour qu’une incrimination du crime contre l’humanité autonome du droit international soit introduite en droit français, codifiée à aux articles 211-1 et suivants du code pénal.
Il apparaît au contraire à la lecture de l’arrêt commenté que la Cour de cassation a entendu donner toute son effectivité à cette infraction, en l’intégrant pleinement dans le droit pénal commun, dans un souci de lutte contre l’impunité, sans que pour autant il puisse être considéré que cette incrimination en perde sa spécificité.
Les juges affirment en effet qu’une « interprétation différente des articles 121-7 et 212-1 du code pénal, pris ensemble, qui poserait la condition que le complice de crime contre l’humanité adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté, aurait pour conséquence de laisser de nombreux actes de complicité impunis, alors que c’est la multiplication de tels actes qui permet le crime contre l’humanité » (Crim. 7 sept. 2021, n° 19-87.367, pt 70).
À l’occasion de l’ouverture du colloque « 70 ans après Nuremberg – Juger le crime contre l’humanité » qui s’est tenu à la Cour de cassation le 30 septembre 2016, le premier président de la Cour de cassation Bertrand Louvel estimait, au sujet du Tribunal militaire international de Nuremberg, première juridiction à appliquer l’incrimination de crime contre l’humanité, que : « le temps de la raison d’État est fini, le temps est désormais résolument et définitivement, on l’espère, à la responsabilité d’État ». En ouvrant la voie à une mise en examen de Lafarge SA pour complicité de crime contre l’Humanité, la Cour de cassation étend cette responsabilité aux grands groupes internationaux.
À ce titre, il est intéressant de remarquer que la volonté d’appliquer le droit pénal commun aux crimes internationaux a marqué le développement du droit pénal international français, dans un souci de réprimer des actes qui, par leur gravité, ne pouvaient rester impunis (on peut notamment penser à la progressive application du droit pénal aux faits de guerre au lendemain de la Première Guerre mondiale).
Des précisions sur l’intérêt à agir des associations en matière d’infractions à caractère terroriste
Une appréciation restrictive de l’intérêt à agir des associations
Les constitutions de partie civile de l’association Sherpa et du European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) étaient également contestées devant la Cour de cassation, sur le fondement des articles 2 et suivants du code de procédure pénale.
Les juges ont affirmé que les crimes contre l’humanité ne pouvaient pas être assimilés à des crimes économiques, quand bien même leurs supposés auteurs seraient des sociétés. Aussi, l’association Sherpa, qui a pour objet la lutte contre les crimes économiques, ne pouvait-elle pas justifier d’un intérêt à agir fondant sa constitution de partie civile pour ce crime. En revanche, le ECCHR, qui promeut le droit international humanitaire, peut agir en matière de crime de guerre et de crime contre l’humanité.
Dans le même sens, la Cour estime que les associations ne pouvaient pas déclencher la procédure par le moyen d’une constitution de partie civile par voie d’action pour les infractions de travail forcé et servitude, mais seulement s’y associer par voie d’intervention, après avoir obtenu l’accord des victimes, en application de l’article 2-22 du code de procédure pénale.
Le financement du terrorisme ne peut pas causer un préjudice direct et personnel
Par son arrêt n° 19-87.036, la Cour de cassation fait également une interprétation restrictive des articles 2-9 et 706-16 du code de procédure pénale prévoyant les conditions de constitution de partie civile des associations regroupant des victimes d’infractions à caractère terroriste.
Les juges ont confirmé que l’association Life for Paris, qui regroupe les victimes des attentats de Paris du 13 novembre 2015, ne pouvait pas se constituer partie civile pour l’infraction de financement du terrorisme de l’article 421-2-2 du code pénal, le financement du terrorisme n’étant pas susceptible de provoquer un dommage direct.
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Ces trois arrêts affirment donc une application stricte du droit pénal en matière de crimes internationaux. Cela conduit à un double résultat : la répression des sociétés multinationales est renforcée, mais la mise en mouvement de l’action publique par voie d’action des associations est strictement encadrée, voire trop rigoureusement appréciée.
Force est toutefois de constater que ces arrêts prolongent la tendance jurisprudentielle actuelle tendant à étendre le champ de la responsabilité pénale des grands groupes de sociétés.
À ce titre, on peut par exemple rappeler le récent revirement de jurisprudence de la chambre criminelle qui permet aujourd’hui l’engagement de la responsabilité pénale de la société absorbante pour les comportements illégaux d’une société absorbée commis avant la fusion (Crim. 25 nov. 2020, n° 19-86.955, RTD com. 2021. 215, obs. B. Bouloc ). Les sociétés internationales sont maintenant amenées directement à répondre des infractions, y compris les plus graves, commises par leurs filiales en France ou à l’étranger.
Dans de telles conditions, il apparaît aujourd’hui primordial pour les entreprises de mettre en place des programmes de prévention du risque pénal et de développer une politique de compliance rigoureuse et déterminée pour lutter contre les atteintes aux droits humains.
Transposant la cinquième directive relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT ; Dir. (UE) n° 2018/843 du 30 mai 2018, JOUE, n° L 156, 19 juin), l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (JO 13 févr.) a, en son article 14, complété le livre des procédures fiscales (LPF) pour prévoir les modalités d’accès aux registres des trusts et des fiducies, tous deux tenus par la direction générale des finances publiques. Il fixe le mécanisme selon lequel les personnes assujetties aux obligations de LCB-FT mentionnées à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier (établissements de crédit, avocats, etc.) et les autorités de contrôle...
Article
par Myriam Roussille, Professeur agrégée des facultés de Droit, Université du Maine, IRJS-Sorbonne Financele 10 septembre 2021
CJUE, gr. ch., 15 juill. 2021, Fédération bancaire française, aff. C-911/19
Comme toutes les autres autorités européennes de surveillance, l’Autorité bancaire européenne (ABE) est chargée de mettre tout en œuvre pour établir des pratiques de surveillance cohérentes, efficientes et effectives au sein du système européen de surveillance financière (SESF). À cette fin, elle peut adopter des orientations et des recommandations à l’intention des autorités compétentes ou des établissements financiers (règl. (UE) n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil, 24 nov. 2010, art. 16, § 1, JOUE n° L 331, 15 déc.). C’est dans ce cadre qu’elle a adopté, en 2016, des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail (ABE/GL/2015/18). L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a fait savoir en 2017 qu’elle s’y conformerait. Figure principale de représentation des banques françaises, la Fédération bancaire française (FBF) est entrée en guerre contre ces orientations, en saisissant le Conseil d’État d’un recours en annulation contre l’avis de l’ACPR. Elle contestait la compétence de l’ABE pour émettre de telles orientations, estimant au fond qu’elles comportaient des exigences trop contraignantes pour les établissements de crédit. C’est dans le...
Le bilan de plusieurs années de mise en œuvre a incité l’Union européenne à durcir le système de contrôle de l’argent liquide franchissant les frontières de l’Union, renforçant ainsi son objectif de prévention et de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme établi par la directive (UE) 2015/849.
La règle, qui impose aux voyageurs qui entrent ou sortent de l’Union européenne, de déclarer au service des douanes les sommes, titres ou valeurs, égale ou supérieure à 10 000 € qu’ils détiennent sur eux, dans leurs bagages ou dans les moyens de transport est maintenue, la nouvelle législation européenne venant élargir et consolider les contours de cette obligation.
Le règlement (UE) 2018/1672 maintient, dans son considérant 9, la possibilité, pour les États membres, d’adopter des mesures nationales visant à contrôler les mouvements d’argent liquide au sein de l’Union. Ainsi, la refonte du système de contrôle s’applique tant aux flux d’argent liquide entrant ou sortant de l’Union qu’aux flux intra-Union.
Il introduit plusieurs évolutions notables parmi lesquelles l’extension de la notion « d’argent liquide », la création de l’obligation de divulgation relative au transport d’argent liquide « non accompagné », et la mise en place de la « retenue temporaire ».
L’« argent liquide » au sens du règlement (UE) 2018/1672
Le champ matériel de l’obligation déclarative évolue avec l’extension de la notion d’argent liquide.
L’obligation déclarative des « transferts de sommes, titres ou valeurs », devient une obligation qui a pour objet « les transports par porteur et les envois sans l’intervention d’un porteur d’argent liquide ».
Au sens du règlement (UE) 2018/1672, l’« argent liquide » s’entend des espèces, des instruments négociables au porteur, de marchandises servant de réserves de valeur très liquides et des cartes prépayées.
Entrent dans la définition de « marchandises servant de réserves de...
Article
par Xavier Delpechle 9 septembre 2021
Décr. n° 2021-1137, 31 août 2021, JO 2 sept.
Selon l’article L. 443-5 du code de commerce créé par l’ordonnance n° 2021-859 du 30 juin 2021 relative aux pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire, transposant elle-même la directive (UE) 2019/633 du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire, l’acheteur de produits agricoles et alimentaires périssables « ne peut annuler une commande dans un délai inférieur à trente jours ». Toutefois, ajoute le même article, et par dérogation, « pour un secteur...
Bien que le droit des affaires ne soit pas au cœur de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience, dite loi « climat et résilience », cette importante loi comporte plusieurs dispositions qui s’y rattachent. Celles-ci – qui appartiennent majoritairement au droit des sociétés – sont présentées dans les lignes qui suivent, à l’exception de celles qui ont trait au droit bancaire et au droit financier, qui sont commentées par ailleurs.
Libéralisation du marché des pièces détachées des automobiles (art. 32). En l’état actuel de la législation française, les pièces détachées automobiles visibles (ailes, capots, pare-chocs, pare-brise, feux, rétroviseurs, etc.) sont protégées par la loi sur les dessins et modèles et par les dispositions relatives aux droits d’auteurs. Ce dont il ressort que seul le constructeur automobile est habilité à distribuer ces pièces aux différents réparateurs qu’il choisit. Par ailleurs, cette protection sur la pièce automobile visible couvre non seulement sa première incorporation dans le produit fini (dite « première monte », destinée à l’assemblage du véhicule neuf) mais aussi toute fabrication, commercialisation, incorporation à titre de pièce de rechange (« deuxième monte »). C’est là la différence entre la France et de nombreux autres États membres de l’Union européenne où la production et la commercialisation des pièces de rechange destinées à la réparation sont totalement libres et exemptes de droits de propriété intellectuelle. Dans un avis de 2012 (avis n° 12-A-21, 8 oct. 2012, D. 2012. 2815, chron. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2013. 732, obs. D. Ferrier ; ibid. 1924, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle ), l’Autorité de la concurrence avait déjà estimé souhaitable de conserver cette protection pour les pièces visibles de « première monte » mais avait proposé de lever, de manière progressive et maîtrisée, la restriction pour les pièces de rechange destinées à la réparation dites de « deuxième monte ». Cette mesure appelée « clause de réparation » a d’ailleurs déjà été adoptée en droit par onze pays européens et est en vigueur aux États-Unis et en Allemagne. Elle aurait pour conséquences de faire baisser les prix des pièces de rechange visibles, d’accroître le pouvoir d’achat du consommateur français, de permettre aux équipementiers français d’intégrer le marché européen de la fabrication et de la distribution des pièces visibles, de leur offrir de nouvelles opportunités de croissance, notamment à l’export et de créer de l’emploi. Lors de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités en 2019, l’Assemblée nationale avait déjà adopté un amendement du gouvernement visant à libéraliser le marché des pièces détachées visibles pour l’automobile, mais celui-ci avait été censuré par le Conseil constitutionnel pour cause de cavalier législatif (Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC, pt 62, RTD civ. 2020. 581, obs. P. Deumier ; ibid. 586, obs. P. Deumier ).
Ce dispositif a été repris à l’identique par la loi du 22 août 2021. Formellement, il procède à la modification de trois articles du code de la propriété intellectuelle. D’abord de l’article L. 513-6 afin que les droits conférés par l’enregistrement d’un dessin ou modèle ne s’exercent pas à l’égard d’actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque qui portent sur des pièces relatives au vitrage, à l’optique et aux rétroviseurs ou qui sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine. Ensuite de l’article L. 513-1 pour prévoir que la durée de protection maximale de vingt-cinq ans fixée par cet article soit ramenée à dix ans pour les pièces détachées visibles pour l’automobile. Cette mesure concerne les équipementiers autres que ceux de première monte, auxquels la protection au titre des dessins et modèles ne sera plus opposable que pendant une durée de dix ans. Enfin de l’article L. 122-5 concernant le droit d’auteur, pour prévoir une exception pour les pièces détachées qui font l’objet des mesures de libéralisation. Ce dispositif visait à éviter que les constructeurs automobiles ne s’appuient sur le droit d’auteur pour reconstituer un monopole dont le dispositif d’alors les privait déjà sur le terrain du régime de protection au titre du droit des dessins et modèles.
La libéralisation du marché des pièces de vitrage, d’optique et des rétroviseurs pour l’ensemble des équipementiers sera effective à compter du 1er janvier 2023. Celle des autres pièces (essentiellement les pièces de carrosserie) pour les équipementiers dits « de première monte », qui fabriquent les pièces d’origine, le sera à compter du 1er janvier 2023 (art. 32, III et IV).
L’Autorité de la concurrence s’est immédiatement réjouie, via un communiqué de presse du 25 août, de cette mesure qu’il qualifie d’« avancée en faveur des consommateurs et du dynamisme de la filière automobile ».
Encadrement des travaux miniers et de leur arrêt (art. 65). La loi du 22 août 2021 comporte un important dispositif de droit minier. Il s’agit d’une discipline ancienne, née à l’époque de la Révolution (Loi du 12 juill. 1791), qui n’a que très peu évolué, La loi nouvelle entend renforcer l’encadrement des travaux miniers et de leur arrêt, en rénovant les intérêts protégés par le code minier (en y ajoutant en particulier l’impératif de santé publique), en soumettant la déclaration d’arrêt de travaux à la participation du public par voie électronique, en étendant pour une durée de trente ans la police résiduelle des mines et en permettant la recherche en responsabilité des sociétés-mères. C’est cette dernière disposition qui intéresse le droit des affaires, et tout particulièrement le droit des groupes de sociétés : la loi nouvelle vise à permettre la recherche en responsabilité des sociétés-mères (mais aussi « grands-mères » et « arrière-grand-mères) en cas de défaillance éventuelle de la filiale exploitante d’une mine, causée par une faute caractérisée de la maison-mère ayant conduit à une insuffisance d’actifs de la filiale, pour les mesures d’arrêt de travaux ainsi que pour la réparation des dommages causés par son activité (C. min., art. L. 171-3 nouv.). Le dispositif qui vient d’être créé est calqué sur celui, introduit par la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 qui envisage la prise en charge par la société mère de la responsabilité de sa filiale – contre laquelle une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte – en cas de dommage environnemental causé par celle-ci (C. envir., art. L. 512-17).
Déclaration annuelle de performance extra-financière (art. 138). L’article L. 225-102-1 du code du commerce prévoit une obligation pour les entreprises dont le chiffre d’affaires et le nombre de salariés dépassent un certain seuil de joindre à leur rapport de gestion une déclaration de performance extra-financière (DPEF). Cette déclaration comprend notamment des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit, à ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire et de la lutte contre le gaspillage alimentaire. La loi climat et résilience étend cette obligation aux activités de transports, afin de responsabiliser les chargeurs, c’est-à-dire aux entreprises commanditaires de prestations de transport de marchandises. Elle précise ainsi que les informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de la société qui sont inscrites dans la DPEF « comprennent les postes d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre liées aux activités de transport amont et aval de l’activité et sont accompagnées d’un plan d’action visant à réduire ces émissions, notamment par le recours aux modes ferroviaire et fluvial ainsi qu’aux biocarburants dont le bilan énergétique et carbone est vertueux et à l’électromobilité » (C. com., art. L. 225-102-1, III, al. 2 compl.). L’obligation nouvelle s’applique aux DPEF afférentes aux exercices comptables ouverts à compter du 1er juillet 2022 (art. 138, III).
Urbanisme commercial. La loi du 22 août 2021 soumet à certains critères la délivrance de l’autorisation d’exploitation commerciale pour les projets d’implantation ou d’extension commerciale qui engendrent une artificialisation des sols et qui ont une surface de vente inférieure à 10 000 m2. À l’avenir, tout projet sera soumis à trois conditions obligatoires cumulatives : son insertion en proximité avec le tissu urbain existant, un type d’urbanisation adéquat à l’environnement bâti, et, comme dans l’article initial, la réponse aux besoins du territoire (besoins « économiques et démographiques du territoire » ont précisé les travaux préparatoires ; Doc. AN, n° 3995, 19 mars 2021, t. 2, p. 357). En plus de ces conditions, s’ajoute une quatrième condition obligatoire, à choisir entre quatre critères, alternatifs et non cumulatifs : l’insertion dans un secteur d’opération de revitalisation du territoire (ORT) ou de quartier prioritaire (QPV) ; la compensation de l’artificialisation par transformation du sol artificialisé en sol non artificialisé ; l’insertion dans un secteur d’implantation périphérique ou une centralité urbaine établis par le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou dans une zone d’activité commerciale établie par le plan local d’urbanisme avant l’entrée en vigueur de la présente loi ; l’insertion dans un projet d’aménagement qui se situe au sein d’un espace déjà urbanisé. En revanche, la loi nouvelle rend impossible la délivrance de cette autorisation pour tout projet d’une surface de vente supérieure à 10 000 mètres carrés. Comme l’ont précisé les travaux préparatoires (préc.), cette disposition signifie donc notamment la fin, pour l’avenir, des centres régionaux classés comme « régionaux » (surface de vente supérieure à 40 000 m²) et « super-régionaux » (surface de vente supérieure à 80 000 m² ; art. 215 ; C. com., art. L. 752-6 mod.).
Par ailleurs, la loi du 22 août 2021 fait évoluer le document d’aménagement artisanal et commercial du schéma de cohérence territoriale (DAAC), lequel définit les conditions d’implantation des équipements commerciaux et peut fixer des prescriptions différenciées par secteur géographique, pour y inclure des dispositions obligatoires sur la planification de l’implantation des constructions logistiques commerciales. Le texte vise à renforcer la capacité des collectivités territoriales à planifier le développement de l’implantation des entrepôts logistiques à vocation commerciale, de type entrepôt Amazon. À cette fin, il modifie le nom et le contenu de ce document, qui devient le document d’aménagement artisanal, commercial et logistique (DAACL). Sur le fond, ce document doit désormais obligatoirement comporter une analyse de l’implantation des constructions logistiques commerciales en fonction de leur surface, de leur impact sur les équilibres territoriaux en termes économiques et en termes d’aménagement. Ces équilibres doivent être compris au regard de l’impact sur le commerce de proximité. Le DAACL examine aussi les flux engendrés par la présence des entrepôts en matière de personnes et de marchandises (art. 219 ; C. urb., art. L. 141-6 mod.).
Contribution des grandes entreprises à la déforestation importée (art. 273 ; C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 4 et 5 nouv.). La loi climat et résilience prévoit, à partir de 2024, la mise en place, par les grandes entreprises (les seuils applicables seront précisés par voie d’arrêté), d’un plan d’actions comportant des mesures permettant d’identifier et de prévenir la déforestation associée à la production et au transport vers la France de biens et services dont la production contribue à la déforestation. Elle s’est appuyée sur le cadre fixé par la loi du 27 mars 2017 relatif au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre. La logique du « devoir de vigilance » est de rendre les grandes entreprises comptables des agissements de leurs filiales ou sous-traitants, dès lors qu’ils ne respectent pas les droits de l’homme au sens large, quelles que soient les lois du pays où ils ont eu lieu.
Sur la loi « Climat », Dalloz actualité a également publié :
• 305 articles pour le climat, par Pierre Januel le 5 septembre 2021
• Climat et résilience : s’adapter à la réalité des territoires, par Jean-Marc Pastor le 7 septembre 2021
• Loi « climat et résilience » : aspect de droit bancaire et financier, par Xavier Delpech le 8 septembre 2021
par Xavier Delpechle 8 septembre 2021
Loi n° 2021-1104, 22 août 2021, JO 24 août
Contrôle de l’information en matière de durabilité des services financiers (art. 37 ; C. mon. fin., art. L. 612-1, II, 8° nouv.). Le règlement (UE) 2019/2088 du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (ou sustainability-related financial disclosure regulation, dit SFDR) prévoit de nouvelles obligations à la charge de certaines entreprises de ce secteur dont le respect doit être contrôlé par les autorités nationales compétentes conformément à la législation sectorielle applicable (art. 14). En France, ces autorités sont l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en fonction des acteurs et des activités. Le règlement SFDR s’applique aux sociétés de gestion, ainsi qu’aux entreprises d’assurance qui proposent des produits d’investissement fondés sur l’assurance, aux entreprises d’investissement et aux établissements de crédit qui fournissent des services de gestion de portefeuille et de conseil en investissement et aux institutions de retraite...
Article
par Xavier Delpechle 7 septembre 2021
Ord. n° 2021-1009, 31 juill. 2021, JO 1er août
Une ordonnance du 31 juillet 2021 transpose en droit français la directive (UE) 2019/1160 du 20 juin 2019 modifiant les directives 2009/65/CE et 2011/61/UE en ce qui concerne la distribution transfrontalière des organismes de placement collectif, dite « directive crossborder ». L’article 1er de cette ordonnance insère dans le code monétaire et financier le nouveau régime européen harmonisé régissant la cessation de la commercialisation d’un OPCVM (organisme de placement collectif en valeurs mobilières) au sein de l’Union européenne (UE) et de l’Espace économique européen (EEE) (processus dit de la « dé-notification »), renvoyant au règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF) la transposition des conditions précises encadrant ce processus. Il précise par ailleurs, en transposant littéralement la directive européenne (UE) 2019/1160, les conséquences d’une modification par...
Le caractère abusif d’une brutale et significative augmentation de prix réalisée par une entreprise en position dominante dépend du caractère inéquitable du prix ainsi augmenté. Faute d’en apporter la preuve, la décision de l’Autorité de la concurrence encourt la réformation.
Une augmentation de prix brutale, significative, persistante et injustifiée
Par décision du 20 septembre 2018, l’Autorité de la concurrence condamne une entreprise pour avoir abusé de sa position dominante sur son marché en augmentant le prix de ses prestations de manière brutale, significative, persistante et injustifiée.
L’ADLC considère qu’en pratiquant de telles augmentations, cette entreprise a imposé à ses acheteurs des conditions de transaction inéquitables constitutives d’un abus de position...
Les restrictions d’accès aux grands magasins et centres commerciaux, liées à l’épidémie de covid-19, doivent garantir l’accès des personnes ne disposant pas de passe sanitaire aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu’aux moyens de transport situés dans l’enceinte de ces établissements. C’est en s’appuyant sur la décision du Conseil constitutionnel du 5 août sur la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire que plusieurs tribunaux administratifs ont suspendu les arrêtés préfectoraux fixant la liste des grands magasins et centres commerciaux dont l’accès est subordonné à la présentation du passe sanitaire.
Après avoir jugé que la condition d’urgence était remplie, eu égard notamment « aux restrictions d’accès aux produits de première nécessité proposés par certains commerces de ces grands magasins et centres commerciaux », le tribunal administratif de Versailles a relevé que les mesures de restriction imposées par l’arrêté attaqué, sans que n’aient été prévus des aménagements pour permettre aux clients ne disposant pas de passe d’accéder à ceux de ces commerces qui vendent des biens et services de première nécessité, portaient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d’aller et venir. Le tribunal administratif de Strasbourg en a fait de même, même si le préfet du Haut-Rhin se prévalait de l’existence, dans les bassins de vie concernés, d’une offre alternative en produits de première nécessité afin de garantir l’accès des personnes à ces biens et services. Or, estime le juge des référés, « le législateur n’a pas prévu l’existence d’une telle mesure de compensation » (TA Strasbourg, 27 août 2021, n° 2105891). Un arrêté du préfet des Hauts-de-Seine, qui ne présentait pas « un intérêt significatif pour répondre à l’objectif de contrôle de l’épidémie », a été suspendu sur le fondement de la liberté d’aller et venir et de la liberté d’entreprendre (TA Cergy-Pontoise, 30 août 2021, n° 2110762).
En revanche, le référé-liberté dirigé contre l’arrêté préfectoral qui subordonnait l’accès au centre commercial Espace Polygone à Perpignan à la présentation du passe sanitaire a été rejeté. Le juge des référés a jugé que, malgré la baisse significative du chiffre d’affaires de la société requérante, l’urgence à suspendre l’arrêté en cause n’était pas établie eu égard à l’intérêt général qui s’attache à combattre la propagation de l’épidémie de covid-19 (TA Montpellier, ord., 28 août 2021, n° 2104451). Le tribunal administratif de Paris lui emboitait le pas le 1er septembre à l’égard des centres commerciaux parisiens.
Le texte retranscrit plusieurs propositions du rapport Gauvain/Marleix, concernant l’Agence française anticorruption (AFA), l’extension des obligations anti-corruption des acteurs publics et privés, l’encadrement du lobbying ou la justice négociée.
Alors que la fin de la mandature approche, la proposition de loi pourrait être inscrite en novembre, conjointement avec les textes de Sylvain Waserman sur les lanceurs d’alerte. À condition d’avoir le soutien du gouvernement, qui étudie également le contenu du texte.
Vers une Haute autorité pour la probité ?
Le rapport Gauvain Marleix tirait un bilan en demi-teinte de l’AFA. Si les députés considéraient son action déterminante pour la diffusion du dispositif par les acteurs privés, ils étaient plus sévères sur sa mission de coordination administrative. La proposition de loi suggère de revoir l’architecture : l’AFA serait recentrée sur la définition et la mise en œuvre de la politique de lutte contre la corruption et l’appui aux acteurs publics et privés. Son président verrait son mandat ramené à quatre ans et l’agence perdrait son droit de communication.
Les missions de contrôle, relevant d’une autorité administrative indépendante, seraient transférées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) transformée en une « Haute Autorité pour la Probité », aux missions très étendues. Elle définirait les obligations anti-corruption, contrôlerait l’efficacité des dispositifs des acteurs publics et privés, suivrait la peine de mise en conformité et l’application de la loi de blocage.
Une commission des sanctions lui serait adjointe. La procédure de sanction serait précédée d’une mise en demeure, sauf exception. Les débats ne seraient plus obligatoirement publics.
Renforcer les obligations anti-corruption et l’encadrement du lobbying
Le rapport a mis en lumière les importantes lacunes des acteurs publics en matière de prévention de la corruption. Pour les principaux acteurs publics, l’article 2 propose d’instaurer des obligations comparables à celles des acteurs privés (code de conduite, cartographie des risques, évaluation des tiers). Les rapports de contrôle des acteurs publics pourraient être publiés. De plus, chaque collectivité débattra d’un rapport annuel sur la politique de prévention de la corruption.
Pour les acteurs privés, le texte étend les obligations anti-corruption aux filiales de grands groupes étrangers. L’article 9 rend par ailleurs les personnes morales pénalement responsables si un défaut de surveillance a conduit à la commission d’une ou plusieurs infractions par un salarié.
L’article 10 renforce le registre des représentants d’intérêts, qui concernerait la présidence de la République, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. Les déclarations seraient plus précises et bi-annuelles. Par ailleurs, les décideurs publics devraient tenir à disposition de la HATVP la liste des représentants d’intérêts avec lesquels ils sont entrés en communication. Enfin, la HATVP disposerait d’un pouvoir de sanction financière envers les lobbyistes récalcitrants.
Adaptation de la justice négociée
Le rapport Gauvain Marleix tirait un bilan très positif de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), en soulignant certaines limites. Devant la mission, le président de l’AFA et le procureur national financier ont évoqué le problème de déconnecter le sort des dirigeants de celui de leur entreprise. La proposition de loi suggère de créer, pour ces dirigeants, un dispositif de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) spécifique, avec un pouvoir d’appréciation du juge d’homologation réduit. Négociée en parallèle d’une CJIP, elle ne pourrait être proposée qu’en cas de révélation spontanée des faits.
La CJIP serait étendue aux délits de favoritisme. Avant sa conclusion, une phase intermédiaire permettrait l’accès au dossier de la procédure. Un mandataire ad hoc ou un comité spécial pourraient représenter la société dans la négociation, voire mener une enquête interne.
Afin de favoriser ces enquêtes internes, l’article 8 les encadre dans les cas où elles sont diligentées par une personne morale mise en cause par la justice. Ainsi, une personne entendue par son entreprise serait notifiée de son droit de se taire et d’être assistée par un avocat. Les personnes soupçonnées pourraient accéder au dossier.
Quinze constructeurs de camions ont été sanctionnés par la Commission européenne pour des pratiques anticoncurrentielles, au titre de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Les infractions concernaient les territoires de tous les États de l’Espace économique européen.
Un client espagnol ayant acquis des camions auprès de quatre de ces constructeurs, installés en Suède, Allemagne et en Espagne, a alors agi contre eux pour obtenir réparation du préjudice subi lié au paiement de surcoûts dus aux pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre.
Ce client a saisi un juge espagnol, dont la compétence internationale a été contestée au regard des dispositions de l’article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Cet article 7, point 2, dispose qu’en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
On sait que cette notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’évènement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (par ex., CJUE 29 juill. 2019, Tibor-Trans, aff. C-451/18, pt 25, D. 2019. 1656 ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; Rev. crit. DIP 2020. 129, note L. Idot ; RTD eur. 2019. 907, obs. L. Idot ). Et dans l’affaire jugée le 15 juillet 2021, il s’agissait précisément d’identifier le lieu de la matérialisation du dommage.
L’arrêt retient que dès lors que les infractions à l’article 101 du TFUE s’étendaient à l’ensemble du marché de l’Espace économique européen, le lieu de la matérialisation de ce dommage se trouve dans ce marché, dont fait partie l’Espagne (arrêt, pt 31). Ainsi que l’arrêt (pt 32) le souligne, retenir ce lieu permet d’ailleurs d’assurer la cohérence avec la solution retenue en matière de conflits de lois puisqu’il résulte de l’article 6, paragraphe 3, a), du règlement Rome...
La société Guerlain a déposé une demande de marque tridimensionnelle auprès de l’Office européen le 17 septembre 2018, afin de faire enregistrer en tant que marque la forme du tube de rouge à lèvres intitulé « Rouge G de Guerlain » et dont la représentation est reproduite ci-dessous. Cette demande d’enregistrement a été rejetée par l’EUIPO le 21 août sur le fondement de l’article 7, § 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017, au motif que la forme du tube de rouge à lèvres n’était pas distinctive. Guerlain a alors formé un recours contre cette décision de rejet le 14 octobre 2019 devant la première chambre de recours de l’EUIPO. Le 2 juin 2020, cette dernière a confirmé la décision de l’EUIPO, invoquant le fait que la forme cylindrique du tube de rouge à lèvres en question ne se distinguait pas nettement des autres produits présents sur le marché concerné. C’est de cette décision que le Tribunal de l’Union européenne a été saisi.
La protection de la forme d’un produit en tant que marque tridimensionnelle
De même qu’il est possible d’enregistrer un signe en tant que marque figurative ou encore une suite de lettres en tant que marque verbale, la forme d’un produit peut être enregistrée en tant que marque tridimensionnelle. Cet enregistrement permet de protéger l’aspect d’un produit lorsque ce dernier présente une certaine particularité.
Pour être valable, la marque tridimensionnelle doit respecter les mêmes conditions que tout autre type de marque. Ainsi, seule une marque licite (règl. [UE] 017/1001, art. 7, § 1, ss f), disponible (art. 8, § 1), susceptible de représentation graphique (art. 4, ss b) et distinctive (art. 7, § 1, ss b), pourra faire l’objet d’un enregistrement. Par ailleurs et compte tenu de la spécificité de la marque tridimensionnelle, l’article 7, § 1, sous e) du règlement (UE) 2017/1001 précise que ne peut être enregistré en tant que marque tridimensionnelle un signe « constitué exclusivement […] par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; […] nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ; […] ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ». En vertu de cet article, un produit dont la forme n’est guidée que par sa fonction ne pourra pas faire l’objet d’un enregistrement à titre de marque.
Les marques tridimensionnelles, qui ne sont pas sans rappeler la protection conférée par le droit des dessins et modèles, font l’objet d’une jurisprudence abondante en ce qui concerne le respect de ces différentes conditions, et plus particulièrement concernant la condition de distinctivité. Ont notamment fait l’objet d’une annulation la marque tridimensionnelle protégeant la forme du Rubik’s Cube (Trib. UE 24 oct. 2019, Rubik’s Brand Ltd. c. EUIPO, aff. T-601/17, Dalloz actualité, 14 nov. 2019, obs. A. Beyens) ou encore celle protégeant la forme des célèbres briques Lego (CJUE 14 sept. 2010, Lego Juris c. OHMI, aff. C-48/09 P, Dalloz actualité, 4 oct. 2010, obs. J. Daleau).
Bien que le respect de ces conditions par la marque tridimensionnelle de Guerlain ait été remis en cause par deux fois par l’EUIPO, le Tribunal de l’Union européenne a conclu à sa validité.
Le tube de rouge à lèvres Guerlain, une marque tridimensionnelle distinctive
Une marque est distinctive lorsqu’elle permet au consommateur d’identifier l’origine du produit ou du service sur lequel elle est apposée. Afin de déterminer quel consommateur prendre en compte, la jurisprudence s’appuie sur la notion de « public pertinent ». Cette distinctivité s’apprécie in concreto, au jour du dépôt de la marque et sur l’ensemble des territoires visés par le dépôt.
Afin de démontrer le caractère distinctif de sa marque, la société Guerlain invoquait certaines caractéristiques particulières du tube de rouge à lèvres, permettant selon elle de lui reconnaître un caractère distinctif. Ses arguments étaient les suivants : le tube ne contient aucune surface plane, il évoque la forme d’une coque de bateau ou d’un couffin, il comprend une encoche rectangulaire sur le côté du tube pouvant s’apparenter à une charnière ainsi qu’un relief de forme ovale situé au milieu du tube, permettant son verrouillage et déverrouillage. La société invoquait également le fait que, compte tenu de ces différentes caractéristiques, le tube de rouge à lèvres ne peut être maintenu à la verticale, et ce compte tenu de l’absence de tout angle droit.
À l’inverse, l’EUIPO soutenait que certaines des caractéristiques invoquées par la société étaient seulement guidées par la fonction technique du produit (à l’image de la forme ovale située au milieu du tube) ou constituaient une simple adaptation d’éléments présents au sein de produits concurrents.
En réponse à ces différents arguments, le Tribunal rappelle tout d’abord que l’appréciation du caractère distinctif d’une marque ne dépend pas de la nouveauté ou de l’originalité du produit, mais bien de sa capacité à être identifiée par les consommateurs. Toutefois, bien que l’apparence du produit revête une importance particulière en ce qui concerne les marques tridimensionnelles, l’appréciation de leur distinctivité ne doit pas s’apparenter à une évaluation de la qualité ou de la beauté d’un produit.
Ensuite, le Tribunal relève les caractéristiques spécifiques dudit tube, et notamment l’absence de surface plane ou de ligne droite, la présence d’une encoche semblable à une charnière sur un des côtés du tube, sa forme ovale ainsi que sa ressemblance avec une coque de bateau ou un couffin. Le Tribunal constate que, du fait de ces particularités, le tube ne peut être présenté qu’à l’horizontale – à la différence des autres produits – allant jusqu’à qualifier sa forme d’« inhabituelle » (§ 49 de la décis.), d’« insolite » (§ 53) ou encore de « fantaisiste » (§ 55).
Enfin, compte tenu de ces différentes spécificités, le Tribunal reconnaît au tube de rouge à lèvres Guerlain un caractère distinctif.
Toutefois, lorsque le dépôt concerne une marque tridimensionnelle, bien qu’aucune originalité ne soit nécessaire, la forme doit se distinguer des habitudes du secteur pour acquérir un caractère distinctif.
Le tube de rouge à lèvres Guerlain, une forme divergeant de manière significative des habitudes du secteur
Bien que le tube de rouge à lèvres Guerlain dispose d’un certain nombre de caractéristiques spécifiques, il ne peut être considéré comme distinctif que si ces particularités permettent au public pertinent de le distinguer des produits concurrents.
À ce titre, le Tribunal rappelle que la marque tridimensionnelle doit « diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur concerné » pour être considérée comme distinctive (§ 41). À l’inverse, une forme usuelle ou banale du fait des habitudes du secteur ne pourrait être considérée comme distinctive. Tel est notamment le cas d’une bouteille en plastique contenant un produit alimentaire (CJCE 25 oct. 2007, Develey c. OHMI, aff. C-238/06 P, RTD eur. 2008. 927, obs. J. Schmidt-Szalewski ) ou encore d’un papier essuie-tout (TPI 17 janv. 2007, Georgia-Pacific c. OHMI, aff. T-283/04) dont les formes s’apparentent à ce qui est pratiqué par leurs concurrents dans le même secteur.
Afin de contester le caractère distinctif de la marque tridimensionnelle déposée par la société, l’EUIPO invoquait le fait que le marché du rouge à lèvres se caractérise par une variété importante de formes de tubes. Il fournissait à l’appui de son raisonnement des images représentant des tubes de rouge à lèvres cylindriques de sociétés concurrentes. Compte tenu du nombre important de formes existantes, les particularités invoquées par la société Guerlain ne permettaient donc pas, selon lui, de créer une impression de nouveauté auprès du consommateur. Ainsi, aucune divergence significative avec la norme ou les habitudes du secteur n’était constituée.
Or l’analyse du Tribunal diffère également sur ce point. Ce dernier considère que le fait qu’un secteur se caractérise par la diversité de forme des produits proposés ne permet pas de déterminer que toute nouvelle forme sera dénuée de distinctivité. De ce fait, une forme constituant une variante de la forme usuelle du produit peut également être enregistrée en tant que marque tridimensionnelle.
Plus précisément, le Tribunal relève que la majorité des tubes de rouge à lèvres distribués sur le marché sont de forme cylindrique, contiennent des angles droits et peuvent être entreposés à la verticale. À l’inverse, la forme du tube Guerlain rappelle une coque de bateau ou d’un couffin, ne contient aucun angle droit et ne peut être présentée qu’à l’horizontale. Le Tribunal en déduit donc qu’il diverge de manière significative de la forme des tubes de rouge à lèvres habituellement commercialisés, cette distinctivité étant également renforcée par sa présentation inhabituelle.
Compte tenu de l’existence de ces caractéristiques spécifiques, le Tribunal de l’Union européenne a considéré que le tube de rouge à lèvres Guerlain se distingue nettement des produits similaires commercialisés par les entreprises concurrentes. Étant à même d’indiquer l’origine du produit au consommateur, il dispose d’un caractère distinctif.
Le Tribunal de l’Union européenne annule donc la décision rendue par la première chambre de recours de l’EUIPO, acceptant de facto l’enregistrement du tube de rouge à lèvres en tant que marque tridimensionnelle.
À l’occasion de cet arrêt, le Tribunal rappelle que l’exigence de distinctivité doit être appréciée de la même manière, qu’il s’agisse d’une marque tridimensionnelle ou de tout autre type de marque. Toutefois, compte tenu de leur particularité, la preuve de leur distinctivité peut s’avérer plus difficile à rapporter. Cette difficulté s’explique notamment par le fait que le public pertinent est plus habitué aux marques verbales ou figuratives et « n’a pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme » (§ 17).
Durant les vacances d’été, la rédaction de Dalloz actualité prend quelques congés.
Merci d’être toujours plus nombreux à nous suivre.
Nous vous souhaitons à toutes et tous de belles vacances et nous vous retrouvons dès le 6 septembre, avec une édition complète et riche en actualités.
Une société qui fabrique des pièces détachées pour l’aéronautique a obtenu, le 19 février 2009, une autorisation de régime douanier dit de « destination particulière » délivrée par l’administration des douanes pour l’importation, en exemption de droits de douane, de certaines pièces destinées à être incorporées dans des aéronefs. Le régime de la destination particulière permet aux entreprises de l’Union européenne d’importer des marchandises à un taux de droit de douane réduit ou nul sous réserve de les utiliser dans le cadre défini par législation douanière de l’Union européenne. Le bénéfice de ce régime de faveur n’est pas de droit. Pour pouvoir en bénéficier, l’opérateur doit disposer d’une autorisation et remplir certaines obligations, telles que la mise en place d’une garantie pour couvrir les droits de douane en jeu, et d’une procédure de suivi pour permettre la surveillance douanière du respect du régime par un bureau des douanes habilité, dit bureau de contrôle (pour une explicitation de ce régime douanier, v. la décision administrative [DA] 18-010, Bulletin officiel des douanes n° 7220, 19 mars 2018).
Dans l’affaire jugée, l’autorisation désignait une première localité comme bureau de contrôle et « tous les aéroports français ouverts en permanence » comme bureaux de placement. Un bureau de placement est un bureau des douanes habilité dans l’autorisation à...
Voilà un bel arrêt sur un contentieux essentiel du droit des sociétés, qui concerne l’expertise de l’article 1843-4 du code civil. Ce texte, on le sait, organise, en cas de contestation sur le prix, le recours à un expert judiciaire lors d’une cession ou d’un rachat forcé de titres de sociétés, qu’il soit imposé par la loi ou par les statuts. Il a fait l’objet d’une importante réforme par l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, et c’est la nouvelle version du texte qui est ici applicable.
Il est question, dans cet arrêt du 7 juillet 2021, d’une société par actions simplifiée, dénommée Epideo, qui est une holding fondée par des salariés de la société Scyna 4. Or les statuts de la société Epideo prévoient l’exclusion, de plein droit, d’un associé dans le cas où il serait mis fin au contrat de travail de celui-ci avec la société Scyna 4. Le 14 mars 2018, un associé d’Epideo a été licencié par la société Scyna 4, alors que son contrat devait normalement prendre fin le 14 juin 2018.
Le 26 juillet 2018, l’assemblée générale d’Epideo a décidé de modifier les dispositions des statuts relatives aux modalités de transmission des droits sociaux, en imposant à l’associé sortant un ajustement à la baisse du prix de cession par application d’une certaine formule. Il s’agit à l’évidence d’une clause dite de bad leaver, dont la validité a d’ailleurs déjà été consacrée par la Cour de cassation (Com. 7 juin 2016, n° 14-17.978, Dalloz actualité, 27 juin 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 2042 , note D. Baugard et N. Borga ; ibid. 2365, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; AJCA 2016. 391, obs. C. Coupet ; Rev. sociétés 2017. 85, note Y. Marjault ; RTD civ. 2016. 614, obs. H. Barbier ). Le 1er août 2018, le président de la société Epideo a notifié à l’associé concerné son exclusion de la société et la valeur de rachat de ses actions fixé selon le mode de calcul prévu par ladite clause. Contestant cette évaluation, l’intéressé a assigné la société Epideo en désignation d’un expert, sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil.
Dans notre affaire, le président du tribunal de commerce saisi a, statuant par voie d’ordonnance en la forme des référés (et depuis l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, cette fois non applicable, par jugement selon la procédure accélérée au fond), fait droit à la demande d’expertise...
Figure incontournable de la liquidation judiciaire, le dessaisissement du débiteur est un mécanisme dont l’appréhension peut être délicate (C. com., art. L. 641-9). Plus précisément, s’il suscite des difficultés, ces dernières concernent la détermination du périmètre de la mesure (B. Ferrari, Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire. Contribution à l’étude de la situation du débiteur sous procédure collective, LGDJ, t. 23, 2021). L’arrêt ici rapporté illustre cette problématique lorsque le dessaisissement doit notamment composer avec les règles du droit bancaire.
En l’espèce, une société a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 8 avril 2015. Corrélativement, la banque de la société débitrice a procédé à la clôture de son compte et en a adressé le solde créditeur au liquidateur. Or le mandataire a assigné cette banque pour que soient déclarés inopposables à la procédure collective les paiements et encaissements effectués sur le compte de la société débitrice à compter de sa mise en liquidation judiciaire. Certains virements et titres interbancaires de paiement (TIP) étaient visés par cette action. Quoi qu’il en soit, le liquidateur espérait que la somme litigieuse lui soit remise. Le mandataire obtient gain de cause en appel et la banque est condamnée à payer à la liquidation judiciaire le montant correspondant aux virements litigieux.
L’établissement de crédit forme un pourvoi en cassation et fait valoir deux arguments à l’appui de son pourvoi.
D’une part, il rappelle qu’un ordre de virement est irrévocable et son bénéficiaire acquiert un droit définitif sur les fonds, assimilable à un paiement, quand cet ordre est reçu par le prestataire de services de paiement (C. mon. fin., art. L. 133-8-I). Il en est déduit que le virement est opposable à la procédure collective si l’ordre a été reçu par le prestataire de services de paiement avant le prononcé de la liquidation judiciaire. Or, en retenant que les virements litigieux étaient inopposables à la procédure parce que les fonds avaient été réceptionnés par le bénéficiaire postérieurement à l’ouverture de la liquidation, la cour d’appel aurait violé les articles L. 133-8-I du code monétaire et financier et L. 641-9 du code de commerce. D’autre part, la banque indiquait qu’un titre interbancaire de paiement (TIP) s’analyse comme un ordre de paiement et est irrévocable, de sorte que son bénéficiaire acquiert un droit définitif sur les fonds, assimilable à un paiement, quand ce TIP est reçu par l’organisme chargé de son traitement. Ainsi, le paiement est-il opposable à la procédure collective si le TIP a été reçu par l’organisme avant le prononcé de la liquidation judiciaire. Or, ici encore, en retenant, pour juger que le paiement émis au profit de l’Urssaf serait inopposable à la procédure, la date à la laquelle ce TIP avait été débité et non la date à laquelle il avait été reçu par l’organisme chargé de son traitement, la cour d’appel aurait également violé les textes précités.
La Cour de cassation souscrit à cette argumentation et casse l’arrêt d’appel au visa des articles L. 641-9 du code de commerce et L. 133-6 du code monétaire et financier.
La haute juridiction commence par rappeler les principes édictés au sein de ces textes. Pour le premier, elle indique que le jugement prononçant la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ces biens. Il en résulte que les actes de disposition et les règlements effectués postérieurement au jugement d’ouverture sont inopposables à la procédure collective. Pour le second texte, la Cour de cassation précise qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution et qu’ainsi, l’émetteur d’un ordre de paiement dispose des fonds dès la date à laquelle il consent à l’opération.
La Cour de cassation indique ensuite que, pour déclarer inopposables au liquidateur les opérations passées au débit du compte de la société débitrice et condamner, par conséquent, la banque au paiement des sommes litigieuses, l’arrêt d’appel s’est fondé sur l’article L. 133-8 du code monétaire et financier, disposant que l’utilisateur de services de paiement ne peut révoquer un ordre de paiement une fois qu’il a été reçu par le prestataire de service de paiement. Or, pour les juges du fond, il n’en résulte pas pour autant que la date du paiement correspond à la date à laquelle la banque a reçu l’ordre de virement du débiteur, que, le paiement d’un virement n’intervenant qu’à réception des fonds par le bénéficiaire, il importe peu que les opérations de virement aient été en cours auprès de la banque du débiteur la veille du jugement prononçant la liquidation judiciaire dès lors qu’elles ont donné lieu à paiement après son ouverture.
En statuant ainsi, la cour d’appel a violé, pour la Cour de cassation, les textes susvisés.
Selon nous, cette solution convainc par son pragmatisme. En effet, il nous semble logique que seule la date à laquelle la banque du payeur a reçu l’ordre de virement soit prise en considération afin de déterminer le jeu ou non du dessaisissement du débiteur. Pour autant, au regard de la jurisprudence antérieure, cette solution ne s’imposait pas d’évidence.
Entre incertitudes jurisprudentielles et modifications législatives
Si la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur la date d’un paiement résultant d’un virement afin de déterminer la soumission de l’acte litigieux au dessaisissement, force est de constater la présence de plusieurs décisions contradictoires.
Par exemple, il avait été jugé que, pour appliquer le dessaisissement, il convenait de prendre en considération la date de l’écriture de débit sur le compte du débiteur (Com. 20 oct. 1992, n° 89-10.083, Bull. civ. IV, n° 320 ; RTD com. 1993. 344, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ). Or il a corrélativement été admis, « côté créancier », que le titulaire d’un compte bancaire disposait du montant d’un virement fait à son profit dès sa réception par sa banque, et ce peu important la date de l’écriture sur son compte (Com. 27 juin 1995, n° 93-10.083, Bull. civ. IV, n° 192 ; 18 sept. 2007, n° 06-14.161, Bull. civ. IV, n° 194 ; Dalloz actualité, 27 sept. 2007, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2007. 2464 , obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2764, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 774, obs. B. Fages ; RTD com. 2007. 812, obs. D. Legeais ; ibid. 2008. 180, obs. A. Martin-Serf ).
En l’espèce, ces incertitudes sont encore accentuées par le fait que les jurisprudences précitées ont été rendues sous l’empire des règles applicables antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2009-966 du 15 juillet 2009 ayant transposé la directive sur les services de paiement (DSP).
Or, dans sa rédaction issue de l’ordonnance précitée, l’article L. 133-8 du code monétaire et financier dispose, en résumé, que, dans les rapports entre le prestataire de service de paiement et l’utilisateur, le virement est en principe irrévocable lorsqu’il a été reçu par la banque du payeur.
La modification du droit positif en la matière par l’ordonnance du 15 juillet 2009 a d’ailleurs « joué des tours » à la banque demanderesse. En effet, cette dernière avait formulé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant la Cour de cassation, centrée sur l’interprétation du dessaisissement. Las, cette QPC a été rejetée par la haute juridiction, laquelle, sans entrer dans le fond de la question posée, a mis en cause le caractère contestable du problème posé (Com. 17 févr. 2021, n° 20-18.759 NP, D. 2021. 1332 ; Gaz. Pal. 8 juin 2021, n° 422p4, p. 56, note M. Rousille). Plus précisément, elle a rappelé qu’un justiciable pouvait contester la constitutionnalité d’une interprétation jurisprudentielle faite d’une disposition législative (Cons. const. 6 mai 2011, n° 2011-127 QPC), mais elle a précisé ensuite que le bien-fondé de cette contestation était conditionné au fait que cette interprétation résultait d’une jurisprudence constante. Or, pour la Cour de cassation, la question de la détermination de la date de réalisation d’un paiement par virement ne présentait pas un caractère sérieux permettant de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel à défaut de jurisprudences se prononçant sur cette interrogation depuis l’entrée en vigueur des règles applicables aux opérations de paiement issues de la directive sur les services de paiement.
Selon la professeure Myriam Roussille (note ss Com. 17 févr. 2021, n° 20-18.759 NP, préc.), cette décision sous-entendait que la Cour de cassation pourrait faire évoluer sa solution retenue jusqu’ici en cas d’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’égard du client d’une banque pour les virements réalisés au profit de tiers le jour du prononcé du jugement d’ouverture de la procédure collective.
Certes, l’arrêt ici rapporté pourrait être analysé comme consacrant une telle évolution, mais l’essence de la solution nous semble reposer sur la logique même du dessaisissement.
Une solution fondée sur le jeu du dessaisissement
Les modifications législatives intervenues en la matière concernent l’irrévocabilité du virement et donc la date à laquelle l’opération bancaire se dénoue. Or, bien qu’elle soit liée, la problématique posée à la Cour de cassation était substantiellement différente. La référence au dessaisissement implique de se poser la question de la date de la restriction des pouvoirs du débiteur sur son patrimoine.
Par conséquent, la seule date à mobiliser pour résoudre la problématique posée par le pourvoi est plus celle de l’ordre de paiement – en tant qu’acte de disposition manifestant la volonté du débiteur – que celle de son exécution. En l’occurrence, l’ensemble des opérations litigieuses a donné lieu à un ordre la veille du jugement de liquidation judiciaire, date à laquelle le débiteur ne subissait pas encore l’emprise du dessaisissement.
Par conséquent, sous le seul angle du dessaisissement, la solution fournie doit être approuvée.
En allant plus avant dans l’analyse, la haute juridiction opère ici une déconnexion entre la règle du dessaisissement et celle de l’irrévocabilité du virement. Un exemple peut être pris en matière de virement différé. Dans cette hypothèse, imaginons un ordre de virement passé avant le jugement d’ouverture de la procédure, mais dont l’exécution doit avoir lieu postérieurement à ce jugement. Par principe, l’ordre de virement ne peut être contesté au regard du dessaisissement et est donc opposable à la liquidation judiciaire, quand bien même le paiement interviendrait postérieurement à l’ouverture de la procédure collective. Aussi, si le virement peut encore être révoqué postérieurement au jugement d’ouverture et jusqu’à son exécution, cette action devient, en raison du dessaisissement, l’affaire du liquidateur.
Cette dernière remarque nous semble mettre en exergue la critique que certains pourraient formuler à l’encontre de l’arrêt ici rapporté. En effet, si la décision ne semble pas contestable du point de vue du dessaisissement, d’aucuns pourraient y voir une omission de la règle de l’interdiction des paiements (C. com., art. L. 622-7). Las, la haute juridiction ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont adressées…
Au-delà du caractère exceptionnel de l’amende et de l’astreinte prononcées, la décision témoigne d’une détermination intacte à peser dans le débat réglementaire européen, à faire preuve de pragmatisme et d’agilité dans les itérations avec les géants numériques et dans le même temps, de toute la richesse du droit de la concurrence à périmètre constant. La décision ne met cependant pas un terme aux débats, elle doit permettre d’ouvrir un nouveau cycle de négociations alors que l’enquête au fond se poursuit.
Pour mémoire, la décision s’inscrit dans le contexte d’une opposition entre Google, les éditeurs français et les agences de presse sur l’application de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 transposant en France l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 créant un droit voisin. Il s’agit de la troisième décision depuis l’entrée en vigueur de ce mécanisme en France. La première décision, rendue par l’Autorité de la concurrence, infligeait à titre conservatoire des mesures d’injonction imposant en substance à Google de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences. La seconde décision, rendue cette fois par la cour d’appel de Paris, avait quasi intégralement validé la décision ordonnée par l’Autorité de la concurrence (v. notre art., Dalloz actualité, 14 oct. 2021).
Deux ans plus tard, la plupart des éditeurs de presse et les agences n’ont pu négocier effectivement avec Google ni obtenir rémunération au titre de leurs droits voisins dans le cadre et dans les délais prescrits malgré des avancées notables. C’est de cette incongruité dont il est question dans la décision du 13 juillet – autrement dit du non-respect par Google des injonctions ordonnées par l’Autorité de la concurrence – et, à travers cela, de sa persistance dans un comportement délibérément infractionnel en dépit de son évidente contrariété avec le cadre législatif et réglementaire applicable en France.
Google ou l’unilatéralisme contrarié
La décision de l’Autorité – longue de plus de 130 pages – témoigne d’une instruction particulièrement approfondie et fait le récit d’une année et demie de persistance de Google dans un unilatéralisme que ni la loi de transposition, ni les mesures conservatoires, ni la validation pour l’essentiel de celles-ci par la cour d’appel de Paris, pas plus que le rapport établissant les griefs n’ont altéré.
Après le rejet systématique par Google de toute discussion sur l’existence et la rémunération de droits voisins qui a conduit les plaignantes à saisir l’Autorité de la concurrence en formant notamment une demande de mesures conservatoires, un nouveau cycle semblait s’ouvrir. Google ayant accepté d’itérer avec les associations – les agences étant toujours exclues de toute discussion –, les prémisses d’une négociation semblaient posées.
Néanmoins, l’on comprend de la décision qu’au cours de ces échanges, Google a tout d’abord exclu toute discussion sur les droits voisins eux-mêmes pour se concentrer sur le lancement de nouveaux services – en déplaçant purement et simplement la discussion. C’est ainsi que l’Autorité a été amenée à analyser Showcase – un espace d’information dédié où les éditeurs bénéficient notamment d’une mise en avant améliorée de leurs contenus – ou encore « Subcribe with Google », des services d’aide à la conversion du lectorat en abonnements – au moins aussi essentiels à la survie de la presse que ne le sont les revenus publicitaires ou depuis peu, les droits voisins.
Google a en outre entrepris de segmenter unilatéralement les éditeurs de presse en scindant ceux qui bénéficient d’une certification délivrée par la Commission paritaire des publications de presse relative à la fourniture d’information dite politique et générale (IPG) de ceux qui ne disposaient pas de cette certification (non-IPG). Ces derniers, qui représentent la plus grande proportion d’éditeurs en France, ont été purement et simplement exclus tant du bénéfice d’une éventuelle rémunération de leurs droits voisins que des nouveaux services proposés par Google puisque les droits voisins avaient été opportunément dilués en leur sein.
Google a également réduit unilatéralement le champ de la négociation en ce qui concerne le périmètre des revenus tirés de l’affichage de contenus protégés en les réduisant à Google Search à l’exclusion de toute autre source de revenus notamment indirecte, et n’a en tout état de cause pas communiqué les données et chiffres aux éditeurs permettant qu’une négociation intervienne. Tout au plus, lorsque Google a décidé de communiquer des données, celles-ci apparaissent « partielles », « tardives » et « insuffisantes ».
Quant au caractère tardif, on observe avec étonnement que Google entendait pouvoir « prolonger » seul (ou éventuellement d’un commun accord avec l’éditeur qui en toute hypothèse n’avait d’autre choix puisqu’il n’avait reçu aucune information) le délai d’exécution des injonctions ordonnées par l’Autorité.
Plus étonnement encore, l’on comprend à la lecture de la décision que Google a transmise au service juridique des propositions d’accords avec les éditeurs – que les éditeurs eux-mêmes ne s’étaient pas encore vus proposer. En d’autres termes, Google entendait convenir avec l’Autorité de la concurrence de la teneur des accords de licence de droits voisins qu’il envisageait d’imposer aux éditeurs, alors même que la procédure ayant donné lieu à la décision du 13 juillet n’avait pas pour objet le fond et ne permettait donc a priori pas d’engagement, mais uniquement le non-respect des injonctions ordonnées par l’Autorité. Google ne pouvait donc pas décemment s’engager à respecter les injonctions ordonnées puisqu’elles lui sont applicables, ne lui en déplaise. En définitive, Google a, par ces mêmes dispositions unilatérales tardives, admis le non-respect des injonctions ordonnées, et ce auprès du service juridique de l’Autorité.
Seule certitude : ce que Google n’a pas respecté
Ce ne sont pas moins de quatre injonctions sur dix prononcées par l’Autorité qui n’ont pas été respectées par Google. Notamment, l’injonction 1, qualifiée par l’Autorité de « plus importante », relative à l’obligation de négociation de bonne foi, mais également les injonctions nos 2, 5 et 6 de la décision de mesures conservatoires. Les négociations intervenues postérieurement au délai de trois mois fixé par les injonctions ne conduisent pas l’Autorité à revenir sur ce constat.
• Google n’a pas négocié de bonne foi (injonction n° 1). L’Autorité estime que le fait de lier systématiquement les discussions portant sur la rémunération des droits à la conclusion d’un nouveau partenariat global par lequel Google a cherché à obtenir une licence portant sur l’intégralité des contenus des éditeurs, sans valorisation financière spécifique des droits voisins ou encore le fait d’avoir exclu le principe d’une rémunération des contenus de presse issus d’éditeurs ou agences de presse ne disposant pas d’une qualification « information politique et générale » (IPG) ainsi que des contenus des agences de presse repris par les éditeurs, de même que le fait d’avoir adopté une conception excessivement restrictive de la notion de revenus tirés de l’affichage de contenus de presse témoignent de sa mauvaise foi.
• Google n’a pas communiqué à suffisance aux éditeurs et agences de presse les informations prévues à l’article L. 218-4 du CPI (injonction n° 2). L’Autorité relève que les communications d’informations par Google ont été soit partielles, soit tardives par rapport à l’échéance des négociations, soit non spécifiques aux contenus et, partant, insuffisantes pour permettre à l’éditeur ou à l’agence de presse de faire le lien entre l’utilisation par Google de contenus protégés, les revenus qu’elle en tire, et sa proposition financière.
• Google n’a pas préservé la neutralité des conditions commerciales (injonction n° 6). Outre l’exclusion des non-IPG du périmètre de ces discussions, l’Autorité reproche à Google d’avoir conditionné l’accès au programme de partenariat global Showcase à l’acceptation par les éditeurs et agences de presse d’une rémunération globale, sans rémunération spécifique, avec un risque de voir leurs conditions de visibilité se dégrader à l’égard des autres éditeurs et agences de presse ayant accepté de et ayant été autorisé à participer à ce programme.
• Google n’a pas respecté la neutralité sur la façon dont sont indexés, classés et, plus généralement, présentés les contenus protégés sur ses services (injonction n° 5). L’Autorité constate qu’en établissant un lien entre les négociations sur la rémunération des droits voisins au titre des utilisations actuelles et celles sur la rémunération de nouveaux partenariats tels que Showcase, ce qui pouvait emporter des conséquences importantes sur la visibilité des éditeurs et agences de presse sur les services de Google, cette dernière a violé l’obligation de neutralité des négociations sur la présentation des contenus protégés sur ses services.
Il est d’autant plus important de souligner que l’objet de la procédure ayant donné lieu à la décision du 13 juillet était uniquement de déterminer si Google avait respecté ou non les injonctions ordonnées que la décision ne préjuge donc pas de la qualification juridique de comportements intervenus à l’occasion de ces discussions, qui auraient été portés à la connaissance de l’Autorité, qui pourraient être problématiques d’un point de vue concurrentiel mais qui relèvent d’une procédure au fond. Il est ici rappelé que la procédure au fond se poursuit parallèlement à ce processus relatif au non-respect des injonctions.
Tout en posant des jalons pour les négociations à venir
La décision de l’Autorité est particulièrement motivée et circonstanciée. Cela est extrêmement utile et appréciable pour le commentateur mais également très structurant pour l’avenir. Non seulement l’Autorité examine de très nombreux comportements mis en œuvre par Google à l’occasion des itérations intervenues tant avec les éditeurs qu’entre les éditeurs eux-mêmes au sein des associations mais l’Autorité pose également quelques jalons à l’occasion de cette décision de manière aussi subtile que percutante.
Il en va ainsi de la distinction artificiellement introduite par Google quant au caractère IPG ou non-IPG des éditeurs éligibles selon lui, à une discussion en vue d’une rémunération de leurs contenus. L’Autorité ne se contente pas de souligner qu’une telle exclusion n’est pas compatible avec la loi ni avec les injonctions ordonnées s’agissant des droits voisins, elle aborde cette différenciation en indiquant qu’elle est susceptible de créer des distorsions de concurrence à l’aval dès lors qu’elle est liée à la participation des éditeurs aux nouveaux programmes de Google visant à augmenter leur visibilité.
Bien entendu, l’Autorité réaffirme la liberté de Google de proposer de nouveaux services, mais le fait de lier ce lancement à l’acceptation d’une rémunération indistincte avec les droits voisins tout en excluant de fait du bénéfice de ces dispositions des acteurs non-IPG alors que ce n’est aucunement requis par la loi est une violation supplémentaire des injonctions. La décision ne dit pas si une même différenciation hors couplage avec les droits voisins serait problématique au fond, tout en soulignant les distorsions de concurrence que cela est susceptible de générer à l’aval s’agissant de contenus concurrents.
C’est cette même logique qui conduit l’Autorité à souligner que si la décision en cause ne poursuit d’autre objectif que de constater et sanctionner le non-respect des injonctions, certains accords conclus pourraient devoir être modifiés ou amendés en considération de la décision. Ce faisant, elle rappelle que rien de ce qui lui a été présenté n’a échappé à son attention et que si elle n’a pas – dans le contexte de cette procédure spécifique – le pouvoir de se prononcer sur la validité de tels accords, la décision peut néanmoins justifier qu’ils soient modifiés.
Face à la mauvaise foi, le choix de la sécurité juridique plutôt que de la certitude
D’un point de vue plus général dans le contexte des discussions actuelles sur le plan des réformes du droit de la concurrence et de la régulation future des plateformes structurantes, il est intéressant d’observer que l’Autorité a fait preuve d’une grande agilité. Tout en appliquant strictement le cadre de ses compétences lorsqu’elle est amenée à examiner une saisine en non-respect d’injonctions, l’Autorité a appréhendé le comportement de Google à la fois dans son ensemble et individuellement, en le rapportant au marché et en s’en rapportant au marché par la voie d’auditions et de témoignages.
Dans une déclaration postérieure à la décision du 13 juillet, Google a fait part d’une forme de déception par rapport à la décision de l’Autorité qui n’aurait pas tenu assez compte des efforts finalement déployés. Cela interroge sur les attentes réelles de Google quant à l’issue de cette procédure alors même que toutes les caractéristiques d’une violation systémique semblent ici réunies et parfaitement assumées. À cet égard, il est difficile d’isoler totalement l’issue de cette procédure de la décision récente de l’Autorité infligeant également une forte sanction à Google dans le display mais acceptant des engagements – la première décision du genre.
Google s’attendait-il à négocier puis obtenir la validation d’une forme d’engagement consistant à préconvenir des termes de l’accord de licence qu’il proposerait avec l’Autorité de la concurrence sans même avoir présenté son projet aux éditeurs ? Si l’on comprend bien, du point de vue de Google – couper court par avance à des discussions avec les éditeurs sur les points structurants, valider et faire levier auprès de tous les autres éditeurs européens qui auraient des lois de transposition nationales et des velléités de s’en saisir, mais également faire levier auprès de toute autre autorité de concurrence de l’Union –, une telle approche paraît outrageusement intenable. L’Autorité n’ignore pas l’enjeu d’une telle décision sur d’autres juridictions, et c’est toute la subtilité de sa décision.
En ne fournissant pas de liste exhaustive de ce que Google doit faire ou en ne validant pas ce que l’Autorité considérerait comme approprié, l’Autorité de la concurrence ne remet aucunement en cause le principe de sécurité juridique puisqu’elle ne fait qu’appliquer strictement le cadre de ses compétences dans une telle procédure de non-respect d’engagements. Dans le même temps, l’Autorité pointe ce qui dysfonctionne, tout en ne préjugeant pas de la qualification que recevraient d’autres dysfonctionnements, tant dans le cadre des injonctions qui restent en vigueur jusqu’à la décision au fond, que pour ce qui concerne cette dernière. Elle crée ainsi une forme d’équilibre d’incertitude dissuasive, incertitude quant à l’appréciation des pratiques et quant à l’issue d’une décision. Elle ne fournit aucune garantie de résultat atteignable à Google en adoptant une approche casuistique fortement ancrée dans le périmètre des pouvoirs dont elle dispose en fonction du fondement de la saisine.
Autant de pistes de régulation à l’heure où l’on discute de l’approche adoptée par la Commission dans le projet de Digital Market Act ?
La directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité des entreprises constitue le premier pas vers une harmonisation et à terme une uniformisation du droit européen malgré des cultures très différentes et des comportements variant nécessairement selon les États. Dans notre système français qui fonctionne plutôt bien, même si la prévention est insuffisamment développée, le praticien pouvait redouter que cette transposition crée un bouleversement et une confusion dans l’application de nos dispositifs. Le projet d’ordonnance de transposition de cette directive en droit interne qui a été établi et soumis à consultation par les services de la Chancellerie montre que ce péril a été conjuré, pour l’essentiel. Bien entendu, quelques modifications pourront encore intervenir, et il faut donc demeurer prudent. Cependant, les principes essentiels ont été dégagés, et nous pouvons donc en informer les praticiens, sous les réserves d’usage. Le texte définitif devra être disponible en septembre, après l’annonce en conseil des ministres.
Les classes de créanciers
Ce système d’application particulièrement complexe est adapté à la française au point que les classes de créanciers sont amenées à remplacer tous les comités de créanciers existants. À cet égard, plusieurs procédés utiles ont été choisis.
1. La constitution des classes est laissée à la main de l’administrateur judiciaire, ce qui est une bonne chose, sous le contrôle du juge-commissaire. L’administrateur devra bien entendu respecter des critères objectifs qu’il indiquera mais il ne devrait pas y avoir de difficulté à ce titre en regard de la pratique que nous connaissons. Il faut bien entendu craindre qu’un contentieux se développe à propos des créanciers qui entendent faire partie de telle ou telle classe, mais ce risque apparaît très mesuré. Les associés et actionnaires devraient avoir, dans ce système, une position congrue avec des droits limités, ce qui n’est pas surprenant : il faut simplement signaler que les assemblées générales émettent un vote qui vaut vote en classe, ces détenteurs de capital, s’ils sont des parties affectées, étant soumis aux règles de l’application forcée interclasses, sans toutefois en bénéficier en principe.
2. Le large pouvoir d’appréciation du juge pour tenir compte du critère du meilleur intérêt des créanciers en regard de la valeur de l’entreprise et de la comparaison avec une situation liquidative apparaît raisonnable. Le critère du meilleur intérêt des créanciers apparaît logique et il est d’ailleurs déjà pratiqué même si concrètement, il faudra désormais sans doute prévoir de recourir suffisamment en amont à des expertises pour éviter des pertes de temps.
Dans ce système et contrairement au droit anglo-saxon, les pouvoirs du tribunal sont étendus, ce qui est une bonne chose. Certes, les critères sont particulièrement complexes mais cette complexité même donne davantage de pouvoirs au juge qui devra, en pratique, respecter des principes d’équité et de répression des abus. Ainsi, la transposition du droit européen est dédiée à une procédure spécifique, celle de la procédure de sauvegarde accélérée qui ne concernera sans doute que peu d’entreprises, au-delà de certains seuils qui seront sans doute ceux des tribunaux de commerce spécialisés.
C’est donc une satisfaction que peut exprimer le praticien qui est attaché à notre droit français où les droits des créanciers sont certes préservés mais n’ont pas vocation à être éminents si l’entreprise peut être redressée d’une manière crédible. Ainsi, la présence d’un juge fort, d’un administrateur judiciaire ayant des pouvoirs assez larges, de même que la volonté de préservation des intérêts de l’entreprise pérenne sont ainsi consacrées.
Les autres outils
Le projet d’ordonnance règle au passage d’autres questions. Nous n’en résumerons que certaines :
1. En conciliation, la suspension des poursuites facilitée introduite par la réglementation covid est préservée. Cependant, désormais, cette demande de suspension ne pourra être faite que par assignation et non plus par voie de requête. C’est sans doute dommage car cette requête permettait de provoquer un dialogue souvent fécond et facilitait la conclusion d’un accord en rééquilibrant les forces en présence. Cependant, il est positif que cette suspension des poursuites soit ainsi maintenue.
2. L’amélioration de la situation de la caution personne physique en redressement judiciaire est aussi une bonne chose car celle-ci pourra se prévaloir du plan, ce qui n’était valable jusqu’ici qu’en sauvegarde.
3. Au passage, le projet d’ordonnance modernise et complétera plusieurs dispositifs existants. Cela concerne notamment le régime des nullités de plein droit (ord., art. 36), la possibilité pour le juge-commissaire d’autoriser la constitution d’une sûreté réelle conventionnelle ou le paiement d’un transporteur en cas d’action directe (art. 10), la simplification de l’article sur la vente d’un bien grevé d’un privilège spécial, d’un gage, d’un nantissement ou d’une hypothèque pendant la période d’observation (art. 11), les conditions de déclaration des sûretés portant sur l’assiette et non plus sur leur nature (art. 15), la sanction de l’inopposabilité des sûretés en cas de défaut de déclaration au passif (art. 16), le nouveau privilège pour l’apport d’argent frais en procédure collective prévu par l’article 60 de la loi Pacte du 22 mai 2019 (art. 13, 21, 23, 25, 27 et 44), la synthèse du classement des créances en redressement judiciaire (art. 44), etc. Bien entendu, ces numéros d’articles sont en l’état provisoires.
L’impératif de célérité
Dans le prolongement de la directive (art. 6 et 25, B), l’impératif de célérité de la procédure est favorisé par le texte du projet d’ordonnance. Était-il cependant bien nécessaire de réduire la durée de la sauvegarde à douze mois sans possibilité de prolongation ? Il peut en effet exister des hypothèses où cette prolongation, au demeurant demandée par le procureur, ce qui est une garantie, peut être utile. Il est heureux que cette prolongation exceptionnelle reste possible en redressement judiciaire (art. 9). Il est vrai que l’impératif de célérité est une contrainte de la directive, mais une souplesse en sauvegarde aurait été bienvenue. Consolons-nous en constatant qu’il n’y a pas de sanction pour un dépassement de délai…
Un droit de communication accru
En conciliation, le président pourra obtenir plus rapidement des éléments sur l’entreprise convoquée dans le cadre de la détection/prévention (C. com., art. L. 611-2) et le principe de l’alerte précoce du commissaire aux comptes créée pendant la crise de la covid est maintenu (art. 3) : le rapport du président Richelme déposé en février 2021 avait fourni un travail éclairant qui inspire en partie les travaux de la Chancellerie (sur ce rapport, v. G. Teboul, La commission Richelme s’attaque aux signaux faibles des entreprises, Dalloz actualité, Le droit en débats, 17 mars 2021). Ce rapport qui avait réuni les professionnels concernés a créé une dynamique positive, au service de l’entreprise en difficulté.
Le droit au rebond
La directive souhaitait favoriser le rebond des entrepreneurs honnêtes en permettant au débiteur personne physique d’avoir accès à une procédure de remise de dette totale dans un délai de trois mois maximum. Il s’agit en France de la procédure de rétablissement professionnel d’une durée de quatre mois prorogeable un mois et de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée d’une durée de six à douze mois prorogeable trois mois. Dans le cadre de la crise de la covid, l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 avait permis à titre temporaire à toute personne physique d’avoir accès à cette procédure en l’absence d’un bien immobilier. Les conditions de seuils qui étaient prévues à l’article L. 641-2 du code de commerce étaient écartées : l’ordonnance confirmera cette mesure qui deviendra donc « définitive ». En outre, les biens déclarés insaisissables de droit ne sont pas pris en compte pour déterminer la valeur de l’actif de référence (art. 46).
L’entrée en vigueur
À la suite des contacts pris à la Chancellerie et en l’état des consultations en cours, l’ordonnance devrait entrer en vigueur en octobre 2021 mais elle ne sera pas applicable aux procédures en cours à cette date. Le conseil des ministres devrait valider le projet au mois de septembre. L’article 20 devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2022 pour prendre en compte la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance réformant le droit des sûretés.
Pour conclure, nous saluerons donc le travail de la Chancellerie qui a effectué ce travail délicat de transposition de la directive « restructuration et insolvabilité » en respectant pour l’essentiel nos principes et nos pratiques du droit français, ce qui n’était certes pas une chose aisée.
La clause d’échelle mobile, dénommée également clause d’indexation, qui consiste pour les parties au bail à s’accorder sur la variation automatique du loyer à des échéances déterminées et en fonction de la seule variation d’un indice de référence choisi (C. mon. fin., art. L. 112-1 s. ; Civ. 3e, 5 févr. 1992, n° 89-20.378 ; 28 oct. 1987, n° 84-10.371), est valable (Civ. 3e, 2 juin 1977, n° 76-13.199 ; 16 oct. 2013, n° 12-16.335, Dalloz actualité, 25 oct. 2013, obs. Y. Rouquet ; D. 2013. 2464, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2014. 1000, chron. A.-L. Collomp, A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; AJDI 2014. 36 , obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; ibid. 1, point de vue J.-P. Blatter ; JCP E 2014. 1108, note H. Kenfack). Néanmoins, la révision pourra être demandée chaque fois que par le jeu de cette clause, le loyer variera de plus du quart par rapport au prix fixé précédemment contractuellement ou par décision judiciaire (C. com., art. L. 145-39).
Si la clause d’indexation est valable dans son principe, cette clause est toutefois au cœur d’un contentieux florissant en raison de la présence fréquente de ces clauses dans les baux commerciaux. L’un des débats porte sur la licéité des clauses d’indexation ne jouant qu’à la hausse.
Alors que plusieurs cours d’appel avaient confirmé la validité des clauses d’indexation ne jouant qu’à la hausse (Amiens, 22 mars 1961, Gaz. Pal. 1961. I. 403 ; Douai, 21 janv. 2010, n° 08/08568, Dalloz actualité, 19 févr. 2010, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2010. 552 , obs. Y. Rouquet ; Gaz. Pal. 2010. 1. 936, obs. P.-H. Brault ; Aix-en-Provence, 15 mars 2013, n° 11/06632, AJDI 2013. 517 , obs. F. Planckeel ; Loyers et copr. 2013, n° 5, comm. 145, obs. E. Chavance), la Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 14 janvier 2016, a mis un terme à la jurisprudence des cours d’appel en affirmant que « le propre d’une clause d’échelle mobile [est] de faire varier le loyer à la hausse [comme] à la baisse ». Elle pose en conséquence le principe selon lequel « une clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse » est réputée non écrite (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681, Dalloz actualité, 20 janv. 2016, obs. Y. Rouquet ; D. 2016. 199, obs. Y. Rouquet ; ibid. 1613, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2016. 365 , obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; ibid. 157, point de vue J.-P. Dumur ; RTD com. 2016. 56, obs. J. Monéger ; Loyers et copr. 2016. Comm. 66, note P.-H. Brault ; Rev. loyers 2016. 184, obs. J. Prigent).
La portée de cette sanction a suscité des interrogations au regard des conséquences financières particulièrement sévères qui peuvent en résulter, à savoir la restitution intégrale des sommes résultant de l’indexation versées indûment lorsque la clause d’indexation est réputée non écrite en son entier (Versailles, 5 nov. 2020, n° 19/01229).
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 novembre 2018, a apporté une première réponse en posant le principe selon lequel « seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite » (Civ. 3e, 29 nov. 2018, n° 17-23.058, D. 2018. 2359 ; ibid. 2019. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget ; AJDI 2019. 531 , obs. J.-P. Blatter ; JCP E 2019. 1167, n° 33, obs. S. Regnault ; 11 mars 2021, n° 20-12.345, Loyers et copr. 2021, n° 6, comm. 93, obs. E. Marcet), sauf si la disposition irrégulière présente pour les parties un caractère « essentiel » (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-17.139, AJDI 2021. 276 , obs. D. Lipman-W. Boccara ; AJ contrat 2020. 581, obs. S. Regnault ; Gaz. Pal. 2020. 3426, obs. H. Barbier).
L’arrêt rapporté est une parfaite illustration de l’état de la jurisprudence en matière de clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse.
La société bailleresse a donné à bail des locaux à usage commercial à compter du 1er mai 2009. Le bail comporte une clause d’indexation annuelle stipulant que l’indexation ne s’appliquera qu’en cas de variation de l’indice à la hausse.
Le 23 septembre 2016, la locataire a assigné la bailleresse aux fins de voir déclarer la clause d’indexation réputée non écrite et de la voir condamnée à lui restituer une certaine somme sur le fondement de la répétition de l’indu pour la période s’étendant du premier trimestre 2011 au deuxième trimestre 2016.
La cour d’appel de Reims a, dans l’arrêt rendu le 9 juillet 2019, déclaré la clause d’indexation non écrite dans son ensemble. La société bailleresse s’est pourvue en cassation, sollicitant à cette occasion dans un premier temps, l’irrecevabilité de l’action engagée par la locataire en ce que la sanction applicable à la clause d’indexation, qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse, est une nullité et non le réputé non écrit. Dès lors, l’action en nullité se prescrit par cinq ans à compter du jour de la conclusion du contrat. La société bailleresse reprochait à la cour d’appel, dans le second moyen du pourvoi, d’avoir déclaré la clause d’indexation non écrite dans son ensemble.
Par un arrêt rendu le 30 juin 2021, la cour régulatrice casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Reims (Reims, 9 juill. 2019, n° 18/01648).
Sur la prescription de l’action tendant à voir déclarée non écrite la clause d’indexation
Afin de se prononcer sur la recevabilité de l’action en réputé non écrit de la clause d’indexation, la Cour de cassation, dans l’arrêt rapporté, rappelle successivement les principes qu’elle a dégagés en la matière, en visant la jurisprudence antérieure.
Ainsi, dans la droite ligne de l’arrêt du 19 novembre 2020 visé dans sa décision, la Cour de cassation rappelle dans un premier temps que l’article L. 145-15 du code de commerce, modifié par la loi du 18 juin 2014 dite Pinel, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit. Elle réaffirme également que l’article L. 145-15, dans sa nouvelle rédaction, est d’application immédiate, c’est-à-dire qu’il est applicable aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de dudit article (Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405, Dalloz actualité, 4 janv. 2021, obs. A. Cayol ; D. 2020. 2342 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel ; ibid. 1397, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2021. 513 , obs. J.-P. Blatter ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; RTD civ. 2021. 124, obs. H. Barbier ; JCP E 2021. 1168, obs. J. Monéger), dans la mesure où seule la nature de la sanction est modifiée, non le contrat de bail (Paris 7 févr. 2018, n° 16/07034, AJDI 2018. 353 ; Loyers et copr. 2018. Comm. 91, obs. P.-H. Brault).
La différence de régime entre la nullité, soulevée par la société bailleresse, et le réputé non écrit réside essentiellement dans la prescription. En effet, tandis que l’action en nullité est soumise à la prescription extinctive de droit commun (C. civ., art. 2224), l’action tendant à voir réputer une clause non écrite n’est pas soumise à prescription comme le rappelle la Cour de cassation (Civ. 3e, 19 nov. 2020, préc. ; Paris, 2 juill. 2014, n° 12/14759, AJDI 2014. 787 , obs. C. Denizot et G. Trautmann ). Elle n’est en outre pas même soumise, s’agissant d’une clause d’indexation, à la prescription biennale découlant de l’article L. 145-60 du code de commerce (Douai, 7 nov. 2019, n° 18/06415). En effet, elle ne fait courir aucun délai, de sorte que l’action en réputé non écrit se distingue, comme l’énoncent les juges du fond, d’une action en nullité.
Dans la mesure où une clause d’indexation réputée non écrite est une clause qui est censée n’avoir jamais existé, « les sommes indûment versées, puisque payées en vertu d’une clause inexistante » doivent être restituées (S. Regnault, Bail commercial et clause d’indexation : suite et fin ?, Loyers et copr. 2021, n° 5, étude 4). La demande en restitution des sommes versées en exécution de l’indexation fondée sur une clause réputée non écrite est une action en répétition de l’indu (C. civ, art. 1302). Cette dernière relative aux loyers trop versés résultant de l’indexation est, quant à elle, soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, étant donné que cette action s’infère de l’action tendant à voir réputer non écrite la clause d’indexation (A. Jacquin, Gaz. Pal. 3 août 2013, n° 215 ; Aix-en-Provence, 15 mars 2013, préc. ; Paris, 7 févr. 2018, préc.). En l’espèce, les sommes concernées correspondraient aux sommes perçues indûment pour la période du 23 septembre 2011 au second trimestre 2016, soit dans la limite de la prescription quinquennale.
Après avoir évoqué que l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n’est pas soumise à prescription, la Cour de cassation entérine la décision des juges d’appel d’avoir déclaré la clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse réputée non écrite en rappelant, d’une part, pour constater l’illicéité de la clause d’indexation stipulée dans le bail, le principe jurisprudentiel exposé dans l’arrêt du 14 janvier 2016, selon lequel « le propre de la clause d’indexation est de faire varier le loyer à la hausse ou à la baisse », de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1, al. 2, du code monétaire et financier, fausse le jeu normal de l’indexation (Civ. 3e, 14 janv. 2016, préc.).
En l’espèce, les juges du fond ont relevé que la clause d’indexation excluait, dans son deuxième alinéa, toute réciprocité de la variation en prévoyant que l’indexation ne s’effectuerait que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse de l’indice. Il en résulte qu’en cas de variation à la baisse de l’indice, celui-ci ne peut s’appliquer. Pourtant, « une variation c’est autant à la hausse qu’à la baisse » (Versailles, 10 mars 2015, n° 13/08116, JCP E 2015, n° 20, 1231, obs. B. Brignon).
La Cour de cassation considère que « la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d’atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu’il résulterait de l’évolution réelle de l’indice ». Dès lors, comme le considèrent à juste titre les hauts magistrats, la clause d’indexation stipulée au bail, qui a pour effet de faire échec au mécanisme de révision légale prévu par l’article L. 145-39 du code de commerce, doit être réputée non écrite, de sorte que l’action intentée par la locataire n’est enfermée dans aucun délai de prescription.
Toutefois, l’illicéité de la clause d’indexation n’était pas réellement discutée par la bailleresse dans l’arrêt commenté. Le débat portait essentiellement sur la sanction de la clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse et ses conséquences. En effet, en soutenant dans son pourvoi que la clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse est nulle, rejetant de la sorte la sanction du réputé non écrit, et qu’en conséquence l’action engagée contre la clause se prescrit dans les cinq années à compter du jour de la conclusion du contrat, la bailleresse a voulu mettre en exergue l’ambiguïté présente dans l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 14 janvier 2016 sur la sanction applicable à une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse. En effet, les hauts magistrats s’étaient en premier lieu prononcés sur la nullité d’une telle clause : « est nulle une clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse », avant de juger, que « la cour d’appel, qui a apprécié souverainement le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation, a pu en déduire que la clause devait être, en son entier, réputée non écrite ». La clause qui écarte toute réciprocité de variation est donc contraire aux dispositions de l’article L. 112-1 et suivants du code monétaire et financier, qui prévoient expressément le réputé non écrit. Elle contrevient également à l’article L. 145-39 du code de commerce aux termes duquel la révision peut être demandée chaque fois que par le jeu de la clause d’échelle mobile, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart, du fait qu’elle ne permet pas une diminution du montant du loyer. Ainsi, en application de l’article L. 145-15 du code de commerce toute clause faisant échec au mécanisme de révision légale est réputée non écrite (Versailles, 10 mars 2015, préc.), en témoignent les nombreux arrêts susvisés rendus en la matière.
Sur l’étendue de la sanction du réputé non écrit
La cour d’appel a jugé que la clause d’indexation devait être déclarée non écrite en son entier. Pourtant, elle constate que seule la dernière phrase de l’alinéa 2 de l’article 6 du contrat de bail contrevient aux dispositions de l’article L. 112-1 du code monétaire et financier du fait qu’elle exclue toute réciprocité de la variation en stipulant que l’indexation ne s’effectuera que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse de l’indice (en cas de variation à la baisse de l’indice, celui-ci ne peut s’appliquer).
En effet, les juges du fond relèvent que l’alinéa 3 de la clause relative à la limitation de l’augmentation n’est pas prohibé. Nonobstant, les juges retiennent que cet alinéa « s’explique au vu de l’absence de réciprocité de la variation », de sorte que la clause d’indexation, telle que rédigée, forme un tout indivisible et doit être réputée non écrite intégralement. Pour les juges du fond, cet alinéa 3 semble être rattaché à la stipulation illicite et ne saurait avoir de sens en étant dissocié de la stipulation irrégulière.
L’appréciation du caractère divisible ou non de la clause, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Paris, 30 janv. 2019, n° 17/07597 ; Versailles, 10 mars 2015, préc.), n’est pas sans conséquence quant à l’étendue de la sanction du réputé non écrit. Si la clause d’indexation illicite est jugée indivisible, elle doit être réputée non écrite pour le tout ; a contrario, si elle est divisible, seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, de sorte que les autres stipulations de la clause sont maintenues et produisent leurs effets.
L’évaluation du caractère divisible ou non de la clause d’indexation conduit les juges du fond à devoir apprécier souverainement le caractère essentiel ou non de la stipulation litigieuse. En effet, c’est le caractère essentiel ou non essentiel des stipulations prohibées qui détermine l’étendue du réputé non écrit.
Or l’analyse de la cour d’appel a conduit la haute juridiction à prononcer, au visa de l’article 1217 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 (désormais art. 1320), la censure de l’arrêt d’appel qui a déclaré non écrite la clause d’indexation dans son intégralité « par des motifs impropres à caractériser l’indivisibilité ». Dès lors, la Cour de cassation rappelle à juste titre le principe jurisprudentiel aujourd’hui bien acquis selon lequel « seule la stipulation prohibée [c’est-à-dire la stipulation qui interdit la variation du loyer à la baisse] doit être réputée non écrite » (Civ. 3e, 29 nov. 2018, préc. ; 11 mars 2021, préc.).
En effet, il appartenait aux juges du fond d’établir l’indivisibilité de la clause d’indexation en appréciant souverainement le caractère essentiel de la stipulation illicite. Pour cela, il convenait à la cour d’appel de déterminer si l’exclusion de la variation à la baisse avait conditionné la soumission du loyer à l’indexation. En effet, si l’exclusion de la variation à la baisse a été déterminante dans la volonté des parties de recourir à l’indexation, la clause d’indexation, tenue pour indivisible, doit être déclarée non écrite en son entier. À l’inverse, si la stipulation irrégulière n’était pas une condition essentielle, mais une condition accessoire à la clause d’indexation, seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite (Civ. 3e, 10 sept. 2020, préc. ; 14 janv. 2016, préc.).
Ainsi, l’appréciation du caractère essentiel de la clause d’indexation impose de s’attacher à la commune intention des parties lorsqu’elles ont conclu le bail. Cette commune intention peut résulter de la rédaction du contrat de bail (Civ. 3e, 11 mars 2021, n° 20-12.345, Loyers et copr. 2021, n° 6, comm. 93, obs. E. Marcet ; Paris, 19 avr. 2017, n° 15/09296), même si récemment la cour d’appel de Poitiers a jugé qu’il convenait « de rechercher dans les conventions la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes » (Poitiers, 29 juin 2021, n° 20/00824).
Dans l’arrêt rapporté, après avoir énoncé les modalités de la clause d’indexation, les parties ont expressément indiqué dans le bail que « la clause d’indexation constitue une clause essentielle et déterminante sans laquelle le bailleur n’aurait pas contracté ». La bailleresse a donc entendu faire de l’ensemble des stipulations de cette clause un élément essentiel de sa volonté de contracter, sans qu’il soit possible de distinguer entre les différentes stipulations de la clause, de sorte que les diverses stipulations de la clause d’indexation, y compris celles illicites, forment un tout indivisible (en ce sens, v. Versailles, 30 avr. 2020, n° 18/08723). Du reste, la clause indiquait même que la non-application partielle de ladite clause pourrait conduire le bailleur à demander la résiliation du bail, ce qui permet de démontrer en outre que tous les termes de la clause revêtaient un caractère essentiel, conduisant à l’indivisibilité de ses stipulations. Pourtant, les juges d’appel n’ont pas adopté une telle motivation pour déclarer la clause d’indexation indivisible et la réputer non écrite en son entier.
Nonobstant les stipulations claires du bail, la bailleresse fait pourtant grief à l’arrêt d’appel d’avoir déclaré non écrite dans son ensemble la clause d’indexation. Elle soutient dans les moyens annexés au pourvoi que la clause est divisible, et qu’il résulte des termes de la clause que le bailleur « se réserve le droit d’accepter une application partielle de la clause », aux fins d’échapper à la restitution intégrale des sommes indûment versées.
Quoi qu’il en soit, en l’absence d’une clause d’indexation caractérisée par les juges du fond, « seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite », de sorte que les autres stipulations de la clause, licites, sont maintenues.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris.
Le régime d’autorégulation prévu par la recommandation 28 du GAFI et par la directive européenne 2015/849 permet à la profession d’avocat d’être activement engagée dans la LCB-FT tout en respectant les obligations spécifiques inhérentes à son statut, participant des exigences de l’État de droit.
Les risques d’exposition des avocats ont été identifiés dans le cadre de l’Analyse sectorielle des risques publiée par la profession en décembre 2019.
Certaines particularités doivent être prises en compte pour appréhender la situation de la profession d’avocat en France.
En effet, les avocats français ne peuvent pas exercer certaines activités assurées par leurs confrères étrangers, telles que les ventes de biens immobiliers réservées en France au monopole des notaires.
Les avocats français n’exercent pas non plus d’activités financières en tant que telles, et ils ne peuvent manier des fonds pour le compte de leurs clients que de manière accessoire à une opération juridique ou judiciaire à laquelle ils concourent.
Ils ne peuvent de surcroît le faire, sous peine de sanctions pénales et disciplinaires, que par l’intermédiaire du dispositif des caisses de règlements pécuniaires des avocats (CARPA) prévues par la loi du 31 décembre 1971.
Ce point constitue un élément essentiel du dispositif de LCB-FT du barreau français.
Si les maniements de fonds appartenant aux clients sont identifiés par le GAFI comme étant porteurs de risques, l’intervention obligatoire de la CARPA qui opère ses contrôles sous la responsabilité de l’autorité ordinale permet de vérifier leur conformité.
Tandis que le secret professionnel auquel l’avocat est strictement tenu interdit à celui-ci de fournir notamment à une banque les éléments contenus dans son dossier, il ne peut en revanche être opposé à la caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA).
À l’issue d’une présentation faite au forum des superviseurs organisé par le GAFI les 11 et 12 novembre 2019, à Sanya, en Chine, la Direction générale du Trésor (DGT) a ainsi elle-même salué les avantages du mécanisme des CARPA « qui permettent d’assurer un suivi des flux financiers et de s’assurer ainsi de la bonne application des vigilances LCB-FT (origine des fonds, identification du bénéficiaire effectif, application des mesures de gels des avoirs) auxquelles sont assujetties les professions du chiffre et du droit en France, dans le plein respect des impératifs liés au secret professionnel, inhérent à l’exercice de la profession d’avocat ».
L’autorégulation joue ici pleinement son rôle sur la base du secret professionnel partagé entre l’avocat et son bâtonnier, principe consacré par la CEDH dans son arrêt Michaud contre France du 6 décembre 2012, en matière de déclaration de soupçon.
La CARPA est elle-même désormais assujettie aux dispositions du code monétaire et financier en matière de LCB-FT et de gel des avoirs. Cet assujettissement intervenu en 2020 est le fruit d’une coopération de plusieurs années entre la profession, Tracfin, et la DGT, alors que les dispositions des directives européennes ne l’imposaient en aucun cas. Il illustre la montée en puissance de l’engagement de la profession d’avocat dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Depuis 2011, les instances dirigeantes de la profession ont multiplié les actions de formation afin d’assurer une bonne compréhension par les avocats des risques et des enjeux en matière de LCB-FT, et de leurs obligations de vigilance et de déclaration.
Le Conseil national des barreaux met à la disposition des cabinets des outils de cartographie et de classification des risques.
Des contrôles ordinaux sont diligentés auprès des cabinets en application de la méthode d’approche par les risques et de manière avant tout pédagogique afin d’emporter l’adhésion des avocats à ce combat commun et citoyen contre le fléau du blanchiment qui détruit nos sociétés.
Pour conclure sur un sujet souvent mal compris, il y a peu de déclarations de soupçons effectuées par les avocats français, même si la progression est de 400 % entre 2016 et 2020 ! Cela s’explique en réalité par les particularismes rappelés ci-dessus et par le caractère dissuasif pour les criminels du dispositif de la CARPA et de la déontologie de la profession extrêmement exigeante en matière de devoir de prudence. Pour ces raisons, le nombre de déclarations de soupçon ne saurait constituer l’unité de mesure de l’implication des avocats dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, alors qu’elle s’est employée au contraire très activement ces dernières années à y prendre toute sa part, tout en respectant les obligations fondamentales qui sont consubstantiellement les siennes.
Parmi la cinquantaine de recommandations présentes dans le rapport d’information sur l’évaluation de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, sept points attirent particulièrement notre attention.
La nécessité de modifier le statut de l’Agence française anticorruption
L’Agence française anticorruption (AFA), mise en place par la loi Sapin II pour remplacer le Service central de prévention de la corruption (SCPC), a été rapidement opérationnelle. Néanmoins, son statut hybride pose un certain nombre de difficultés dans l’accomplissement de ses différentes missions. En effet, l’AFA est à la fois un service de l’État, placé sous double tutelle, à compétence nationale, et une agence semi-indépendante dirigée par un magistrat judiciaire.
Le rapport précise ainsi que « le statut hybride de l’Agence française anticorruption, souhaité par le législateur en 2016, l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique » (R. Gauvain et O. Marleix, Projet de rapport d’information, Mission d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II », p. 84)
Afin de remédier à ces insuffisances, les députés proposent de clarifier la répartition des différentes missions en identifiant :
• d’une part, des missions de coordination administrative menées par le gouvernement ;
• d’autre part, des missions d’appui et de contrôle gérées par une autorité administrative indépendante (ibid.).
En d’autres termes, cela se traduit par un transfert à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) des fonctions de conseil et de contrôle jusqu’alors remplies par l’AFA (ibid.). L’objectif est de « créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption » (p. 88).
Le défaut de dispositifs spécifiques visant les acteurs publics
Les rapporteurs constatent que les acteurs publics ne sont pas assez sensibilisés aux risques d’atteintes à la probité. En effet, la loi Sapin 2 a construit « un référentiel insuffisamment adapté au secteur public, ne tenant pas compte des différences de nature et de taille entre collectivités, a nui à la diffusion des mesures de prévention et de détection dans la sphère publique » (p. 91). Face au défaut d’ancrage de la culture anticorruption auprès des différents acteurs publics, le rapport préconise la mise en place d’un dispositif prenant en compte leurs...
Le principe indemnitaire revient sur le devant de la scène contentieuse, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation arrêtant son projecteur, dans une décision du 8 juillet 2021 (pourvoi n° 20-10.575), sur le moment auquel doit être évaluée la chose assurée objet d’un sinistre.
Les assurances de dommages – ainsi que certaines garanties en assurances maladie et accident corporel – servent des prestations indemnitaires et sont soumises à ce qu’il est convenu d’appeler le principe indemnitaire. Celui-ci a « une double facette. Positivement, la prestation de l’assureur doit réparer l’intégralité du sinistre. Il s’agit de replacer l’assuré dans la situation matérielle et financière qui aurait été la sienne sans le sinistre, sous réserve des limites de garantie (franchises, plafonds, etc.). Par exemple, en assurance de responsabilité, l’indemnité due par l’assureur est égale à la dette de réparation qui incombe à l’assuré responsable, tandis qu’en assurance de choses, l’indemnité est fonction de la chose assurée. Négativement, l’indemnité ne doit réparer que le sinistre, et pas davantage, ce en quoi le principe indemnitaire joue le rôle d’un plafond. Comme l’indique l’article L. 121-1 du code des assurances, le contrat d’assurance ne doit pas être une source de gains pour l’assuré. Il s’agit de dissuader la spéculation et d’éviter que l’opération d’assurance ne soit faussée » (M. Robineau, « Le régime général des assurances de dommages », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 220).
Ainsi, la « prestation indemnitaire tend à réparer le sinistre tel qu’il a été effectivement subi par l’assuré. Le sinistre sert donc de base au calcul. L’indemnité est ainsi déterminée selon les règles du droit commun, c’est-à-dire selon celles du droit de la responsabilité civile (rappr., Cass., ass.plén., 19 déc. 2003, n° 01-10.670). Le dommage subi sera par exemple chiffré grâce à une expertise ou sur présentation d’une facture » (M. Robineau, art. préc.). Dans tous les cas, la police doit indiquer « la procédure et les principes relatifs à l’estimation des dommages en vue de la détermination du montant de l’indemnité » (C. assur., art. R. 112-1).
Cependant, du fait de la fluctuation de valeur de certains biens, la date retenue pour procéder à leur évaluation est primordiale : certains assureurs n’hésiteraient pas à sacrifier des victimes (et/ou assurés) sur l’autel du profit, en...
En l’espèce, par un jugement d’un conseil de prud’hommes du 16 janvier 2015, une société a été condamnée à payer à une ancienne salariée licenciée des dommages-intérêts. Durant l’instance d’appel, une procédure de sauvegarde a été ouverte au profit de la société et le mandataire judiciaire est intervenu à l’instance. Par un arrêt du 21 janvier 2016, la cour d’appel a condamné la société à payer certaines sommes à son ancienne salariée. Celle-ci, pendant l’exécution du plan arrêté le 6 avril 2016, a fait délivrer un itératif commandement de payer aux fins de saisie-vente, en exécution de la condamnation. La société débitrice a demandé la mainlevée des mesures d’exécution et l’ancienne salariée a assigné le commissaire à l’exécution du plan en exécution forcée.
La société débitrice est déboutée de sa demande en appel et forme un pourvoi en cassation.
Pour la société demanderesse, le juge de l’exécution doit appliquer lui-même, le cas échéant, les règles de la procédure collective interdisant les mesures d’exécution. Or, en disant qu’une condamnation prononcée contre un débiteur sous procédure collective pouvait faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée, sans même rechercher si la condamnation portait sur une créance postérieure éligible au traitement préférentiel, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-21, L. 622-22 et R. 622-20 du code de commerce.
La haute juridiction souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt d’appel.
Au visa des articles L. 622-21, L. 622-24 et L. 625-1 du code de commerce, la Cour de cassation énonce que, si les créances salariales ne doivent pas être déclarées au passif de la procédure collective, elles sont...
Cet arrêt de cassation est à la fois important et inédit. C’est, en effet, la première fois que la haute juridiction statue sur le droit du banquier de clôturer un compte de dépôt dans le cadre du dispositif du droit au compte.
Le contexte mérite d’être explicité. À l’origine et dans le silence de la loi, tout comme en matière de crédit (Cass., ass. plén., 9 oct. 2006, n° 06-11.056, Bull. ass. plén., n° 11 ; D. 2006. 2933 , note D. Houtcieff ; ibid. 2525, obs. X. Delpech ; ibid. 2007. 753, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 408, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2007. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 145, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 148, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2007. 207, obs. D. Legeais ) le droit de résiliation unilatérale, par le banquier, du compte bancaire revêtait un caractère discrétionnaire, dans la limite, toutefois, du principe de non-discrimination (Com. 26 janv. 2010, n° 09-65.086, D. 2010. 379 ; ibid. 2178, chron. D. Mazeaud ; RTD com. 2010. 762, obs. D. Legeais ). Cette solution était difficile à admettre pour de nombreux clients, notamment ceux dont la situation économique est la plus fragile, et aboutissait assez largement à vider de sa substance, le « droit au compte » institué par une loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. La liberté d’ouvrir un compte constitue même, comme cela a été joliment écrit, un « droit élémentaire de l’individu » (D.R. Martin, L’indépendance bancaire des époux, D. 1989. Chron. 135). Or que reste-t-il de ce « droit au compte » si une banque, parfois contrainte d’ouvrir un compte à la demande de la Banque de France, conserve l’entière liberté de clôturer celui-ci à tout moment ?
D’où une nouvelle intervention du « législateur » via l’ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (art. 2), prise sur l’habilitation de la loi Sapin II du 9 décembre 2016. Cette ordonnance, qui a transposé en droit français la directive 2014/92/UE du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (PAD), a renversé le principe du droit à la résiliation unilatérale du compte par la banque : le nouveau IV de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier prévoit que « l’établissement de crédit ne peut résilier unilatéralement la convention de compte de dépôt assorti des services bancaires de base » que, si cette résiliation repose sur l’un des six motifs institués par l’ordonnance. Le texte ajoute que, sur le plan formel, « toute décision de résiliation à l’initiative de l’établissement de crédit fait l’objet d’une notification écrite motivée et adressée gratuitement au client. La décision de résiliation ne fait pas l’objet d’une motivation lorsque la notification est de nature à contrevenir aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public ».
La Cour de cassation est, dans cet arrêt du 1er juillet 2021, amenée à prendre position sur l’interprétation à retenir du premier motif visé par ce texte : « Le client a délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales. » C’est clairement le blanchiment d’argent qui est visé. Relevons que ce premier motif, tout comme le deuxième (« Le client a fourni des informations inexactes »), dispense même la banque qui résilie le compte d’accorder à son client un quelconque préavis. Dans les quatre autres, considérés comme moins graves (par ex. 5° : « Le client a fait preuve d’incivilités répétées envers le personnel de l’établissement de crédit » !), en revanche, la banque est tenue de respecter un délai de préavis de deux mois, cela afin de permettre au client de trouver un nouveau banquier.
Les faits de l’espèce méritent d’être rappelés. Il est question d’une société française qui a transmis le relevé d’identité bancaire (RIB) de son compte tenu par une banque française à un partenaire commercial iranien. Or l’on sait que l’Iran a été frappé par diverses mesures d’embargo décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou, de manière unilatérale, par les États-Unis, en vertu de lois extraterritoriales, auxquelles les entreprises – et en particulier – françaises sont tenues de se plier, sous peine de lourdes sanctions (S. Poullennec et I. Couet, Sanctions contre l’Iran : le cauchemar des entreprises françaises, 2 nov. 2018, Les Échos). Il s’avère que la société française cliente de la banque avait communiqué son RIB à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l’intermédiaire d’une société chinoise, dont elle s’était refusée à préciser le rôle dans l’opération. Ce virement au bénéfice de la société française avait pour objet le paiement de tubes, dits « à dispositif d’osmose inverse », qu’elle avait livrés dans le cadre d’un projet « Bushehr », du nom d’une ville du golfe persique également donné à la centrale nucléaire située dans les environs de celle-ci. Pour la banque, la société française avait de la sorte délibérément utilisé son compte pour une opération qu’elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, Dès lors, selon la banque, sa décision de clôturer unilatéralement le compte de sa cliente était régulière au regard de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier.
Ce point de vue n’est pourtant pas partagé par la cour d’appel de Grenoble, qui retient que le virement annoncé par la société cliente le 21 décembre 2017, qui constitue l’opération « atypique » invoquée par la banque, n’est parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu’il ne peut être soutenu qu’à la date de cette décision, la société cliente avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.
La banque se pourvoit en cassation ; elle invoque, devant la haute juridiction, l’argument suivant : la société, sa cliente, a communiqué son RIB à des intermédiaires chinois composant le « circuit financier mis en place pour contourner les sanctions financières décidées par la Communauté internationale ». En effet, les règles d’embargo internationales visant l’Iran interdisent qu’un client iranien, surtout s’il est lié à la construction d’une centrale nucléaire, puisse rémunérer un fournisseur français ; d’où l’idée de passer par un intermédiaire chinois pour opérer le règlement.
L’argument paraît emporter la conviction de la Cour de cassation, puisqu’elle casse l’arrêt d’appel, cela au visa de l’article L. 312-1, IV, 1°, du code monétaire et financier. Elle apporte même la précision suivante, qui est potentiellement d’une portée considérable : « Constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte ».
Cela étant, il ne s’agit que d’une cassation pour défaut de base légale. La Cour de cassation considère que les motifs retenus par la cour d’appel ne suffisent pas, compte tenu des circonstances invoquées par la banque, à exclure que le compte bancaire ait été utilisé par la société française pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales. La cour d’appel, pour juger infondée la résiliation du compte de sa cliente sans préavis, aurait dû rechercher si, au jour où elle a procédé à cette résiliation, la banque savait que sa cliente avait communiqué son RIB à son cocontractant iranien, ce qu’elle n’a visiblement pas fait.
En guise de conclusion, on peut se demander si la banque n’a pas néanmoins fait preuve d’une certaine légèreté. Il est peu douteux que, lorsque la société cliente lui a annoncé un virement en sa faveur, le 21 décembre 2017, cette dernière lui ait communiqué l’identité – et donc la nationalité (iranienne) – de son cocontractant, en même temps débiteur. N’aurait-elle pas dû, dès ce jour, demander à sa cliente si elle avait d’ores et déjà communiqué à son débiteur son RIB, en dépit de son devoir de non-ingérence ?
L’article L. 812-1 du code de commerce prévoit notamment que les tâches que comporte l’exécution du mandat des mandataires judiciaires leur incombent personnellement. Toutefois, ils peuvent confier tout ou partie de ces tâches à des tiers et sous leur responsabilité, lorsque le bon déroulement de la procédure le requiert et sur autorisation motivée du président du tribunal.
L’arrêt ici rapporté concerne l’application de cette disposition à l’avocat d’un liquidateur judiciaire. Plus précisément, il conduit à s’interroger sur la distinction entre ce qui relève du mandat ad litem de tout avocat et des tâches confiées à ce dernier en vertu de l’article précité. L’enjeu est important, car de cette dichotomie peut naître la responsabilité personnelle du liquidateur.
En l’espèce, le liquidateur judiciaire de plusieurs sociétés débitrices a confié des missions à un avocat qui, à l’occasion de celles-ci, s’est rendu coupable de détournements de fonds revenant aux différentes procédures collectives. Or, par un arrêt d’appel devenu irrévocable du 11 mars 2015, l’assureur de l’avocat a été condamné à verser diverses sommes au liquidateur au titre des détournements commis par son assuré au préjudice des liquidations judiciaires. L’assureur a alors engagé une action subrogatoire en responsabilité contre le liquidateur à titre personnel. Ayant été débouté en appel, il forme un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation avait à répondre à la question suivante : un liquidateur qui a confié à un avocat des missions au cours desquelles ce dernier a détourné des fonds commet-il une faute susceptible d’engager sa responsabilité personnelle ?
Le dossier soumis à la haute juridiction est dense et, si la question sous-jacente demeure celle de la responsabilité du mandataire, celle-ci se...
La Cour de cassation a l’occasion de statuer sur un contentieux assez abondant autour de la notion des contrats conclus hors établissement, notion qui a été préférée au démarchage depuis la loi du 17 mars 2014 transposant la directive européenne 2011/83/UE du 25 octobre 2011 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 621, n° 577). C’est dans ce contexte qu’a été posée une question prioritaire de constitutionnalité autour de l’article L. 221-3 du code de la consommation. Cet article prévoit que les règles relatives aux contrats conclus à distance et hors établissement sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entrent pas dans le champ de l’activité du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés ne dépasse pas cinq. Dans son ouvrage, M. Pellier indique au sujet de cette disposition qu’elle est « l’une des illustrations de l’idée selon laquelle la protection prévue par le code de la consommation ne s’adresse pas exclusivement aux consommateurs, ce qui contribue à troubler un peu plus encore le domaine du droit de la consommation » (J-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 177, n° 133). La disposition concernée suit une logique, en effet, particulière puisqu’elle vient inclure des opérations qui ne devraient pas relever du code de la consommation. Le point posant difficulté réside dans la détermination de la sphère de l’activité principale du professionnel, nécessairement sujette à interprétation. C’est précisément sur ce point que la question prioritaire de constitutionnalité a tenté de jouer.
Les faits ayant donné lieu à cette question sont très classiques. Une ergothérapeute conclut hors établissement deux contrats de licence d’exploitation et de location financière d’un site internet pour une durée de quarante-huit mois. L’ergothérapeute ne peut pas utiliser son droit de rétractation, les sociétés lui refusant. Par acte introductif d’instance du 9 juin 2020, ce dernier assigne ses deux cocontractants en nullité des contrats devant le tribunal judiciaire de Lille. Au cours de la procédure, l’une des deux sociétés décide de poser une question prioritaire de constitutionnalité qui sera transmise à la Cour de cassation par le tribunal judiciaire.
Voici le sujet de la question pour...
Cet arrêt de cassation constitue une intéressante mise à l’épreuve pour les règles du droit bancaire et plus exactement pour celles applicables aux instruments de paiement. Il est amené à répondre à la question suivante : le client bénéficie-t-il de la protection que lui offre le droit bancaire lorsqu’il bénéficie d’un service bancaire qui lui est fourni par un acteur non bancaire, lorsque cela est exceptionnellement autorisé par la loi ? C’est non !
Les faits de l’espèce méritent d’être exposés. Par des contrats des 10 janvier et 6 février 1996, la société UTA a mis à la disposition de la société Transport Couteaux, qui exploite une flotte d’autocars, diverses cartes lui permettant de procéder à des paiements de fourniture de carburant, de péages autoroutiers et d’autres prestations de services, auprès de stations-service et d’instances partenaires, ces achats et prestations de services étant préfinancés puis facturés bimensuellement par la société UTA. Ce type de carte, qui permet à son utilisateur de ne pas avoir à avancer sur ses derniers personnels les dépenses liées à l’exploitation du véhicule, est couramment désigné sous le terme de « carte carburant », même si son domaine d’utilisation s’est progressivement élargi (paiement du péage, par exemple).
Malheureusement, dans la nuit du 29 au 30 septembre 2012, plusieurs autocars de la société Transports Couteaux, stationnés sur le parking de son dépôt, ont été visités et des cartes UTA ont été dérobées. On ne s’en étonnera pas, les voleurs ont fait usage de ces cartes. On ne s’en étonnera pas davantage, la société Transport Couteaux a refusé de s’acquitter du montant des opérations réalisées, postérieurement au vol, au moyen de ces cartes. La société UTA l’a alors assignée en paiement pour la somme de 21 029,91 €.
La cour d’appel de Colmar rejette la demande de cette dernière. Elle a manifestement application de l’article L. 133-19, I du code monétaire et financier, qui prévoit qu’« en cas d’opération de paiement non autorisée consécutive à la perte ou au vol de l’instrument de paiement, le payeur supporte, avant l’information prévue à l’article L. 133-17, les pertes liées à l’utilisation de cet instrument », dans la limite d’un plafond fixé à l’époque à 150 € (ce plafond a été porté à 50 € par l’ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, avec effet au 13 janvier 2018). La solution paraît imparable, encore faut-il que l’on se trouve dans le champ d’application de ce texte.
La difficulté réside dans le fait que les cartes dérobées ne sont pas des « cartes bancaires » classiques, c’est-à-dire des moyens de paiement « universels » permettant le paiement de tout type de bien ou de prestation de services, et ce auprès de tout fournisseur, mais, comme on l’a vu, des cartes d’un usage limité, à la fois quant aux opérations et quant aux prestataires qui les acceptent en paiement. Plus exactement, ce sont des services de paiement, mais, en vertu de l’article L. 521-3 du code monétaire et financier et par exception à l’article L. 521-2 du même code, une entreprise peut valablement les fournir sans qu’il lui soit nécessaire d’appartenir à la catégorie des prestataires de services de paiement visée par l’article L. 521-1 (laquelle comprend, entre autres, les établissements de crédit et les établissements de paiement). Précisément, la société UTA n’appartient nullement à cette catégorie ; c’est une société commerciale ordinaire, à l’instar, par exemple, d’une entreprise pratiquant la location financière, qui est une activité se situant en dehors du champ du monopole bancaire.
L’article L. 521-3, I, du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, décrit le champ de l’exception à l’article L. 521-2 : « une entreprise peut fournir des services de paiement fondés sur des moyens de paiement qui ne sont acceptés, pour l’acquisition de biens ou de services, que : 1° Dans les locaux de cette entreprise ou, dans le cadre d’un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement ; ou 2° Pour un éventail limité de biens ou de services ». Cela correspond, par exemple, à la commercialisation de chèques cadeaux, même utilisables dans plusieurs enseignes, comme cela avait été jugé il y a exactement vingt ans à propos de chèques cadeaux dans la fameuse affaire « Tir groupé » (Com. 6 juin 2001, n° 99-18.296, D. 2001. 2124 , obs. X. Delpech ; ibid. 2002. 635, obs. D. R. Martin ; RTD com. 2001. 741, obs. M. Cabrillac ). Nous sommes précisément ici dans le champ de ce texte : la société UTA fournit un service de paiement – en particulier une carte de paiement, ainsi que le processus qui permet son utilisation – qui peut être utilisé pour le règlement d’un éventail limité de biens ou de services (essence, péage, etc. ; sur les notions de notions de « réseau limité d’accepteurs » et d’« éventail limité de biens et services », v. Position 2017 P-01 de l’ACPR, 25 oct. 2017). Et à la vérité, cela n’était contesté par quiconque.
Ce qui était sujet à controverse, en revanche, est la portée de cette exception à l’interdiction de l’article L. 521-2 du code monétaire et financier. Là-dessus, la Cour de cassation est très claire. Sa réponse mérite d’être intégralement reproduite : « Si, selon [l’article L. 521-3, I, du code monétaire et financier], par exception au monopole des prestataires de services de paiement, une entreprise peut fournir des services de paiement fondés sur des moyens de paiement qui ne sont acceptés, pour l’acquisition de biens ou de services, que dans les locaux de cette entreprise ou, dans le cadre d’un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement, ou pour un éventail limité de biens ou de services, cette entreprise n’appartient pas pour autant à la catégorie des prestataires de services de paiement, de sorte que, par application [de l’article L. 133-1], les dispositions [de l’article L. 133-19] ne lui sont pas applicables ».
Les règles de responsabilité du « payeur » prévues en cas d’utilisation de paiement d’un instrument de paiement doté d’un dispositif de sécurité personnalisé – ce qu’est une carte bancaire – de l’article L. 133-19 du code monétaire et financier sont donc écartées lorsque le service de paiement fourni ne se situe pas dans le champ du monopole de l’article L. 521-2.
De prime abord, la solution peut surprendre. Elle aboutit à traiter différemment l’utilisateur du service de paiement selon que l’opérateur qui le fournit exerce son activité dans le cadre du monopole – ce qui est le cas du prestataire de services de paiement – de l’article L. 521-2 ou non. Que justifie cette différence de régime et donc de protection de l’utilisateur ? En réalité, cela tient à la loi elle-même. L’article L. 133-1 du code monétaire et financier est dès lors très clair là-dessus : « les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux services de paiement fournis par les prestataires de services de paiement ». Dès lors, l’article L. 133-19 (entre autres) ne s’applique pas lorsque le service de paiement est, par exception, fourni par une entreprise n’appartenant pas à cette catégorie.
Comment, dès lors, régler les conséquences, sur le plan de la responsabilité, des paiements effectués par les cartes dérobées ? Tout simplement par la voie contractuelle. C’est le contrat qui unit le fournisseur de la carte et l’entreprise utilisatrice qui règle la question. On imagine aisément que, contrairement à ce que prévoit l’article L. 133-19 du code monétaire et financier, le contrat fasse peser les conséquences financières du vol de la carte sur le seul utilisateur. Néanmoins, ce contrat étant a priori d’adhésion, il n’est pas totalement impossible, même si c’est peu probable, qu’une clause prévoyant une telle solution soit invalidée sur le fondement du déséquilibre significatif, c’est-à-dire de l’article 1171 du code civil (ou de l’article L. 212-1 si l’utilisateur est un consommateur ou un non-professionnel). La solution peut paraître sévère pour l’utilisateur. Elle peut se régler par la souscription d’une assurance spécifique ou, plus simplement par la souscription d’une carte de paiement délivrée par un… prestataire de services de paiement, même si, dans un cas comme dans l’autre, c’est sans doute un peu plus onéreux.
Le droit de la consommation déroge au droit commun de la prescription en prévoyant que l’action des professionnels envers les consommateurs pour les biens ou services qu’ils fournissent se prescrit par deux ans sur le fondement de l’article L. 218-2 du code de la consommation issu de la loi du 17 juin 2008 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 10ème éd., 2020, p. 681, n°639). Voici une forte asymétrie caractéristique du droit de la consommation puisque le consommateur dispose du délai de droit commun de l’article 2224 du code civil pour agir contre le professionnel, soit cinq ans (J-D. Pellier, Droit de la consommation, Paris, Dalloz, coll. « Cours », mars 2021, 3ème éd. p. 164, n°124). Mais ce raccourcissement du délai ne joue pas pour des personnes qui agiraient dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et ce eu égard à l’article liminaire du code de la consommation. C’est précisément ce que vient rappeler la Cour de cassation dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 30 juin 2021. Les faits trouvent comme support des honoraires d’architecte datant du 14 avril 2011 et du 28 septembre de la même année, dans le cadre d’un projet de construction immobilière. Sur une somme totale de 139.214 euros, seuls 11.786,58 euros ont été payés. Les relances successives de l’architecte envers son client sont ensuite, en effet, restées vaines. Le 12 novembre 2015, l’architecte assigne donc...
On connaît la célèbre affaire des prêts libellés en francs suisses (Helvet immo), à propos de laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie et a rendu une solution favorable aux consommateurs (v. CJUE 10 juin 2021, aff. C-609/19, Dalloz actualité, 25 juin 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 1181 ; JCP 2021. 689, obs. D. Berlin ; LEDC juill. 2021, n° 200f2, p. 1, obs. G. Cattalano : « L’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses »). Dans un arrêt du même jour (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, D. 2021. 1181 ; JCP 2021. 689, obs. D. Berlin ; LEDC juill. 2021, n° 200f2, p. 1, obs. G. Cattalano), la Cour de Luxembourg, tout en adoptant la même solution, nous livre également d’utiles précisions en ce qui concerne la prescription. Il lui était demandé de se prononcer sur le point de savoir si la directive 93/13, lue à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur ou aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de cette directive, à un délai de prescription de cinq ans qui commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt. À cette double question, les juges européens apportent une réponse très favorable aux consommateurs : « L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur :
– aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ;
– aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive. »
L’intérêt de cette solution est double : en premier lieu, elle permet de prendre conscience que l’action en constatation du caractère abusif d’une clause n’obéit à aucun délai de prescription (v. déjà CJUE 9 juill. 2020, aff. C-698/18 et C-699/18, Dalloz actualité, 3 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1456 ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 449, obs. V. Legrand ). À cet égard, le droit français est fondamentalement conforme à la jurisprudence européenne, la première chambre civile de la Cour de cassation ayant jugé que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’était pas soumise à la prescription quinquennale » (Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; v. égal. Com. 8 avr. 2021, n° 19-17.997, pt 27 : « La demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s’analyse pas en une demande d’annulation, n’est pas soumise à la prescription. » ; comp. Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347, ayant considéré qu’une cour d’appel avait retenu à bon droit qu’une clause abusive « devait être déclarée nulle et de nul effet », Dalloz actualité, 14 févr. 2016, obs. F. Garcia ; D. 2016. 639 , note C.-M. Péglion-Zika ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 623 , obs. F. Cohet ; RDI 2016. 290, obs. B. Boubli ; AJCA 2016. 200, obs. S. Carval ). Se trouve ainsi reconnue la spécificité du réputé non écrit, conformément aux vœux d’une éminente doctrine (S. Gaudemet, La clause réputée non écrite, préf. Y. Lequette, Economica, 2006 ; J. Kullmann, Remarques sur les clauses réputées non écrites, D. 1993. 59 ; comp. H. Barbier, L’action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, RTD civ. 2019. 334 ). On observera toutefois qu’il serait préférable de raisonner en termes de nullité, car le réputé non écrit présuppose qu’une action en justice n’est pas une nécessité (même si la considération est quelque peu théorique). Or il est délicat de se passer d’une appréciation judiciaire en matière de clauses abusives, du moins pour les clauses ne figurant pas sur la liste noire prévue par l’article R. 212-1 du code de la consommation (v. à ce sujet C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, 2018, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 339 s.). C’est donc seulement en présence d’une telle clause qu’il est possible d’évincer l’appréciation du juge (v., en ce sens, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, n° 112). Une action en nullité devrait donc être nécessaire (celle-ci est d’ailleurs incontournable dans le cadre d’une action collective, v. C. consom., art. L. 621-8). Mais il conviendrait de la déclarer imprescriptible en matière de clauses abusives afin de se conformer au droit de l’Union européenne (comme c’est le cas, par exemple, le droit roumain, v. CJUE 9 juill. 2020, aff. C-698/18 et C-699/18, Dalloz actualité, 3 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1456 ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 449, obs. V. Legrand ).
En second lieu, si la demande tendant à la constatation du caractère abusif d’une clause n’est pas soumise à une quelconque prescription, il n’en va pas de même de l’action en restitution des sommes versées en exécution d’une telle clause. Mais il est alors nécessaire de consacrer un point de départ suffisamment protecteur des intérêts du consommateur, ce qui suppose qu’il ne soit pas fixé à la date de l’acceptation de l’offre de prêt (v. déjà CJUE 9 juill. 2020, aff. C-698/18 et C-699/18, D. 2020. 1456 ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 449, obs. V. Legrand ). À cet égard, le droit français pourrait ne pas être en accord avec cette solution dans la mesure où l’article 2224 du Code civil prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Il ne faudrait pas qu’un juge considère que le consommateur aurait dû connaître le caractère abusif de la clause dès la conclusion du contrat…
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 22 juin dernier, un arrêt attendu dans les affaires jointes C-682/18 et C-683/18. La CJUE avait été saisie par la Cour fédérale de justice allemande qui demandait son avis dans le cadre deux affaires, opposant respectivement un producteur de musique à la plateforme Youtube et l’éditeur scientifique Elsevier à la société Cyando et sa plateforme d’hébergement Uploaded.
Dans ces deux affaires, les titulaires de droits d’auteur (le producteur et l’éditeur) souhaitaient mettre en cause la responsabilité de Youtube et d’Uploaded suite au partage illégal de certaines de leurs œuvres sur ces plateformes en ligne. La CJUE devait donc décider si les exploitants de plateformes en ligne telles que Youtube et Uploaded, sur lesquelles des contenus contrefaisants peuvent être partagés par les utilisateurs, sont responsables de la communication au public de ces contenus.
La communication au public retenue seulement en cas d’intervention délibérée
Dans un premier temps, la Cour devait déterminer si les plateformes en ligne avaient effectué un acte de communication au public au sens de l’article 3 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001.
La CJUE rappelle d’abord que, pour pouvoir considérer qu’un exploitant de plateforme effectue un acte de communication au public, il faut qu’il joue un rôle incontournable dans la mise à disposition des contenus illicites (v. CJUE 14 juin 2017, Stichting Brein, aff. C-610/15, D. 2017. 1248 ; ibid. 2390, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; JAC 2017, n° 50, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2017. 900, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2017. 864, obs. E. Treppoz ; RIDA juill. 2017. 126, obs. P. Sirinelli et A. Bensamoun ; CCE 2017, n° 70, note C. Caron ; Propr. intell. 2017, n° 65, p. 62, obs. C. Bernault ; LEPI 9/2017, p. 2, obs. A. Lucas ; JCP E 2018, n° 1406, obs. Zollinger). En l’occurrence, ce critère est bien rempli par les plateformes en cause puisqu’en leur absence, « le libre partage sur Internet de ces contenus s’avérerait impossible ou, à tout le moins, plus complexe » (§ 77).
Cependant, le seul critère du rôle incontournable de la plateforme ne suffit pas à établir l’existence d’un acte de communication. Il faut également que l’intervention de l’exploitant de plateforme revête un caractère délibéré. Ce caractère délibéré peut se déduire de différents éléments de faits énumérés par la Cour : le fait de s’abstenir de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées pour contrer les violations au droit d’auteur, le fait de participer à la sélection de contenus illicites communiqués au public, le fait de fournir des outils spécifiquement destinés au partage de tels contenus ou d’inciter les utilisateurs à communiquer illégalement des œuvres protégées.
La Cour précise également que le seul fait, pour l’exploitant, de savoir que sa plateforme peut être utilisée pour partager des contenus illicites n’est pas suffisant à établir une intervention délibérée. En revanche, il en irait autrement si l’exploitant de plateforme, prévenu d’une violation au droit d’auteur par un titulaire de droit, s’abstenait de prendre promptement les mesures nécessaires à rendre le contenu illicite inaccessible.
Enfin, la Cour note que le caractère délibéré de l’intervention ne peut se déduire du but lucratif de la plateforme. Elle refuse donc explicitement de considérer que sa précédente décision « GS Media » (CJUE, 8 sept. 2016, aff. C-160/15, D. 2016. 1905 , note F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2141, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2017. 697, édito. M. Vivant ; Dalloz IP/IT 2016. 543, obs. P. Sirinelli ; JAC 2016, n° 39, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; RTD eur. 2017. 864, obs. E. Treppoz ; RIDA janv. 2017, p. 413, obs. P. Sirinelli, A. Bensamoun et J.-A. Benazeraf ; CCE 2016, n° 78, obs. C. Caron ; ibid. 2017. Étude 4, note S. Dormont ; RLDI déc. 2016. 8, note G. Busseuil ; LEPI 11/2016, p. 1, note C. Bernault) – dans laquelle elle avait précisé que le placement de liens hypertextes qui donnent accès à des contenus illicites est un acte de communication lorsqu’il est effectué dans un but lucratif – puisse donner lieu à une présomption générale.
La CJUE laisse le soin à la juridiction nationale de déterminer, au vu des éléments de chaque espèce, si les interventions de Youtube et de Cyando peuvent être considérées comme délibérées et si, en conséquence, ces sociétés ont effectué un acte de communication au public.
Une exonération de responsabilité à des conditions restrictives
Dans un second temps, la CJUE s’intéressait à la question de savoir si l’exploitant d’une plateforme en ligne bénéficie de l’exonération de responsabilité mise en place par l’article 14 la directive 200/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique.
La Cour considère, en ligne avec sa jurisprudence antérieure (v. not., CJUE 23 mars 2010, Google France et Google, aff. C-236/08 à C-238/08, D. 2010. 885, obs. C. Manara ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2011. 908, obs. S. Durrande ; Légipresse 2010. 158, comm. C. Maréchal ; RTD eur. 2010. 939, chron. E. Treppoz ; CCE 2010. Étude 12, par Bonet ; ibid. n° 70, note Caron ; Propr. ind. 2010. Comm. n° 38, note A. Folliard-Monguiral ; 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal (Sté) c/ eBay International (Sté), D. 2011. 1965, obs. C. Manara ; ibid. 2054, point de vue P.-Y. Gautier ; ibid. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2011. 463 et les obs. ; ibid. 465 et les obs. ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz ; Gaz. Pal. 26/27 oct. 2011, p. 19, note L. Marino; CCE 2011, n° 99, note C. Caron) que cette exonération ne peut être applicable qu’aux prestataires intermédiaires, qui jouent un rôle purement technique, automatique et passif dans la transmission de l’information. Cela exclut toute connaissance ou contrôle de l’information stockée ou transmise. Ainsi, si jamais la juridiction de renvoi constatait que les exploitants des plateformes en cause effectuaient un acte de communication au sens de la directive 2001/29/CE, ceux-ci ne pourraient pas se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue par la directive sur le commerce électronique.
Pour bénéficier de l’exemption, l’exploitant d’une plateforme en ligne ne doit pas jouer de rôle actif et ne doit pas avoir une connaissance effective des contenus partagés. Ce rôle actif, précise la Cour, ne doit se déduire ni de la mise en place de mesures techniques visant à empêcher les atteintes au droit d’auteur, ni de l’existence d’un système d’indexation automatisée des contenus téléversés sur la plateforme.
En revanche, la Cour note que l’exploitant d’une plateforme en ligne ne peut se prévaloir de l’exemption s’il a eu connaissance d’actes illicites concrets commis par ses utilisateurs sans agir pour les endiguer. Cette connaissance peut notamment advenir par le biais d’une notification contenant « suffisamment d’éléments pour permettre à l’exploitant de cette plateforme de s’assurer, sans examen juridique approfondi, du caractère illicite de cette communication et de la compatibilité d’un éventuel retrait de ce contenu avec la liberté d’expression » (§ 116).
Des conséquences indirectes sur l’interprétation de la directive DAMUN
Il peut être intéressant de noter que la décision de la Cour de justice, contrairement aux conclusions de l’avocat général (CJUE, concl. 16 juill. 2020, §§ 249 s.), se garde d’interpréter la nouvelle directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (dite « DAMUN », v. Dalloz IP/IT 2019. 288, art. P. Sirinelli ; Légipresse 2019. 530, art. C. Alleaume ; RTD com. 2021. 77, obs. F. Pollaud-Dulian ).
La CJUE ne prend donc pas clairement position sur la question de savoir si l’article 17 de cette nouvelle directive constitue un nouveau régime qui vient modifier la législation existante, et notamment la notion de communication au public, ou si, comme le laisse entendre le considérant 64 de la directive, il n’offre que des précisions d’interprétation qui pourraient s’appliquer aux affaires en cours de manière rétroactive.
Il n’en reste pas moins que la Cour précise que « les questions posées dans les présentes affaires portent sur la directive sur le droit d’auteur, sur la directive sur le commerce électronique ainsi que sur la directive relative au respect des droits, applicables à l’époque des faits au principal » et que « les interprétations fournies par la Cour en réponse à ces questions ne concernent pas le régime, entré en application postérieurement à cette époque, qui a été institué par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 » (§ 59), ce qui peut laisser penser que l’hypothèse d’un nouveau régime instauré par l’article 17 de la nouvelle directive serait à retenir.
Les arrêts de la Cour de cassation fondés sur l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) sont rares, et celui-ci a le mérite de la clarté (v. Rép. IP/IT et Communication, v° Droits voisins du droit d’auteur, par P. Tafforeau ; M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins, Précis Dalloz, 2019, nos 1368 s. ; J.-Cl. PLA, fasc. 1460, par D. Lefranc). Ce texte donne au producteur de vidéogrammes un droit patrimonial exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction, la mise à disposition ou la communication au public de son vidéogramme. L’arrêt du 16 juin rappelle qu’il s’agit d’un droit autonome et précise qu’il peut s’exercer sur les prises de vues non montées du tournage.
Un producteur a conclu avec une université, agissant pour le compte d’un Institut interne, une convention de cession des droits ayant pour objet la réalisation d’une œuvre audiovisuelle documentaire intitulée Einstein et la relativité générale : une histoire singulière. Il cédait à l’université, à titre non exclusif et en contrepartie du financement qu’elle apportait, les droits d’exploitation non commerciale pour une durée illimitée sur tous supports en vue de la représentation du film dans le cadre de ses activités d’enseignement et de recherche. Soutenant avoir découvert que des vidéogrammes (des DVD) reproduisant, sans son autorisation, le documentaire ainsi que des éléments des rushes issus du tournage non compris dans la version définitive du film étaient édités et distribués par l’Institut, il a assigné l’université en contrefaçon de droits d’auteur, responsabilité contractuelle, concurrence déloyale et parasitisme. La cour d’appel a rejeté ces demandes. La décision est partiellement cassée par la Cour de cassation.
Sur les rushes
Le producteur avait également conclu avec un réalisateur un contrat de cession de droits d’auteur qui prévoyait en son article 13 qu’aucun des deux ne pourrait utiliser ou exploiter les rushes non montés « sauf autorisation réciproque expresse et préalable » de l’autre. La cour d’appel en a déduit que le producteur ne pouvait pas les utiliser ou les exploiter sans l’autorisation du réalisateur et que, faute de cette autorisation, « il [était] irrecevable à se prévaloir d’atteintes à ses droits sur ces rushes, le producteur d’un vidéogramme de l’œuvre audiovisuelle ne pouvant en tout état de cause détenir plus de droits que le producteur de ladite œuvre sur des épreuves de tournage non montées ».
L’arrêt est cassé au visa de l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle. La Cour de cassation considère qu’en application de ce texte, « le producteur de vidéogrammes est titulaire du droit d’autoriser la reproduction, la mise à la disposition ou la communication au public des épreuves de tournage non montées ou rushes dont il a eu l’initiative et la responsabilité de la première fixation ». La haute juridiction rappelle ainsi le caractère autonome du droit voisin des producteurs de vidéogrammes. Il ne se confond pas avec les droits d’auteur dont les rushes pouvaient par ailleurs faire l’objet.
Sur la responsabilité contractuelle
La Cour de cassation censure également l’arrêt en ce qu’il a rejeté les demandes du producteur au titre de la responsabilité contractuelle.
Les juges du second degré ont tout d’abord considéré qu’en l’absence de dispositions relatives à une cession de droits d’exploitation des épreuves de tournage non montées dans le contrat conclu entre le producteur et le réalisateur, leur exploitation par l’université ne pouvait pas caractériser une inexécution fautive. En se déterminant ainsi sans rechercher, comme ils y étaient invités, si l’université n’avait pas manqué à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi en exploitant les rushes sans l’autorisation du producteur, alors qu’elle connaissait la nécessité de cette autorisation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
L’arrêt d’appel retient également qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de propriété du producteur sur les masters dès lors que le contrat conclu avec l’université prévoit la remise d’une version master du film à l’Institut. Seulement, en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du producteur qui soutenait que l’université n’était pas en droit de conserver les matrices des rushes, distinctes des matrices du film achevé, les juges n’ont pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Versailles.
Conformément à une jurisprudence européenne bien établie, la Cour de cassation rappelle que constitue un abus de position dominante prohibée par les articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-2 du code de commerce, le fait, de la part d’une entreprise détenant une telle position, de fixer des prix inférieurs à ses coûts.
En l’espèce, par décision n° 12-25 du 18 décembre 2012, l’Autorité de la concurrence avait reproché à la SNCF d’avoir enfreint les dispositions des articles ci-dessus, en pratiquant auprès de certains clients des prix dits prédatoires ou d’éviction, en d’autres termes des prix très bas, inférieurs à ses coûts de production, pour ses prestations de transport par train massif, qui rendaient impossible toute concurrence de la part des nouveaux entrants.
Dans le cadre d’un recours en cassation contre un arrêt d’appel du 20 décembre 2018 (rendu sur renvoi après cassation par arrêt du 20 nov. 2016), la SNCF reprochait aux juges d’appel d’avoir estimé que ses prix étaient de nature à évincer ses concurrents en tenant compte uniquement de ses propres coûts, et non des coûts de ses concurrents. Cet argument était fondé sur l’idée qu’un prix est susceptible d’évincer un concurrent seulement lorsqu’il est inférieur aux coûts de celui-ci. Tel ne serait pas le cas en l’espèce, la...
Les deux chambres sont tombées d’accord. Députés et sénateurs ont choisi de lever l’incertitude sur la compétence du tribunal pour les contentieux fondés sur le devoir de vigilance, en votant, dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, en faveur de l’ajout au code de l’organisation judiciaire d’un article qui prévoit qu’« un ou plusieurs tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce ».
Introduites dans le texte par les députés, en accord avec le cabinet du ministre de la Justice, ces dispositions figurent également, à l’identique, à l’article 34 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire (en cours d’examen). Il y a donc peu de doute quant à leur adoption définitive, même si le lobbying des grandes entreprises, plus favorables à la compétence du tribunal de commerce en la matière, parvenait à les faire disparaître d’un des deux textes.
Clarification de la compétence du tribunal
« Il existe aujourd’hui une...
Contrats conclus entre un réseau de soins et des audioprothésistes (avis n° 21-6). La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) a été interrogée par un cabinet d’avocats sur la conformité à l’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce des contrats conclus entre un réseau de soins et des audioprothésistes. Ce texte, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, dite « ordonnance EGalim » (et applicable aux contrats conclus avant le 26 avr. 2019), sanctionne le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
La CEPC rappelle d’abord que, bien que les assurances, mutuelles et plateformes de gestion de réseau soient régies par d’autres dispositions que le code de commerce, notamment le code de la sécurité sociale, les tribunaux ont déjà jugé que les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce – auquel appartient le texte précité – s’appliquaient à certaines de leurs activités (V. not., Com. 14 sept. 2010, n° 09-14.322, D. 2010. 2150, obs. E. Chevrier [à...
Cet arrêt de rejet se situe au confluent du droit fiscal, du droit des successions et du droit du handicap, mais également du droit de la preuve. Les faits méritent d’être connus. Il est question d’une fratrie composée de deux frère et sœur. La sœur décède en 2010. Son frère, handicapé, en est le légataire. Pour la détermination des droits de succession dont il était redevable, il est fait application de l’abattement prévu par l’article 779, II, du code général des impôts en faveur des personnes handicapées. L’administration fiscale ayant remis en cause cet abattement, il l’a assignée en décharge du rappel de droits mis en recouvrement. La cour d’appel de Versailles confirme la solution, déboutant le frère de ses demandes d’annulation de la décision implicite de rejet de sa réclamation contentieuse formée le 10 février 2014, d’annulation de l’avis de mise en recouvrement n° 3926 du 7 juin 2013 et de remboursement de la somme de 88 821 € correspondant aux droits de mutation. L’intéressé forme alors un pourvoi en cassation.
Le texte précité est rédigé en ces termes : « Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement de 159 325 € sur la part de tout héritier, légataire ou donataire, incapable de travailler dans des conditions normales de rentabilité, en raison d’une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise ». Il est complété par l’article 294 de l’annexe II du code général des impôts : « L’héritier, légataire ou donataire, qui invoque son infirmité, doit justifier que celle-ci l’empêche soit de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle, soit, s’il est âgé de moins de 18 ans, d’acquérir une instruction ou une formation professionnelle d’un niveau normal. Il peut justifier de son état par tous éléments de preuve […] ».
Le Conseil d’État avait eu l’occasion de retenir une interprétation somme toute libérale de ce dispositif, précisant que l’héritier, légataire ou donataire, a droit au bénéfice de l’abattement sur les droits de mutation à titre gratuit « à la seule condition qu’il établisse que son infirmité ne lui permet pas de travailler dans des conditions normales de rentabilité, sans qu’y fasse obstacle le fait qu’il parviendrait néanmoins à satisfaire les besoins de son existence » (CE 5 janv. 2005, n° 261049, Defrénois 2005. 878, note F. Douet). Dès lors bénéficie de l’abattement le légataire en retraite ayant subi une infirmité au cours de sa vie active lorsque cette infirmité l’a empêché de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à une activité professionnelle et, par conséquent, lorsqu’elle a eu une incidence sur le montant de la retraite qu’il percevait au jour de l’ouverture de la succession (Com. 17 juill. 2001, n° 98-13.651, D. 2001. 2724 ). En bénéficie tout autant la personne reconnue invalide à 80 %, dont l’état a eu pour conséquence une mise à la retraite anticipée pour invalidité, de telle sorte que, si elle avait pu poursuivre son activité jusqu’à l’âge légal de la retraite, elle aurait perçu une pension d’un montant plus élevé que celle qu’elle perçoit en réalité (Com. 9 juin 2004, n° 01-16.807).
Le pourvoi prétendait que le frère légataire atteint d’un handicap était bien éligible à l’abattement, car le handicap dont il se prévalait – une nucléation de l’œil gauche – a limité son activité professionnelle, car son avancement a été bloqué ; il est vrai qu’il était demeuré, pendant vingt-six ans, au même poste, au sein de la même entreprise. Le pourvoi ajoute qu’il est présumé avoir été empêché, par son infirmité, de travailler dans des conditions normales de rentabilité. La cour d’appel, pour sa part, a refusé de retenir que le lien de causalité entre la situation de handicap du frère et les limites et blocages professionnels qu’il démontrait avoir rencontrés était présumé. Elle a tout simplement fait application du droit commun de la preuve, laquelle incombe au demandeur. Si l’on comprend bien l’arrêt d’appel, cette preuve est double en réalité. Elle porte à la fois sur la situation de handicap et sur le lien de causalité entre cette situation de handicap et l’empêchement professionnel subi. Cette analyse est pleinement confirmée par la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi par un raisonnement en deux temps.
D’une part, selon l’article 294 de l’annexe II du code général des impôts, le légataire qui revendique l’abattement institué en matière de droits de mutation à titre gratuit par l’article 779, II, du même code en faveur des personnes handicapées doit justifier que son infirmité l’empêche de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle. Il en résulte que, pour bénéficier dudit abattement, le redevable doit « prouver le lien de causalité entre sa situation de handicap et le fait que son activité professionnelle a été limitée et son avancement retardé ou bloqué ».
D’autre part, « après avoir constaté que la situation de handicap [du frère] n’était pas discutée, l’arrêt [d’appel] relève que ce dernier justifie d’une carrière stable d’une durée de vingt-six années, comme dessinateur, au sein de la même entreprise, cependant qu’il n’apporte aucun élément établissant qu’il aurait été dans l’impossibilité de poursuivre des études supérieures ou aurait subi une limitation de son activité professionnelle ou un blocage de son avancement en lien avec son état de santé ». L’arrêt d’appel relève encore que l’intéressé « a bénéficié d’un plan de départ en retraite à l’âge de 55 ans, plan qui était propre à l’entreprise et dont il n’a pas communiqué les conditions financières, n’apporte pas la preuve de ce qu’un tel départ, qui, selon lui, aurait nécessairement été anticipé du fait de son infirmité, aurait eu un impact négatif sur ses revenus ». Enfin, s’il « n’a pu, en raison de son handicap, embrasser une carrière dans la marine nationale, il ne démontre pas qu’une telle carrière lui aurait offert des perspectives économiques plus favorables durant sa vie active et sa retraite ». Dès lors, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’en avoir déduit que le frère « ne démontrait pas que son activité professionnelle ne s’était pas déroulée dans des conditions normales de rentabilité et qu’il ne pouvait, dès lors, bénéficier de l’abattement prévu par l’article 779, II, du code général des impôts ».
La déchéance du terme est l’occasion pour le prêteur de réclamer à l’emprunteur certaines sommes à titre de pénalité (v. à ce sujet D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 353 et 356). C’est la raison pour laquelle le législateur prend bien souvent la peine de poser des limites. Tel est notamment le cas en droit slovaque, comme en témoigne un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en date du 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-192/20, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin). En l’espèce, Le 17 juin 2016, une personne a conclu un contrat de prêt à la consommation auprès de Prima banka Slovensko pour un montant de 5 700 € à un taux d’intérêt de 7,90 %, ce prêt étant remboursable en 96 mensualités. L’emprunteur n’ayant plus procédé au versement des mensualités de remboursement partir du mois de septembre 2017, la banque slovaque a déclaré la déchéance anticipée du terme du prêt, le 28 décembre 2017, et exigé le remboursement immédiat de 5 083,79 € au titre du capital restant dû. En outre, elle a réclamé, sur le fondement des stipulations du contrat de prêt, notamment, le versement d’intérêts moratoires de 5 %, tant sur le principal du prêt que sur les intérêts dus, et ce pour la période allant de la déclaration de déchéance du terme du prêt jusqu’au remboursement effectif de la totalité du capital emprunté, ainsi que le versement des intérêts ordinaires de 7,90 % pour cette période.
Le tribunal de district de Kežmarok a, par jugement du 20 septembre 2019, accueilli le recours de la banque visant à la condamnation de l’emprunteur au versement des intérêts moratoires jusqu’au remboursement complet du capital emprunté. En revanche, il a rejeté ce recours en tant qu’il visait une condamnation au versement des intérêts ordinaires pour cette période, au motif que le droit slovaque ne permettait pas un tel cumul des intérêts. De plus, la juridiction a indiqué qu’une clause d’un contrat de prêt qui prévoit le cumul des intérêts moratoires et ordinaires a déjà été qualifiée d’« abusive » par les juridictions slovaques. La banque a interjeté appel de ce jugement, en faisant valoir qu’il résulte de la jurisprudence européenne que l’emprunteur qui n’a pas honoré ses obligations contractuelles est tenu, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt qu’il a contracté, non seulement au versement des intérêts moratoires, mais également à celui des intérêts ordinaires jusqu’au remboursement du capital emprunté (CJUE 7 août 2018, aff. C-96/16 et C-94/17, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). La cour régionale de Prešov, saisie de cet appel, considère qu’en vertu des dispositions du droit national, le retard de paiement d’une dette devenue exigible emporte un droit au profit du créancier au versement d’intérêts moratoires, à la réparation du préjudice réellement subi et à l’éventuel versement de pénalités contractuelles. Mais ce droit est toutefois limité dans les contrats conclus par un consommateur, l’article 54, paragraphe 1, l’article 517, paragraphe 2, et l’article 519 du code civil fixant à cet égard un plafond pour le montant de l’ensemble des sanctions applicables et faisant ainsi obstacle à ce que les stipulations du contrat mettent à la charge du consommateur des obligations allant au-delà de la réparation du préjudice réellement subi par le créancier. Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi constate que l’application cumulée des intérêts ordinaires et des intérêts moratoires pour la période allant de la déclaration de déchéance anticipée du terme du prêt jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté entraînerait un dépassement du plafond fixé par la loi et conduirait nécessairement à une aggravation de la situation du consommateur.
C’est dans ce contexte que fut saisie la Cour de Luxembourg, à laquelle il est demandé, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, tels qu’interprétés par la CJUE dans l’arrêt Banco Santander et Escobedo Cortés (préc.), doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat de prêt ne peut être tenu, sur le fondement des stipulations de ce contrat, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt, à verser au professionnel les intérêts ordinaires pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté, dès lors que le versement des intérêts moratoires et des autres pénalités contractuelles dues aux termes de ce contrat permet l’indemnisation du préjudice réel subi par le professionnel. Au terme de son raisonnement, la Cour de justice de l’Union européenne affirme qu’« à la différence de ce que semble suggérer Prima banka Slovensko, il ne résulte pas de l’arrêt Banco Santander et Escobedo Cortés que les dispositions de la directive 93/13 devraient être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une législation nationale ne permettant pas au professionnel ayant conclu un contrat de prêt avec un consommateur d’exiger, en cas de déchéance anticipée du terme de ce prêt et sur le fondement des stipulations de celui-ci, le paiement d’intérêts ordinaires, en sus des intérêts moratoires, pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement complet du capital emprunté » (pt 41). Cela lui permet de répondre ainsi à la question posée : « Sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’est pas applicable à des dispositions nationales en vertu desquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat de prêt ne peut être tenu, sur le fondement des stipulations de ce contrat, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt, à verser au professionnel les intérêts ordinaires pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté, dès lors que le versement des intérêts moratoires et des autres pénalités contractuelles dues en vertu dudit contrat permet l’indemnisation du préjudice réel subi par le professionnel ».
La solution peut sembler justifiée si l’on raisonne en termes de préjudice : dès lors que le préjudice réel subi par le professionnel est pleinement réparé par le paiement des intérêts moratoires et des autres pénalités prévues par le contrat, il paraît logique de ne pas mettre à la charge du consommateur les intérêts ordinaires. Toutefois, ainsi que l’avait jugé la Cour de justice dans l’arrêt sur lequel la banque s’est appuyée, « les intérêts moratoires visent à sanctionner l’inexécution par le débiteur de son obligation d’effectuer les remboursements du prêt aux échéances contractuellement convenues, à dissuader ce débiteur de prendre du retard dans l’exécution de ses obligations et, le cas échéant, à indemniser le prêteur du préjudice subi du fait d’un retard de paiement. En revanche, les intérêts ordinaires ont une fonction de rétribution de la mise à disposition d’une somme d’argent par le prêteur jusqu’au remboursement de celle-ci » (CJUE 7 août 2018, préc., pt 76). Les intérêts moratoires ont donc une fonction différente de celle des intérêts ordinaires. Dès lors, leur cumul ne semble pas rationnellement impossible. D’ailleurs, on peut considérer que le droit français permet d’aboutir, dans une certaine mesure, à un tel résultat, l’article L. 312-39 du code de la consommation prévoyant à cet égard qu’« en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application de l’article 1231-5 du code civil, est fixée suivant un barème déterminé par décret ». Il est vrai, cependant, que le montant de l’indemnité que le prêteur peut réclamer est plafonné à 8 % du capital restant dû à la date de la défaillance en vertu de l’article D. 312-16 du même code (v. à ce sujet G. Cattalano, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz action, 2020, nos 323.121 s. ; J. Lasserre Capdeville, Le droit du crédit à la consommation. 10 ans après la loi Lagarde, LGDJ, coll. « Les intégrales », 2021, nos 306 s. ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 1792 s.).
L’article 432-12 du code pénal punit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement tout élu ou fonctionnaire qui aurait un intérêt quelconque à une entreprise ou une opération pour laquelle il aurait pris une décision. Ce délit de prise illégale d’intérêts est régulièrement critiqué par les associations d’élus qui contestent son champ trop large. Le récent rapport la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) va dans leur sens.
Comme l’a expliqué Didier Migaud aux sénateurs en audition, ce délit étend la notion de conflit d’intérêts au-delà des avantages financiers, puisqu’une simple relation amicale peut suffire à entraîner une condamnation, même si l’élu n’a retiré aucun avantage matériel (v. Dalloz actualité, 13 avr. 2018, obs. D. Goetz). Dès lors, la Haute Autorité préconise de modifier la notion d’« intérêt quelconque » à l’article 432-12 au...
Le statut des baux commerciaux issu du décret du 30 septembre 1953, aujourd’hui codifié aux articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, a pour finalité de protéger le locataire dans son activité. Afin de renforcer cette protection, les dispositions essentielles du statut sont d’ordre public. Ces dispositions impératives sont visées aux articles L. 145-15, L. 145-16 et L. 145-45 du code de commerce. Néanmoins, dans l’intérêt du locataire, la Cour de cassation a parfois étendu l’ordre public à certaines dispositions du statut non visées par les articles sus-évoqués (v. not. Cass., ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, D. 2003. 333 , note S. Becqué-Ickowicz ; ibid. 2002. 2053, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2002. 525 , obs. J.-P. Blatter ; RTD civ. 2003. 85, obs. J. Mestre et B. Fages ). Toujours dans un souci d’accroître la protection du locataire, notamment au regard des évolutions du commerce, le statut des baux commerciaux a connu quelques modifications. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, aux commerces et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel », est venue le compléter, dans le dessein de mieux réguler les rapports locatifs entre bailleur et locataire, en y intégrant entre autres de nouvelles dispositions impératives.
À l’exception de ces dispositions impératives, la liberté contractuelle est très présente dans la conclusion d’un bail commercial, particulièrement dans la fixation du loyer. En effet, les baux commerciaux restent l’effet de la volonté des parties, qui fixent elles-mêmes et librement le contenu ainsi que les limites de leurs engagements, même si le statut reste, tout au moins en partie, régulateur de cette liberté contractuelle dont il jugule les excès ou contrarie l’expression (V. Delaporte, La liberté contractuelle et le statut des baux commerciaux, JCP N 1978. I. 169).
L’arrêt rapporté est l’occasion de revenir sur le contenu d’un bail commercial réunissant dispositions impératives et stipulations contractuelles.
Une société civile immobilière (SCI), propriétaire d’un local situé dans un centre commercial donné à bail, a signifié à son locataire un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.
Le locataire a accepté le principe du renouvellement du bail, mais a contesté le montant du loyer proposé.
La bailleresse a saisi le juge des loyers en fixation judiciaire du loyer minimum garanti.
La cour d’appel de Paris a retenu dans un arrêt du 27 novembre 2019 que la clause du bail commercial, selon laquelle « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut d’accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative », n’instaurait pas de procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge susceptible de faire l’objet d’une fin de non-recevoir. En effet, les juges du fond ont constaté que la clause se bornait à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties.
Les juges d’appel ont retenu également que « les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de l’article 6 du décret du 3 novembre 2014, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication dudit décret, soit le 5 novembre 2014 » et qu’en conséquence, les dispositions impératives issues de la loi Pinel relatives à la répartition des charges « ne s’appliquent pas à un bail renouvelé à compter du 1er avril 2014 ».
Le locataire s’est pourvu en cassation reprochant à la cour d’appel de Paris, dans le premier moyen, d’avoir rejeté la fin de non-recevoir qu’elle a soulevée tenant au non-respect de l’obligation faite par les dispositions de l’article 35 du bail relatif au renouvellement du contrat de bail de rechercher une solution amiable préalable. En effet, l’auteur du pourvoi soutenait que l’article 35 du bail stipulait expressément que les parties devaient rechercher un accord amiable avant la saisine du juge et que l’échange des mémoires intervenus avant la saisine du juge, lequel s’inscrit dans la procédure légale de fixation des loyers, ne constituait aucunement la phase de négociation amiable préalable visée par ladite clause.
La locataire reprochait également à la cour d’appel, dans un troisième moyen, d’avoir rejeté sa demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi du 18 juin 2014, dite « loi Pinel ». Le locataire soutenait que la loi Pinel « est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 » ; et que le bail ne pouvait être considéré comme renouvelé avant que le loyer ne fût définitivement fixé par les parties ou par le juge. En conséquence, selon l’auteur du pourvoi, les dispositions relatives à la répartition des charges et au coût des travaux issues de la loi Pinel étaient applicables, de sorte que les clauses du bail, contraires à ladite loi, devaient être réputées non écrites.
Pourtant, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans l’arrêt du 17 juin 2021, rejette le pourvoi du locataire.
Sur la fin de non-recevoir
La Cour de cassation constate que la cour d’appel a retenu, « sans dénaturation, que l’article 35 du bail commercial, selon lequel “les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles” et, “à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative”, se borne à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties, sans instaurer une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge ».
En matière de renouvellement de bail commercial, le principe du renouvellement et la fixation du loyer du bail renouvelé sont dissociés (Civ. 3e, 20 mai 1992, n° 90-20.291, Rev. loyers 1992. 325, note S. Duplan-Miellet ; 15 mai 1996, Loyers et copr. 1996, n° 96, obs. C. Denizot), de façon telle que l’acceptation peut ne porter que sur le principe du renouvellement (comme en témoigne l’arrêt rapporté), et non sur le montant du nouveau loyer qui pourra être fixé ultérieurement à l’amiable (v. not. C. com., art. L. 145-11) ou, à défaut d’accord, par la voie judiciaire (Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-24.231, Dalloz actualité, 7 mai 2021, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2021. 798 ), ce que prescrivent en l’espèce les stipulations du bail commercial.
Par principe, l’action en fixation du loyer renouvelé ne peut être introduite qu’en l’absence d’accord des parties sur le montant du loyer renouvellement, comme le précisent les dispositions de l’article L. 145-33 du code de commerce. Néanmoins, il n’est pas interdit aux parties d’établir conventionnellement les modalités de fixation du loyer du bail renouvelé (l’article L. 145-33 n’étant pas d’ordre public), comme en l’espèce, voire d’insérer à cet égard une clause de conciliation préalable, par laquelle les parties ont une obligation de moyens de parvenir à résoudre à l’amiable leur différend, reconnue comme étant valide par la Cour de cassation (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423, D. 2003. 1386, et les obs. , note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot ). Dans l’arrêt rapporté, le loyer de renouvellement est binaire. La convention des parties énonce que le loyer de renouvellement se compose de deux composantes : un loyer de base égal à la valeur locative du local considéré à la date d’effet du renouvellement du bail et un loyer variable complémentaire fixé au taux convenu aux conditions particulières du bail.
S’agissant du loyer de base, la clause du bail stipule que « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative ». Il ressort explicitement des termes de la clause que les parties sont convenues que le montant du loyer de base du bail renouvelé devait, dans un premier temps, être fixé d’un commun accord entre les parties ; et que ce n’était qu’à défaut d’accord amiable que le montant du loyer de renouvellement serait fixé judiciairement.
La clause, parfaitement claire et précise, n’instaure aucune procédure de conciliation obligatoire préalable dont le non-respect caractériserait une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 122 ; Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, préc.). La haute juridiction a très justement constaté qu’il n’était pas permis de considérer que la référence dans le bail d’une fixation amiable du loyer de base du bail renouvelé à la valeur locative exigeait le recours à un mode alternatif de règlement des différends avant la saisine du juge. En effet, selon les termes du bail, les parties n’ont pas contractuellement décidé de faire appel à un tiers pour tenter de régler leur différend. Il est vrai qu’en ce sens la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait jugé qu’instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la violation constituait dès lors une fin de non-recevoir, la clause qui stipule que « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction » (Civ. 3e, 19 mai 2016, n° 15-14.464, Dalloz actualité, 3 juin 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 2377 , note V. Mazeaud ; ibid. 2589, obs. T. Clay ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 422, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2016. 621, obs. H. Barbier ). La chambre commerciale, plus sévère, avait jugé, quant à elle, que la clause, selon laquelle, « en cas de litige, les parties s’engagent à trouver un accord amiable avec l’arbitrage de la FEDIMAG. À défaut d’accord amiable, compétence est attribuée au tribunal de commerce de Bobigny nonobstant pluralité de parties », instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable dont le défaut de mise en œuvre constituait une fin de non-recevoir (Com. 30 mai 2018, nos 16-26.403 et 16-27.691, Dalloz actualité, 20 juin 201, obs. M. Kebir ; D. 2018. 1212 ; AJ contrat 2018. 338, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2018. 642, obs. H. Barbier ; Gaz. Pal. 31 juill. 2018, n° 319, p. 52, obs. S. Amrani-Mekki).
Il ressort donc de l’ensemble des décisions rendues en la matière que la qualification de la clause de conciliation obligatoire et préalable repose notamment sur la désignation d’un tiers habilité par les parties à rechercher une solution amiable au différend qui les oppose (V. Mazeaud, art. préc.) ou au moins, selon la chambre commerciale, sur des modalités de désignation prévues (Com. 30 mai 2018, préc. ; 19 juin 2019, n° 17-28.804, D. 2020. 576, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2019. 578, obs. H. Barbier ). Néanmoins, la clause qui prévoit le recours préalable à un conciliateur ne doit pas être « rédigée de manière elliptique, en des termes très généraux au risque d’être qualifiée de “clause de style” n’instituant pas une procédure de conciliation préalable et obligatoire » (Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-13.460, D. 2020. 576, obs. N. Fricero ; AJDI 2019. 919 ).
Dans l’arrêt sous étude, l’article 35 du bail ne peut recevoir la qualification de « clause de conciliation préalable et obligatoire ». En effet, les stipulations du bail ne prévoient pas d’obligation pour les parties de trouver une solution amiable, en se faisant aider par un tiers désigné, avant toute saisine du juge. La clause incitait seulement les parties à un arrangement amiable.
Cependant, il faut admettre que les évolutions en matière de règlement des conflits tendent à l’instauration d’un préalable avant toute saisine du juge. À cet égard, la loi exige de plus en plus des parties qu’elles aient recours à un mode alternatif de règlement des litiges avant de saisir le tribunal ou le juge pour régler leur différend (v. par ex. C. pr. civ., art. 750-1, qui impose une tentative obligatoire de règlement amiable pour les litiges inférieurs à 5 000 € à peine d’irrecevabilité).
Si le rejet de la fin de non-recevoir soulevée par le locataire doit être approuvé en l’espèce, il est cependant permis de penser que la solution aurait été différente si la cour régulatrice avait retenu que la clause du bail devait s’interpréter comme une obligation des parties de recourir à une procédure de conciliation obligatoire. Dans cette hypothèse, le non-respect d’un préalable avant la saisine du juge aurait caractérisé une fin de non-recevoir et la saisine du juge aurait été irrecevable. Les parties auraient alors été contraintes de recourir à une procédure de conciliation obligatoire préalable avant de saisir à nouveau le juge, sous réserve d’une éventuelle prescription.
Il faut donc se montrer particulièrement attentif à l’existence d’une clause relative aux modalités de fixation amiable du loyer du bail renouvelé.
Quoi qu’il en soit, afin de préserver les relations entre bailleur et locataire, il reste préférable pour les parties de tenter une négociation préalable avant toute saisine du juge, et ce même en l’absence de clause de conciliation obligatoire et préalable stipulée dans le bail.
Sur l’application des dispositions de la loi dite « Pinel » au bail renouvelé
Avant la loi Pinel du 18 juin 2014, la répartition des charges et travaux était librement déterminée par les parties dans le contrat de bail, en ce qu’aucun texte ne prévoyait la façon dont les charges, travaux, impôts, taxes et redevances devaient être répartis entre les parties à un bail commercial. Dans un souci de protection du locataire, la loi Pinel a réglementé le domaine des charges locatives et du coût des travaux. Pour ce faire, elle a inséré un nouvel article L. 145-40-2 dans le code de commerce, lequel est d’ordre public. Selon cet article, « tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôt, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire ». Le décret d’application du 3 novembre 2014 est venu compléter les dispositions de l’article L. 145-40-2 en créant les articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, lesquels précisent la liste des charges, travaux, impôts, taxes et redevances qui ne peuvent plus être imputés au locataire.
Mais l’application dans le temps de la loi Pinel a suscité de vives interrogations. En effet, certaines dispositions de cette loi étaient applicables immédiatement au 20 juin 2014, date de son entrée en vigueur (par ex. C. com., art. L. 145-40-1), d’autres sont applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 (par ex. C. com., art. L. 145-40-2), d’autres encore ne sont applicables qu’aux baux conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret du 3 novembre 2014 au journal officiel, soit le 5 novembre 2014. Les dispositions relatives aux charges, travaux, impôts, taxes et redevances font partie de ces dispositions applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014. Il en résulte dès lors que les baux conclus avant cette date et non encore renouvelés sont soumis à l’ancien régime selon lequel le bailleur est en droit de demander le règlement d’une charge imputable au locataire par une clause expresse du bail commercial.
Dans la mesure où les dispositions de la loi Pinel n’ont pas vocation à s’appliquer aux baux conclus ou renouvelés antérieurement à leur entrée en vigueur, il était important que la Cour de cassation identifie les règles issues du dispositif Pinel sur lesquelles portent le litige afin qu’elle puisse rappeler la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et statuer sur la demande du locataire tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi.
Après avoir identifié que les dispositions contestées étaient celles relatives à la répartition des charges et du coût des travaux, la Cour de cassation a très justement rappelé que les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, et non comme l’a soutenu le locataire aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre.
Dans un bail renouvelé, la date à prendre en compte est la date d’effet du bail renouvelé (C. com., art. L. 145-12) et non la date de signature du bail renouvelé (J.-P. Blatter, Persiste et signe, AJDI 2015. 477 ), lequel souvent peut être signé plusieurs mois après la date de renouvellement mais prend effet rétroactivement, ou la date de fixation définitive du loyer comme semblait le soutenir le locataire, dans la mesure où le nouveau loyer fixé par le juge prendra effet, rétroactivement, à la date d’effet du renouvellement du bail (en ce sens, v. C. com., art. L. 145-57).
Dans l’arrêt du 17 juin 2021 rapporté, le bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2014, date qui n’a pas été contestée par les parties. La haute juridiction constate dès lors que la date d’effet du contrat renouvelé est antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce issues de loi du 18 juin 2014, de sorte que les dispositions créées par la loi Pinel et son décret d’application n’ont pas vocation à s’appliquer, et ce même si une procédure de fixation du montant du loyer renouvelé est en cours. La cour d’appel a donc exactement déduit que la demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses de transfert de charges et travaux contraires à l’article L. 145-40-2 du code de commerce doit être rejetée.
On connaît le célèbre triptyque auquel doivent bien souvent satisfaire les sanctions du droit de la consommation au regard de l’Union européenne : celles-ci doivent être effectives, proportionnées et dissuasives (v. à ce sujet, M. Leroux-Campello et C. Dubois in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 423.264). Le droit du crédit à la consommation n’échappe pas à cette exigence, l’article 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs prévoyant à cet égard que « Les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ». Mais l’appréciation de ce triple caractère doit-elle être faite à la lumière de la disposition spécifiquement adoptée afin de transposer cette directive ou faut-il prendre en considération l’ensemble des sanctions du droit national ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C‑303/20, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin).
Dans le cadre d’un litige relatif à un crédit à la consommation souscrit en Pologne, l’emprunteur reprochait au professionnel de ne pas avoir, avant la conclusion du contrat, vérifié sa situation patrimoniale, dans la mesure où, au cours de l’entretien préalable à la conclusion dudit contrat, aucune question n’avait été posée au sujet de cette situation, pas plus qu’en ce qui concerne le montant des revenus et des dettes de son ménage. Le tribunal d’arrondissement d’Opatów, en Pologne, a considéré que le droit polonais en vigueur ne garantissait pas le respect...
1. Le contentieux lié à la violation d’une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail d’un salarié soulève de nombreuses difficultés (M. Poumarède, La sanction de l’embauche déloyale d’un salarié d’une entreprise concurrente : aux confins du droit des affaires et du droit du travail, RTD com. 2012. 651 ). Une problématique récurrente est de déterminer si le juge commercial saisi de ce litige doit, ou non, surseoir à statuer dans l’attente d’une décision du conseil de prud’hommes, également saisi. L’arrêt commenté est, à ce titre, particulièrement intéressant en ce qu’il rappelle l’orientation adoptée et s’attarde sur le cas particulier du référé commercial.
2. Les faits d’espèce était des plus classiques : une société se plaignait de l’embauche de son ancien salarié par l’un de ses concurrents, au mépris de la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail. La société victime engage alors deux actions : la première contre son ancien salarié devant le conseil de prud’hommes ; la seconde contre son concurrent devant le tribunal de commerce afin de faire cesser, en référé, la nouvelle relation de travail.
3. Dans le cadre du référé commercial, un sursis à statuer fut sollicité par l’entreprise concurrente dans l’attente du jugement du conseil de prud’hommes. Pour nous en tenir à l’essentiel, l’ordonnance de référé fut frappée d’appel et la cour d’appel refusa de surseoir à statuer. En d’autres termes, cette dernière accéda donc aux demandes de la société victime et ordonna l’arrêt de la relation de travail sous astreinte ainsi que le paiement d’une provision. Le pourvoi formé se concentrait sur la position de la cour d’appel qui aurait dû surseoir à statuer compte tenu de la procédure engagée devant le conseil de prud’hommes.
4. La Cour de cassation rejette toutefois ce pourvoi en affirmant qu’aucun sursis à statuer n’avait, en l’espèce, à être retenu. La formule mérite d’être reprise in extenso : « Si la juridiction commerciale, qui a compétence, dans le cadre d’un litige opposant deux...
Après Rennes (v. notre note, Dalloz actualité, 25 mai 2021), les aventures judiciaires de Tintin se poursuivent à Marseille avec un jugement qui mérite, par son didactisme, quelques instants d’analyse.
En mars 2019, la société Moulinsart, détentrice des droits dérivés et secondaires relatifs aux œuvres littéraires et artistiques d’Hergé, avec l’ayant droit de celui-ci, ont assigné M. Christophe Tixier, alias Peppone, sculpteur aixois, aux côtés de la galerie qui le commercialisait, pour avoir reproduit sans autorisation des œuvres originales d’Hergé, dont le buste de Tintin ainsi que la fusée figurant aux albums Objectif Lune et On a marché sur la Lune.
Avant toute défense au fond, le sculpteur et la galerie usent de tous les moyens possibles et juridiquement imaginables afin d’entendre dire, d’une part, nuls l’assignation ainsi que le procès-verbal de saisie-contrefaçon et, d’autre part, irrecevable à agir la société Moulinsart.
Se référant aux grands principes de procédure civile (C. civ., art. 56 et 114), la juridiction considère que l’assignation n’est pas nulle, celle-ci permettant parfaitement d’identifier et de comparer les œuvres revendiquées de celles contrefaisantes, ce d’autant que l’artiste ne subissant aucun grief, a été en mesure de contester l’originalité des droits invoqués.
Les magistrats balaient également d’un revers de manche l’argument selon lequel le procès-verbal de saisie-contrefaçon serait nul en raison de la déloyauté dont aurait fait preuve la société Moulinsart en ne justifiant pas de l’étendue de ses droits lors du dépôt de la requête aux fins de saisie.
Dans le même sens, le tribunal judiciaire de Marseille rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société demanderesse, estimant qu’au regard du droit belge, auquel sont soumis les différents contrats de cession/licence entre cette dernière et l’ayant droit d’Hergé, elle peut légitimement se prévaloir du droit de reproduire des éléments extraits des albums Les aventures de Tintin, à l’exception de l’édition des albums.
Ces questions procédurales traitées, le fond du dossier a pu dès lors être examiné (v. Paris, 22 sept. 2020, n° 18/10181 : « l’absence d’originalité n’est pas une cause d’irrecevabilité mais de mal fondé », Les MAJ de l’IRPI, n° 21, oct. 2020, p. 12) par les magistrats soulignant à bon escient qu’il leur appartient « de vérifier si le modèle revendiqué est protégeable [1], […] avant, le cas échéant, de rechercher en quoi le modèle est contrefait [2] ».
Sur l’originalité
À titre liminaire, il paraît important de relever que si les juges marseillais rappellent de manière pédagogique la règle fondamentale, prévue dès 1902 par le législateur français édictant que le droit de l’auteur naît du seul fait de la création de l’œuvre, indépendamment de toute divulgation, quels que soient son genre, ses mérites ou sa destination (CPI, art. L. 11-1 s.), ils pèchent cependant en mentionnant que la notion d’antériorité est « inopérante » en droit d’auteur. Cela étant, ils poursuivent en exposant qu’en matière d’arts appliqués, des antériorités, pas nécessairement de toutes pièces, sont de nature à établir que l’œuvre ne constitue pas une véritable création. On décèle ici un certain trouble du tribunal sur cette question (v. aussi Paris, 26 nov. 2019, n° 17/19538). Il est en effet difficile, voire impossible, de concevoir qu’une œuvre puisse être originale si elle n’est pas dotée d’une certaine nouveauté et si elle ne se distingue pas de ce qui préexiste ! Pourtant, le mouvement jurisprudentiel qui prédomine actuellement la matière tend à distinguer les conditions applicables en matière d’art pur (originalité), de celles concernant l’art appliqué (nouveauté et caractère propre), remettant ainsi en cause, au mépris de la logique, la théorie de l’unité de l’art de Pouillet pour imposer un cumul seulement partiel entre le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles.
Sur l’originalité du personnage de Tintin d’abord, les défendeurs contestent son caractère protégeable en soutenant, non sans audace, qu’Hergé a repris le nom et le graphisme du personnage de Tintin-Lutin créé à la fin du XIXe siècle et tombé dans le domaine public. Cet argument ne suffisant pas à convaincre les juges qui estiment que, bien que les deux Tintin portent une même culotte de golf beige, ils sont différents, leur visage se démarquant sensiblement et le caractère du Tintin-Lutin demeurant totalement inconnu.
C’est sans nul doute l’interview d’Hergé, donnée en 1979 à l’occasion d’une célèbre émission de télévision, sur laquelle les demanderesses s’appuient avec talent, qui emporte la conviction du tribunal. Le dessinateur y fait comprendre que Tintin est une « partie » de lui, une « projection » de lui-même, qu’il s’agit d’un « travail personnel » et que, pour élaborer son personnage, qu’il voulait jeune et dynamique, il s’est « contenté de faire un petit fond, un cercle, une petite mèche pour donner un accent ». Or il est de jurisprudence ancienne et constante que le demandeur à une action en contrefaçon de droit d’auteur n’a pas l’obligation de démontrer l’originalité de l’œuvre, s’agissant d’une notion empreinte de subjectivité, mais qu’il doit définir son œuvre en identifiant les caractéristiques qu’il revendique. En l’espèce, c’est comme si Hergé avait dans son interview cherché à rapporter la preuve de son effort de création en décrivant les éléments identifiant son œuvre. Cette interview démontre donc à elle seule le parti pris artistique d’Hergé, ses choix arbitraires empreints de sa personnalité et libérés de toute contrainte ou nécessité.
Le tribunal vient ensuite sur la question de l’originalité de la fusée de l’album Objectif Lune et estime que, bien qu’inspirée des fusées V2 allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale, celle d’Hergé possède une « physionomie propre », compte tenu du nombre d’ailerons, de l’antenne, des amortisseurs semi-sphériques ainsi que du choix discrétionnaire du damier rouge et blanc possédant un nombre de cases particulier.
Enfin, la juridiction constate que les dix-huit titres invoqués par les demandeurs, dont L’Étoile mystérieuse, L’Île noire ou bien encore Le Secret de la Licorne, sont également originaux au motif qu’ils procèdent de la « combinaison insolite de mots ». Étant ici précisé que la notion prétorienne d’originalité n’est mentionnée qu’à l’article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle concernant les titres des œuvres de l’esprit, et que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a récemment proposé de modifier les textes en ajoutant la mention expresse de la condition d’originalité pour clarifier l’état du droit (v. CSPLA, Rapport sur la preuve de l’originalité, déc. 2020, Dalloz IP/IT 2021. 5, obs. N. Maximin ; Légipresse 2021. 6 et les obs. ). Les juges se livrent ici à bon droit à une analyse globale des titres pris dans leur ensemble et n’étudient pas chaque mot pris isolément (v. par ex., pour l’appréciation de l’originalité dans son ensemble, Civ. 1re, 12 sept. 2018, n° 17-18.390, PIBD n° 1104, III, p. 703 ; Propr. intell. 2019, n° 70, p. 21, obs. C. Bernault ; et, en matière de dessins et modèles communautaires, CJUE 19 juin 2014, Karen Millen, aff. C-345/13, D. 2014. 2207, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle ; Propr. intell. 2014, n° 53, p. 460, obs. de Candé ; Propr. ind. 2014, n° 51, note Marino). Il apparaît que les titres ne sont pas « nécessaires pour désigner les œuvres correspondantes » ni « génériques » ou descriptifs. Ne retrouvons-nous pas là des notions chères aussi au droit des marques ?
L’originalité du personnage de Tintin, de son buste, de sa fusée et de dix-huit de ses titres d’album étant donc reconnue, il ne restait plus qu’aux magistrats à examiner avec minutie l’existence de la contrefaçon.
Sur la contrefaçon
Il s’avère que Peppone reprend la forme originale de la fusée dessinée par Hergé, assortie du damier rouge et blanc, peu ou prou modifié, ainsi que les modèles tridimensionnels commercialisés par la société Moulinsart, le tout sous des dénominations serviles ou quasi serviles des titres de dix-huit albums des aventures de Tintin tels que Tintin Temple du Soleil ou encore Tintin Cigare des Pharaons. Les défendeurs tentent d’ailleurs sans grand succès de soutenir « qu’il n’existe aucun risque de confusion dès lors que ces titres ne sont pas repris pour identifier des œuvres du même genre » (buste, fusée/bande dessinée).
De même, les bustes du sculpteur reprennent servilement le graphisme du personnage de Tintin et ressemblent aux bustes de Tintin commercialisés par la société Moulinsart, à la différence près que les dimensions et les couleurs ne sont pas les mêmes. Mais le plasticien ne se contente pas de reprendre la forme globale des bustes revendiqués, rendant ainsi immédiatement reconnaissable Tintin, il n’hésite pas à y ajouter des reproductions de pages entières des albums des aventures de Tintin. Remarquons qu’il ne s’est pas risqué à invoquer devant le tribunal l’exception de courte citation, mais se fonde sur l’exception de parodie.
Il n’est pas question de développer ici le cas de l’exception de parodie, comme nous l’avions fait en mai dernier, mais il est intéressant de noter que l’artiste essaie d’échapper à la contrefaçon en communiquant au débat une « lettre ouverte » intitulée Tintin, l’ordre et le chaos. Dans cette lettre, que le tribunal qualifie de « manifeste », qui est fictivement adressée par Tintin à son créateur, M. Tixier écrit qu’« il semblerait que les Éditions Moulinsart (qui exploitent désormais les bandes dessinées relatant mes aventures) auraient la réputation d’attaquer en justice sans discernements (sic) et de manière systématique tous ceux qui touchent à mon personnage dont l’utilisation n’aurait été préalablement validée par vos ayants droit. Quand ils prendront connaissance de la sculpture de M. Tixier, nul doute qu’ils déclencheront une procédure contre lui. » Et il continue en disant que : « C’est pour cette raison que M. Tixier a réalisé cette sculpture afin de dénoncer, sous les traits d’une parodie, la limitation à la liberté créatrice, imposée par les Éditions Moulinsart […] et entend ainsi dénoncer, sous une forme parodique, cet abus d’ayant droit ». Les juges ne voient pas dans cette argumentation la preuve d’une quelconque intention de parodier l’œuvre d’Hergé mais la démonstration d’une véritable « remise en cause du droit de propriété intellectuelle et une revendication du fait de pouvoir s’en affranchir ». De surcroît, cette lettre était censée accompagner une seule des œuvres du sculpteur et non l’ensemble des cinquante-cinq œuvres contrefaisantes.
Dans ces conditions, les magistrats marseillais considèrent que les œuvres de Peppone, commercialisées en particulier dans la galerie coassignée, constituent des contrefaçons des droits dont sont titulaires respectivement l’ayant droit d’Hergé et la société Moulinsart sur l’œuvre d’Hergé.
L’arsenal des mesures mérite enfin quelques mots. En l’absence de document comptable pour la période postérieure à février 2019, les demanderesses réclament qu’il soit fait application de l’article L. 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle sur le droit à l’information, ce que le tribunal ordonne puisque la contrefaçon est avérée (v. sur l’exigence de vraisemblance du caractère de la contrefaçon, en matière de droit d’information, pour respecter le secret des affaires, Paris, 10 nov. 2020, n° 19/23000).
Le tribunal déboute par ailleurs la société Moulinsart, en sa qualité de cessionnaire des droits, de sa demande au titre de l’atteinte au droit moral de l’auteur. En effet, seul l’ayant droit d’Hergé obtient des dommages et intérêts (10 000 €) sur ce chef de préjudice, le droit moral étant perpétuel, inaliénable, imprescriptible, au sens de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle et ne pouvant se transmettre par contrat de cession ou de licence. Observation faite que les magistrats relèvent, de manière imparfaite, que « le droit moral de l’auteur qui, […] en tout état de cause ne peut être exercé que par une personne physique ». Ce qui paraît en effet incomplet, car dans le cas d’une œuvre collective, une personne morale détient ab initio tous les attributs du droit d’auteur (droits moraux et droits patrimoniaux).
Les éditions Moulinsart obtiennent, en revanche, en sus des 114 157 € correspondant à la confiscation des recettes procurées par la contrefaçon, une indemnisation au titre de leur préjudice moral tenant à la dépréciation de leur image et l’atteinte à leur réputation, notamment en raison du comportement dénigrant de l’artiste à l’égard de la société demanderesse auprès de tiers, à la suite d’une précédente affaire l’ayant opposée à celle-ci.
On sait que la maison d’édition n’est donc pas à sa première affaire portant sur la défense des droits de l’œuvre d’Hergé, et si elle a perdu le 10 mai dernier devant le tribunal judiciaire de Rennes (v. Dalloz actualité, 25 mai 2021, préc.) face à la liberté de création artistique, elle triomphe aujourd’hui devant le tribunal judiciaire de Marseille.
Toutefois, de nouvelles aventures pleines de rebondissements nous attendent encore puisque cette décision va vraisemblablement être frappée d’appel.
La société chypriote Mircom dispose de certains droits pour un grand nombre de films pornographiques. Ayant constaté que certains de ces films étaient téléchargés illégalement sur des réseaux de peer-to-peer à l’aide du protocole BitTorrent, la société Mircom a récolté les adresses IP ayant été utilisées pour partager les contenus sur ces réseaux. Cette société a ensuite présenté, devant le tribunal de l’entreprise d’Anvers, une demande d’information à l’encontre du fournisseur d’accès belge Telenet BVBA visant à se faire communiquer les données d’identification correspondant aux adresses IP collectées, ce à quoi le fournisseur de données s’opposait. Dans le cadre de ce litige, la juridiction belge a posé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) plusieurs questions préjudicielles touchant à trois points distincts.
Tout d’abord, il s’agissait de préciser ce qui constitue, selon la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, un acte de communication au public. En particulier, la CJUE devait déterminer si les internautes individuels qui participent à un réseau de peer-to-peer effectuent un acte de communication.
Ensuite, la juridiction belge demandait si les titulaires de droits qui n’utilisent pas leurs droits pour exploiter les œuvres peuvent tout de même se prévaloir des mesures prévues par la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.
Enfin, la juridiction de renvoi s’interrogeait sur la licéité du recueil des adresses IP et de la demande d’information de la société Mircom au regard du droit de l’Union sur la protection des données personnelles (le règlement général sur la protection des données (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, dit RGPD, et la directive « vie privée et commerce électronique » 2002/58/CE du 12 juillet 2002).
La participation à un réseau de peer-to-peer est un acte de communication
La CJUE a d’abord examiné la question de savoir si la participation d’internautes individuels au partage de données en peer-to-peer à l’aide du protocole BitTorrent constitue un acte de communication au public. Cette question se posait particulièrement pour deux raisons.
Premièrement, la juridiction belge se demandait si la semaille (seeding) de segments de fichier ne constituait une communication au public qu’à partir d’un seuil minimal. En effet, dans les réseaux de peer-to-peer, les fichiers partagés sont décomposés en petits segments qui sont téléchargés en ordre aléatoire à partir des ordinateurs d’internautes semeurs (seeders). Ainsi, un semeur ne met pas à disposition l’œuvre entière, ni même une partie de l’œuvre, mais seulement des segments de fichier dont chacun est inexploitable individuellement.
La Cour ici a considéré qu’« il n’est pas nécessaire de prouver que l’utilisateur concerné a préalablement téléchargé un nombre de segments représentant un seuil minimal » (§ 46). Ainsi, chaque semeur, quel que soit le nombre de segments qu’il met à disposition des autres internautes, peut être coupable d’un acte de communication au public.
Deuxièmement, la juridiction belge souhaitait savoir si la circonstance que la semaille puisse se faire automatiquement (du fait des configurations du client BitTorrent), et donc à l’insu de l’utilisateur, pouvait avoir une incidence.
La Cour a de nouveau répondu par la négative. Elle estime que les utilisateurs d’un réseau peer-to-peer « doivent être considérés comme agissant en pleine connaissance de leur comportement et des conséquences que celui-ci peut avoir » dès lors qu’ils ont été informés des caractéristiques du logiciel BitTorrent et ont consenti à son utilisation, et que « le caractère délibéré de leur comportement n’est nullement infirmé par le fait que le téléversement est automatiquement généré par ce logiciel » (§ 49). Pour constater un acte de communication au public, les juridictions nationales n’ont donc pas à établir que le partage a été effectué manuellement par l’internaute, mais doivent seulement vérifier si ce dernier a consenti à l’utilisation du logiciel de partage en peer-to-peer.
Les copyright trolls bénéficient des mesures de la directive 2004/48/CE
La Cour s’est penchée ensuite sur la deuxième question, que la juridiction belge posait en ces termes : « La personne contractuellement titulaire de droits d’auteur (ou de droits voisins) qui ne les utilise pas elle‑même, mais se borne à réclamer une indemnité à des contrevenants présumés et dont le mode économique de revenu dépend dès lors de l’existence du piratage au lieu de le combattre, peut-elle jouir des mêmes droits que ceux que le chapitre II de la directive 2004/48 confère aux auteurs ou aux licenciés qui utilisent des droits d’auteur d’une manière normale ? »
Cette question visait donc explicitement les copyright trolls, les entités titulaires de droits qui, sur le modèle des patent trolls, n’utilisent pas les droits dont ils disposent pour organiser l’exploitation des œuvres mais uniquement pour réclamer, parfois de manière abusive, des dommages-intérêts à de potentiels contrevenants.
La Cour répond qu’en principe, tous les titulaires de droits, y compris ceux qui n’utilisent pas ces droits eux-mêmes, bénéficient des mesures, procédures et réparations prévues par la directive 2004/48. En effet, exclure certains titulaires de droits du bénéfice de ces mesures « irait à l’encontre de l’objectif général de la directive 2004/48 qui est, ainsi qu’il ressort de son considérant 10, notamment d’assurer un niveau de protection élevé de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur » (§ 75).
En revanche, la Cour rappelle que, conformément à l’article 3 de la directive, les demandes abusives doivent être refusées. Il revient en l’occurrence à la juridiction de renvoi de déterminer, en fonction d’un examen global et circonstancié des faits du litige, si la société Mircom fait un usage abusif de ses droits.
Le recueil des adresses IP est conforme au RGPD
Enfin, la Cour répond aux troisième et quatrième questions de la juridiction belge, concernant la protection des données à caractère personnel. La CJUE devait se prononcer sur la licéité de la collecte des adresses IP des internautes par Mircom et sur celle de la demande de la société visant à se faire communiquer l’identité des détenteurs de ces adresses IP.
La Cour de justice dégage, de l’article 6(1)(f) du RGPD, trois conditions auxquelles le traitement de données à caractère personnel est licite. Premièrement, ce traitement doit avoir pour objectif la poursuite d’un intérêt légitime. Deuxièmement, le traitement des données à caractère personnel doit être nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi. Troisièmement, les intérêts ou les libertés et les droits fondamentaux de la personne concernée par la protection des données ne doivent pas prévaloir.
En l’occurrence, la défense de ses droits de propriété constitue un intérêt légitime (§ 108). De plus, le recueil des adresses IP et la demande d’information peuvent être considérés comme nécessaires puisque « l’identification du détenteur de la connexion n’est souvent possible que sur la base de l’adresse IP et des informations fournies par le fournisseur d’accès à internet » (§ 110). En ce qui concerne la troisième condition, « les mécanismes permettant de trouver un juste équilibre entre les différents droits et intérêts en présence sont inscrits dans le règlement 2016/679 lui-même » (§ 112).
La Cour note par ailleurs que le traitement des adresses IP doit également respecter la directive 2002/58 (§ 113). En effet, la CJUE fait référence à sa décision La Quadrature du Net (CJUE 6 oct. 2020, aff. C-511/18, C-512/18 et C-520/18, Dalloz actualité, 13 oct. 2020, obs. C. Crichton ; AJDA 2020. 1880 ; D. 2021. 406, et les obs. , note M. Lassalle ; ibid. 2020. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJ pénal 2020. 531 ; Dalloz IP/IT 2021. 46, obs. E. Daoud, I. Bello et O. Pecriaux ; Légipresse 2020. 671, étude W. Maxwell ; ibid. 2021. 240, étude N. Mallet-Poujol ; RTD eur. 2021. 175, obs. B. Bertrand ; ibid. 181, obs. B. Bertrand ) pour affirmer que cette directive « concrétis[e], pour les utilisateurs des moyens de communications électroniques, les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel » (§ 118). Or l’article 15(1) de la directive 2002/58 énonce que, pour prévenir ou poursuivre les utilisations non autorisées du système de communications électroniques, les États membres peuvent adopter des mesures législatives prévoyant la conservation de données pendant une durée limitée.
La Cour considère finalement que l’article 6(1)(f) du RGPD ne s’oppose « ni à l’enregistrement systématique, par le titulaire de droits de propriété intellectuelle ainsi que par un tiers pour son compte, d’adresses IP d’utilisateurs de réseaux de pair à pair (peer-to-peer) dont les connexions internet ont été prétendument utilisées dans des activités contrefaisantes ni à la communication des noms et des adresses postales de ces utilisateurs à ce titulaire ou à un tiers afin de lui permettre d’introduire un recours en indemnisation devant une juridiction civile pour un dommage prétendument causé par lesdits utilisateurs, à condition toutefois que les initiatives et les demandes en ce sens dudit titulaire ou d’un tel tiers soient justifiées, proportionnées et non abusives et trouvent leur fondement juridique dans une mesure législative nationale, au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 » (§ 132).
Cette décision donne des indications importantes sur l’équilibre que le juge national doit rechercher entre protection des droits de propriété intellectuelle et protections des données à caractère personnel des internautes. Elle est bienvenue dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (dite « DAMUN ») puisque ce nouveau texte prévoit explicitement, dans son article 28, que « le traitement des données à caractère personnel effectué dans le cadre de la présente directive est effectué dans le respect de la directive 2002/58/CE et du règlement (UE) 2016/679 ».
Le plafonnement du loyer du bail commercial renouvelé ou révisé vient indubitablement protéger les locataires. En effet, en vertu des articles L. 145-34 et L. 145-38 du code de commerce, le taux de variation du loyer ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires. Le bailleur peut chercher à écarter ce plafonnement en faisant notamment valoir une modification substantielle des éléments visés à l’article L. 145-3, 1° à 4° (caractéristiques du local considéré ; destination des lieux ; obligations respectives de parties ; facteurs locaux de commercialité) ou encore en proposant un bail supérieur à neuf années. Mais il n’en demeure pas moins que le principe est que le preneur bénéficie du plafonnement de son loyer, ce qui lui permet, d’une part, la pérennisation de son activité économique qui pourrait être remise en cause par une augmentation drastique de son loyer et, d’autre part, d’être titulaire d’un droit au bail dont la valeur économique peut être très importante puisqu’il peut le céder, avec un prix plafonné, sans que le propriétaire puisse s’y opposer.
Dans ces conditions, l’intérêt du bailleur est souvent d’essayer d’écarter ce plafonnement. Mais la difficulté est qu’en cas de congé, il doit payer au preneur une indemnité d’éviction qui est susceptible d’être très importante, et même parfois supérieure à la valeur vénale du bien dont il est propriétaire. Il peut bien évidemment faire signifier un congé avec refus d’indemnité d’éviction en se fondant sur les dispositions de l’article L. 145-17 du code de commerce, c’est-à-dire en justifiant d’un motif grave et légitime à l’encontre du preneur ou encore en établissant que l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d’insalubrité reconnue par l’autorité administrative. Cependant, il est assez courant que les motifs invoqués par les bailleurs ne soient pas jugés suffisants par les juridictions pour justifier leur refus de paiement d’une indemnité d’éviction.
Le bailleur peut alors décider d’exercer son droit de repentir visé à l’article L. 145-58 du code de commerce et consentir au renouvellement du bail, dont le loyer est fixé conformément aux règles du plafonnement du loyer. La difficulté vient du fait que l’article L. 145-12 du code de commerce précise que le nouveau bail prend effet à partir du jour où cette acceptation a été notifiée au locataire par acte extrajudiciaire. Il existe donc une période, entre l’expiration du bail et le début du nouveau bail, au cours de laquelle le preneur est demeuré dans les lieux sans pour autant être titulaire d’un bail. Ce maintien dans les lieux est prévu par la loi puisque l’article L. 145-28 du code de commerce dispose qu’« aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue ». Cet article prévoit également que, « jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré ». Autrement dit, sans pour autant être renouvelé, les clauses du bail commercial continuent à s’appliquer entre les parties. Le droit du bail commercial vient donc régir la période transitoire au cours de laquelle doivent être jugées les questions relatives à l’indemnité d’éviction en maintenant les effets du contrat de bail commercial sans prolonger ou renouveler le contrat lui-même.
Cette solution, d’une grande simplicité à première vue, est quelque peu complexifiée car le locataire n’est plus tenu au paiement du loyer qui est remplacé par une indemnité d’occupation déterminée « conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation ». Or la section 6 intitulée « du loyer » reprend les règles de fixation du loyer du bail commercial. La loi prévoit donc qu’une indemnité d’occupation remplace le loyer, tout en demeurant soumise aux règles relatives au loyer commercial. Est-ce à dire que l’indemnité d’occupation doit être fixée en fonction de la seule valeur locative du bien visée à l’article L. 145-33, ou que la règle de plafonnement de l’article L. 145-34 doit trouver à s’appliquer ?
Par l’arrêt rapporté du 17 juin 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que « la règle du plafonnement du loyer s’applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, mais non à l’indemnité d’occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l’expiration du bail en application de l’article L. 145-28 du code de commerce » et que « par suite, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que cette indemnité devait être fixée en fonction de la valeur locative ». Ainsi, le plafonnement s’applique au seul loyer commercial et non pas à l’indemnité d’occupation.
Une telle solution était attendue mais apparaît discutable.
Une solution attendue
Conformément à sa volonté d’enrichir ses décisions en visant la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a rappelé qu’une telle solution avait déjà été dégagée dans un arrêt de principe du 14 novembre 1978 (Civ. 3e, 14 nov. 1978, n° 77-12.032, Bull. civ. III, n° 341) qui avait jugé qu’« en l’absence de renouvellement, le plafonnement prévu par ces textes est inapplicable à la détermination de l’indemnité d’occupation due, jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction à laquelle il peut prétendre, par le locataire maintenu dans les lieux ». La Cour de cassation mentionne également dans son arrêt une décision du 7 novembre 2002 (Civ. 3e, 27 nov. 2002, n° 01-10.058, Bull. civ. III, n° 243 ; D. 2003. 205 , obs. Y. Rouquet ; AJDI 2003. 345 , obs. M.-P. Dumont ) qui a rejeté un moyen au motif que « la cour d’appel a, à bon droit, retenu que l’indemnité d’occupation due entre la date d’expiration du bail et l’exercice du droit de repentir était soumise à l’article 20 du décret du 30 septembre 1953, devenu l’article L. 145-28 du code de commerce, et que cette indemnité devait en conséquence être fixée à la valeur locative ».
Ainsi, la jurisprudence visée, bien que relativement ancienne, était bien établie et posait clairement que l’indemnité d’occupation devait être fixée à la valeur locative. À y regarder de plus près, la Cour de cassation avait en réalité réaffirmé sa solution à plusieurs reprises (Civ. 3e, 3 oct. 2007, n° 06-17.766, Bull. civ. III, n° 160 ; Dalloz actualité, 5 oct. 2005, obs. Y. Rouquet ; D. 2007. 2602 , obs. Y. Rouquet ; ibid. 2008. 1645, obs. L. Rozès ; AJDI 2008. 285 , obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; 13 déc. 2018, n° 17-28.055, AJDI 2019. 534 , obs. P. Haas ). Si l’on comprend qu’un arrêt inédit ne soit pas cité dans l’arrêt du 17 juin 2021, l’omission de l’arrêt du 3 octobre 2007 est relativement inexplicable et interroge quant aux choix effectués par la Cour de cassation lorsqu’elle décide de viser des arrêts dans ses décisions.
Outre le fait que cette décision était attendue puisqu’il s’agit d’un arrêt confirmatif, elle s’inscrit dans une interprétation relativement littérale de la loi puisque, bien que les conditions et clauses du contrat continuent à s’appliquer après l’expiration du bail, l’article L. 145-28 du code de commerce précise que, « toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation ». Or l’utilisation de l’adverbe « toutefois » semble indiquer une limite à la continuation des effets du bail initial et notamment empêche de considérer que le loyer doit continuer à être régi par le contrat de bail. Par ailleurs, le fait que l’article vise « tous éléments d’appréciation » fait référence à l’article L. 145-33, premier article de la section 6 visée à l’article L. 145-28, qui énumère les éléments à prendre en compte pour évaluer la valeur locative du bien. Autrement dit, l’article L. 145-28 apparaît bien indiquer à première vue que l’indemnité d’occupation n’est pas régie par les règles du loyer commercial tout en devant être évaluée en contemplation des mêmes éléments que pour la valeur locative des loyers renouvelés ou révisés.
Une telle solution apparaît cependant discutable.
Une solution discutable
L’article L. 145-28 du code de commerce précise que l’indemnité d’occupation est régie par les sections 6 et 7. La section 7 est relative à la résiliation et ne dit strictement rien sur l’évaluation de l’indemnité d’occupation. La section 6 comprend des règles relatives à la fixation du loyer et notamment l’article L. 145-33 reprenant les éléments pertinents pour évaluer la valeur locative mais également les articles L. 145-34 et L. 145-38 relatifs au plafonnement du loyer. Ainsi, en interprétant l’article L. 145-28 du code de commerce, la Cour de cassation aurait parfaitement pu juger que l’indemnité d’occupation devait être évaluée en appliquant les règles du plafonnement des loyers.
Une telle solution aurait permis de rendre à la notion d’indemnité d’occupation due par le locataire lorsque le bailleur a refusé de renouveler son bail sans avoir payé l’indemnité d’éviction sa véritable nature : un loyer de substitution n’ayant aucun caractère indemnitaire. Il ne s’agit pas en effet d’indemniser un bailleur pour son préjudice mais bien plutôt de payer le prix du bail – appelé désormais indemnité d’occupation et non plus loyer – car les effets du bail continuent de s’appliquer malgré l’absence de renouvellement du contrat.
Dans ces conditions, déplafonner le loyer entre l’expiration du bail et son renouvellement institue une rupture de régime s’explique difficilement. Tandis que le locataire bénéficierait d’un loyer plafonné pendant la durée du bail, son indemnité d’occupation serait déplafonnée. Mais il bénéficierait à nouveau d’un plafonnement au jour du renouvellement de son bail commercial. En pratique, le locataire est pourtant resté dans les lieux et l’indemnité d’occupation a remplacé le loyer car les parties sont entrées dans une phase contentieuse, qui se poursuit souvent sur plusieurs années, visant à déterminer s’il est intéressant pour le bailleur de payer une indemnité d’éviction ou de renouveler le bail (droit de repentir) ou pour le preneur de voir son bail renouvelé (droit d’option). Autrement dit, le locataire peut voir le prix du bail augmenté ou baissé pendant la période transitoire entre l’expiration du bail et le renouvellement ou le paiement de l’indemnité d’éviction, sans que rien ne change en pratique pour lui puisqu’il continue à jouir de l’usage des locaux.
Enfin, il convient de faire remarquer que la Cour de cassation, dans cet arrêt du 17 juin 2021 qui est publié et qui fait l’objet d’une communication sur son site Internet, aurait pu faire preuve de pédagogie et être plus précise en exposant s’il faut fixer l’indemnité d’occupation en fonction de la valeur locative de marché ou de la valeur locative judiciaire, c’est-à-dire la valeur locative servant de base à la détermination du loyer de renouvellement (v. Droit et pratique des baux commerciaux, Dalloz Action, 2021-2022, n° 522.41). Sans doute a-t-elle voulu laisser aux juges du fond une certaine latitude en jugeant que ce choix relève de leur pouvoir souverain d’appréciation des faits, ce qui semble être sa position (Civ. 3e, 9 avr. 2013, n° 12-13.622, Dalloz actualité, 26 avr. 2013, obs. A. Lauriette ; AJDI 2013. 828 , obs. D. Lipman-W. Boccara ).
« Le principe du contradictoire est l’âme du procès au point qu’il est dit de droit processuel. Il est, par essence, commun à toutes les procédures » (L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie du procès, 2e éd., PUF, 2013, n° 173). Ce principe ne s’impose pas qu’aux relations entre les parties au procès. Comme le rappelle l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 17 juin 2021 (n° 19-22.710), il s’applique également au juge lorsqu’il entend relever d’office un moyen de droit (J. Landel, Le non-respect du principe de contradiction : encore un arrêt sanctionné, Éd. législatives, 18 juin 2021).
En l’espèce, des époux s’absentent de leur domicile du 14 au 16 février 2015. Profitant de leur absence, des cambrioleurs visitent leur maison d’habitation et forcent leur coffre-fort. Le couple avait souscrit un contrat d’assurance contre le vol auprès de la compagnie Groupama (ci-après l’assureur). Cette dernière refuse cependant de prendre en charge le sinistre. Elle considère que les assurés n’avaient pas mis en œuvre les moyens de protection prescrits en cas d’absence de plus de 24 heures : les volets et persiennes n’avaient pas été fermés, facilitant ainsi l’entrée des voleurs, lesquels avaient pu se contenter de briser la porte-fenêtre du premier étage (sur la distinction des clauses de condition de garantie et d’exclusion de garantie, v. A. Cayol, Le principe de détermination conventionnelle des garanties, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 118).
Les époux assignent donc l’assureur en réparation de leurs préjudices. Par un arrêt du 3 juillet 2019, la cour d’appel de Rennes le condamne à prendre en charge, dans le cadre de sa garantie vol, le préjudice subi par les époux (Rennes, 3 juill. 2019), aux motifs que les conditions générales de la police d’assurance précisaient que « ne sont pas garantis les vols ou détériorations survenus alors que les mesures de prévention n’ont pas été observées, sauf en cas de force majeure ou si le non-respect de ces mesures n’a pu avoir d’incidence sur la réalisation des dommages ». Or, les juges du fond retiennent que, « au regard de la détermination du ou des auteurs du cambriolage, caractérisée par le mode opératoire, dont le forcement du...
Déjà le troisième numéro d’Enquête interne, le podcast proposé par Lefebvre Dalloz qui donne la parole à ceux qui vivent et font la compliance. Au micro aujourd’hui, Lucie Mongin-Archambeaud et Dorothé...
De strictes conditions de fond et de forme doivent être respectées par les assureurs dans la rédaction des clauses d’exclusion de garantie : nécessairement formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1), elles doivent en outre être mentionnées en caractères très apparents dans la police (C. assur., art. L. 112-4) (A. Cayol, « Le principe de détermination conventionnelle des garanties », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 120). Le contrat d’assurance est en effet considéré comme « structurellement déséquilibré » et archétype du contrat de consommation, ce qui justifie des aménagements au principe de la liberté contractuelle (F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Contrats, PUF, 2014, p. 34).
La Cour de cassation a déjà rappelé, dernièrement, qu’il résulte de l’article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances que les clauses d’exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu’elles doivent être interprétées et qu’elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées (Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 19-16.435, Dalloz actualité, 7 janv. 2021, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2020. 2397 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ). La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a été amenée, une nouvelle fois, à rappeler cette règle dans un arrêt rendu le 17 juin 2021 (pourvoi n° 19-24.467), après que l’assureur et le banquier ont cherché à éviter de garantir en invoquant divers arguments – prescription de l’action et clause d’exclusion de garantie (comp. R. Bigot, Quand tous les moyens sont bons – prescription ou exclusion – pour éviter de garantir, ss Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868, Dalloz actualité, 25 févr. 2020).
En l’espèce, un agriculteur a souscrit, pour les besoins de sa profession, quatre emprunts auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc (la banque). Il a alors adhéré à l’assurance de groupe souscrite par la banque auprès de la société CNP assurances (l’assureur) et garantissant les risques de décès et d’incapacité temporaire totale de travail pour l’ensemble de ces prêts, ainsi que le risque d’invalidité absolue et définitive pour l’un d’entre eux et le risque perte totale et irréversible d’autonomie pour les trois autres. Un accident du travail lui a, par la suite, causé des hernies discales avec lombo-sciatalgie, l’empêchant de poursuivre son activité professionnelle. Pour refuser la prise en charge des échéances des prêts, l’assureur a invoqué, notamment, les exclusions de garantie relatives aux pathologies lombaires prévues par les contrats d’assurance.
Face à ce refus, l’agriculteur a assigné la banque et l’assureur devant un tribunal de grande instance, aux fins, à titre principal, de condamnation de ce dernier à lui payer une somme au titre des mensualités d’emprunt et, à titre subsidiaire, de condamnation des parties adverses au paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Les juges du fond ont débouté l’agriculteur de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de l’assureur et de la banque (Montpellier, 18 sept. 2019). Il a alors formé un pourvoi en cassation. Deux moyens lui ont permis de faire censurer l’arrêt de la cour d’appel : l’un portant sur l’illicéité de la clause d’exclusion de garantie opposée par l’assureur, l’autre portant sur le manquement du banquier à son obligation d’éclairer le client sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle.
La clause d’exclusion de garantie pour « mal de dos » non formelle et limitée
Dans son deuxième moyen, l’agriculteur a, tout d’abord, soutenu qu’« une clause d’exclusion de garantie qui est sujette à interprétation n’est pas formelle et limitée ; que pour faire application de la clause d’exclusion litigieuse, à l’exception de ses termes “et autre mal de dos”, la cour d’appel a énoncé qu’une fois expurgée de cette expression maladroite et imprécise inopposable à l’assuré, la clause redevient parfaitement claire, formelle et limitée pour le restant en excluant les incapacités et invalidités (qu’elles soient temporaires, permanentes, définitives et/ou absolues) qui résultent de lombalgie, de sciatalgie, dorsalgie, cervicalgie ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il ressortait qu’elle avait dû interpréter la clause pour déterminer dans quelle mesure celle-ci était formelle et limitée, en violation de l’article L. 113-1 du code des assurances ». L’agriculteur a, ensuite, soutenu qu’« une clause d’exclusion de garantie imprécise, fût-ce pour partie, est inapplicable pour le tout ». La cour d’appel aurait ainsi violé l’article L. 113-1 du code des assurances en appliquant la clause « au motif erroné qu’expurgée de cette expression maladroite et imprécise inopposable à l’assuré, la clause redevient parfaitement claire, formelle et limitée » (pt 5).
Par un arrêt du 17 juin 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, au visa de l’article L. 113-1 du code des assurances. Elle rappelle qu’il résulte de ce texte que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées (pt 6), en déduisant qu’en l’espèce, la « clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne « et autre "mal de dos" » n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application, peu important que l’affection dont est atteint [l’assuré] soit l’une de celles précisément énumérées à la clause » (pt 9). Les juges du fond ne pouvaient ainsi distinguer selon la partie de la clause applicable à la situation de l’emprunteur.
« Avec l’exigence d’une exclusion formelle, le législateur veut que la portée ou l’étendue de l’exclusion soit nette, précise, sans incertitude, pour que l’assuré sache exactement dans quels cas et dans quelles conditions il n’est pas garanti » (Civ. 1re, 8 oct. 1974, D. 1975. 513, note C.-J. Berr et H. Groutel). Il en résulte trois conditions cumulatives pour qu’une clause puisse être qualifiée de formelle et limitée. En premier lieu, l’assuré doit avoir une connaissance exacte de l’étendue de la garantie, la clause ne devant pas être interprétée (Civ. 1re, 22 mai 2001, n° 98-10.849). L’assureur est tenu de la rendre suffisamment explicite (Civ. 2e, 18 janv. 2006, n° 04-17.279, D. 2006. 321 ). En deuxième lieu, la clause doit être précise : il importe qu’elle se réfère à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées afin de délimiter de façon particulièrement nette le champ dans lequel la garantie n’est pas due (Civ. 2e, 6 oct. 2011, n° 10-10.001, Dalloz actualité, 27 oct. 2011, obs. T. de Ravel d’Esclapon). Enfin, et en troisième lieu, à l’instar du droit commun en ce qui concerne les clauses limitatives de responsabilité (Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632, D. 1997. 121 , note A. Sériaux ; ibid. 145, chron. C. Larroumet ; ibid. 175, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997. 418, obs. J. Mestre ; ibid. 1998. 213, obs. N. Molfessis ; RTD com. 1997. 319, obs. B. Bouloc ; adde M. Leveneur-Azémar, Étude sur les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité, préf. Y. Lequette, LGDJ, 2017 ; puis ord. du 10 févr. 2016 : C. civ., art. 1170), la jurisprudence exige depuis 1987 (Civ. 1re, 18 févr. 1987) que la clause ne vide pas la garantie de sa substance afin de pouvoir être considérée comme « limitée » (Civ. 2e, 9 févr. 2012, n° 10-31.057, Dalloz actualité, 5 mars 2012, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; RDI 2012. 290, obs. D. Noguéro ) : le juge est tenu de vérifier « l’étendue de la garantie subsistant après application de la clause litigieuse » (Civ. 1re, 9 mars 2004, n° 00-21.974).
En l’espèce, c’est la précision de la clause qui posait plus particulièrement problème. Le terme « et autre mal de dos » laissait en effet planer un doute sur les pathologies spécifiquement concernées. Sans surprise, les juges du fond ont jugé cette « expression maladroite et imprécise inopposable à l’assuré » (v. de même Civ. 2e, 18 janv. 2006, n° 04-17.279, D. 2006. 321 : « n’est pas formelle et limitée, la clause d’une police d’assurance qui exclut la prise en charge des incapacités qui résultent de lombalgie, de sciatalgie, dorsalgie, cervicalgie ou “autre mal de dos” »). Ils avaient toutefois cru pouvoir appliquer le reste de la clause, laquelle, une fois expurgée de cette expression, redeviendrait parfaitement claire, formelle et limitée (pt 5). La Cour de cassation adopte, au contraire, une position particulièrement stricte : dès lors qu’une partie de la clause nécessite interprétation (sur la question, v. B. Beignier, « Interprétation du contrat d’assurance et principes d’interprétation », in B. Beignier, S. Ben Hadj Yahia, Actualité du droit des assurances (sept. 2019 – sept. 2020), RLDC n° 188, janv. 2021, p. 27), la clause en son entier n’est pas formelle et limitée.
Nous renouvelons donc ici l’appel à la vigilance des assureurs, en leur rappelant à nouveau, à la lecture de la jurisprudence récente (v., ex. multi, Civ. 2e, 8 oct. 2020, n° 19-21.105, JS 2020, n° 213, p. 8, obs. F. Lagarde ; 16 juill. 2020, n° 19-15.676), que, « s’ils ne veulent pas que leurs clauses d’exclusion de garantie soient ainsi mises sur la sellette, les rédacteurs de polices d’assurance devront, à l’avenir, savoir résoudre l’équation suivante : « Article L. 113-1 du code des assurances = clause formelle + clause limitée = (clause claire + clause précise) + clause limitée = (clause explicite sans nécessiter une interprétation + [critères précis + hypothèses limitativement énumérées]) + clause ne vidant pas la garantie de sa substance ! » (Dalloz actualité, 7 janv. 2021, obs. R. Bigot et A. Cayol, préc.).
Le manquement du banquier à son obligation de conseil relative à l’assurance
Dans le troisième moyen, subsidiaire, du pourvoi, l’agriculteur a soutenu, premièrement, que « le banquier qui propose à son client, auquel il consent un prêt, d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit à l’effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l’exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur ». Le banquier aurait, en l’espèce, manqué à son devoir de mise en garde, ne s’étant pas enquis de la possibilité d’assurer les prêts avec une meilleure couverture des risques. La cour d’appel aurait donc violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance du 10 février 2016, en retenant que la banque avait parfaitement rempli ses obligations du fait que l’emprunteur était parfaitement informé puisqu’il avait signé et paraphé chaque demande d’adhésion comprenant l’exclusion de garantie litigieuse.
L’assuré a, en deuxième lieu, soulevé que « la circonstance que le client du banquier a déclaré qu’un risque déterminé ne s’est pas réalisé avant son adhésion au contrat d’assurance de groupe n’exonère pas le banquier de son obligation d’éclairer son client sur l’opportunité de voir couvrir ce risque au regard de sa situation personnelle telle qu’elle peut raisonnablement être envisagée en cours d’exécution du contrat de prêt ; qu’il en va ainsi en particulier lorsque la survenance de ce risque est fréquente dans la population générale ». Le banquier aurait dû prendre l’initiative de vérifier l’adéquation des risques couverts à la situation personnelle de l’emprunteur. La cour d’appel aurait donc, là encore, violé l’ancien article 1147 du code civil.
En troisième lieu, l’agriculteur a soutenu que « la perte d’une chance consiste en la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». La cour d’appel aurait donc violé l’ancien article 1147 du code civil en subordonnant l’indemnisation de la perte d’une chance à la preuve de la certitude que l’emprunteur aurait souscrit une assurance complémentaire s’il avait été mieux éclairé, quand seule importait la question de savoir si, faute de mise en garde du banquier, il avait perdu l’éventualité de souscrire une telle assurance.
L’assuré a soulevé, en dernier lieu, que « le préjudice résultant du manquement du banquier à son devoir d’éclairer son client sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur réside dans la disparition pour celui-ci de l’éventualité de contracter des garanties plus appropriées à sa situation personnelle ; que, dès lors, en affirmant, pour débouter [l’emprunteur] de sa demande au titre de ce manquement, qu’il ne démontre aucun préjudice de perte de chance de ne pas contracter, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ».
Dans son arrêt du 17 juin 2021, la deuxième chambre civile censure cet aspect de la décision d’appel au visa de l’article 1147 – devenu 1217 –, du code civil et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, en rappelant qu’il résulte de ce texte que la banque qui propose à son client auquel elle consent un prêt d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’elle a souscrit à l’effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l’exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenue de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur (pt 11).
Selon la Cour de cassation, il se déduit de ce principe que « toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l’emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé » (pt 12). La cour d’appel a donc violé le texte et le principe susvisés en statuant « par des motifs impropres à écarter la perte de chance alléguée par [l’emprunteur], et alors qu’il appartenait à la banque d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation de la garantie proposée aux risques auxquels l’exposait son activité professionnelle » (pt 14).
Néanmoins, ce moyen a été présenté seulement à titre subsidiaire. En conséquence, « la cassation prononcée sur le fondement du deuxième moyen, formulé à titre principal, tiré de la nullité de la clause d’exclusion de garantie figurant dans le contrat d’assurance relatif au prêt n° 496125016PR », rend irrévocable l’arrêt attaqué en ce qu’il rejette les demandes formées par [l’emprunteur] contre la banque au titre de ce contrat, dès lors que le troisième moyen a été présenté à titre subsidiaire » (pt 15). Il s’agit d’un exemple de la difficile articulation des moyens principaux et des moyens subsidiaires (J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz Action, 2015/2016, n° 82-43).
En définitive, le banquier, tout comme le notaire (R. Bigot, La responsabilité notariale pour défaut de conseil lié à l’assurance emprunteur, ss Civ. 1re, 8 janv. 2020, n° 18-23.948, Dalloz actualité, 13 mars 2020), ne doit pas négliger la qualité de son devoir d’information et de conseil en matière d’assurance emprunteur. Ils risquent, à défaut, d’engager leur responsabilité civile et d’être tenus d’indemniser le client de la perte de chance (L. Vitale, La perte de chances en droit privé, préf. P. Jourdain, LGDJ, 2020, n° 309) de souscrire une garantie plus adaptée à sa situation (v. par ex. Com. 31 janv. 2012, n° 11-11.700, AJDI 2012. 280 : perte de chance d’être garantis pour le risque perte d’emploi), étant précisé que le délai de prescription d’une telle action commence à courir le jour où l’assuré a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ladite action, c’est à dire en pratique au jour où l’assureur lui oppose un refus de garantie (Com. 6 janv. 2021, n° 18-24.954, Dalloz actualité, 29 janv. 2021, obx. Y. Blandin ; D. 2021. 76 ; RTD civ. 2021. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 421, obs. P. Jourdain ).
L’obligation de bonne foi (C. civ., art. 1104 ; déjà, ancien art. 1134, al. 3) est en effet le fondement d’une exigence de transparence. L’emprunteur est créancier de nombreuses informations précontractuelles, se concrétisant principalement sous la forme d’une notice d’information (C. assur., art. L. 141-4), dont la remise incombe au banquier souscripteur et non à l’assureur (Civ. 1re, 17 juill. 2001, nos 98-18.242 et 98-19.127, AJDI 2002. 780 , obs. F. Cohet-Cordey ). Toutefois, « la remise de la notice n’épuise pas l’obligation d’information. Le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit, est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur. C’est donc à une obligation de conseil et de mise en garde que l’établissement de crédit, souscripteur du contrat d’assurance, est tenu vis-à-vis de l’emprunteur. Le manquement à cette obligation de conseil résulte le plus souvent de l’absence d’analyse des besoins de l’emprunteur » (P. Casson et R. Bigot, « Assurance emprunteur », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], op. cit., p. 608).
Le devoir de conseil ne se limite cependant pas à la transmission d’une information brute : il impose, au-delà, de donner un avis circonstancié eu égard aux besoins spécifiques de l’assuré. Comme le souligne en l’espèce la Cour de cassation, la cour d’appel ne pouvait pas se contenter de constater que l’emprunteur avait été informé de l’existence de la clause d’exclusion de garantie – chaque demande d’adhésion ayant été dûment signé et paraphée par ses soins –, de tels motifs étant « impropres à écarter la perte de chance alléguée […] alors qu’il appartenait à la banque d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation de la garantie proposée aux risques auxquels l’exposait son activité professionnelle. Le conseil donné doit être personnalisé par rapport à sa situation particulière. Il importe « d’éclairer l’assuré sur l’adéquation des risques couverts par les stipulations du contrat d’assurance, fussent-elles claires et précises, à sa situation personnelle » (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, D. 2007. 985 , note S. Piédelièvre ; ibid. 863, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 120, obs. H. Groutel ; ibid. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 319, obs. L. Grynbaum ; RTD com. 2007. 433, obs. D. Legeais ), sans quoi les assureurs se casseront encore longtemps les dents sur la clause d’exclusion « mal de dos » !
Classiquement, le créancier qui ne pas procède dans les délais à la déclaration de sa créance au passif de son débiteur en procédure collective risque de voir son droit inopposable à la procédure (C. com., art. L. 622-26, al. 2). Pour éviter cette sanction, et malgré le dépassement du délai, le créancier peut intenter une action en relevé de forclusion (C. com., art. L. 622-26, al. 1). À ce titre, le code de commerce prévoit deux motifs possibles à cette action. D’une part, le créancier peut démontrer que sa défaillance à déclarer n’est pas due de son fait. D’autre part, il peut établir que sa défaillance est due à une omission du débiteur lors de l’établissement de la liste prévue à l’article L. 622-6 du code de commerce. Cette liste doit être remise par le débiteur à l’ouverture de la procédure collective à l’administrateur et au mandataire judiciaire. Elle comprend l’énumération des créanciers, du montant des dettes et des principaux contrats en cours. L’arrêt commenté revient sur ce dernier motif de relevé de forclusion et apporte des précisions intéressantes sur la notion « d’omission » précitée.
En l’espèce, le plan de cession d’une société débitrice en redressement judiciaire est arrêté par un jugement du 15 juin 2015 au profit d’un cessionnaire avec faculté de substitution au bénéfice d’une société. La société débitrice est mise en liquidation judiciaire le 24 juin 2015. Or, par un jugement du 28 juillet 2016, publié au BODACC le 9 août 2016, la société substituée est également placée en redressement judiciaire avant que cette procédure ne soit convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 7 novembre 2016. Finalement, le 22 novembre 2016, la résolution du plan de cession est prononcée faute pour ce dernier d’avoir été exécuté.
Le 9 février 2017, le liquidateur de la société débitrice a présenté au juge-commissaire de la procédure collective de la société substituée une requête en relevé de forclusion en vue de déclarer une créance. Cette requête est accueillie favorablement par le juge-commissaire et par la cour d’appel et le liquidateur de la société substituée se pourvoit en cassation.
Pour ce dernier, lorsque le caractère volontaire de l’omission d’une créance ou du défaut de remise de la liste des créanciers n’est pas démontré, le créancier qui sollicite le relevé de forclusion est tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre ladite omission et la tardiveté de sa déclaration de créance. Or, selon le demandeur, la cour d’appel s’est bornée à relever que le créancier qui n’a pas déclaré sa créance dans le délai légal du fait de l’absence de remise de la liste par le débiteur doit être relevé de la forclusion encourue. En statuant ainsi, la cour d’appel n’aurait pas recherché de lien de causalité entre l’omission par le débiteur et la tardiveté de la déclaration de créance. Par conséquent, elle aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 622-26 du code de commerce.
La Cour de cassation ne souscrit pas à l’argumentation et rejette le pourvoi.
Pour la Haute juridiction, il résulte du premier alinéa de l’article L. 622-26 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, que lorsqu’un débiteur s’est abstenu d’établir la liste prévue au deuxième alinéa de l’article L. 622-6 dudit code ou que, l’ayant établie, il a omis d’y mentionner un créancier, le créancier omis, qui sollicite un relevé de forclusion, n’est pas tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre cette omission et la tardiveté de sa déclaration de créance. En l’espèce, la Cour de cassation relève que les dirigeants de la société substituée n’avaient pas remis au mandataire la liste des créanciers de cette société. Or, cette absence de remise a produit les mêmes effets que l’omission d’un créancier sur cette liste. Par conséquent, la cour d’appel a légalement justifié sa décision et le pourvoi est rejeté.
En l’occurrence, la Cour de cassation avait à répondre à la question de savoir si un créancier peut obtenir un relevé de forclusion à l’unique condition qu’il ait été omis de la liste des créanciers – ou encore, comme en l’espèce, que cette liste n’ait jamais été déposée – ou doit-il, en sus, démontrer que l’omission du débiteur était la cause de sa défaillance à déclarer.
Si l’interrogation peut sembler classique, elle est pourtant inédite, à notre connaissance, sous l’empire des textes en vigueur depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 et applicables en l’espèce.
Retour sur les règles applicables en la matière
L’évolution des règles en la matière s’apparente à un amoncellement d’assouplissements au bénéfice des créanciers d’un débiteur en procédure collective.
Avant la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, l’article L. 621-46 du code de commerce prévoyait que les créanciers ne pouvaient être relevés de forclusion qu’à condition de démontrer que leur défaillance à déclarer n’était pas due de leur fait. Aussi la Cour de cassation estimait-elle que l’omission d’une créance sur la liste dressée par le débiteur à l’ouverture de la procédure collective n’avait pas pour effet de dispenser le créancier de rapporter la preuve que sa défaillance à déclarer n’était pas due de son fait (Com. 8 juin 2010, n° 09-15.769, Bull. civ. IV, n° 110 ; D. 2010. 1549 ; Rev. sociétés 2010. 410 et les obs. ).
Puis, le législateur – certainement conscient de la sévérité de la règle imposée au créancier – a consacré un premier assouplissement par le biais de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005. Pour obtenir un relevé de forclusion, les créanciers pouvaient désormais démontrer que leur défaillance à déclarer n’était pas due de leur fait ou qu’elle résultait d’une omission volontaire du débiteur lors de l’établissement de la liste prévue à l’article L. 622-6 du code de commerce.
Las, toutes les problématiques n’étaient pas réglées, car l’introduction en droit positif d’un second motif de relevé de forclusion a suscité des interrogations quant à son articulation avec le premier. À cet égard, la Cour de cassation a reconnu que les deux causes de relevé de forclusion étaient autonomes. Il en a été déduit que lorsque l’omission volontaire du débiteur était constatée, le créancier était en droit d’obtenir le relevé de forclusion, et ce, quand bien même sa défaillance à déclarer pouvait lui être imputable (Com. 16 mars 2010, n° 09-13.511 NP, Rev. sociétés 2010. 196, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2010. 606, obs. A. Martin-Serf ). Plus précisément, d’une part, la Haute juridiction a reconnu que si le caractère volontaire de l’omission d’une créance sur la liste prévue à l’article L. 622-6 était démontré, le créancier n’avait pas à établir de lien de causalité entre son omission de la liste et le caractère tardif de sa déclaration de créance (Com. 10 janv. 2012, n° 10-28.501, Bull. civ. IV, n° 4 ; D. 2012. 216, obs. A. Lienhard ; ibid. 1573, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2012. 195, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2012. 404, obs. A. Martin-Serf ). D’autre part, il a été jugé que l’omission volontaire par le débiteur d’un créancier de la liste prévue à l’article L. 622-6 du code de commerce exemptait ce dernier d’avoir à démontrer que sa défaillance à déclarer n’était pas due de son fait (Com. 9 avr. 2013, n° 12-11.713 NP, RTD com. 2013. 587, obs. A. Martin-Serf ).
Fort de ces précédents, les rédacteurs de l’ordonnance du 12 mars 2014 sont allés encore plus loin dans l’assouplissement de ces règles en faisant prévaloir le souci de protection des créanciers, mais également, la volonté de faire jouer un rôle plus important à la liste des créanciers devant être établie à l’ouverture de la procédure collective (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021-2022, n° 666.151).
Ainsi l’adjectif « volontaire » – qui venait qualifier l’omission d’un créancier par le débiteur de la liste de l’article L. 622-6 – a-t-il été supprimé. A priori, en application de cette version du texte, la seule démonstration de l’omission du débiteur, qu’il s’agisse du nom du créancier ou du montant de sa créance, suffit à obtenir un relevé de forclusion (F.-X. Lucas, Présentation de l’ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, BJE mars 2014, n° 111b7, p. 111).
Pour le dire plus simplement, il semblerait que, sous l’empire des textes de l’ordonnance du 12 mars 2014, si l’omission du créancier sur la liste est constatée, le relevé de forclusion s’impose (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2015, n° 1555). Or, l’arrêt ici rapporté constitue à notre connaissance, la première application jurisprudentielle, du moins au stade de la cassation, de cette règle pressentie par la doctrine.
La consécration d’un relevé de forclusion « de droit » en cas d’omission de la liste
En l’espèce, la Haute juridiction affirme que lorsqu’un débiteur s’est abstenu d’établir la liste prévue au deuxième alinéa de l’article L. 622-6 dudit code ou que, l’ayant établie, il a omis d’y mentionner un créancier, le créancier omis, qui sollicite un relevé de forclusion, n’est pas tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre cette omission et la tardiveté de sa déclaration de créance.
Cette solution doit être approuvée, car elle est conforme à l’esprit de la réforme opérée en 2014.
En effet, la suppression de l’exigence de rapporter la preuve d’une omission volontaire s’inscrit dans un mouvement de bienveillance à l’égard des créanciers. Par conséquent, il serait illogique, d’un côté, de ne plus exiger la preuve du caractère volontaire de l’omission du débiteur et de l’autre, d’attendre du créancier qu’il établisse que son omission de la liste soit la cause de sa défaillance à déclarer.
Il faut donc affirmer que le créancier omis de la liste remise par le débiteur peut obtenir un relevé de forclusion en raison de cette seule omission. Ce motif consacre donc, en quelque sorte, un motif de relevé de forclusion « de droit ».
À vrai dire, la solution met en exergue un certain parallélisme des dispositions.
D’une part, elle est à mettre en regard avec la règle selon laquelle la communication par le débiteur au mandataire judiciaire d’une créance fait présumer déclaration de créance au bénéfice du créancier concerné (C. com., art. L. 622-24, al. 3). Autrement dit, le créancier présent au sein de la liste est considéré comme ayant déclaré, tandis que le créancier oublié peut être relevé de forclusion, et ce, indépendamment de l’imputabilité de sa défaillance à déclarer.
D’autre part, en matière de traitement des situations de surendettement des particuliers, le deuxième alinéa de l’article R. 742-13 du code de la consommation prévoit également une cause de relevé de forclusion « de droit » lorsque le créancier du débiteur a vu sa créance omise lors du dépôt de la demande de traitement.
L’absence d’établissement de la liste équivaut-elle à une omission du créancier ?
En dernier lieu, concédons qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une omission par le débiteur du créancier sur la liste de l’article L. 622-6, précisément car… le débiteur s’était passé de l’établissement d’une telle liste !
Bien que le bon sens permette de répondre intuitivement à la question, l’on peut néanmoins se demander si l’absence d’établissement de la liste est assimilable à l’omission d’un créancier.
À cette interrogation, la Haute juridiction semble avoir répondu par la positive (Com. 12 janv. 2010, n° 09-12.133, Bull. civ. IV, n° 6 ; D. 2010. 264, et les obs. ; Rev. sociétés 2010. 196, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2010. 606, obs. A. Martin-Serf ). La solution est somme toute logique, puisqu’il s’agit fondamentalement de sanctionner le débiteur, en favorisant le créancier, lorsque le premier ne met pas les organes de la procédure en mesure d’informer les créanciers connus (P.-M. Le Corre, op. cit., n° 665.531).
Dès lors, il nous paraît tout à fait louable qu’en l’espèce, la Cour de cassation ait assimilé le défaut d’établissement de la liste à une omission par le débiteur d’un créancier au sein de la liste pour permettre à ce dernier de solliciter un relevé de forclusion.
Aux termes des articles L. 145-38 et L. 145-34 du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014,...
L’indice du coût de la construction (ICC) du premier trimestre 2021, publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Informations rapides de l’INSEE n° 157, 23 juin 2021) s’élève à 1 822, soit une hausse de 2,94 % sur un an, de 9,04 % sur trois ans et de 12,68 % sur neuf ans.
Avertissement : même si l’ICC est publié au Journal officiel, la date officielle de sa parution est celle de sa publication dans les Informations rapides de l’INSEE.
La saga des prêts libellés en francs suisses trouvera-t-elle enfin un épilogue heureux pour les consommateurs ? Il est permis de le penser à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-609/19 ; v. égal. CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin).
En l’espèce, par acte notarié du 10 mars 2009, un couple d’emprunteurs avait acquis un bien immobilier et souscrit à cet effet auprès de BNP Paribas Personal Finance un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère et dénommé « Helvet Immo ». Ce contrat prévoyait la souscription d’un prêt à un taux de 4,95 %, remboursable, en principe, en 276 échéances fixes, libellé en francs suisses et remboursable en euros, étant précisé qu’au jour de la conclusion dudit contrat, le montant de ce prêt s’élevait à 143 421,53 €, soit à 216 566,51 francs suisses. Ce même contrat prévoyait le remboursement des mensualités à échéances fixes en euros et la conversion de celles-ci en francs suisses afin de contribuer au paiement des intérêts et à l’amortissement du capital, les frais associés au crédit, tels que l’assurance, étant facturés en euros. Il était également prévu que la durée du crédit serait allongée de cinq années, les échéances prévues en euros étant imputées en priorité sur les intérêts lorsque l’évolution des parités augmente le coût du crédit pour l’emprunteur et que si le maintien du montant des règlements en euros ne permettait pas de régler la totalité du solde du compte sur la durée résiduelle initiale majorée de cinq années, le montant des mensualités serait augmenté. À la suite de mensualités impayées, la déchéance du terme a été prononcée et le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Libourne (France) a ordonné, le 16 janvier 2015, la vente forcée du bien immobilier concerné. S’ensuivit un litige ayant conduit le tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne à poser aux juges européens une série de questions préjudicielles portant sur le point de savoir si les clauses litigieuses concernaient l’objet principal du contrat et si elles étaient suffisamment claires.
La Cour de Luxembourg considère, en premier lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat ». Sur ce premier point, la Cour de justice respecte à la lettre les termes de l’article 4, § 2, de la directive de 1993, qui prévoit que « l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (v. égal. C. consom., art. L. 212-1, al. 3). On sait en effet que seules les clauses litigieuses ne portant pas sur l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération peuvent en principe faire l’objet d’un contrôle (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, n° 100). Or l’une des difficultés du contentieux des prêts en devises réside précisément dans le fait que les clauses litigieuses portent bien souvent sur l’objet principal du contrat (v. CJUE 20 sept. 2017, aff. C-186/16, D. 2017. 2401 , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2018. 208 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 484, obs. B. Brignon ; comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles ; v. égal. Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; Civ. 1re, 20 févr. 2019, nos 17-31.065 et 17-31.067, Dalloz actualité, 5 mars 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 428 ; AJDI 2019. 708 , obs. O. Poindron et J. Moreau ; Rev. prat. rec. 2020. 23, chron. R. Bouniol ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; 12 déc. 2018, n° 17-18.491, RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau ; 3 mai 2018, n° 17-13.593, Dalloz actualité, 17 mai 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1355 , note D. Mazeaud ; ibid. 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2018. 871 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2018. 284, obs. B. Brignon ; RTD com. 2018. 432, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau ; comp. Civ. 1re, 29 mars 2017, nos 16-13.050 et 15-27.231, Dalloz actualité, 28 avr. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1893 , note C. Kleiner ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 596 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 278 , obs. B. Brignon ; RTD civ. 2017. 383, obs. H. Barbier ; RTD com. 2017. 409, obs. D. Legeais ), même si la thèse inverse a été brillamment défendue (G. Cattalano, Prêts en francs suisses : peu d’espoir pour les emprunteurs, Defrénois, 15 nov. 2018, p. 27, considérant que « l’objet principal du contrat est la mise à disposition des fonds et non la manière dont sont calculées et payées les mensualités de remboursement »).
Toutefois, même dans le cas où la clause porte sur l’objet principal du contrat, il y a toujours une place pour un contrôle de l’abus dans l’hypothèse où ladite clause ne serait pas rédigée de manière claire et compréhensible, hypothèse que le texte précité réserve. À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne estime, en second lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (v. déjà CJUE 20 sept. 2018, aff. C-51/17, Dalloz actualité, 26 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1861 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ contrat 2018. 431, obs. E. Bazin ). Elle considère également que « l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses ».
Voilà qui apporte un singulier démenti à la jurisprudence de la Cour de cassation (v. les arrêts préc.), qui devrait sans doute désormais évoluer en faveur des consommateurs. Il est vrai que ces derniers avaient obtenu gain de cause sur le terrain pénal l’année dernière, la banque ayant été reconnue coupable à leur égard de pratiques commerciales trompeuses (T. corr. Paris, 13e ch. corr., 26 févr. 2020, n° 12290076010 ; v. à ce sujet G. Cattalano, Nouvel épisode dans l’affaire Helvet Immo : la banque jugée coupable de pratique commerciale trompeuse, RDC n° 2020/3, p. 90). Dès lors, il serait difficilement acceptable qu’ils ne puissent finalement triompher sur le plan civil.
L’arrêt commenté aujourd’hui exigera une certaine attention dans les mois à venir, renvoi préjudiciel oblige. Le point central de la discussion touche aux clauses abusives dont on sait que le cœur de la réglementation européenne a été la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, notamment ses articles 3 et 4 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 167, p. 184). En droit français, l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation dispose que, « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 2021 a pour objectif d’unifier la jurisprudence française sur les clauses de déchéance du terme dont on sait qu’elles peuvent être des clauses abusives lorsqu’elles sont mal rédigées dans des prêts immobiliers. L’objectif de ce renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est donc de clarifier la réglementation applicable. Un bref rappel des faits est important pour comprendre tout l’enjeu de ce renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Un établissement bancaire consent par acte notarié du 17 mai 2006 un emprunt de 209 109 € remboursable sur vingt ans à une personne physique afin que ce dernier puisse acquérir un immeuble. Le contrat prévoyait des « conditions générales » dans lesquelles un article 16-1 précisait que « les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles, sans formalité ni mise en demeure, dans le cas d’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un terme en principal, intérêts ou accessoires » (nous soulignons). L’échéance exigible au 10 décembre 2012 (904,50 €) n’est pas réglée, pas plus que la suivante de janvier 2013. L’établissement bancaire prononce alors la déchéance du terme le 29 janvier 2013 sans mise en demeure préalable conformément à l’article 16-1 précité du contrat. La banque fait ensuite procéder à une saisie-vente chez l’emprunteur une année plus tard. L’emprunteur saisit alors le juge de l’exécution en octobre 2015 en annulation de la procédure soutenant que le procès-verbal de saisie-vente comportait des irrégularités.
Après un premier arrêt de la Cour de cassation portant sur le point de départ du délai biennal de prescription de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation (Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-21.533, AJDI 2019. 379 , obs. J. Moreau ), l’affaire revient devant la cour d’appel de Versailles. À ce stade, s’ouvre à nouveau le débat du caractère abusif ou non de ladite clause prévoyant l’absence d’une mise en demeure préalable. La cour d’appel refuse de considérer la clause comme abusive si bien que l’emprunteur décide de se pourvoir en cassation en confrontant la jurisprudence française à une décision de la CJUE sur la déchéance du terme, le fameux arrêt Banco Primus (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 525 , obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron ). La dispense de mise en demeure décidée conventionnellement serait, pour le plaideur, une clause abusive dans le contrat litigieux eu égard aux critères dégagés par cet arrêt.
La Cour de cassation décide de surseoir à statuer afin de poser plusieurs questions à la Cour de justice de l’Union européenne. Pour faciliter la lecture, nous reproduisons ci-dessous les cinq questions posées à la CJUE :
1. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?
2. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), doit-il être interprété en ce sens qu’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l’équilibre global des relations contractuelles ?
3. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu’il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d’un préavis raisonnable ?
4. Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), pour l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?
5. Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l’importance relative de tel ou tel critère ?
Les données du problème : la déchéance du terme et la mise en demeure
La Cour de cassation commence par distinguer le cadre européen du cadre interne concernant la législation des clauses abusives (nos 5 à 7 de l’arrêt). Il faut louer l’effort de pédagogie déployé ici par la haute juridiction qui entend continuer son œuvre de motivation « enrichie » des arrêts, notamment lorsqu’ils risquent de précéder un important revirement de jurisprudence en fonction de la réponse de la CJUE au renvoi préjudiciel.
Le point névralgique repose sur l’article 16-1 du contrat litigieux dispensant de mise en demeure l’établissement bancaire pour prononcer la déchéance du terme dès le premier impayé en trente jours. On sait qu’eu égard aux articles 1134, 1147 et 1184 anciens – alors applicables à la cause car antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 –, la mise en demeure est un processus étape pour la mise en jeu, par exemple, de la résolution du contrat. Ce mécanisme a pour principale fonction de permettre l’exécution du contrat par le débiteur défaillant (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 866, n° 805). C’est un sursaut d’exécution provoqué par le spectre d’une sanction. Or, ici, la déchéance du terme pouvait être prononcée avant même toute possibilité de régularisation impulsée par une mise en demeure. C’est ici que l’emprunteur s’arc-boute en postulant que l’article 16-1 de la convention est une clause abusive. Le raisonnement peut tout à fait séduire car ladite clause peut créer un déséquilibre significatif entre le consommateur et son cocontractant professionnel.
La jurisprudence de la Cour de cassation permet toutefois de contractualiser la mise en demeure et la haute juridiction entend bien le rappeler dans l’arrêt commenté au n° 9 (Civ. 1re, 3 févr. 2004, n° 01-02.020, Bull. civ. I, n° 27 ; 3 juin 2015, n° 14-15.655, Bull. civ. I, n° 131 ; D. 2015. 1677 , note G. Poissonnier ; RTD civ. 2015. 875, obs. H. Barbier ; 22 juin 2017, n° 16-18.418, Bull. civ. I, n° 151 ; D. 2017. 1356 ; AJDI 2017. 859 , obs. L. Lang, J. Moreau et O. Poindron ; AJ contrat 2017. 386, obs. J. Lasserre Capdeville ). La solution admise par le droit français reste centrée sur une certaine liberté contractuelle puisque les parties peuvent renoncer à la mise en demeure préalable à la condition que le consommateur comprenne l’enjeu de la clause laquelle doit être claire, expresse et non équivoque, d’une part, et permettant, d’autre part, d’informer le consommateur des conséquences que peut avoir l’inexécution de ses obligations. Mais il faut bien avouer que l’exception que constitue cette possibilité tend à devenir le principe dans ce type de contrats où la mise en demeure peut être un frein pour l’exigibilité du solde restant dû d’un débiteur défaillant peut-être définitivement.
La Cour de justice a pu s’intéresser aux clauses de déchéance du terme à travers l’arrêt du 26 janvier 2017 Banco Primus SA, précité. Dans cet arrêt, la CJUE a pu avancer, au numéro 67, quatre critères pour vérifier le caractère éventuellement abusif des clauses de déchéance du terme. En voici un bref résumé :
1. La mise en jeu de la déchéance du terme dépend de l’inexécution d’une obligation présentant un caractère essentiel dans le rapport contractuel.
2. L’inexécution en elle-même doit présenter un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt.
3. La faculté déroge au droit commun des contrats en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques.
4. Le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier à l’exigibilité du prêt.
Or la question de la renonciation à la mise en demeure préalable à la déchéance du terme vient questionner cette jurisprudence. L’intérêt du renvoi préjudiciel apparaît alors très nettement.
Les solutions au problème : l’intérêt du sursis à statuer
Le sursis à statuer repose donc sur une certaine volonté d’harmonisation les jurisprudences (n° 18 de l’arrêt commenté) entre la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne. Deux grandes difficultés apparaissent alors pour cette unification.
D’une part, la première difficulté tient à la contractualisation même de la mise en demeure, laquelle est un des éléments permettant au débiteur de s’exécuter non spontanément mais sous la menace des mécanismes de l’inexécution dont la déchéance du terme n’est qu’une variété. C’est ainsi la première des questions posées à la Cour de justice, peut-être d’ailleurs la plus originale et la plus importante des cinq. L’arrêt Banco Primus ne s’était pas positionné précisément sur ce point. La réponse semble très nuancée. Nous ne nous risquerons pas à proposer une ébauche de solution. Toutefois, on voit mal comment les parties ne pourraient pas renoncer à un mécanisme protecteur si le consommateur comprend le risque de procéder ainsi ; d’autant plus s’il retire de ce sacrifice un avantage particulier. Plus que la réponse, il faudra sonder sa teneur pour réadapter une pratique qui n’hésite pas à se passer des mises en demeure par le recours de ces clauses de renoncement dont l’article 16-1 du contrat litigieux n’est qu’un exemple parmi d’autres.
D’autre part, la seconde difficulté consiste à mieux comprendre la jurisprudence Banco Primus et ces critères précités. Les quatre critères dégagés dans cet arrêt sont-ils cumulatifs ou alternatifs ? Il s’agit d’une vraie question de méthodologie pour que le juge national puisse vérifier dans les clauses de déchéance du terme si une difficulté supplémentaire vient interférer et rendre la clause abusive. Un critère pourrait être plus important qu’un autre si ceux-ci sont simplement alternatifs. C’est ici que l’on peut raisonner factuellement sur la gravité de l’inexécution, à savoir seulement deux échéances avant la déchéance du terme par l’établissement bancaire sans mise en demeure préalable. Le critère de gravité pourrait donc être étayé.
Aux réponses qu’apportera la Cour de justice viendront se poser de nouvelles interrogations eu égard à l’introduction en droit commun des contrats du déséquilibre significatif à travers l’article 1171 nouveau du code civil (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 385, nos 440 s.). Il faudra alors composer probablement avec une double partition, celle du droit commun et celle du droit spécial, c’est-à-dire le droit de la consommation. Voici donc bien des choses à suivre en perspective : d’une part, la réponse donnée à ce renvoi préjudiciel et, d’autre part, ses effets possibles sur la jurisprudence en droit commun des contrats.
Pratiques des prix catalogues (avis n° 21-4). La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) a été interrogée par un professionnel sur la légalité de la pratique qui consiste, pour un fournisseur, à distribuer à des revendeurs des catalogues mentionnant des tarifs à destination des clients finaux. Pour la CEPC, tout d’abord, la pratique consistant pour un fournisseur à imposer à ses distributeurs des prix de revente est en principe illicite en vertu du droit des pratiques anticoncurrentielles et des pratiques restrictives de concurrence.
La pratique consistant pour un fournisseur à diffuser des catalogues ou tout autre document publicitaire, et ce, quel qu’en soit le support, auprès des clients indiquant un prix de revente peut toutefois être reconnue comme étant licite dans les...
Chose peu courante, cet arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2021 porte sur le droit fiscal de la Nouvelle-Calédonie, lequel présente certaines particularités par rapport au droit fiscal continental. Sur le plan des sources, il a pour siège le code des impôts de Nouvelle-Calédonie. C’est de fiscalité immobilière dont il est ici question. Les faits sont les suivants. Par actes du 20 novembre 2007, la société René Coty a acquis deux terrains en se plaçant sous le régime de faveur des marchands de biens, promoteurs et lotisseurs, prévu aux articles Lp 276 à Lp 280 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie (Lp signifie « lois du pays »). Pour bénéficier d’un taux d’imposition aux droits d’enregistrement proportionnels réduit à 1 % prévu par l’article Lp 279, elle s’est engagée à revendre les biens dans un délai maximal de quatre ans (la règle diffère légèrement de celle prévue par le droit continental, qui prévoit que le marchand de biens est exonéré de droits d’enregistrement, s’acquittant seulement d’une taxe de publicité foncière au taux réduit de 0,715 %, s’il prend l’engagement de revendre le bien dans un délai de cinq ans à compter de la date d’acquisition ; v. CGI, art. 1115). Par acte authentique du 2 mars 2010, elle a fait établir un état descriptif de division des deux lots en trois lots-volume de construction à usage d’habitation et d’emplacement de stationnement, et a ensuite cédé deux de ces...
Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, ont signé, le 1er juin dernier, un plan d’action destiné à accompagner les entreprises dans la sortie de crise dont le contenu a été explicité dans un communiqué de presse (Sortie de crise : les aides pour les entreprises en situation de fragilité). Il est rappelé à cette occasion que depuis, mars 2020, près de 700 000 entreprises ont bénéficié de plus de 135 milliards d’euros de prêt garanti par l’État (PGE). Quant au fonds de solidarité, il a soutenu plus de 2 millions d’entreprises pour près de 28 milliards d’euros. L’administration fiscale a, pour sa part, répondu favorablement à 95 % des demandes de report d’échéances, les URSSAF ayant suivi le pas en accordant des exonérations et des reports dans des conditions inédites.
Il semble que les indicateurs économiques soient actuellement positifs et permettent d’envisager un retour satisfaisant à la croissance. L’État a signé un partenariat avec un certain nombre d’organismes pour accompagner cette reprise et notamment la Fédération bancaire française, l’URSSAF, le médiateur du crédit, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, l’ordre des experts-comptables, le Conseil national des barreaux, les greffiers des tribunaux de commerce, les commissaires aux comptes, les chambres de commerce, les Centres d’information sur la prévention des entreprises en difficulté, ou encore les associations pour le retournement.
Mise en place de nouveaux outils
En premier lieu, un Comité national de sortie de crise est institué avec les parties associées, l’État désignant le conseiller national qui le dirige (il s’agit de Gérard Pfauwadel). Localement, le préfet réunit les représentants locaux des parties signataires et ses travaux sont relayés au niveau de la région. L’objectif est de détecter les fragilités financières pour faciliter la prévention. Ces parties s’engagent à mobiliser leurs expertises pour fournir un diagnostic précis et opérationnel aux chefs d’entreprise dès le second semestre 2021.
Les services de l’État mettent en commun leurs compétences pour détecter les entreprises qui présentent des fragilités potentielles, l’ancien dispositif des « signaux faibles » ayant montré ses limites du fait de la crise. Un nouveau modèle a donc été mis en place en partenariat avec la Direction générale des entreprises, la Banque de France, l’URSSAF et la Délégation générale à l’emploi. Ce modèle est fusionné avec celui de la Direction générale des finances publiques.
Une meilleure coordination va donc être possible pour collecter et réunir ces signaux pour favoriser un diagnostic. C’est ce qui avait été souhaité par le rapport Richelme remis en février 2021 à ces ministres, notamment. Les experts-comptables et les administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires se sont engagés à proposer, sans surcoût, un diagnostic de sortie de crise simple et rapide d’ici la fin de l’année 2021. Le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables va mettre en place une plateforme en ligne pour ceux qui n’ont pas d’expert-comptable.
Les commissaires aux comptes s’associent à ce diagnostic gratuit et les établissements bancaires doivent proposer un rendez-vous de sortie de crise. Les chambres de commerce et les chambres de métier de l’artisanat mobiliseront aussi leurs moyens à cet effet, ainsi que les greffiers des tribunaux de commerce.
Les avocats vont, quant à eux, élaborer une liste des points de vigilance pour réaliser un audit contractuel de l’entreprise ainsi qu’une analyse juridique. L’objectif est de choisir le meilleur dispositif pour les entreprises fragiles et l’État et l’URSSAF ont proposé un numéro téléphonique unique (le 0 806 000 245).
Le conseiller départemental de sortie de crise va être un point de contact privilégié pour orienter les entreprises fragiles dans un cadre confidentiel, notamment vis-à-vis du secret des affaires et du secret fiscal.
En outre, une boîte à outils financière est mise à disposition des entreprises par la prolongation des PGE et de la garantie sur le financement de commandes jusqu’à la fin de l’année 2021. Le médiateur du crédit continuera à intervenir pour faciliter l’accès aux PGE. Il faudrait à cet égard permettre l’allongement de la durée des PGE pour faciliter la restructuration durable d’entreprises ayant un réel potentiel de redressement. La rigidité de la durée de quatre ans constitue en effet un frein dans les négociations bancaires à l’encontre d’un traitement uniforme de ces créances.
L’État va relever le plafond des garanties sur les cautions, les prêts de financement à l’export pour les entreprises dont le chiffre d’affaires n’excède pas 1,5 milliard d’euros (seuil de 90 % et 70 % pour les autres). En outre, l’État peut proposer un soutien financier adapté aux besoins des entreprises en maintenant jusqu’à la fin de l’année 2021 la possibilité de se voir accorder des prêts participatifs exceptionnels couvrant les besoins en investissements et en fonds de roulement des entreprises d’une durée de sept ans avec un maximum de 100 000 €.
Les PME et les entreprises de taille intermédiaire peuvent, quant à elle, solliciter une avance remboursable ou un prêt bonifié d’une durée de dix ans maximum avec trois ans de franchise et un montant pouvant aller jusqu’à 800 000 € dans la limite de 25 % du chiffre d’affaires 2019.
Pour les entreprises de taille significative, un fonds de transition est créé, qui est doté de 3 milliards d’euros, le ministère de l’Économie instruisant les demandes de financement.
Les plans d’apurement de dettes sociales et fiscales concernent, pour les entreprises de moins de 250 salariés, une durée adaptée à l’importance de la dette avec des mensualités progressives et pour les entreprises de plus de 250 salariés, un contact individuel pour établir des plans d’apurement individualisés. Pour les dettes fiscales, il est possible d’obtenir des délais de trente-six mois pour les PME redevables d’impositions exigibles entre le 1er mars et le 31 décembre 2020. La Commission des chefs de services financiers (CCSF) peut en outre accorder des plans de règlement globaux exceptionnellement jusqu’à quarante-huit mois.
Amélioration des procédures existantes et création de nouvelles procédures
Les procédures préventives sont encouragées par une information plus précoce du tribunal par les commissaires aux comptes avec la création d’un mandat ad hoc de sortie de crise pour les entreprises employant au plus dix salariés avec une durée de trois mois et un coût plafonné à 1 500 € HT pour les entreprises de moins de cinq salariés et 3 000 € HT pour les entreprises de cinq à dix salariés.
Il est également prévu de renforcer l’attractivité des procédures de conciliations en pérennisant la possibilité de demander la suspension de l’exigibilité des créances avant toute mise en demeure ou poursuite. L’État va proposer de renforcer la protection de la caution en conciliation pour qu’elle bénéficie des mesures octroyées aux débiteurs, en application de l’article 1343-5 du code civil.
Une procédure collective simplifiée pour les petites entreprises est en outre prévue pendant une durée de deux ans pour permettre une restructuration de dettes. Cette procédure sera applicable pour des entreprises se situant en dessous de certains seuils qui seront fixés par décret. La période d’observation sera limitée à trois mois débouchant sur un plan de continuation avec un échelonnement du passif sur plusieurs années sans cession de l’entreprise, cette procédure bénéficiant à la caution (v. à cet égard l’art. 13 de la loi n° 2021-689, 31 mai 2021, JO 1er juin ; K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : instauration temporaire d’une procédure judiciaire de traitement de sortie de crise, Dalloz actualité, 7 juin 2021).
Pour les débiteurs dont la situation est irrémédiablement compromise, une ordonnance va être prise pour faciliter le rebond. Les conditions de la procédure de rétablissement professionnel seront allégées avec une élévation du seuil actuellement prévu. Une clôture accélérée sera possible dans un délai compris entre six mois et un an selon la taille de l’entreprise.
Des dispositifs bienvenus
La mobilisation des partenaires de cet accord permettra de mieux faire connaître ces dispositifs avec un engagement de transparence sur les frais et honoraires pratiqués. Un bilan de la mise en œuvre sera établi au plus tard à la fin de l’année 2021.
Ainsi, des solutions sont proposées alors même que la crise a vu croître l’endettement des entreprises françaises dans des proportions importantes, la dette financière brute ayant augmenté de 230 milliards d’euros. Cependant, la trésorerie de ces entreprises a augmenté de 217 milliards d’euros. L’idée de mieux faire connaître les dispositifs et surtout d’orienter les chefs d’entreprise permettra de mieux trouver des solutions adaptées, l’interlocuteur étant la médiation des entreprises en cas de différends avec un client ou un fournisseur, la médiation du crédit pour la recherche de financements, le tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire pour le traitement des difficultés par la prévention ou la procédure collective.
Ces dispositifs sont largement bienvenus et ils permettent d’augurer une sortie de crise qui fera le moins de « casse » possible. Les professionnels de l’entreprise en difficulté ont constaté l’efficacité des mesures prises par le gouvernement qui ont permis d’éviter un bond en avant des procédures collectives grâce à une aide soutenue et sélective. C’est à ce prix que notre tissu économique sera préservé et il importe que tous les acteurs concernés puissent y concourir.
L’intérêt de cette décision, non destinée aux honneurs de la publication, réside essentiellement dans le positionnement de la Cour de cassation sur le terrain de la validité d’une clause de non-sollicitation. Rappelons à cet égard qu’une clause de non-sollicitation se distingue d’une clause de non-concurrence car elle n’est pas conclue entre une entreprise et ceux qu’elle emploie mais entre des entreprises concurrentes qui s’engagent à ne pas solliciter leurs personnels respectifs. L’objectif est d’éviter une dérive déloyale de clientèle et de garantir une protection du savoir-faire de chaque entreprise. Cette clause de non-sollicitation est moins contraignante que la clause de non-concurrence mais elle induit également des atteintes aux libertés de travail et d’établissement du personnel, tiers à la convention. Sa validité suppose en conséquence un examen de proportionnalité, auquel les juges du fond doivent se livrer scrupuleusement.
En l’espèce, deux sociétés, les sociétés S. et E., aux dirigeant et siège social identiques, exercent une activité de commercialisation de fournitures bureautiques et éducatives. Elles ont accepté de respecter une charte de coopération avec d’autres distributeurs du secteur qui comprend la clause discutée en l’espèce. Cette dernière stipule que tout membre du groupement « s’engage, sauf accord explicite dérogatoire entre les parties concernées, à n’embaucher, directement, indirectement ou par personne interposée, aucun commercial, quel que soit ou...
Et si « Ma tante » se muait en banque commerciale animée par le seul appât du gain ? La question mérite d’être posée s’agissant d’une caisse de crédit municipal du sud de la France. Celle-ci s’est vu infliger le 3 juin dernier par la Commission des sanctions du régulateur du système bancaire, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), un blâme ainsi qu’une sanction pécuniaire de 120 000 €, conformément à l’article L. 612-39 du code monétaire et financier. L’ACPR peut en pratique avoir la main lourde, le texte précité prévoyant d’ailleurs que le montant maximal des sanctions qu’elle peut prononcer s’élève à 100 millions d’euros ou à 10 % du chiffre d’affaires annuel net de l’entité. Statistiquement, ce sont les infractions à la législation anti-blanchiment qui suscitent les sanctions les plus nombreuses (v. par ex., Décis n° 2020-02 du 24 févr. 2021, condamnation de la banque ING France à un blâme et une sanction pécuniaire de 3 millions d’euros en raison de l’insuffisance de ses mesures de lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme). Cela étant, ce n’est pas la première fois qu’une caisse de crédit municipal – dont l’originalité réside dans son double statut, à la fois d’établissement de crédit (dit « spécialisé ») et d’établissement public communal de crédit et d’aide sociale (C. mon. fin., art. L. 514-1, I) – est sanctionnée par le régulateur pour manquement à la réglementation bancaire (v. Décis. n° 2010-01 du 10...
En janvier dernier, le ministère de la Justice lançait une consultation publique visant à recueillir des propositions sur l’évolution du droit français relatif à la protection des lanceurs d’alerte, dans le cadre de la transposition de la directive européenne à venir*. Les résultats viennent d’être publiés sous forme de synthèse. Que peut-on en retenir ?
Précarité et solitude du lanceur d’alerte
Parmi les améliorations suggérées, les participants ont plaidé pour le renforcement de la protection du lanceur d’alerte. Ils sont ainsi majoritairement favorables à ce que le lanceur d’alerte obtienne un soutien financier (73,4 %) et une assistance psychologique (78 %).
Ces aides permettraient de pallier aux difficultés inhérentes au statut de lanceur...
La décision du Conseil d’État, rendue le 27 mai 2021, présente trois intérêts principaux.
Tout d’abord, contrairement à ce qu’indique l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, le Conseil d’État juge le décret régulier bien qu’un délai se soit écoulé entre la publication du décret et celle de l’avis de la CNIL.
Ensuite, pour déterminer quelles règles sont applicables en cas de traitement de données sensibles, le Conseil d’État doit au préalable se pencher sur la question de l’articulation entre le RGPD et la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dite « Police-Justice ». Le premier de ces textes s’applique largement quand le second s’intéresse uniquement aux traitements...
Le 4 juillet 2013, une société a déposé une déclaration d’importation accompagnée d’un certificat d’origine lui permettant de bénéficier d’un taux de droits de douane préférentiel de 0 %.
Un contrôle effectué a posteriori par les autorités douanières a permis de déterminer que ce certificat était faux.
Dès lors, conformément à la procédure du droit d’être entendu prévue par les articles 22 et 29 du code des douanes de l’Union (CDU) avant la prise d’une décision faisant grief à l’opérateur, l’autorité douanière a, par courrier du 1er juin 2016, informé la société que cette irrégularité entraînait la naissance d’une dette douanière qu’elle envisageait de recouvrer et lui a accordé un délai de trente jours pour exprimer son point de vue.
Aux termes de l’article 103, § 3, sous b) du CDU, le délai de prescription de la dette est suspendu à compter de cette notification jusqu’à la fin du délai imparti à l’opérateur pour répondre.
Le 18 juillet 2016, la dette a été notifiée à la société au moyen d’un avis de paiement.
L’estimant prescrite au moment de cette notification, puisque née sous l’empire du code des douanes communautaire qui ne prévoyait ni...
L’article L. 624-3-1 du code de commerce prévoit que les décisions d’admission ou de rejet des créances ou d’incompétence prononcées par le juge-commissaire sont portées sur un état qui est déposé au greffe du tribunal. Le texte poursuit et indique que toute personne intéressée, à l’exclusion des parties, peut former une réclamation devant le juge-commissaire. La notion de personne intéressée vise les tiers à l’instance d’admission de la créance. Par exemple, un créancier autre que le déclarant peut être qualifié comme tel à condition de se prévaloir d’un intérêt personnel et distinct de celui de la collectivité des créanciers, ce confirme l’arrêt ici rapporté.
Le 14 novembre 2016, une société civile immobilière (SCI) est placée en liquidation judiciaire. Un créancier hypothécaire, dont la créance n’a pas été contestée, est admis au passif. Deux autres créanciers, également admis à titre privilégié, ont formé une réclamation à l’état des créances afin de contester le caractère privilégié du créancier hypothécaire.
Cette requête en contestation de créance est déclarée recevable par la cour d’appel de Papeete et le créancier hypothécaire forme un pourvoi en cassation.
Pour le demandeur, n’ayant pas la qualité de personne intéressée au sens de l’article 69 de la délibération n° 90-36 AT du 15 février 1990, applicable en Polynésie française, un créancier ne peut être recevable à former une réclamation contre une décision du juge-commissaire portée sur l’état des créances qu’à la...
Celui qui reçoit quitus ne peut pas se retirer en toute quiétude de sa gérance. La solution est de droit, peu importent les faits.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, la Cour de cassation rappelle une nouvelle fois que le quitus donné par l’assemblée des associés n’a pas d’effet libératoire au profit du gérant pour les fautes qu’il a commises dans sa gestion.
Faits et procédure
Une société civile immobilière avait assigné son ancien gérant en réparation de ses préjudices, invoquant des fautes commises dans sa gestion. La cour d’appel de Bastia a condamné le gérant à verser la somme de 120 000 € en réparation du préjudice financier. Naturellement, le gérant a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Il argue de ce que l’assemblée des associés lui a donné quitus en « pleine connaissance » des actes de vente qui lui ont été ensuite reprochés au titre des fautes de gestion. Il considère que les actes ont été ainsi « ratifiés » puisque les associés ont pu prendre connaissance des modalités de vente (numéros de lots vendus ainsi que grille tarifaire des prix de vente) avant d’autoriser les ventes. Dès lors, il considère que sa responsabilité ne peut plus être recherchée.
La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la question classique de la valeur libératoire de responsabilité du quitus donné par l’assemblée des associés.
La Haute Cour rejette le pourvoi et rappelle que la cour d’appel a justifié légalement sa décision. En effet, en application de l’article 1843-5, alinéa 3, du code civil, aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour les fautes commises dans l’accomplissement de leur mandat. Elle précise que la cour d’appel n’avait pas à rechercher si les associés avaient été spécialement informés. Elle conclut donc que le quitus donné par l’assemblée des...
Le décret n° 2021-757 du 11 juin 2021 est le texte d’application du IV bis de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme.
En vigueur le 1er juillet 2021, il insère dans le code du tourisme les articles R. 324-1-4 à R. 324-1-7 et enrichit le code de l’urbanisme d’un article R. 425-32.
Issu de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019, l’article L. 324-1-1-IV bis du code du tourisme indique que sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement des meublés touristiques, une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d’un local à usage commercial en...
Ni tout à fait similaire ni tout à fait différente d’une procédure de liquidation judiciaire, la liquidation judiciaire simplifiée s’est installée depuis 2005 dans le paysage du droit des entreprises en difficulté dans le but d’accélérer la clôture de procédures ouvertes à l’encontre de débiteurs ne possédant que peu d’actifs. Depuis, la liquidation judiciaire simplifiée a fait l’objet de nombreuses retouches chaque fois que l’occasion législative s’est présentée.
Par exemple, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite « loi PACTE », a marqué une étape importante dans la construction du régime de cette procédure « accélérée ». S’il existait auparavant un régime simplifié facultatif, désormais, pour les procédures ouvertes à compter du 23 mai 2019, lorsque le débiteur emploie un nombre de salariés inférieur ou égal à cinq, réalise un chiffre d’affaires inférieur ou égal à 750 000 € et ne possède pas d’actif immobilier, l’application du régime de la liquidation judiciaire simplifiée est obligatoire (C. com., art. L. 641-2). L’arrêt ici rapporté est rendu en application du régime en vigueur sous l’empire de cette loi.
En l’espèce, un débiteur personne physique a été assigné en redressement judiciaire et, subsidiairement, en liquidation judiciaire par un créancier. Le débiteur interjette appel et les juges du fond annulent le jugement d’ouverture de la liquidation, mais procèdent à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée en constatant que le chiffre d’affaires du débiteur était inférieur à 300 000 € et qu’il n’employait pas de salarié. Soutenant qu’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée ne peut être ouverte à l’encontre d’une personne propriétaire d’un bien immobilier, le débiteur se pourvoit en cassation. Las, le moyen invoqué, en ce qu’il fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la liquidation judiciaire sera ouverte selon les modalités du régime simplifié, n’est pas recevable.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle énonce que le juge du tribunal qui ouvre ou prononce lui-même la liquidation judiciaire simplifiée ou la décision de son président qui, après rapport du liquidateur, applique à la liquidation, déjà ouverte ou prononcée, les règles de la liquidation simplifiée peuvent être modifiées à tout moment (C. com. art. L. 644-6). Aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 644-1 du code de commerce, ce jugement ou cette décision constituent des mesures d’administration judiciaire non susceptibles de recours.
Une décision ancrée, mais critiquable
Au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, la solution ne surprend guère. En effet, la Haute juridiction a déjà eu l’occasion de juger que la décision décidant d’appliquer à la procédure les règles de la liquidation judiciaire simplifiée était une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours (Com. 4 mars 2008, n° 07-10.033, Bull. civ. IV, n° 51 ; D. 2008. 847, obs. A. Lienhard ; ibid. 1231, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; RTD com. 2008. 631, obs. J.-L. Vallens ).
La qualification d’une telle décision en une mesure d’administration judiciaire s’explique théoriquement par le fait qu’elle ne préjudicie ni aux droits des tiers ni à ceux du débiteur pour qui, au contraire, la liquidation judiciaire simplifiée ne présenterait que des avantages (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021-2022, n° 565.251).
D’une façon générale, une mesure d’administration judiciaire peut être définie comme « une mesure d’ordre interne et de nature plus ou moins administrative que prennent les juges en vue d’assurer le fonctionnement du service de la justice et, spécialement, le bon déroulement des instances civiles » (A. Perdriau, Les mesures d’administration judiciaire au regard du juge de cassation, Gaz. Pal. 7 mars 2002, n° 66, p. 2).
Or, il n’est pas certain que la décision décidant de l’application du régime simplifié réponde parfaitement à cette définition, car si dans la pureté des concepts une mesure d’administration judiciaire ne doit pas affecter les droits des parties, force est de constater que tel n’est pas le cas de la décision d’appliquer le régime simplifié de la liquidation judiciaire (M. Cabrillac, note ss. Com. 4 mars 2008, n° 07-10.033, Bull. civ. IV, n° 51 ; JCP E 2008. 2062, n° 8).
Pour résumer, la liquidation judiciaire simplifiée implique des modalités particulières de réalisation des actifs du débiteur, lesquels seront cédés sans contrôle judiciaire (F. Pérochon, À propos de la réforme de la liquidation judiciaire par l’ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal. 10 mars 2009, n° 69, p. 3), un processus de vérification des créances allégé et un mécanisme de distribution spécifique des deniers provenant de la vente des actifs mobiliers.
Au demeurant, la lettre de l’article R. 644-1 du code de commerce – en ce qu’elle qualifie la décision optant pour la liquidation judiciaire simplifiée en une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours – est critiquable, car si l’on force le trait, ceci pourrait in fine inciter les juges à passer outre la présence d’un immeuble (comme en l’espèce), à ignorer l’effectif salarié du débiteur ou encore à omettre de vérifier le chiffre d’affaires de l’entrepreneur pour procéder à l’ouverture d’une liquidation en régime simplifié.
À n’en pas douter, une telle décision constituerait un excès de pouvoir dans la mise en œuvre d’une mesure d’administration judiciaire et pour lequel, malheureusement, la Cour de cassation refusait, par principe, l’exercice d’un recours nullité (Com. 12 juill. 2011, n° 09-71.764, Bull. civ. IV, n° 120 ; D. 2011. 1966, obs. A. Lienhard ).
Certes, dans ces hypothèses, les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme pourraient être salvatrices en ce qu’elles permettraient de reconnaître un droit de critique sur cette mesure d’administration judiciaire sur le fondement, par exemple, de la violation du droit à l’accès au juge de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2015, n° 1156). Après tout, le procédé a déjà été employé pour permettre à un associé de société civile de former tierce opposition à l’encontre du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire de la personne morale au sein de laquelle il exerce ses fonctions (Com. 19 déc. 2006, n° 05-14.816, Bull. civ. IV, n° 254 ; D. 2007. 1321, obs. A. Lienhard , note I. Orsini ; Rev. sociétés 2007. 401, note T. Bonneau ).
Las, la qualification de mesure d’administration judiciaire, du moins lorsqu’elle concerne l’application de la liquidation judiciaire simplifiée, semble couvrir l’excès de pouvoir du juge. Or, si l’arrêt ici rapporté est indiscutable du point de vue des textes, notamment au regard de la lettre de l’article R. 644-1 du code de commerce, une interprétation plus audacieuse était permise à l’aune des dernières évolutions législatives et jurisprudentielles intéressant la matière.
Une discussion renouvelée par les dernières évolutions législatives et jurisprudentielles
L’histoire de la liquidation judiciaire simplifiée est éclairante. L’arrêt précité du 4 mars 2008 a été rendu à une époque où la liquidation judiciaire simplifiée ne pouvait qu’être facultative. Or, l’arrêt sous commentaire a été rendu sous l’empire de la loi PACTE du 22 mai 2019 ayant rendu la liquidation judiciaire simplifiée obligatoire lorsque le débiteur en remplit les critères. À cet égard, selon certains auteurs, ladite procédure ne serait plus une simple déclinaison de la liquidation judiciaire de droit commun, mais aurait gagné une certaine autonomie (C. Saint-Alary-Houin, M.-H. Monsériè-Bon et C. Houin-Bressand, Droit des entreprises en difficulté, 12e éd., Domat, 2020, n° 1394, spéc. note n° 885).
En outre, l’émancipation de la liquidation judiciaire simplifiée par rapport à la liquidation de droit commun s’est encore renforcée par les dispositions de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 adaptant les règles du droit des entreprises en difficulté aux conséquences de l’épidémie de covid-19 (B. Ferrari, Liquidation judiciaire simplifiée et rétablissement professionnel après l’ordonnance 2020-596 du 20 mai 2020, Gaz. Pal. 13 juill. 2020, n° 382u0, p. 84). L’article 6 de cette ordonnance rend la liquidation judiciaire simplifiée applicable à tout débiteur personne physique dont le patrimoine ne comprend pas de biens immobiliers en abandonnant la condition relative au chiffre d’affaires et cette disposition devrait prochainement être pérennisée par la transposition de la directive Insolvabilité prévue au 17 juillet 2021. Nous voyons par là que la décision d’ouvrir une liquidation judiciaire simplifiée ne correspond plus véritablement, ou en tous les cas, de moins en moins, à une mesure prise par les juges en vue d’assurer le bon fonctionnement du service de la justice. Il s’agit désormais d’un outil liquidatif spécialement conçu pour les débiteurs personnes physiques et dont le nombre d’ouvertures devrait dépasser celui des liquidations judiciaires de droit commun.
À tout le moins, et puisque le régime simplifié tend à se généraliser, la décision par laquelle elle est prononcée devrait pouvoir faire l’objet d’un recours.
Au demeurant, l’actualité jurisprudentielle y est favorable. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir sur une décision de radiation du rôle – pourtant qualifiée comme une mesure d’administration judiciaire – sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301, Bull. civ. II, à paraître ; D. 2020. 89 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2020. 449, obs. P. Théry ; JCP 2020. 302, note R. Laher ; Gaz. Pal. 28 avr. 2020, n° 377x5, p. 51, note J. Théron).
En l’occurrence, la reconnaissance d’une voie de recours-nullité lorsque le débiteur se voit soumis à la procédure simplifiée, alors qu’il figure, comme en l’espèce, un immeuble à son actif, serait un minimum et constituait une voie qu’aurait pu explorer en l’espèce la Haute juridiction.
D’une façon plus audacieuse encore, deux solutions alternatives pourraient être envisagées : soit, reconnaître aux parties les mêmes voies de recours que celles ouvertes à l’encontre du jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire de droit commun (C. com., art. L. 661-1-I, 2°) ; soit, d’une façon plus particulière, envisager d’amender l’article R. 644-1 pour y adjoindre un recours spécifique ouvert aux parties affectées par le régime simplifié.
Brefs retours sur la condition tenant à l’absence d’actif immobilier
En dernier lieu, relevons que les juges d’appel justifiaient l’ouverture du régime simplifié, malgré la présence d’un bien immobilier, au motif que cet actif – objet d’une hypothèque – ne faisait pas partie de « l’actif disponible ». Cette justification est critiquable, puisqu’elle confond les conditions de qualification de l’état de cessation des paiements et celles de la réalisation des actifs impliquant des actifs faciles à réaliser dans un bref laps de temps.
Cela étant, l’arrêt ici rapporté a ceci d’intéressant qu’il interroge la pertinence de la condition tenant à l’absence de bien immobilier pour bénéficier de la liquidation judiciaire simplifiée. S’il est indéniable que l’application du régime simplifié suppose l’absence d’actifs immobiliers, notamment en raison de la temporalité qu’implique la réalisation de tels biens, un argument contraire peut être soutenu.
En réalité, le caractère insaisissable de certains des immeubles de l’entrepreneur individuel, dont sa résidence principale, que ce dernier ait procédé par déclaration notariée ou qu’il en bénéficie de droit (C. com., art. L. 526-1) plaiderait en faveur de l’ouverture d’une liquidation judiciaire simplifiée. Dans certains cas, ces biens sont exclus du gage commun de la procédure et il serait donc peu cohérent de refuser l’emploi du régime simplifié à l’entrepreneur propriétaire de sa résidence principale, dès lors que ce bien ne peut, de toute façon, pas être appréhendé dans la procédure.
Reste que les biens insaisissables du débiteur n’échapperont pas systématiquement à l’effet réel de la procédure et là est toute la difficulté !
D’abord, l’insaisissabilité n’est que relative. Par exemple, l’article 206, IV, de la loi du 6 août 2015, dite « loi Macron », prévoit que l’insaisissabilité légale de la résidence principale n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur et après la publication de la loi. Or, tirant les conséquences de cette disposition, la Cour de cassation a jugé que lorsque l’ouverture d’une procédure collective est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi précitée, l’immeuble assurant la résidence principale du débiteur n’en demeure pas moins soumis à l’effet réel de la procédure collective. Ensuite, le liquidateur pourrait obtenir la renonciation du débiteur à l’insaisissabilité aux fins de réintégration du bien au sein du gage commun de la procédure. Enfin, l’insaisissabilité du bien sous déclaration notariée d’insaisissabilité pourrait également être contrariée par l’action du mandataire contestant sa régularité (Com. 15 nov. 2016, n° 14-26.287, Bull. civ. IV, n° 142 ; D. 2016. 2333, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2017. 177, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2017. 186, obs. A. Martin-Serf ).
Ces quelques éléments permettent de comprendre que l’instauration d’une règle excluant de façon systématique la condition tenant à l’absence de biens immobiliers est un pas que le législateur ne pouvait franchir tant le traitement des biens insaisissables dans le contexte d’une procédure collective peut varier d’une situation à l’autre.
En l’espèce, nous ignorons la situation du bien immobilier en question. S’il constitue la résidence principale du débiteur – au regard de la date d’ouverture de la procédure –, il peut être supposé que ce dernier soit insaisissable de plein droit en application de la loi du 6 août 2015 instituant une insaisissabilité légale de la résidence principale.
Si tel est le cas, en l’espèce, les critiques portant sur la décision d’appliquer le régime simplifié doivent être relativisées, car la situation de l’immeuble n’aura aucune incidence sur le déroulement de la procédure. Cela étant, cette gymnastique intellectuelle, au demeurant très incertaine, pourrait être évitée par la simple reconnaissance d’une voie de recours sur la décision d’application du régime simplifié et spécialement lorsque celle-ci constitue, selon toute vraisemblance, un excès de pouvoir du juge.
Le démarchage fait, encore aujourd’hui, l’objet d’une jurisprudence très fournie bien que le code de la consommation n’appréhende plus exactement cette notion de la même manière avec le recours à la qualification de contrats conclus hors établissement depuis la loi du 17 mars 2014 transposant la directive européenne 2011/83/UE du 25 octobre 2011 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 621, n° 577). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 juin 2021 est l’occasion de revenir sur la jurisprudence statuant sur les articles en vigueur pour les contrats conclus avant le 13 juin 2014, i.e. ceux sous l’empire de la dénomination « démarchage ». Le point de départ est bien souvent le même : des personnes se font démarcher à domicile pour que leur logement bénéficie de l’installation de panneaux photovoltaïques afin de produire leur électricité. Dans l’arrêt étudié, le contrat d’installation des panneaux et de l’onduleur livré avec datait du 14 avril 2014 ; le financement de ces travaux étant assuré par un emprunt auprès d’un établissement bancaire.
Toutefois, les acquéreurs reprochent un certain nombre d’irrégularités dans le bon de commande eu égard à l’imprécision du bordereau, d’une part, et à un défaut dans leur signature, d’autre part. Ils assignent ainsi le vendeur et la banque en nullité du contrat principal et du crédit affecté ; interdépendance des contrats oblige. Le tribunal d’instance d’Avranches annule les bons de commandes et le crédit affecté en raison d’un défaut dans la signature du contrat. La société venderesse des panneaux interjette appel. Mais devant le deuxième degré de juridiction, l’argumentation des époux acquéreurs change et ils se fondent désormais exclusivement sur l’imprécision du bon de commande notamment sur l’absence de prix unitaire de chaque élément installé. La cour d’appel de Caen refuse alors d’annuler le contrat car les éléments du bon de commande n’étaient pas susceptibles d’être critiqués et que le prix unitaire n’a pas nécessairement à être désigné selon la formulation de l’article L. 121-23 ancien du code de la consommation applicable au litige. Les acquéreurs se pourvoient en cassation en arguant à titre principal que le bon de...
Les obligations réelles environnementales (ORE) ont été créées par l’article 72 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 (v. notre actualité, L’ambition mesurée de la loi biodiversité (2/3), 2 sept. 2016).
Un outil foncier novateur
Une ORE permet à des propriétaires immobiliers de conclure un contrat d’une durée maximale de 99 ans portant sur la mise en œuvre d’actions en faveur de la biodiversité avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement (V. en annexe du rapport deux ORE signées).
Le contrat ORE est attaché au bien immobilier. Il s’agit d’un outil volontaire et souple mis à disposition des acteurs en vue d’accompagner la mobilisation citoyenne en faveur de la biodiversité. En complément de la protection volontaire de la biodiversité (ORE à visée patrimoniale), les ORE peuvent être utilisées à des fins de compensation écologique.
Le contrat ORE n’est pas passible de droit d’enregistrement et ne donne pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière. Par ailleurs, les communes peuvent exonérer de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) les propriétaires ayant conclu un contrat ORE.
Un bilan partiel du fait d’une absence de...
par Yves Rouquetle 15 juin 2021
Décr. n° 2021-744, 9 juin 2021, art. 1er, JO 11 juin
L’article 1er du décret n° 2021-744 du 9 juin 2021 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code modifie...
La société pharmaceutique Merial est détentrice de la marque verbale « Frontline » depuis 1994 pour désigner des « insecticides et produits anti parasitaires à usage vétérinaire ». Elle commercialise sous cette marque des produits antipuces et anti-tiques qui utilisent une substance active appelée « Fipronil ». Cette substance était protégée par un brevet expiré en 2009.
Lorsque le brevet couvrant le « Fipronil » est tombé dans le domaine public, la société Virbac a commencé à commercialiser une gamme de produits antiparasitaires vétérinaires à base de ce principe actif. Elle a aussi déposé en 2008 la marque française « Fiproline » pour désigner les « préparations vétérinaires, en particulier un antiparasitaire externe ».
Se plaignant que la marque « Fiproline » portait atteinte à ses droits antérieurs, la société Merial demandait l’annulation de la marque « Fiproline » et la condamnation de la société Virbac pour atteinte à sa marque renommée « Frontline ».
Cassation d’un arrêt sur renvoi
L’arrêt de la Cour de cassation rendu le 27 mai 2021 fait suite à une longue procédure judiciaire.
L’affaire a en effet déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour de cassation rendu en 2018 (Com. 31 janv. 2018, n° 15-20.796, D. 2019. 453, obs. J.-P. Clavier et N. Martial-Braz ). Dans ce précédent arrêt, la Cour cassait la décision de la cour d’appel (Lyon, 13 mai 2015, n° 13/08055) en ce que celle-ci avait annulé la marque « Fiproline » pour défaut de distinctivité et en ce qu’elle avait donné raison à Merial sur l’atteinte à la marque renommée en se fondant sur une similitude dans le mode de conditionnement des produits plutôt que sur une comparaison des marques verbales elles-mêmes.
La cour d’appel de Lyon a donc rendu en 2019 un arrêt sur renvoi (Lyon, 12 mars 2019, n° 18/01394). Dans cet arrêt, la cour d’appel a notamment décidé que la marque « Fiproline » ne portait pas atteinte à la marque renommée de la société Merial et que la demande de cette société visant à obtenir...
Le 4 juin 2021, la Commission européenne a adopté une décision d’exécution introduisant de nouvelles clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers en vertu du Règlement général sur la protection des données (RGPD) (annexe de la décision d’exécution de la Commission).
Les transferts de données hors de l’Espace économique européen supposent la mise en place de garanties destinées à s’assurer que le haut niveau de protection des personnes physiques garanti par le RGPD ne soit pas compromis. Aussi, les transferts de données peuvent avoir lieu vers des pays bénéficiant d’une décision d’adéquation (tels que Canada, Japon, Israël, Suisse …) ou présenter des garanties appropriées, qui peuvent être matérialisées par des « clauses types de protection des données » (RGPD, art. 46, § 2, c)).
L’efficacité de l’utilisation des clauses contractuelles types, publiées en 2001 et 2010, en tant que mécanisme de transfert de données vers des pays tiers conforme au RGPD avait été remise en cause suite à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Schrems II (CJUE 16 juill. 2020, aff. C-311/18, D. 2020. 2432 , note C. Castets-Renard ; AJ contrat 2020. 436 , obs. T. Douville ; Dalloz IP/IT 2020. 640, obs. Brunessen Bertrand et J. Sirinelli ; Rev. crit. DIP 2020. 874, Eclairages A. d’Ornano ; RTD eur. 2021. 175, obs. Brunessen Bertrand ). La publication de nouvelles clauses types a pour objet...
Le CEPD vient d’adopter ses recommandations sur les bases légales de la conservation des données bancaires aux fins de faciliter des paiements ultérieurs. D’emblée, il invalide certaines bases légales visées à l’article 6 du Règlement général sur la protection des données (RGPD), quand deux d’entre elles retiennent son attention.
Bases légales invalidées
Le CEPD exclut clairement quatre des six bases légales visées à l’article 6 du RGPD. Pour lui, le traitement des données de cartes de crédit en vue de faciliter une transaction future ne peut être fondé ni sur la nécessité de respecter une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis, ni sur la nécessité de sauvegarder des intérêts vitaux, ni sur la nécessité d’exécuter une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement.
Il exclut également...
La divisibilité d’une clause permet de la sauver de l’éradication à laquelle elle était vouée en raison du caractère abusif de certains de ses termes. Tel est l’enseignement que nous livre la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021. En l’espèce, suivant acte notarié du 21 mars 2008, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs un prêt immobilier dont les conditions générales prévoyaient à l’article 14 que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles dans un certain nombre de cas et notamment en cas de retard de plus de trente jours dans le paiement d’une échéance en principal, intérêts et accessoires du prêt et que, pour s’en prévaloir, le prêteur en avertirait l’emprunteur par lettre simple. Par la suite, les emprunteurs ont assigné la banque en annulation des commandements de payer aux fins de saisie-vente que celle-ci leur avait délivrés et invoqué le caractère abusif de cette clause au motif que celle-ci prévoit une vingtaine de causes de déchéances du terme dont certaines se rapportent à des causes extérieures au contrat (ce qui est effectivement abusif, v. d’ailleurs, en matière de crédit à la consommation, la récente recommandation n° 21-01 de la Commission des clauses abusives du 10 mai 2021. V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Regard sur la recommandation de la Commission des clauses abusives n° 21-01 relative aux contrats de crédit à la consommation, JCP E, à paraître ; v. égal. S. Bernheim-Desvaux, 43 clauses abusives relevées dans les contrats de crédit à la consommation, CCC, juillet 2021, à paraître), étant observé, au surplus, qu’il n’est pas prévu de mise en demeure préalable. La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 16 mai 2019, rejette cette demande, ce qui motiva un pourvoi en cassation de la part des emprunteurs, mais en vain. La Cour régulatrice, pour rejeter ce pourvoi, rappelle tout d’abord que « La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une clause de déchéance du terme d’un contrat de prêt jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance (CJUE 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria SA, aff. C-70/17, D. 2019. 636 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Bankia SA, aff. C-179/17) » (pt 5). Interprétant cette jurisprudence a contrario, les hauts magistrats considèrent qu’ « Il en résulte que peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu’en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance » (pt 6). Puis, il affirment qu’« Après avoir relevé que l’article 14 du contrat de prêt comportait des causes de déchéance du terme pouvant être déclarées abusives car étrangères à l’exécution de ce contrat, la cour d’appel a constaté qu’il prévoyait d’autres causes liées à l’exécution du contrat lui-même qui étaient valables » (pt 7). Ils en concluent que « De ces constatations et énonciations faisant ressortir la divisibilité des causes de déchéance du terme prévues à l’article 14, la cour d’appel a exactement déduit que le caractère non écrit de certaines de ces causes de déchéance n’excluait pas la mise en œuvre de celles valablement stipulées, dès lors que la suppression des éléments qui rendaient la clause litigieuse abusive n’affectait pas sa substance » (pt 8).
La solution est parfaitement justifiée au regard de la jurisprudence européenne que la Cour de cassation prend la peine de citer. Celle-ci répugne en effet à ce que le juge, sous prétexte de contrôler le caractère abusif d’une clause, opère en réalité une réfaction de celle-ci, pouvoir que ne lui octroie nullement la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (v. égal., CJUE 14 juin 2012, aff. C-618/10, D. 2012. 1607 ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2012. 666, obs. C. Aubert de Vincelles : « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre (…) qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause ». Comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles : « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, cette disposition ne s’oppose pas à une règle de droit national permettant au juge national de remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif »). Le maintien d’une clause partiellement abusive n’est donc possible qu’à la condition que cela n’aboutisse pas à une dénaturation de cette clause qui confinerait à sa réfaction.
Au fond, la solution évoque, au niveau de la clause, la règle prévue par l’article L. 241-1 du Code de la consommation (reflétant au demeurant l’art. 6, § 1, de la dir. de 1993). Ce texte dispose en effet que « Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d’ordre public » (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 113). La première chambre civile admet en fait la possibilité de transposer cette logique au sein même de chaque clause : la clause litigieuse reste ainsi applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives si elle peut subsister sans ces dispositions, ce qui n’est possible que si cette clause est divisible. En définitive, la divisibilité d’une clause permet d’éviter son éradication totale !
Pour conclure, l’on observera que cette solution pourrait d’ailleurs inspirer les juges qui auraient à se prononcer sur les conséquences de l’éradication d’une clause sur le fondement de l’article 1171 du code civil.
Afin de faciliter les échanges en garantissant la sécurité et la confidentialité des procédures, l’Autorité de la concurrence vient de mettre en place une plateforme d’échanges sécurisés de documents électroniques, dénommée Hermès en référence au dieu grec du commerce. Cette plateforme, d’ores et déjà opérationnelle, peut être utilisée aussi bien en matière de procédure de contrôle des opérations de concentration ou que de procédure en matière de pratiques anticoncurrentielles devant l’Autorité de la concurrence. Elle est mise à disposition des parties, des avocats mais aussi des administrations (Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes [DGCCRF], ministères ou autres autorités [par ex. les autorités de régulation sectorielles, de...
par Nathalie Maximinle 10 juin 2021
Décis. n° 22, 1er juin 2021, JO 6 juin
La décision n° 22 du 1er juin 2021, publié au Journal officiel du 6 juin, de la Commission portant sur la rémunération pour copie privée de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle modifie les barèmes existants et élargit le champ des supports soumis à redevance aux téléphones mobiles permettant d’écouter des phonogrammes ou de visionner des vidéogrammes ainsi qu’aux tablettes tactiles multimédias reconditionnés. Est visé l’appareil d’occasion au sens de l’article L. 321-1 du code de commerce qui fait « l’objet d’une mise en circulation après avoir subi des tests portant sur ses fonctionnalités afin...
Le dispositif de contrôle des flux d’argent liquide avec l’étranger, tel qu’il résulte du règlement (UE) 2018/1672 du 23 octobre 2018 applicable aux mouvements d’argent liquide entrant ou sortant du territoire de l’Union européenne, a été étendu aux flux circulant entre les États membres par la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 qui l’a inscrit dans le code monétaire et financier pour une entrée en vigueur au 3 juin 2021. Ainsi, toute personne physique qui, pour elle‑même ou pour le compte d’un tiers, transporte sur elle, dans ses bagages ou dans ses moyens de transport, un montant d’argent liquide supérieur ou égal à 10 000 € en provenance d’un État étranger ou vers un tel État, doit en faire la déclaration auprès de l’administration des douanes (C. mon. fin., art. L. 152-1).
Le décret n° 2021-704 du 2 juin 2021, publié au Journal officiel du 3 juin, permet la mise en œuvre de ce dispositif.
Déclarations de transport d’argent par porteur : forme, délai et contenu
Dans sa version issue du décret du 2 juin 2021, l’article R. 152-6 du code monétaire et financier précise que les déclarations sont effectuées par écrit, sur support papier ou par voie électronique, par les porteurs de l’argent liquide, auprès de l’administration des douanes, au plus tard au moment de l’entrée ou de la sortie de l’Union européen ne ou du franchissement de la frontière avec un État...
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice vient de publier la circulaire visant à consolider le rôle de la justice en matière environnementale (Circ. crim. 2021-02/G3, 11 mai 2021, NOR : JUSD2114982C, réf : DP 2021/F/0048/FF3). La circulaire détaille les nouvelles dispositions législatives relatives au Parquet européen, à la justice pénale spécialisée et à la justice environnementale. Sur ce dernier point, le texte apporte des précisions sur la nouvelle Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) qui s’applique aux délits prévus par le code de l’environnement et aux infractions connexes, à...
Une nouvelle fois, le droit fiscal se trouve confronté à la Convention européenne des droits de l’homme, dans le but, pour le contribuable, de tenter d’atténuer les effets produits par l’introduction d’une imposition nouvelle. Les faits de l’espèce méritent d’être connus. Un contribuable s’est acquitté, au titre de l’année 2012, de la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) instituée par l’article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012. Il s’agissait d’une imposition temporaire du patrimoine – applicable seulement en 2012 et qui concernait les seules personnes assujetties à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) (en d’autres termes, c’était une sorte de « complément d’ISF ») – dont la création a été décidée par le gouvernement Ayrault à la suite de l’élection de François Hollande. Pour mémoire, elle visait à appliquer les promesses de taxation des contribuables les plus aisés que le « candidat Hollande » avait annoncées lors de son fameux meeting du Bourget du 22 janvier 2012. Contestant la conformité de cette contribution avec les dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme – qui pose le principe de non-confiscation des biens, et appliqué à la matière fiscale, la prohibition du caractère confiscatoire de l’impôt – en raison de son caractère rétroactif et de l’absence de tout dispositif de plafonnement, il en a demandé le remboursement. Après rejet de sa réclamation, il a assigné l’administration fiscale pour demander l’annulation de cette décision et la restitution de l’impôt acquitté. On ignore ce que les premiers juges ont décidé. En revanche, l’on sait qu’au stade de l’appel, la cour d’appel de Versailles a rejeté sa demande. Ce rejet est lui-même (définitivement ?… sauf hypothèse d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme) confirmé par la Cour de cassation, qui éconduit le pourvoi du contribuable.
1. La haute juridiction se prononce tout d’abord sur le grief de rétroactivité de la CEF dans un sens qui, au-delà de cet impôt particulier, devrait ravir tant le législateur que l’administration fiscale. Le contribuable avait considéré, dans son pourvoi, que l’instauration en cours d’année de la contribution exceptionnelle sur la fortune avait porté atteinte, sans motif d’intérêt général suffisant, à l’espérance légitime des contribuables ayant acquitté l’ISF. L’argument avancé n’était pas sans pertinence, dès lors que la Cour de cassation a déjà jugé au visa de l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme que l’existence d’une espérance légitime peut conduire à écarter l’application rétroactive d’une loi (v. par ex. Soc. 24 nov. 2010, n° 08-44.181, Dalloz actualité, 8 déc. 2010, obs. L. Perrin ; D. 2010. 2914, obs. L. Perrin ; Dr. soc. 2011. 155, note Walter Jean-Baptiste ; RDT 2011. 257, obs. P. Flores ). La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est également en ce sens (CEDH 7 févr. 2013, n° 16574/08, Dalloz actualité, 15 févr. 2013, obs. I. Gallmeister ; AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 434, obs. I. Gallmeister ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2013. 189, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2013. 333, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 358, obs. J. Hauser ). Le Conseil constitutionnel, au nom du principe de sécurité juridique, le caractère rétroactif de la loi fiscale (Cons. const. 19 déc. 2013, n° 2013-682 DC, AJDA 2014. 649, tribune B. Delaunay ; D. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Constitutions 2014. 87, chron. X. Bioy ). En l’occurrence, le contribuable ne parvient pas à convaincre la Cour de cassation. Cette dernière affirme à cet égard que « l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’interdit pas, en tant que telle, l’application rétroactive d’une loi fiscale. La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, qui instaure la CEF, est intervenue au cours de l’exercice au titre duquel cet impôt est dû. Si une telle mesure est, au sens de la Convention, rétroactive en ce que la CEF due au titre de l’année 2012 est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, ce qui s’analyse, en droit interne, comme une mesure rétrospective dès lors que le fait générateur de l’imposition est la situation du contribuable à la date de l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative, elle ne présente toutefois aucun caractère exceptionnel du point de vue du droit fiscal. En outre, l’acquittement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dû au titre de l’année 2012, par des contribuables auxquels l’allégement, issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de cet impôt, a été accordé sans contrepartie, n’a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu’aucun supplément d’imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année ». La solution n’est en réalité en rien surprenante, dès lors que la haute juridiction a déjà jugé, notamment précisément à propos de la CEF, que « l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’interdit pas, en tant que telle, l’application rétroactive d’une loi fiscale » (Com. 27 juin 2019, n° 18-13.370).
2. La haute juridiction prend également position sur le fond du droit, précisément sur le point de savoir si la CEF présente ou non un caractère confiscatoire. Là encore, l’argument avancé par le contribuable, dans son pourvoi, n’avait rien de fantaisiste, d’autant que le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de censurer une disposition fiscale de nature législative car elle présentait un caractère confiscatoire (Cons. const. 29 déc. 1998, n° 98-405 DC, spéc. consid. 28, AJDA 1999. 84 ; ibid. 14, note J.-E. Schoettl ; D. 2000. 54 , obs. L. Philip ). Pour autant, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation se prononce une nouvelle fois dans un sens défavorable aux intérêts du contribuable dont elle rejette le pourvoi. Pour la haute juridiction, en premier lieu, « c’est à bon droit que l’arrêt [d’appel] que le seul fait que le montant de la CEF dépasse le montant des revenus du contribuable ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire de cet impôt, puisqu’à défaut, le niveau de taxation pourrait dépendre des choix de gestion des redevables, certains pouvant privilégier la détention de biens ne procurant pas de revenus imposables, et en déduit que doit également être pris en considération l’impact effectif de l’imposition sur la consistance même du patrimoine ». En d’autres termes, le principe de l’égalité devant l’impôt doit conduire le juge de l’impôt à faire abstraction, dans l’appréciation du caractère confiscatoire ou non de l’impôt, de l’origine et des composantes de la richesse du contribuable, laquelle peut résulter soit de son patrimoine, soit de ses revenus. Il importe simplement que l’imposition ne produise pas un « impact excessif » sur la consistance du patrimoine, élément qui doit s’apprécier in concreto – comme l’a déjà admis la Cour de cassation (Com. 7 juill. 2009, n° 08-16.762). C’est là la seconde étape du raisonnement.
En effet, en second lieu, la Cour de cassation énonce que « l’arrêt [d’appel] relève, par motifs propres et adoptés, que [le contribuable] indique s’être acquitté d’une CEF d’un montant de 5 854 531 €, après imputation de l’ISF d’un montant de 2 281 641€, qu’il a perçu au titre de l’année 2011 des revenus d’un montant de 11 735 739 € et que la valeur brute de son patrimoine s’élevait au 1er janvier 2012 à 630 487 023 €, de sorte que le montant de la contribution litigieuse payée représente environ 1,30 % de son patrimoine imposable. [Ce] dont il résulte que le paiement de la CEF n’avait pas constitué, pour [le contribuable], une charge excessive au regard de sa situation financière, [et que] la cour d’appel a pu écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Afin de percevoir la problématique soulevée par cet arrêt, il est nécessaire de revenir sur l’évolution de la position de la Cour de cassation en ce domaine depuis une quarantaine d’années.
L’évolution jurisprudentielle
Alors que l’arrêt Bisbal du 12 mai 1959 avait énoncé que « les règles françaises de conflit de lois, en tant du moins qu’elles prescrivent l’application d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre public, en ce qu’il appartient aux parties d’en réclamer l’application », la Cour de cassation a imposé, par deux arrêts de revirement des 11 et 18 octobre 1988, l’application d’office des règles de conflit de lois.
Par un arrêt du 4 décembre 1990, l’office du juge a ensuite été restreint : la règle de conflit n’est devenue applicable d’office qu’en présence d’une matière dans laquelle les parties n’avaient pas la libre disposition de leurs droits ou lorsqu’elle était issue d’une convention internationale.
Enfin, un arrêt du 26 mai 1999 a imposé une distinction fondée sur la seule nature des droits litigieux : le juge doit appliquer d’office la règle de conflit lorsque les droits litigieux sont indisponibles, alors que s’ils sont disponibles, il a une simple faculté de l’appliquer, à moins qu’il ne soit saisi d’une demande de mise en œuvre d’un droit étranger par une partie, auquel cas il lui incombe de rechercher la loi compétente (sur l’ensemble de cette évolution, v. Rép. internat., v° Loi étrangère : autorité de la règle de conflit de lois, par A. Frignati et H. Muir Watt, nos 19 s.).
Depuis cet arrêt du 26 mai 1999, la jurisprudence a connu une période de stabilité, le critère de la disponibilité ou de l’indisponibilité des droits litigieux étant désormais bien établi.
Toutefois, l’arrêt du 26 mai 2021 consacre une solution nouvelle.
L’affaire
En l’espèce, les juges du fond avaient retenu, dans une affaire qui opposait, notamment, des sociétés françaises et égyptiennes, que certaines de ces sociétés avaient commis, au regard du droit français, des actes de parasitisme et de concurrence déloyale en Égypte.
L’application du droit français était critiquée par le pourvoi, qui reprochait notamment à ces juges de ne pas avoir recherché si le droit égyptien était ou non applicable sur le fondement de l’article 6 du règlement Rome II n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles.
Rappelons que cet article 6 dispose que « 1. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être. 2. Lorsqu’un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d’un concurrent déterminé, l’article 4 est applicable. […] 4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l’article 14 ».
Le pourvoi posait ainsi la question de l’étendue de l’office du juge à l’égard de cette règle de conflit de lois.
On aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit résolue sur le fondement de la jurisprudence habituelle faisant varier cet office en fonction de la nature des droits litigieux. Dans ce cadre, le critère de l’indisponibilité des droits litigieux aurait sans doute dû être retenu.
Pourtant, l’arrêt du 26 mai 2021 ne retient pas cette approche et envisage la difficulté sous l’angle de l’origine européenne de l’article 6.
La problématique
Il est vrai que la question de l’incidence sur l’office du juge du caractère européen de la règle de conflit applicable retient l’attention de la doctrine depuis l’apparition, dans les années 2000, des règlements européens concernant le droit international privé.
En effet, les règlements contenant des règles de conflit de lois ne définissent pas l’office du juge national quant à l’application de ces règles et il est admis qu’il appartient à chaque État membre de déterminer cet office, ce qui peut conduire à des différences de perspectives selon le juge national saisi.
On s’est donc demandé si une règle de conflit de lois issue d’un règlement européen devrait, en tant que telle, être soumise à un régime spécifique (N. Reichling, Les principes directeurs du procès civil dans l’espace judiciaire européen, PUAM, 2020, nos 133 s. ; D. Solenik, La loi étrangère dans le contentieux judiciaire européen, thèse, Université de Lorraine, 2012, spéc. p. 391 s. ; M.-E. Buruiana, L’application de la loi étrangère en droit international privé, thèse, Université de Bordeaux, 2016, p. 218 s. ; L. Rass Masson, L’office du juge et l’origine européenne de la règle de conflit de lois, conférence à la Cour de cassation le 17 mai 2021, à paraître auprès de la Société de législation comparée).
L’arrêt du 26 mai 2021 fournit une réponse à ce débat jusqu’à présent purement doctrinal.
La solution retenue
Énoncé
Pour la première fois, cet arrêt énonce à ce sujet que, « […] si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu’il est interdit d’y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées.
Il s’agit là, en matière de règles de conflit, de la transposition, presque mot pour mot, d’un principe dégagé à propos de la responsabilité du fait des produits défectueux par un arrêt de la chambre mixte du 7 juillet 2017 (n° 15-25.651, Dalloz actualité, 18 juill. 2017, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2017. 1800, communiqué C. cass. , note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P. Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau ; JCP 2017. 926, note C. Quézel-Ambrunaz ; Gaz. Pal. 10 oct. 2017. 30, note N. Blanc ; RCA 2017. 250, note L. Bloch ; RJDA 2017, n° 769 ; S. Grigon, Application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. Avis, RJDA 2017. 795).
En application de ce principe, l’arrêt du 26 mai 2021 casse la décision d’appel ayant fait application du droit français sans mettre en œuvre d’office les dispositions de l’article 6.
Fondement
Ce recours à la notion d’ordre public n’est pas totalement surprenant.
D’une part, de manière générale, le professeur Marc Fallon l’a promu, il y a plus de vingt-cinq ans, comme critère d’applicabilité des règles de droit international privé communautaires (L’expérience des conflits de lois et de juridictions dans un espace économique intégré, Rec. cours Acad. La Haye, 1995, t. 253, p. 13, spéc. nos 139 et 140).
D’autre part, en ce qui concerne l’article 6 du règlement Rome II spécifiquement, le recours à la notion d’ordre public peut sans doute être expliqué par l’idée que l’article 6 concerne le droit de la concurrence, que les considérants nos 22 et 23 du préambule du règlement établissent un lien explicite entre ses dispositions et les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatifs au droit de la concurrence (D. Solenik, La loi étrangère dans le contentieux judiciaire européen, thèse, Université de Lorraine, 2012, n° 350, qui indique que l’article 6 est imprégné des objectifs du TFUE) et que la Cour de justice énonce depuis longtemps que le droit de la concurrence de l’Union doit être appliqué par le juge national même s’il n’a pas été invoqué par la partie qui avait intérêt à son application (par ex., v. CJCE 14 déc. 1995, aff. C-430/93, RTD eur. 1996. 747, chron. J.-B. Blaise et L. Idot ; Europe 1996, n° 56, obs. A. Rigaux et D. Simon ; ibid. Chron. 4, G. Canivet et J.-G. Huglo ; JDI 1995, spéc. 467 s., obs. D. Simon ; v. égal. art. 3 du règl. n° 1/2003, 16 déc. 2002).
La portée de l’arrêt
Le recours à cette notion d’ordre public pose toutefois la question de la portée de l’arrêt du 26 mai 2021 au regard de l’édifice jurisprudentiel actuel, qui fait jusqu’à présent dépendre l’étendue de l’office du juge de la nature – disponible ou indisponible – des droits litigieux.
Il faut désormais considérer que l’office du juge s’apprécie à un double niveau.
Les deux niveaux de l’office du juge
Le premier niveau concerne les règles de conflit de lois d’ordre public issues du droit de l’Union européenne : le juge doit les appliquer d’office, indépendamment de la distinction des droits disponibles et indisponibles. Des problèmes de qualification vont toutefois apparaître pour déterminer si une règle est ou non d’ordre public. L’arrêt retient certes que les règles de conflit de lois auxquelles les parties ne peuvent pas déroger sont d’ordre public. Cependant, cette indication n’épuisera pas le débat, notamment en présence d’une règle insérée dans un règlement qui ne préciserait pas expressément s’il est ou non possible d’y déroger.
Le second niveau concerne les autres règles de conflit, à savoir celles qui ne sont pas de source européenne et celles qui ont cette source mais qui ne sont pas d’ordre public. Le critère de la disponibilité/indisponibilité des droits litigieux devrait alors continuer à s’imposer.
Une jurisprudence fragilisée
À moins que l’arrêt du 26 mai 2021 ne soit que l’annonce d’une reconfiguration générale du régime procédural des règles de conflit de lois et à moins que le critère de l’ordre public n’ait par la suite vocation à être étendu à toutes ces règles, la solution retenue par cet arrêt du 26 mai 2021 met ainsi en cause, en partie, la jurisprudence actuelle, qui n’est certes pas parfaite mais qui a le mérite de la stabilité. Elle la fragilise en introduisant un critère tenant à la source européenne de la règle de conflit de lois, alors pourtant que la Cour de cassation a abandonné par l’arrêt du 26 mai 1999 le critère, pourtant proche, tenant à la source conventionnelle de la règle, et ce précisément car il était difficile de faire coexister un système de solution à double niveau.
Si on peut approuver le fait que les règles de conflit de lois édictées par le droit de l’Union européenne bénéficient d’une impérativité renforcée, il n’est pas en revanche certain que la voie utilisée par l’arrêt du 26 mai 2021 soit la plus simple et la plus opportune, alors qu’il aurait sans doute été possible d’arriver, en l’espèce, à une solution identique en qualifiant le droit de la concurrence de matière indisponible et en imposant, de ce fait, l’office du juge.
Si un sort particulier devait être réservé aux règles de conflit de lois de source européenne, seule une solution franche tenant à leur application d’office par principe serait, à notre sens, satisfaisante, sans référence à la notion d’ordre public ou à celle de disponibilité ou d’indisponibilité des droits litigieux. Ce serait alors le moyen d’assurer l’effectivité du droit international privé européen et l’égalité des parties dans sa mise en œuvre (sur ces considérations, à propos des règles de conflit de lois en général, v. notre ouvrage, La connaissance de la loi étrangère par les juges du fond, PUAM, 2002, p. 187 s.).
Le fonds de solidarité est un dispositif institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 à destination des petites entreprises particulièrement frappées par les conséquences sociales, économiques et financières de la crise sanitaire. Des conditions de base ont été fixées par le décret d’application (Décr. n° 2020-371 du 30 mars 2020). Pour rappel, ces conditions sont les suivantes : être une personne physique ou morale de droit privé, résidente fiscale française, exercer une activité économique et ne pas avoir été placée en liquidation judiciaire au 1er mars 2020. À ces conditions s’ajoutent celles prévues par les différents décrets successifs.
Si le ministre de l’Économie, des finances et de la relance Bruno Le Maire annonçait une dégressivité des aides à compter de juin, étendue sur trois mois, compte tenu de la réouverture progressive des commerces dès le 19 mai...
Après plus d’un an de mesures d’adaptation au contexte de la crise sanitaire, le législateur poursuit la mise en place de nouvelles règles temporaires et dérogatoires en droit des entreprises en difficulté (v. not. Loi n° 2020-1525 du 7 déc. 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP, JO 8 déc. ; sur cette loi, v. nos obs. Loi ASAP : prolongation des règles adaptant le droit des entreprises en difficulté à la covid-19, Dalloz actualité, 23 déc. 2020). L’objectif est toutefois différent des textes précédents puisqu’il ne s’agit plus de prévenir les difficultés causées par la crise sanitaire mais de les régler en instaurant une procédure judiciaire dite de « traitement de sortie de crise ». L’habilitation donnée par l’article 196 de la loi Pacte du 22 mai 2019 ne permettant pas au gouvernement de prendre une telle mesure par voie d’ordonnance, la nouvelle procédure est venue se loger, par voie d’amendement, dans le projet de loi. L’article 13 de la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire (ci-après « la loi ») instaure cette procédure de « traitement de sortie de crise » qui s’applique à compter du 2 juin 2021 jusqu’aux « demandes formées avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de cette même date ». La procédure est donc temporaire et contient diverses mesures dérogatoires au livre VI du code de commerce.
I - Les conditions spécifiques d’ouverture de la procédure
Une procédure à l’initiative exclusive du débiteur. L’initiative de la procédure de traitement de sortie de crise relève exclusivement du débiteur, personne physique ou morale. En cela, elle rejoint les modalités d’ouverture de la procédure de sauvegarde (C. com., art. L. 620-1). La procédure est toutefois restreinte aux débiteurs qui ne dépasseront pas certains seuils précisés par décret en Conseil d’Etat, relatif au nombre de salariés et à un montant total de bilan. Enfin, les comptes du débiteur doivent apparaître « réguliers, sincères et aptes à donner une image fidèle de la situation financière de l’entreprise » (Loi du 31 mai 2021, art. 13, I A). En conséquence, le débiteur dont les comptes ne peuvent pas permettre d’appréhender avec une grande certitude le passif devra être écarté de cette procédure. Il serait d’ailleurs cohérent que le débiteur transmette au tribunal, à l’appui de sa demande, une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes, qui sont les professionnels du chiffre les plus aptes à déterminer de la régularité et de la sincérité des comptes.
Un débiteur en cessation des paiements. La procédure de traitement de sortie de crise exige que le débiteur soit en « cessation des paiements », sans autre précision. Une définition ou un renvoi à l’article L. 631-1 du code de commerce aurait été pertinent au regard de la spécificité de la procédure même si le renvoi est induit de l’application des dispositions relatives au redressement judiciaire (art. 13, III A). Dans ce cas, se pose la question de l’application de la deuxième phrase de l’alinéa 1er dudit article : « Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettant de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements ». Cette disposition ne semble en effet pas applicable à la présente procédure dans la mesure où le débiteur est le seul à pouvoir solliciter l’ouverture et qu’il ne devrait donc pas être dans une position défensive en devant démontrer l’absence de cessation des paiements.
Un débiteur disposant de fonds disponibles pour payer ses créances salariales. Le législateur a également ajouté deux conditions spécifiques pour recourir à cette procédure, en imposant d’abord que le débiteur dispose « des fonds disponibles pour payer ses créances salariales » (salaires et indemnités). Cette condition est importante et tranche avec une conséquence habituelle de l’ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, celle de l’intervention de l’AGS pour avancer les créances salariales dues à l’ouverture d’une procédure. Il faut ainsi comprendre que l’AGS n’interviendra pas à l’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise. L’article 13, III, de la loi exclut d’ailleurs le chapitre V du titre II du livre VI du champ d’application de la procédure (C. com., art. L. 625-1 à L. 625-9).
Un débiteur justifiant être en mesure d’élaborer un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise. Le débiteur doit également justifier « être en mesure, dans les délais prévus au présent article, d’élaborer un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise » (art. 13, I A). Cette condition est double.
D’une part, le débiteur doit être en mesure de présenter le projet de plan dans les délais prévus au D de l’article 13, I, de la loi : « Le jugement ouvre une période d’observation d’une durée de trois mois. Au plus tard au terme d’un délai de deux mois à compter du jugement d’ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d’observation s’il lui apparaît que le débiteur dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes. »
D’autre part, le débiteur doit justifier, au moment de l’examen par le tribunal de la demande d’ouverture de procédure, de sa capacité à élaborer un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise (rentabilité prévisionnelle de l’entreprise et adéquation de cette rentabilité avec le passif à apurer). Cette disposition est une condition déterminante de l’éligibilité à la procédure. Se pose ici la question de l’éligibilité à cette procédure des entreprises qui bénéficient d’un plan de sauvegarde ou de redressement, et qui sont en cessation des paiements. Il ne semble pas a priori qu’elles soient exclues du dispositif. Ainsi, une entreprise pourrait solliciter cette procédure afin de soumettre un nouveau plan d’apurement, alors même qu’elle a bénéficié d’un premier plan de sauvegarde – ce qui ici ne serait pas nouveau – ou de redressement.
Ces conditions spécifiques d’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise permettent de limiter son accès aux seules entreprises viables qui ne connaissent qu’un problème conjoncturel lié à la crise sanitaire et au financement de leur activité, ce qui exclut les entreprises qui sont structurellement en difficulté. L’appréciation du tribunal sur l’éligibilité du débiteur à cette procédure sera déterminante et la motivation du jugement particulièrement importante. D’ailleurs, il faut noter que l’ouverture de la procédure est examinée en présence du ministère public (art. 13, I A, al. 3), ce qui se comprend aisément. Étant le garant de l’ordre public économique, son rôle est déterminant s’agissant d’une procédure exceptionnelle et dérogatoire au droit commun du livre VI du code de commerce. Néanmoins, et de manière classique, il semble que l’avis du ministère public ne lie pas le tribunal.
II - Les désignations dérogatoires des organes de la procédure
La désignation d’un seul auxiliaire de justice. À l’ouverture de la procédure, le tribunal désigne un mandataire de justice qui peut être un administrateur judiciaire ou un mandataire judiciaire (art. 13, I B). Il peut également désigner une autre personne « par décision spécialement motivée ». La mesure est ici dérogatoire à l’obligation pour le tribunal de désigner un mandataire judiciaire, par combinaison des alinéas trois et quatre de l’article L. 621-4 du code de commerce ; ces dispositions ont d’ailleurs été expressément écartées du champ d’application de la procédure de traitement de sortie de crise. De même qu’a été écarté l’article L. 621-4-1 du code de commerce permettant de désigner plusieurs mandataires, ce qui est cohérent avec les seuils d’ouverture de la procédure. Ce mandataire de justice unique exerce « les fonctions prévues par les articles L. 622-1, à l’exception de toute mission d’assistance, et L. 622-20 dudit code » (art. 13, I B). Il va donc remplir à la fois une mission de défense de l’intérêt collectif des créanciers qui relève habituellement du mandataire judiciaire et une mission de surveillance qui relève habituellement de l’administrateur judiciaire. Cette seconde mission consiste à vérifier a posteriori que les actes réalisés (en général les actes spécifiques, sortant de la gestion habituelle du débiteur) ne sont pas contraires aux intérêts de la procédure collective. L’article 13, I E de la loi prévoit toutefois que le mandataire unique sera chargé d’« assister » le débiteur dans la présentation du plan d’apurement. L’utilisation du mot « assistance » apparaît maladroite car elle vient en contradiction avec les dispositions de l’article 13, I B. Pour autant, cette disposition doit être entendue au sens que le mandataire devra bien assister – au sens d’accompagner – le débiteur dans l’élaboration et la présentation d’un plan d’apurement.
La désignation des contrôleurs excluant les créanciers publics et l’AGS. De manière classique, le tribunal peut désigner un à cinq contrôleurs parmi les créanciers qui lui en font la demande (art. 13, I C). Rappelons qu’aux termes de l’article R. 621-24, alinéa 3, du code de commerce, aucun contrôleur ne peut être désigné par le juge-commissaire avant l’expiration d’un délai de vingt-et-un jours à compter du prononcé du jugement d’ouverture de la procédure. Les créanciers publics telles les administrations financières ou les institutions mentionnées à l’article L. 3253-14 du code du travail, à savoir l’AGS, ne peuvent être désignés comme contrôleurs (compte tenu de l’exclusion du deuxième alinéa de l’art. L. 621-10 par l’art. 13, I C de la loi). Si l’exclusion est compréhensible pour l’AGS qui n’est pas créancière de la procédure de traitement de sortie de crise, elle l’est moins pour les administrations financières, et autres organismes et institutions dans la mesure où ils peuvent être créanciers du débiteur à l’ouverture de la procédure.
III - Une période d’observation simplifiée
Une durée maximale obligatoire plus brève. Le jugement ouvre une période d’observation d’une durée maximale de trois mois (art. 13, I D de la loi). Cette durée était déjà possible puisque la durée de six mois prévue en droit commun est une durée maximale (le tribunal peut donc ouvrir une période d’observation de trois mois seulement). Dès l’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise, le tribunal devra fixer une audience dans un délai maximum de deux mois après le jugement d’ouverture, afin d’ordonner la poursuite de la période d’observation, pour un mois maximum, si le débiteur justifie « disposer à cette fin de capacités de financement suffisantes » (art. 13, I D). Ce point interroge. En effet, une des conditions d’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise consiste à ce que le débiteur soit en mesure de justifier de sa capacité à élaborer dans le délai de trois mois, un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise. Cela implique a priori que le débiteur dispose à l’ouverture de la procédure des capacités pour financer la période d’observation et que le tribunal le constate dans le jugement d’ouverture. S’il s’avérait que le débiteur ne peut pas financer un mois supplémentaire de période d’observation (qui est n’est pas particulièrement long), il conviendrait alors légitimement de se poser la question de son éligibilité originelle à cette procédure.
Inapplication des III et IV de l’article L. 622-13 du code de commerce relatifs à la résiliation des contrats en cours. Ces deux exclusions doivent être comprises à la lumière de la philosophie de cette nouvelle procédure ; celle-ci n’a pas vocation à permettre au débiteur de se restructurer, mais d’étaler de manière simple et rapide le passif exigible sur une durée longue dès lors qu’il est la conséquence de la crise sanitaire. En outre, quand bien même un administrateur judiciaire est nommé mandataire unique de la procédure, il n’a pas les pouvoirs qui lui sont conférés habituellement dans le cadre du traitement des contrats en cours dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire. Cette procédure reste toutefois protectrice des intérêts du débiteur dans la mesure où les autres dispositions de l’article L. 622-13 du code de commerce restent applicables. Ainsi, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture.
L’absence d’exclusion de l’article L. 622-13, II interroge. Faut-il comprendre que cet article est applicable ? Rappelons qu’il prévoit que l’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l’administrateur s’assure, au moment où il demande l’exécution du contrat, qu’il disposera des fonds nécessaires pour assurer le paiement en résultant. S’il s’agit d’un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, l’administrateur y met fin s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant. Alors que le mandataire de justice unique n’a qu’une mission de surveillance, le maintien de cette prérogative de l’administrateur judiciaire fait du mandataire unique un acteur important du traitement des contrats en cours. Il a ainsi la possibilité de poursuivre un contrat en cours ou, au contraire, d’y mettre fin.
IV - La détermination du patrimoine du débiteur
Un inventaire facultatif. L’inventaire du patrimoine du débiteur et des garanties qui le grèvent est établi soit par le débiteur, soit par un officier public ou par un courtier de marchandises assermenté, selon les dispositions du jugement d’ouverture (art. 13, II A). À la demande du débiteur, le tribunal peut dispenser celui-ci de procéder à l’inventaire. Le même article exclut les dispositions de l’article L. 624-19 du code de commerce relatives à la détermination de la consistance des biens de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
Exclusion des dispositions relatives aux droits du vendeur de meuble, des revendications et restitutions. L’article 13, III A de la loi exclut également les articles L. 624-9 à L. 624-18 du code de commerce relatifs aux droits du vendeur de meubles, des revendications et des restitutions. Ces dispositions sont de toute évidence inapplicables dans la mesure où le délai maximal de revendication de trois mois à compter de la publication du jugement d’ouverture ne peut s’accorder avec la durée de la procédure de traitement de sortie de crise.
La simplification de la détermination de l’état des créances. Le débiteur porte la responsabilité d’établir la liste des créances avec les mentions usuelles au jour de l’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise (art. 13, II B). Aucun délai n’est mentionné pour l’établissement de cette liste. Celle-ci fait l’objet d’un contrôle dont les modalités seront fixées par décret en Conseil d’État. Aucune vérification des créances déclarées n’est réalisée par le mandataire de justice ni validé par le juge-commissaire (l’article 13, III A exclut l’application des articles L. 624-1 à L. 624-4 du code de commerce relatifs à la vérification et l’admission des créances). Aucun délai n’est non plus mentionné pour le dépôt au greffe de la liste des créances par le débiteur. Le mandataire de justice unique transmet à chaque créancier figurant sur la liste, les éléments de sa créance tels qu’ils figurent sur la liste (art. 13, II C). Le délai de cette transmission et les modalités (forme électronique, courrier recommandé) ne sont pas précisés. Compte tenu du caractère dérogatoire de cette procédure, des précisions sur ces différents points seraient nécessaires pour assurer l’équité et la transparence dans le déroulement de cette procédure. Le créancier peut faire connaître au mandataire de justice unique sa demande d’actualisation du montant de la créance ou toute contestation sur le montant ou l’existence de sa créance (art. 13, II C). Le délai imparti au créancier à cette fin sera fixé par décret en Conseil d’État. Il n’est pas précisé les modalités de cette transmission par le créancier (forme électronique, courrier recommandé) ni le sort de la demande ou de la contestation du créancier qui l’adresserait au mandataire unique après le délai imposé. Les propositions de plans seront établies sur la base de la liste établie par le seul débiteur, dont le montant des créances devra être actualisé des observations des créanciers. Seront exclues des dispositions du plan, les créances qui font l’objet d’une contestation (art. 13, II D).
En cas de contestation par un créancier de l’existence ou du montant de sa créance portée sur la liste établie par le débiteur, le juge-commissaire, saisi par le mandataire désigné, le débiteur ou le créancier, statue sur la créance dans les conditions fixées à l’article L. 624-2 du code de commerce (art. 13, III B). La décision du juge-commissaire n’a d’autorité qu’à l’égard des parties entendues ou convoquées. Les conditions et formes du recours contre sa décision sont fixées par décret en Conseil d’État. Cette disposition organise un recours judiciaire en cas de contestation sur l’existence ou le montant de la créance portée sur la liste par le débiteur. La saisine du juge-commissaire est à l’initiative du débiteur du créancier, et également du mandataire de justice. Le juge-commissaire statue dans les conditions fixées à l’article L. 624-2 du code de commerce, de sorte qu’on peut s’interroger sur l’obligation faite au mandataire de justice de faire une proposition quant à la contestation.
V - L’arrêté du plan
Une procédure simplifiée. Aux termes de l’article 13, IV A de la loi, le tribunal arrête le plan dans les conditions prévues pour le plan de sauvegarde. Il peut ainsi prévoir l’arrêt, l’adjonction ou la cession d’une ou plusieurs activités. Il peut également prévoir des licenciements à la seule condition que le débiteur soit en mesure de les financer immédiatement. Dans la mesure où le mandataire de justice « assiste » le débiteur selon les dispositions de l’article 13, I E de la loi, et dès lors que l’article L. 626-2 du code de commerce est applicable, il semble que le mandataire de justice doive réaliser un bilan économique et social, et le cas échéant, environnemental. Seules les créances mentionnées par le débiteur sur la liste qu’il a établie, sont soumises aux dispositions du plan, à l’exception de certaines créances limitativement nommées (art. 13, IV B). Au demeurant, il n’est pas possible d’éluder la question de l’exactitude de la liste que le débiteur sera amené à établir. Le caractère contraignant de l’interdiction de paiement posée à l’article L. 622-7 du code de commerce a pour corollaire le caractère collectif de cette interdiction. Compte tenu du caractère dérogatoire et particulièrement simplifié de cette procédure, qui ne remet pas fondamentalement en cause l’universalité de ses conséquences sur les créanciers (hors cas spécifiquement énoncés), il importe qu’une vérification de ce caractère collectif soit a minima réalisée afin d’éviter le « debt shopping », c’est-à-dire la soumission, volontaire ou pas, de tel ou tel créancier au plan d’apurement.
La procédure de consultation des créanciers affectés par le plan. Cette procédure est mise en œuvre par le mandataire de justice unique. Les délais afférents sont applicables : en cas de consultation par écrit, les créanciers disposent d’un délai de 30 jours pour se positionner sur les propositions d’apurement, le défaut de réponse valant acceptation (C. com., art. L. 626-5). L’articulation de ce délai avec la durée de la procédure de traitement de sortie de crise interpelle. La combinaison de ces délais doit amener le débiteur à finaliser le projet de plan dans un délai inférieur à deux mois à compter de l’ouverture de la procédure (plus certainement dans un délai inférieur à 45 jours), afin de permettre la consultation régulière des créanciers (en cas de consultation écrite). Ce cadencement renforce l’étroitesse de l’éligibilité à cette procédure du point de vue du débiteur : ne seront éligibles que les débiteurs qui sont structurellement rentables mais qui doivent ponctuellement, en raison d’un endettement non maîtrisé lié à la crise sanitaire, traiter de manière collective et coercitive, cet endettement afin de permettre son apurement en corrélation avec leur capacité financière. Un point de vigilance doit également être apporté sur les réponses des établissements bancaires en présence d’un prêt garanti par l’État (PGE) d’une durée de six ans, qui est garanti à 90 % par la Banque publique d’investissement (BPI). Si l’établissement bancaire accepte un étalement de ce prêt sur dix ans, le maintien de cette garantie donnée par la BPI pourrait se poser en cas de résolution dudit plan. Et dans l’hypothèse où l’établissement bancaire refuse la durée proposée mais que le tribunal applique la durée de dix ans, se pose la question de la position de la BPI alors même que le garanti a refusé la proposition.
Le montant dérogatoire des annuités. L’article 13, IV C de la loi dispose que « le montant des annuités prévues par le plan à compter de la troisième ne peut être inférieur à 8 % du passif établi par le débiteur ». Cette disposition est dérogatoire au droit commun des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, pour lesquelles le seuil est fixé à 5 % (sauf exploitations agricoles).
Ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire à défaut de plan arrêté. Si la présentation du projet de plan n’est pas possible dans le délai de trois mois, le ministère public, le mandataire unique ou le débiteur peut saisir le tribunal pour mettre fin à la procédure de traitement de sortie de crise, et ouvrir un redressement judiciaire ou liquidation judiciaire par application de l’article 13, IV D de la loi. La période d’observation de trois mois ne s’impute pas sur la durée maximale de la période d’observation du redressement judiciaire. Ainsi, la soumission des créanciers aux conséquences de l’article L. 622-7 du code de commerce et à l’interdiction des paiements peut durer jusqu’à vingt et un mois, ce qui était déjà le cas avec l’application de l’ordonnance du 27 mars 2020.
De manière sous-jacente à cette nouvelle procédure apparaît une inquiétude grandissante sur le risque de défaillances d’entreprises fragilisées par la crise sanitaire mais viables, à savoir les entreprises structurellement rentables au 17 mars 2020 (date du début du premier confinement). À l’heure où la renégociation de PGE se heurte à la limite d’amortissement de six ans en raison de contraintes réglementaires et de la garantie étatique, cette procédure peut permettre de restructurer l’endettement (PGE, loyers impayés, etc.). Et là est tout l’intérêt de cette nouvelle procédure : celui de « sauver » ces entreprises du risque de « faillite ». La nouvelle procédure semble toutefois conserver l’exigence de la publicité de la procédure – l’article R. 621-8 du code de commerce n’ayant pas été écarté. La publicité du jugement d’ouverture (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, journal d’annonces légales, mention au registre du commerce et des sociétés) reste un frein important pour qu’un débiteur demande l’ouverture d’une procédure judiciaire de « traitement de sortie de crise », auquel s’ajoute le verrou psychologique, qui reste le plus difficile à lever.
Les règles fixées par la directive
La directive est relativement souple dans le cadre des principes qu’elle souhaite unifier, les cadres de restructuration préventive introduisant cependant la notion de difficulté qui « engendre une menace réelle et grave pour la capacité actuelle ou future d’un débiteur de payer ses dettes à l’échéance » (consid. 28). Ces difficultés doivent menacer la continuité des activités et à moyen terme ses liquidités. Le considérant 32 a aussi prévu la possibilité de bénéficier d’une suspension temporaire des poursuites individuelles afin de pouvoir continuer à exercer les activités ou préserver la valeur du patrimoine pendant la durée des négociations. C’est ce que nous vivons pendant cette crise.
Le sort du garant
Cette suspension devrait aussi s’appliquer au bénéfice du tiers garant. Pour autant, cette suspension doit pouvoir être refusée lorsque le comportement du débiteur n’inspire pas confiance (« comportement qui est généralement celui d’une personne qui est incapable de payer ses dettes à l’échéance […] », consid. 33).
Les clauses de résiliation anticipée
La possibilité de suspendre des clauses de résiliation anticipées peut aussi être activée en cours de négociation (consid. 40). La directive prévoit l’organisation des créanciers en classes organisées autour de droits « sensiblement similaires ». Cela tient aussi compte du rang des créances et des intérêts. Au minimum, les créanciers garantis et non garantis devraient être considérés comme appartenant à des classes distinctes (consid. 44).
Il est en outre prévu que chaque droit national puisse fixer des majorités requises pour garantir qu’une minorité de parties affectées dans chaque classe ne puisse faire obstacle à l’adoption d’un plan de restructuration qui ne porterait pas excessivement préjudice à leurs droits et intérêts.
Le principe de la validation d’un plan de restructuration par une autorité judiciaire ou administrative paraît nécessaire pour garantir que la réduction des droits des créanciers ou des intérêts des détenteurs de capital est proportionnée aux avantages de la restructuration et qu’ils ont accès à un recours effectif (consid. 48).
En outre, il convient de comparer la situation offerte par un plan à ce que les créanciers pourraient raisonnablement attendre en cas de liquidation, ce qui implique que l’autorité constituée puisse rejeter un plan qui ne respecterait pas cette condition d’un plan plus favorable qu’en situation liquidative (consid. 49 et 52 not.).
Il est possible de procéder à une validation forcée du plan de restructuration s’il est soutenu au moins par une classe affectée ou lésée de créanciers en tenant compte de la valeur du débiteur en tant qu’entreprise en activité (consid. 54). Ce point est particulièrement intéressant et peut être riche de conséquences pour les actionnaires.
L’application forcée interclasses
Le principe de l’application forcée interclasses suppose qu’une autorité vérifie que les classes dissidentes de créanciers affectés ne soient pas excessivement lésées par le plan proposé (consid. 55). Il s’agit à cet égard de tenir compte des intérêts d’une classe dissidente qui doit être traitée au moins aussi favorablement qu’une autre classe de même rang.
Il est aussi intéressant de noter que les états membres doivent veiller à ce que les actionnaires ou autres détenteurs de capital ne doivent pas raisonnablement empêcher l’adoption de plans de restructuration qui permettraient au débiteur de retrouver la viabilité (consid. 57). Il est tenu compte de la situation des salariés qui doivent être tenus informés (consid. 60, 61 et 62).
Les modalités d’évaluation de l’entreprise devraient être sécurisées par un expert ou une évaluation présentée par le débiteur ou une autre partie (consid. 63).
Le rebond
La possibilité de rebond est aussi évoquée avec la possibilité pour un débiteur de commencer une nouvelle activité dans le même domaine ou un domaine différent pendant la mise en œuvre du plan de remboursement (consid. 74). La directive prévoit aussi la possibilité d’une remise de dette dans les procédures comprenant un plan de remboursement, une réalisation d’actifs ou une combinaison des deux (consid. 75). Ces possibilités de remises de dette sont explorées aux considérants 77 et suivants. L’utilisation des moyens de communication électronique permettant de réduire la durée des procédures et faciliter une meilleure participation des créanciers est prévue au considérant 90.
Après ces rappels, quelques articles de l’article méritent d’être commentés à l’aune des réflexions actuellement menées, tant à la Chancellerie qu’à l’Assemblée nationale et dans d’autres cercles, et notamment la commission Richelme qui a déposé son rapport en février 2021. Il est aussi intéressant de relire cette directive à l’aune de la crise de la covid-19 – à l’époque imprévisible – et des réflexions actuellement menées que nous évoquerons ci-après.
Les axes de la réforme
L’article 3 prévoit une alerte précoce et un accès aux informations, ce qui se rapproche de la réflexion actuellement menée par le député Romain Grau sur la prise en compte des signaux faibles en sensibilisant les experts-comptables comme l’avait proposé la commission Richelme sur la nécessité de susciter une réaction plus rapide et de réagir à la première alerte. À cet article, il est fait état des outils d’alerte précoce sur certaines défaillances de paiement et la collecte des informations nécessaires.
Il s’agit ici d’un élément essentiel qui doit être rapproché des outils d’autoévaluation disponibles sur internet et notamment proposés par les greffiers des tribunaux de commerce.
Sur les conditions d’accès aux cadres de restructuration préventive, notre droit positif les prévoit et il est essentiel de rappeler ici que les états membres peuvent introduire un test de viabilité : cette exigence est particulièrement nécessaire dans le contexte de la crise actuelle car il va être important de pouvoir trier les entreprises qui ont vocation à être sauvées et celles qui ne pourraient faire l’objet que d’un acharnement thérapeutique et dont le constat d’échec doit être dressé.
Les pouvoirs du tribunal
Il est prévu que les états membres puissent limiter l’intervention de l’autorité judiciaire ou administrative mais, pour autant, notre droit est plutôt attaché à l’intervention d’un juge fort, ce qui correspond actuellement au pouvoir dévolu aux présidents des tribunaux en matière de prévention.
Pendant la crise, les pouvoirs des délégués à la prévention de nos tribunaux ont été élargis, notamment par la possibilité de la suspension sur requête et il serait bienvenu que cette capacité d’intervention plus importante puisse être validée et maintenue même après la crise. Malgré les critiques qui semblent être retenues, ce nouveau dispositif favorise la négociation en rétablissant l’équilibre et il tient compte de l’absence de visibilité en période de crise. Le créancier n’est pour autant pas privé de la possibilité de contester et de susciter un débat contradictoire. Cela est en effet un facteur d’efficacité. Le développement de la communication par internet permet cet accroissement du rôle du juge en prévention pour faire face à ce surcroît de travail.
L’article 5 de la directive prévoit que le débiteur est non dessaisi en prévention, ce qui correspond à notre droit positif. Cependant, la désignation d’un praticien paraît nécessaire en cas de suspension générale des poursuites lorsque le plan de restructuration doit être validé, notamment par une autorité judiciaire ou lorsque la désignation d’un praticien est demandée par le débiteur ou la majorité des créanciers. En l’état, notre droit de la prévention repose uniquement sur l’initiative du débiteur, le conciliateur ne pouvant être demandé par la majorité des créanciers.
La suspension des poursuites individuelles a été rendue possible pendant la crise par l’ordonnance du 20 mai 2020 qui a prévu la possibilité de suspension à l’égard de tel ou tel créancier pendant la procédure de conciliation, ce qui est une forte incitation à poursuivre la négociation et ce qui a permis de suspendre les poursuites des principaux créanciers à une période qui était particulièrement difficile pour les entreprises privées de visibilité sur leur activité future. La directive a fixé la durée initiale d’une suspension des poursuites individuelles à une période maximale de quatre mois, étant rappelé que les mesures prises pendant la crise ont permis cette suspension pendant la durée d’une conciliation dont la durée a été portée à titre provisoire à une durée maximale de dix mois.
L’intervention du juge permet de garantir que ce maintien de la suspension ne porte pas une atteinte excessive aux droits des créanciers concernés comme l’a indiqué la directive. Il a été à cet égard prévu que la durée totale de la suspension des poursuites n’excède pas douze mois, ce qui n’est donc pas contradictoire avec la période de dix mois prévue pendant cette période de crise, en principe jusqu’à la fin de l’année 2021, ce qui pourrait éventuellement être prorogé en cas de besoin, avec une durée sans doute moins longue.
Les classes de créanciers : une innovation importante ?
La directive prévoit en outre en son article 8 le contenu des plans de restructuration avec le regroupement des classes de créanciers concernées et en l’état, il semble que le champ d’application de la directive soit notamment dédié à la création d’une procédure spécifique de sauvegarde. L’adoption des plans de restructuration (art. 9) dans le cadre d’une procédure de restructuration préventive doit être garantie aux débiteurs, ce qui implique que sa crédibilité et la viabilité de son entreprise soient préalablement validées. Il est demandé que les créanciers soient répartis dans des classes distinctes représentatives d’une communauté d’intérêts suffisante sur la base de critères vérifiables.
Au minimum, la distinction entre créanciers garantis et non garantis doit donc exister. En l’état, les plans de restructuration dans le cadre des procédures collectives ne distinguent pas les créanciers privilégiés et les créanciers non privilégiés qui sont en principe soumis aux mêmes délais. Cette solution a le mérite de la simplicité mais elle pourrait sans doute faire l’objet d’une amélioration dans le sens de la directive. En outre, il paraît normal que les créanciers publics puissent faire partie d’une classe distincte, compte tenu de leur situation spécifique.
Le plan de restructuration est adopté à condition qu’une majorité calculée sur le montant des créances ou intérêts soit obtenue dans chaque classe, ce qui correspond sur le principe, au fonctionnement actuel des comités pour les plus grandes entreprises. Sans surprise, l’autorité judiciaire « ou administrative » valide les plans de restructuration (art. 10). À cet égard, il paraît souhaitable qu’un tribunal soit effectivement chargé de cette validation avec un large pouvoir d’appréciation en fonction des intérêts en présence, celui d’une entreprise jugée viable, ce qui est le meilleur garant d’une décision équilibrée et équitable. Il appartiendra ainsi à chaque acteur de défendre ses droits.
C’est en effet sur la question de l’application forcée interclasses (art. 11) que peuvent naître des divergences, s’agissant d’un plan qui n’est pas approuvé par les parties affectées, le tribunal ayant la possibilité d’imposer ce plan aux classes dissidentes lorsque certaines conditions sont réunies, ce qui suppose une approbation par une partie au moins des créanciers dans les conditions définies par la directive. Le tribunal veille à cet égard à ce traitement équitable et il doit disposer d’un large pouvoir.
En ce qui concerne les détenteurs de capital (art. 12) et les travailleurs (art. 13), il s’agit d’empêcher des situations de blocage et de laisser circuler un droit d’information et de consultation pour ces derniers. Il paraît équitable que ni les travailleurs ni l’AGS n’aient à subir les risques d’une application fixée interclasses.
Le débat sur la valeur
La question de la détermination de la valeur de l’entreprise, chère au droit anglo-saxon est plus difficile à cerner (art. 14) et cela vaut lorsqu’un plan de restructuration est contesté par une partie dissidente. Il s’agit en effet de veiller au respect du critère du meilleur intérêt des créanciers et de permettre la désignation d’experts, ce qui peut être une source de délais et de complexité. S’il est normal que ce critère puisse être pris en compte, une application souple devrait être autorisée vu l’urgence. Il est à redouter que les contestations soient ici une grande source d’insécurité juridique et traînent en longueur.
Les articles suivants concernent notamment les recours qui doivent être jugés d’une manière rapide, le recours contre une décision validant un plan de restructuration n’ayant pas d’effet suspensif (art. 16). La protection des financements nouveaux est bien connue dans notre droit positif qui leur a accordé une forme de privilège dit de new money étendu aux sommes apportées dans le cadre d’un plan de restructuration. À cet égard, un droit de rémunération prioritaire peut être prévu par les États.
Les obligations des dirigeants face à une probabilité d’insolvabilité visent à instaurer une obligation de diligence avec la nécessité de prendre des mesures pour éviter l’insolvabilité et d’éviter toute négligence, ce qui peut être rapproché de notre droit positif plutôt tolérant à l’égard d’une négligence du chef d’entreprise.
Les remises de dettes
Les remises de dettes prévues aux articles 20 et 21 sont à présent d’actualité, la crise de la covid ayant mis à l’ordre du jour la nécessité de procéder à des remises que le ministère des Finances souhaite voir examiner au cas par cas, en prenant en compte une réelle incapacité d’honorer les engagements. Il faudrait sans doute tenir compte de la nécessité de sauver l’entreprise, de vérifier sa capacité de remboursement, ce qui peut être fait par des professionnels, particulièrement pendant la phase de prévention. Il est dommage, d’une manière générale, que les dispositifs d’aide actuellement prévus ne constituent pas une incitation à la prévention, ce qui pourrait permettre un traitement global des créances, plutôt qu’une approche faite par un seul créancier, fût-ce l’État.
En ce qui concerne ces remises de dette, il est prévu par la directive que toute déchéance du droit de gérer une entreprise prenne fin au plus tard à l’expiration du délai de remise de dette (art. 22). À cet égard, le député Romain Grau a récemment déclaré (revue Décideurs, 11 mai 2021) que « le patron, qui est un des piliers de l’optimisme, ne doit plus être montré du doigt après un échec. Comme aux États-Unis, considérons l’échec comme formateur ». Ce député estime que l’action en comblement de passif qui concerne environ trois cents dirigeants par an serait trop sévère : « c’est la seule infraction imprescriptible avec le crime contre l’humanité », s’insurge-t-il.
Cette appréciation, certes destinée à une presse grand public, mérite sans doute une lecture plus nuancée avec la recherche d’une sanction plus équitable. En l’état, le droit de la sanction est flou avec une faute de gestion multiforme et non clairement définie, ce qui crée une inquiétude diffuse et une crainte qui peut dissuader les dirigeants de s’adresser préventivement au tribunal. En outre, la théorie redoutable de l’équivalence des conditions qui permet, théoriquement, de mettre la totalité d’un passif à la charge d’un dirigeant fautif devrait être remplacée par la responsabilité du droit commun qui paraît plus équitable dans ses principes.
Pour être complet, la directive poursuit avec la nécessité de former des praticiens compétents, de contrôler notamment la rémunération des praticiens, ce qui correspond à ce qui se pratique en France. L’utilisation des moyens de communication électroniques d’une manière étendue rejoint ce que nous venons de constater avec la crise de la covid-19 qui a provoqué un épanouissement de ces moyens et une banalisation de leur utilisation avec des insatisfactions provoquées par des dysfonctionnements mais aussi, avouons-le, une plus grande commodité et une plus grande souplesse pour l’utilisation des procédures.
Le texte attendu sera connu avant le 17 juillet.
1. Juin 2020 : la Cour de justice de l’Union européenne affirme qu’un intermédiaire ne disposant pas du pouvoir de modifier les prix des produits dont il assure la commercialisation peut toutefois être qualifié d’agent commercial. L’important est que l’agent augmente la clientèle du mandant, en lui apportant de nouveaux clients ou en développant ceux déjà présents (CJUE 4 juin 2020, aff. C-828/18, Trendsetteuse, Dalloz actualité, 31 août 2020, obs. Y. Heyraud ; D. 2020. 1497 , note N. Dissaux ; ibid. 2021. 718, obs. N. Ferrier ; AJ contrat 2020. 378 , obs. J.-M. Leloup ).
Décembre 2020 : comme l’avaient avancé de nombreux commentateurs, la Cour de cassation s’aligne (Com. 2 déc. 2020, n° 18-20.231, D. 2020. 2452 ; ibid. 2021. 993, chron. S. Barbot, C. de Cabarrus, S. Kass-Danno et A.-C. Le Bras ; CCC 2021. Comm. 22, note N. Mathey), abandonnant par là même son ancienne jurisprudence, plus sévère à l’égard des agents commerciaux.
Mai 2021 : l’arrêt sous commentaire confirme cette orientation. Ainsi, en quelques mois, le débat sur le sens du terme « négocier » (C. com., art. L. 134-1), animant jurisprudence et doctrine depuis une quinzaine d’années, semble définitivement clos.
2. L’objectif n’est pas ici de revenir sur les termes de ce débat ou encore sur les motifs ayant conduit la CJUE à retenir l’orientation qui est la sienne (à ce sujet, voir les notes sous l’arrêt Trendsetteuse, préc.). Actons plutôt de l’orientation adoptée et explorons les conséquences de celle-ci. À ce titre, l’arrêt sous commentaire se prête particulièrement à l’exercice.
3. Les faits d’espèce étaient d’une parfaite banalité : depuis 2001, une première société, une personne « physico-morale » selon la nouvelle – et curieuse – méthode d’anonymisation (c’est-à-dire une personne morale dont le nom contient le nom d’une partie au litige), assurait, sur le territoire russe, la commercialisation du vin produit par une seconde société. En 2015, le producteur mettait un terme à la relation l’unissant au distributeur. En réponse, cet intermédiaire, considérant être agent commercial, sollicita deux indemnités : une première relative au préavis, que l’on devine trop bref, et une...
Article
par Xavier Delpechle 3 juin 2021
Com. 12 mai 2021, F-P, n° 20-12.670
Le droit des sociétés confronté au principe de non-rétroactivité des lois. Ce n’est pas si fréquent. La question devrait concerner tant les spécialistes du droit des sociétés que ceux qui s’intéressent à la problématique de l’application dans le temps de la loi nouvelle.
Les faits de l’espèce sont les suivants. La société LCF est une société par actions simplifiée (SAS) – cela a son importance – qui a été mise en redressement judiciaire le 6 décembre 2016, puis en liquidation judiciaire le 24 janvier 2017. Un créancier de cette société, la société Axyo, a vu ses créances admises au passif de la procédure collective de la société LCF au titre de factures impayées antérieures. Par la suite, invoquant une surévaluation des apports en nature effectués par deux coassociés de la société LCF lors de la...
5 405 « rescrits mécénat » ont été traités par l’administration en 2019. Dans son référé, la cour notait que « le rescrit relève d’une procédure lourde avec une batterie de critères dont certains restent inconnus du public ». Par ailleurs, le rescrit ne constitue pas une autorisation : une association peut émettre des reçus fiscaux sans l’avoir demandé. De plus, il « n’est valable qu’à un moment donné, au vu de la situation de l’association et des pièces communiquées ».
La Cour constate « que l’administration fiscale peut être conduite, dans certains cas, à apprécier le message véhiculé par l’association concomitamment à l’activité qu’elle déploie », citant les organismes politiques, militants, revendicatifs ou religieux. Pour ces associations, la DGFIP s’appuie sur une note interne, non publiée, aux bases juridiques fragiles. Pour la Cour, la note laisse « une large part à l’appréciation, parfois subjective, de l’administration » et est appliquée de façon hétérogène sur le territoire. La Cour demandait la publication de cette note, « afin d’assurer la pleine information du public ». Ce que la DGFIP n’a pas fait.
Face au refus de l’administration, Dalloz actualité a saisi la CADA. La commission nous a donné un avis favorable et la note nous a alors été transmise. Les services fiscaux insistent sur le fait « que cette fiche n’est pas un élément de doctrine publiée mais un outil de travail interne établi par le service juridique en 2008, il y a donc plus de dix ans ». Le Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ne formulerait aujourd’hui pas tous les points de la même manière. Par ailleurs, un projet plus général d’actualisation de la doctrine publiée sur le mécénat devrait intervenir l’an prochain.
Une note pour orienter les demandes de rescrit
Comme nous l’indique la DGFIP, le but de la note « n’est pas tant de commenter la loi que d’organiser le traitement des demandes en rappelant que c’est la connaissance de l’activité effective de l’organisme qui permet de nous prononcer sur l’application de l’aide fiscale ».
La note rappelle d’abord que, s’agissant des associations qui diffusent des messages philosophiques, politiques, militants ou religieux, aucune réponse uniforme ne peut être dégagée. Mais elles ne peuvent être écartées sur ce seul fondement. Ainsi, dès lors que l’objet d’une association est culturel, le caractère d’intérêt général ne peut être refusé même si les œuvres présentent un caractère politique ou religieux.
Trois types d’association sont distingués : d’abord les associations véhiculant un message politique (think tank, cercle de réflexion, fondation). « Dès lors que son objet principal n’est pas de prôner l’idéologie politique dont il se réclame, mais de réaliser une activité présentant l’un des caractères visés par le texte, l’examen de l’organisme n’a rien de spécifique », quelle que soit la nature de l’idéologie affichée. Toutefois, « si l’organisme se place régulièrement dans l’illégalité du fait des idées qu’il véhicule (racisme, sexisme) ou des moyens qu’il utilise », le bénéfice du régime du mécénat pourra être écarté. « Les réductions d’impôt instituées par la loi ne peuvent avoir pour effet de permettre à un organisme de les transgresser ». Ne peuvent revêtir un caractère scientifique les travaux d’un organisme dont l’objet est avant tout de servir de tribune politique.
Deuxième type, les associations militantes ou revendicatives, qui ont pour objet de modifier la législation en vigueur sur des sujets particuliers (euthanasie, IVG, OGM, etc.). L’administration doit alors « faire abstraction des objectifs philosophiques politiques ou moraux » de l’organisme. Mais, pour bénéficier du rescrit mécénat, l’association ne peut avoir comme seule activité une action de lobbying, même si cela peut être une activité secondaire. Elle ne peut non plus enfreindre régulièrement la loi. Par ailleurs, elle recommande que les directions saisissent l’administration centrale.
Enfin, la note évoque les « associations religieuses ou sectaires », qui sont à distinguer de celles ayant un objet cultuel. Les associations ici visées exercent en effet une activité autre que cultuelle. Le rejet d’une demande ne peut être motivé du seul fait qu’elles présentent un caractère religieux ou fonctionne au profit de pratiquants. La note cite ainsi l’exemple d’un établissement sous contrat, qui resterait ouvert à des élèves de toute confession. Toutefois, il en ira différemment si l’organisme est réservé aux fidèles d’une religion. Par ailleurs, pour les organismes répertoriés comme sectaires, la saisine des services centraux est vivement recommandée.
Ayant entrepris la construction d’une maison d’habitation, des maîtres de l’ouvrage consommateurs ont confié à une entreprise des travaux de gros œuvre, lesquels donnèrent lieu à un procès-verbal de réception avec réserves.
L’entreprise de gros œuvre a agi, par acte d’assignation délivré le 24 décembre 2015 à l’encontre des maîtres de l’ouvrage, en paiement d’une facture émise le 31 décembre 2013 correspondant au solde des travaux. Ces derniers lui opposèrent la prescription de son action.
La cour d’appel déclara l’action du professionnel irrecevable comme prescrite au motif que la facture avait été établie près de sept mois après l’exécution de la prestation en méconnaissance des délais d’établissement impartis par les articles L. 441-3 du code de commerce et 289 du code général des impôts, que sa date n’était pas certaine et que le délai de prescription avait commencé à courir le 1er septembre 2013, date à laquelle la facture aurait au plus tard dû être émise.
L’entreprise forma un pourvoi en cassation, soutenant que le point de départ du délai de prescription de son action en paiement ne pouvait commencer à courir qu’au jour de l’établissement de la facture, le 31 décembre 2013.
Dans cet arrêt d’une brillante pédagogie, la Cour de cassation offre deux enseignements : si en principe le délai de prescription court à compter de l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations par le professionnel, par exception l’ancien point de départ du délai au jour de l’établissement de la facture litigieuse retrouve matière à s’appliquer.
L’harmonisation du point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services
1. En l’espèce, la prescription biennale de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, était applicable en la cause puisque l’action en paiement avait été introduite par un professionnel contre des maîtres de l’ouvrage consommateurs.
À défaut pour un tel article de prévoir un point de départ du délai spécifique, il convient de se référer à l’article 2224 du code civil lequel, au-delà d’édicter un délai de prescription de droit commun, instaure un point de départ de droit commun.
Il en résulte que la prescription biennale du code de la consommation demeure soumise à un point de départ « glissant » au jour où le créancier professionnel a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir.
Le point de départ du délai de prescription faisait l’objet d’une analyse divergente selon qu’il concernait l’action en paiement des prestations de service dans les relations consuméristes ou commerciales.
2. En matière d’actions en paiement introduites par un professionnel contre un consommateur, la jurisprudence constante de la Cour de cassation fixait jusqu’alors le point de départ de la prescription biennale au jour de l’établissement de la facture litigieuse (Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-10.908, Bull. civ. I, n° 136 ; Dalloz actualité, 23 juin 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1269 ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDI 2015. 410, obs. H. Heugas-Darraspen ; 9 juin 2017, n° 16-12.457 P, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 1245 ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier ; Civ. 3e, 14 févr. 2019, n° 17-31.466, inédit).
3. En matière d’actions en paiement introduites entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants, relevant de la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du code de commerce, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient une analyse contraire : « l’obligation au paiement du client prend naissance au moment où la prestation commandée a été exécutée [de sorte que la société] connaissait, dès l’achèvement de ses prestations, les faits lui permettant d’exercer son action en paiement de leur prix […] peu important la date à laquelle elle avait décidé d’établir sa facture » (Com. 26 févr. 2020, n° 18-25.036 P, D. 2020. 486 ; AJ contrat 2020. 337, obs. K. Magnier-Merran ; RTD civ. 2020. 389, obs. H. Barbier ; CCC 2020. Comm. 83, obs. N. Mathey ; JCP 2020. Comm. 857, note F. Buy ; JCP E 2020. Comm. 1265, obs. A. Bories ; Civ. 3e, 21 nov. 2019, n° 18-22.048, inédit).
4. Afin d’uniformiser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, la Cour de cassation décide dans cet arrêt de fixer la date de la connaissance des faits permettant au professionnel d’exercer son action au jour de « l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations ».
En d’autres termes, la haute juridiction aligne désormais la prescription biennale consumériste sur la prescription quinquennale en matière commerciale.
La solution de la Cour de cassation doit être approuvée en ce qu’elle s’avère conforme à la théorie générale de la prescription extinctive. En effet, une créance se prescrit à compter de l’exigibilité de l’obligation qui lui a donné naissance. Dès lors, le droit de créance d’un professionnel devient exigible à la date d’achèvement des prestations qui lui ont été contractuellement confiées. Ceci explique que la créance correspondant au solde des travaux se prescrit à compter de l’achèvement desdits travaux. Cette analyse a également le mérite d’inciter les professionnels à faire diligence et à établir la facture dans de brefs délais.
La survivance exceptionnelle de l’ancien point de départ
5. Après avoir établi un point de départ de principe, la haute juridiction le dote aussitôt d’un tempérament. En l’espèce, le nouveau point de départ fixé au jour de l’achèvement des prestations aboutissait à faire expirer le délai de prescription de l’action de l’entreprise de gros œuvre.
Or, selon la Cour, « si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action ».
L’arrêt, poursuivant son analyse, énonce que le point de départ nouveau avait pour effet de priver le professionnel, qui n’avait pu raisonnablement anticiper une telle modification de la jurisprudence, d’un procès équitable au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, en lui interdisant l’accès au juge.
En d’autres termes, par exception au principe d’application immédiate de la jurisprudence, si le nouveau point de départ d’un délai de prescription a pour effet de rendre l’action du demandeur prescrite, le privant du droit d’accès à un juge, et alors que ce dernier, de bonne foi, ne pouvait pas raisonnablement l’anticiper, l’ancien point de départ du délai de prescription retrouve matière à s’appliquer.
En conséquence, la Cour de cassation décide de prendre en compte la date d’établissement de la facture, le 31 décembre 2013, comme constituant le point de départ du délai de prescription. L’action en paiement de l’entreprise de gros œuvre, introduite par exploit d’huissier du 24 décembre 2015, demeurait de ce fait recevable.
6. Un tel point de départ s’avère néanmoins contestable en ce que le créancier dispose finalement de la maîtrise du déclenchement du cours de la prescription biennale. S’il tarde à émettre sa facture, le point de départ du délai de prescription s’en retrouve conséquemment reporté (en l’espèce, la facture avait été établie par l’entreprise de gros œuvre près de sept mois suivant l’exécution de sa prestation). Or le consommateur n’a pas à pâtir de la carence du professionnel dans l’établissement de la facture. Cette situation s’avère contraire à l’objectif de protection du consommateur poursuivi par le droit de la consommation ainsi qu’à l’esprit de la prescription extinctive laquelle vise à sanctionner l’inertie du créancier qui néglige d’agir dans un délai déterminé.
Ce raisonnement n’est pas celui de la Cour de cassation qui entend faire primer le droit d’accès à un tribunal protégé par la Convention européenne des droits de l’homme – auquel on peut y adjoindre le droit à un recours effectif. Pourtant, la Cour européenne des droits de l’homme estime de longue date que les délais de prescription, eu égard aux buts légitimes qu’ils poursuivent et la marge d’appréciation reconnue aux États quant à la réglementation de l’accès à un tribunal, n’ont pas pour effet de violer l’article 6, § 1, de la Convention européenne (CEDH 22 oct. 1996, Stubbings et a. c. Royaume-Uni, n° 22083/93, § 51, RSC 1997. 464, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 470, obs. R. Koering-Joulin ; 11 mars 2014, Howald Moor et a. c. Suisse, n° 52067/10, § 72, D. 2014. 1019 , note J.-S. Borghetti ; ibid. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; Dr. soc. 2015. 719, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ).
Pour aller plus loin : dans l’hypothèse où le contrat porterait sur une obligation à exécution échelonnée, la prescription se divise et court à l’égard de chacune des échéances successives appelées en cours du chantier à compter de son exigibilité. Le solde du prix se prescrit quant à lui au jour de l’achèvement des prestations.
Il est acquis que les actions détenues par une société en violation des articles L. 225-206 à L. 225-208 et L. 225-210 du code de commerce doivent être cédées par celle-ci dans un délai d’un an à compter de leur souscription ou de leur acquisition ; à défaut de l’avoir été à l’expiration d’un tel délai, elles doivent être annulées (C. com., art. L. 225-214). Si le législateur prend la peine de préciser la marche à suivre à l’expiration dudit délai, il n’en reste pas moins que le sort de ces actions, lorsqu’elles n’ont fait l’objet d’aucune décision sociétaire les concernant, était, jusque-là, inconnu. Le présent arrêt a le mérite de mettre fin à l’incertitude qui en résulte. En l’espèce, une SAS détient 50,75 % du capital social de sa filiale, laquelle détient elle-même des parts en autocontrôle représentant 9,46 % de son capital.
C’est dans ce contexte que l’assemblée générale de la filiale approuve la résolution portant cession des actions autodétenues et que les actionnaires de la SAS votent une augmentation de capital destinée à financer une éventuelle acquisition des actions autodétenues par la filiale. Par la suite, l’augmentation de capital est définitivement réalisée avec agrément d’une société détenue par un des actionnaires de la SAS et refus d’agrément de deux autres sociétés, elles-mêmes détenues par deux autres actionnaires de la SAS. Au terme de l’opération, les actions autodétenues par la filiale ont été acquises par la SAS à concurrence de 6,96 % et, par un investisseur, à concurrence de 2,5 %. Les époux et actionnaires dont l’agrément a été refusé pour les sociétés présentées voient une réduction de leur participation dans la SAS, passant de 28 % à 23,6 %.
C’est dans ces circonstances qu’ils assignent la SAS et huit autres de ses actionnaires devant la juridiction consulaire en annulation de l’augmentation de capital votée et des assemblées générales concomitantes, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts, sur fondements de la fraude et de l’abus de droit. Ils considèrent, en effet, qu’ils ont été placés dans l’impossibilité de participer à l’augmentation de capital compte tenu de la brutalité de l’opération, du délai de souscription fixé relativement court (soit un mois seulement après le vote de l’augmentation de capital) et du refus d’agréer les sociétés qu’ils avaient proposées. Surtout, ils estiment que l’augmentation de capital a pour objet une opération illicite puisqu’elle repose sur l’acquisition d’actions en autocontrôle réputées annulées en vertu des dispositions de l’article L. 225-214 du code de commerce. Partant, l’augmentation de capital entachée d’illicéité, contraire à l’intérêt social, doit, selon eux, être annulée.
Ces moyens n’ont pas emporté la conviction des juges du fond qui rejettent toutes les demandes des époux-requérants dans un arrêt du 2 avril 2019. La cour d’appel de Versailles estime, en effet, que les demandeurs étaient informés depuis fin 2013 des difficultés soulevées par l’autodétention puisque la société leur avait adressé un courrier faisant mention d’une éventuelle acquisition, de leur part, des titres détenus en autocontrôle par la filiale. L’augmentation de capital n’était alors qu’une suite logique. Par ailleurs, en ce qui concerne l’objet et l’intérêt de l’augmentation de capital, la cour d’appel de Versailles retient que les actions autodétenues possédées en violation des dispositions du code de commerce n’ont fait l’objet d’aucun vote en assemblée aux fins d’annulation. Elles peuvent, dès lors, faire l’objet d’une cession, l’opération n’est pas « en soi » illicite. Par conséquent, l’augmentation de capital litigieuse licite n’est pas contraire à l’intérêt social.
Par le présent arrêt du 12 mai 2021, la Cour de cassation confirme tous ces points. D’abord, elle retient que les actionnaires-demandeurs ont été parfaitement informés de l’opération envisagée. Ensuite, toujours selon elle, l’annulation des actions autodétenues ne relève pas d’une automaticité, une décision de l’assemblée est nécessaire pour cela. C’est sur ce dernier point que l’attention sera portée, le premier ne faisant que reprendre l’analyse in concreto effectuée par les juges du fond.
Absence d’annulation automatique des actions autodétenues
En principe, l’autodétention, c’est-à-dire la souscription ou l’achat par une société de ses propres actions, est prohibée (C. com., art. L. 225-206). Cela tient essentiellement au fait que, d’une part, la société ne peut être son propre actionnaire et ainsi, cumuler les qualités de créancier et de débiteur, et, d’autre part, que la réalité de la situation sociale et donc du capital social ne doit pas être biaisée pour les créanciers et tiers de la société (sur ce débat, v. R. Mortier, Le rachat par la société de ses droits sociaux, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », 2003). Une autodétention impliquerait une certaine artificialité ou fictivité du capital social. Pour cela, dans l’hypothèse d’une autodétention, le législateur prévoit que les actions autodétenues en violation de l’article L. 225-206 à L. 225-208 et L. 225-210 du code de commerce doivent être cédées dans un délai d’un an à compter de leur souscription ou de leur acquisition. Pour celles qui ne sont pas cédées dans le délai légal imparti, elles « doivent être annulées » (C. com., art. L. 225-214). Seulement, le législateur, bien qu’imposant une annulation, ne fait pas de celle-ci une sanction automatique et naturelle à l’instar de l’annulation « de plein droit » prévue pour les cas de figure de l’article L. 225-209-2 du code de commerce. L’intervention de l’assemblée générale est nécessaire et seule une décision d’autorisation émanant de cet organe social permet l’annulation de ces actions. Lorsque ces actions n’ont fait l’objet d’aucune annulation, comme au cas d’espèce, elles existent encore et ne sont donc pas réputées annulées comme le soutiennent les demandeurs. Elles peuvent donc régulièrement faire l’objet d’une cession.
Licéité corrélative de la cession des actions autodétenues et non annulées
Il est bien acquis que le consentement des parties à un contrat, leur capacité juridique et un contenu licite et certain sont des éléments nécessaires à la validité d’un contrat (C. civ., art. 1128). Le contenu certain du contrat fait référence à un caractère possible de l’objet de l’obligation et à un caractère déterminé ou déterminable de l’objet de l’obligation. Sur le premier point, la prestation objet de l’obligation doit être possible (C. civ., art. 1163, al. 2). Certains auteurs rattachent à l’article 1163 du code civil la question de l’existence de la prestation. Il est vrai que, si la prestation n’existe pas, l’obligation n’a pas pour objet une prestation possible. Ainsi, la prestation consistant à transférer des parts sociales d’une société ayant disparu par l’effet d’une opération de fusion-absorption est inexistante. La cession de parts envisagée est nulle pour défaut d’objet (Com. 26 mai 2009, n° 08-12.691, Dalloz actualité, 3 juin 2009, obs. A. Lienhard ; D. 2009. 1477, et les obs. ; ibid. 2580, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; ibid. 2010. 287, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; RTD civ. 2009. 527, obs. B. Fages ). Par analogie, une cession d’actions non existantes car annulées conformément aux dispositions de l’article L. 225-214 serait nulle. Or, précisément parce qu’il n’y a pas eu d’annulation et que les actions existent encore au jour de la cession, la cession est régulière.
Absence d’illicéité subséquente de l’augmentation de capital visant à en financer le rachat
Pour obtenir la nullité de l’augmentation de capital litigieuse, les requérants se placent sur deux terrains prétoriens de nullité : l’abus de majorité et la fraude.
Sur l’abus de majorité
Pour rappel, l’abus de majorité est la situation dans laquelle une décision sociétaire est prise contrairement à l’intérêt social, dans l’unique dessein de favoriser les majoritaires, au détriment des minoritaires (Com. 18 avr. 1961, Bull. civ. n° 175). En l’espèce, un tel abus est exclu par les juges puisque rien n’empêchait les minoritaires de souscrire à l’augmentation de capital. Les requérants n’établissent pas ici l’existence de manœuvres destinées à les empêcher de participer à l’augmentation de capital. En somme, l’intérêt social n’est pas compromis dans la mesure où l’opération a pour but d’accroître la participation de la SAS dans l’actionnariat de la filiale et la régularisation de la situation d’autocontrôle de la filiale. L’abus de majorité n’est donc pas caractérisé en tous ses éléments.
Sur la fraude
Si la fraude corrompt tout (fraus omnia corrumpit), c’est-à-dire qu’elle empêche l’application normale de la règle de droit, encore faudrait-il la caractériser (pour une application de la théorie de la fraude en matière de cession de droits sociaux, v. Com. 27 juin 1989, n° 88-17.654, Bull. civ. IV, n° 209 ; D. 1990. 314 , note J. Bonnard ; RTD com. 1990. 50, obs. Y. Reinhard ). En l’espèce, les appelants estiment que l’augmentation de capital a été réalisée en fraude de leurs droits, puisqu’elle a été effectuée en pleine période estivale, dans un délai relativement court, sans leur donner la possibilité d’y souscrire significativement, rompant l’égalité entre les actionnaires, et sur la base d’une cession illicite. Mais ce terrain n’emporte pas davantage la conviction des juges qui rappellent la possibilité offerte aux époux d’y souscrire, le temps dont ils disposaient pour réunir les fonds nécessaires, ainsi que l’information personnelle de ces derniers quant aux problèmes soulevés par les actions autodétenues depuis plusieurs mois et l’existence des actions objet de la cession. Que ce soit sur le terrain de l’abus de droit ou de la fraude, leur demande ne pouvait être que rejetée.
Une ordonnance du 26 mai 2021, prise sur habilitation de l’article 37 de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite « DADUE », transpose en droit français les dispositions de nature législative de la directive (UE) 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Cette directive, dite « ECN+ », entend donner davantage de moyens aux autorités de concurrence des États membres, en France l’Autorité de la concurrence. Elle vise à faire en sorte que celles-ci disposent des outils de mise en œuvre appropriés quand elles appliquent la même base juridique, ce qui doit permettre de créer un véritable espace commun de mise en œuvre des règles de concurrence. Plusieurs dispositions de la directive faisaient d’ores et déjà partie du droit positif français, d’autres, en revanche, devaient encore être introduites dans notre législation, qu’elles concernent les aspects de procédure comme le volet sanctions.
Règles de procédure
Notion d’entreprise (art. 2, I)
Reprenant la définition posée par l’article 2, § 10, de la directive, elle-même directement inspirée par la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE 23 avr. 1991, Höfner et Elser, aff. C-41/90, Rec. CJCE p. I-1979, spéc. pt 21 ; AJDA 1992. 253, chron. J.-D. Combrexelle, E. Honorat et C. Soulard ; D. 1991. 155 ; RDSS 1991. 515, obs. X. Prétot ; RTD com. 1991. 512, obs. C. Bolze ; ibid. 524, obs. C. Bolze ; RTD eur. 1993. 81, chron. E. Traversa ; ibid. 1995. 859, chron. J.-B. Blaise et L. Idot ; Rev. UE 2015. 362, étude J.-P. Kovar ), l’ordonnance du 26 mai 2021 introduit explicitement la notion d’entreprise dans notre droit de la concurrence – toutes branches confondues – à l’article L. 410-1 du code de commerce. Les entreprises sont entendues comme les entités « quels que soient leur forme juridique et leur mode de financement qui exercent une activité ».
Saisine de l’Autorité de la concurrence (art. 2, XV)
L’ordonnance précise explicitement que les pratiques dont l’Autorité de la concurrence est saisie « peuvent être établies par tout mode de preuve » (C. com., art. L. 463-1, al. 2 nouv.).
Prescription (art. 2, II, X et XI)
L’ordonnance entend clarifier l’ensemble des règles de prescription, telles qu’elles figurent aux articles L. 420-6, L. 462-6 et L. 462-7 du code de commerce relatifs aux actes interruptifs de la prescription devant l’Autorité de la concurrence. Il est en particulier précisé que « la prescription de l’action devant l’Autorité de la concurrence est également interrompue par la transmission [du dossier au procureur de la République] mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 462-6 ».
Enquêtes
L’ordonnance prévoit, à l’article L. 450-1, I, du code de commerce, que, lorsque l’Autorité de la concurrence procède à une enquête pour le compte d’une autre autorité de concurrence de l’Union européenne, les agents de l’autorité requérante puissent assister et participer activement à l’enquête, sans que le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence ait la possibilité de s’y opposer (art. 2, IV).
L’ordonnance introduit des dispositions visant à renforcer les pouvoirs d’enquêtes des agents des services d’instruction des agents de la DGCCRF « qui permettent de mieux souligner la possibilité pour les agents d’accéder aux informations accessibles aux personnes et entreprises interrogées, et pouvant être sur des supports numériques » (rapport au président de la République). Elle consacre, en particulier, de manière explicite la possibilité pour ces agents d’accéder aux données des entreprises faisant l’objet d’une investigation, quel qu’en soit le lieu de stockage, et d’accéder aux clés de chiffrement (art. 2, V et VI, 1°).
Voies de recours (art. 2, VI, 2°)
L’ordonnance précise explicitement les modalités d’intervention de l’Autorité de la concurrence et du ministre dans le cadre des recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant les opérations de visites et saisies (OVS) et contre le déroulement des OVS. Le régime de l’appel est précisé ; en particulier, il est énoncé que le recours contre l’ordonnance de refus d’autorisation n’est pas suspensif. Est également affirmée la possibilité de former un pourvoi en cassation dans ces mêmes procédures.
Renforcement des pouvoirs des agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF
L’ordonnance prévoit explicitement, à l’article L. 450-7 du code de commerce, que tous les tiers sans restriction sont soumis à l’obligation de répondre aux sollicitations des agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF, y compris les autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes (art. 2, VII).
Le même texte restreint le champ d’application de l’article L. 450-8 du code du commerce qui punit pénalement quiconque s’oppose à l’exercice des fonctions des agents de la DGCCRF et de l’Autorité de la concurrence afin de se conformer à la récente décision du Conseil constitutionnel n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021. Celle-ci a, en effet, jugé que le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce, qui prévoit la sanction administrative des faits d’obstruction aux mesures d’enquêtes et d’instruction mises en œuvre par l’Autorité de la concurrence, est contraire à la Constitution en ce qu’il méconnaît le principe de nécessité et de proportionnalité des peines. Le Conseil constitutionnel a considéré que la répression administrative prévue par le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce et la répression pénale organisée par l’article L. 450-8 du code de commerce relèvent de corps de règles identiques. La modification opérée à l’article L. 450-8, complétée par la création de deux nouveaux articles, les articles L. 450-9 et L. 450-10, permettra, selon le rapport au président de la République, « de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel tout en maintenant l’article L. 464-2 du code de commerce dans sa version actuelle, qui permet de transposer l’article 13 de la directive ».
Renforcement des pouvoirs d’initiative de l’Autorité de la concurrence
L’ordonnance confère à l’Autorité de la concurrence, au nouvel article L. 462-9-1 du code de commerce, un pouvoir d’opportunité des poursuites en lui donnant la possibilité de rejeter des saisines au motif qu’elle ne les considère pas comme une priorité (art. 2, XII). Cette innovation a réjoui l’Autorité, qui aura ainsi désormais « la faculté de fixer ses propres priorités et de rejeter les plaintes qui n’y correspondent pas ». Cela rendra possible, selon elle, « une meilleure allocation de ses ressources, qui pourront être pleinement consacrées à la résolution rapide des affaires les plus importantes (notamment les affaires, complexes, qui concernent les grandes plateformes numériques ou les processus algorithmiques) » (communiqué de presse, 27 mai 2021).
Dans le même ordre d’idées, l’Autorité aura désormais la possibilité de se saisir d’office pour imposer des mesures conservatoires, et non plus seulement en suite d’une demande présentée par une entreprise, accessoirement à une demande au fond (art. 2, XVII ; C. com., art. L. 464-1 mod.). Là encore, l’Autorité de la concurrence s’est félicitée « de cette opportunité nouvelle d’intervenir sans délai, de son propre mouvement, lorsqu’elle a connaissance d’agissements pouvant nuire à la concurrence, en particulier dans des secteurs où les positions des acteurs évoluent très rapidement » (communiqué de presse, préc.).
En outre, l’ordonnance donne la possibilité à l’Autorité de la concurrence d’imposer aux entreprises ou associations d’entreprises des mesures correctives de nature structurelle (par exemple la cession d’une filiale ou d’une activité) ou comportementale proportionnées à l’infraction commise et nécessaires pour faire cesser effectivement l’infraction, alignant ainsi les pouvoirs de l’Autorité sur ceux de la Commission européenne. Elle prévoit également que l’Autorité puisse, de sa propre initiative ou sur demande de l’auteur de la saisine, du ministre de l’Économie, de toute entreprise ou association d’entreprises ayant un intérêt à agir, modifier, compléter ou mettre fin aux engagements qu’elle a acceptés si certaines conditions sont réunies (art. 2, XVIII, 1° et 2° ; C. com., art. L. 464-1 mod.).
Coopération entre autorités de concurrence (art. 2, XIII et XIV)
L’ordonnance, outre qu’elle procède à des adaptations rédactionnelles (C. com., art. L. 462-9 mod.), renforce le mécanisme de coopération entre autorités de concurrence (C. com., art. L. 462-9-1 nouv.). À cette fin, elle introduit quatre séries de mesures (v. rapport au président de la République, préc.) :
• s’agissant de pratiques contraires ou susceptibles d’être contraires aux articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Autorité de la concurrence doit informer la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence des autres États membres du prononcé d’une décision imposant des mesures conservatoires ou d’une décision de non-lieu à poursuivre la procédure ;
• afin d’établir si une entreprise ou association d’entreprises a refusé de se soumettre aux mesures d’enquête et aux décisions prises par une autorité nationale de concurrence d’un autre État membre de l’Union européenne, l’Autorité de la concurrence peut, à la requête et au nom de cette autorité requérante, mettre en œuvre ses pouvoirs d’enquête.
Elle peut, aux mêmes fins, échanger avec cette autorité requérante des informations et les utiliser à titre de preuve, sous réserve des garanties prévues à l’article 12 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 :
• l’Autorité de la concurrence, pour l’application de l’article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, peut requérir l’assistance d’une autorité de concurrence d’un autre État membre pour la notification au destinataire de tout acte de procédure ou pour l’exécution de ses décisions infligeant une sanction pécuniaire ou une astreinte ;
• l’Autorité de la concurrence peut transmettre à une autorité nationale de concurrence d’un autre État membre la déclaration effectuée en vue d’obtenir le bénéfice de la procédure de clémence que si certaines conditions sont réunies.
Informations
L’ordonnance du 26 mai 2021 introduit plusieurs dispositions qui organisent l’accès des parties au dossier et prévoient les limites à l’utilisation des informations notamment celles relatives aux procédures de clémence et de transaction (art. 2, XV, XX et XXI).
Elle donne la possibilité à l’Autorité de la concurrence de publier des informations succinctes relatives aux actes qu’elle accomplit en vue de la recherche, de la constatation ou de la sanction de pratiques anticoncurrentielles, lorsque la publication de ces informations est effectuée dans l’intérêt du public et dans le strict respect de la présomption d’innocence des entreprises ou associations d’entreprises concernées (art. 2, XVI ; C. com., art. L. 463-6, al. 3 nouv.).
Procédure de clémence (art. 2, XX et XXI)
L’ordonnance crée trois nouveaux articles, les articles L. 464-10, L. 490-13 et L. 490-14 du code de commerce, qui consacrent explicitement dans notre législation la procédure de clémence, par laquelle une entreprise qui révèle à l’Autorité une infraction grave aux règles de concurrence peut solliciter une exonération de la sanction pécuniaire encourue. Reprenant largement les termes du programme de clémence précédemment mis en œuvre par l’Autorité de la concurrence, ces nouvelles dispositions harmonisent cette procédure à l’échelle européenne. L’incitation pour les entreprises à mettre au jour d’éventuelles ententes secrètes est encore renforcée puisqu’une immunité, ou une réduction, de sanction pénale peut en outre être obtenue, sous condition, par les personnes physiques appartenant au personnel de l’entreprise qui a, la première, formé une demande de clémence.
Notification d’un acte de procédure (art. 5)
L’ordonnance du 26 mai 2021 modifie l’article L. 311-11 du code de l’organisation judiciaire afin de préciser que le contentieux de la validité de la notification d’un acte de procédure réalisée par l’Autorité de la concurrence à la demande d’une autre autorité de concurrence d’un autre état membre de l’Union européenne relève de la compétence de la cour d’appel. Un décret en Conseil d’État viendra préciser la procédure applicable à ce contentieux. Un décret simple disposera que ce contentieux est confié à la cour d’appel de Paris qui statue déjà sur les recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence.
Sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence
Relèvement des sanctions (art. 2, XVIII)
Il s’agit là d’un volet important de l’ordonnance. Le régime des sanctions pécuniaires, qui a pour siège l’article L. 464-2 du code de commerce, dont la rédaction est modifiée, se veut désormais plus dissuasif et mieux harmonisé au niveau européen. Les organismes – dorénavant les « associations d’entreprises » – ne relèvent plus d’un régime spécifique de sanction en cas d’infraction aux règles de concurrence (ils bénéficiaient jusqu’alors d’un plafond de sanction de 3 millions d’euros), mais sont désormais soumis à un plafond beaucoup plus élevé, égal à 10 % du total des chiffres d’affaires des entreprises membres de l’association. Ceci concernera notamment les syndicats professionnels ou les ordres professionnels.
Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence pourra infliger aux intéressés des astreintes dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires mondial total journalier moyen, par jour de retard à compter de la date qu’elle fixe, pour les contraindre à exécuter une décision ou à respecter les mesures prononcées.
Est également introduit explicitement le critère de la durée de l’infraction comme élément d’appréciation de la sanction tandis que le critère relatif au dommage à l’économie est supprimé.
Il est également prévu que, hors les cas où la force publique peut être requise, lorsqu’une entreprise ou une association d’entreprises refuse de se soumettre à une mesure d’enquête, l’Autorité peut prononcer à son encontre une injonction assortie d’une astreinte.
Enfin, l’ordonnance consacre, au nouveau VI de l’article L. 464-2 du code de commerce, le principe d’une responsabilité financière des membres d’une association d’entreprises. Il prévoit à cet effet que :
• lorsqu’une sanction pécuniaire est infligée à une association d’entreprises en tenant compte du chiffre d’affaires de ses membres et que l’association n’est pas solvable, l’Autorité de la concurrence peut enjoindre à cette association de lancer à ses membres un appel à contributions pour couvrir le montant de la sanction pécuniaire ;
• dans le cas où ces contributions ne sont pas versées intégralement à l’association d’entreprises dans un délai fixé par l’Autorité de la concurrence, celle-ci peut exiger directement le paiement de la sanction pécuniaire par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de cette association ;
• lorsque cela est nécessaire pour assurer le paiement intégral de l’amende, après avoir exigé le paiement par ces entreprises, l’Autorité de la concurrence peut également exiger le paiement du montant impayé de l’amende par tout membre de l’association qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise. Ce paiement n’est toutefois pas exigé des entreprises qui démontrent qu’elles n’ont pas appliqué la décision litigieuse de l’association et qui en ignoraient l’existence ou qui s’en sont activement désolidarisées avant l’ouverture de la procédure.
Exemption de sanctions pénales en cas de coopération active (art. 2, III et XVIII, 7°)
L’ordonnance prévoit au nouvel article L. 420-6-1 du code de commerce que, lorsqu’une exonération totale des sanctions pécuniaires a été accordée à une entreprise ou une association d’entreprises en application de la procédure de clémence, les directeurs, gérants et autres membres du personnel de ladite entreprise ou association d’entreprises qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques sanctionnées par l’Autorité sont exempts des peines pénales prévues par l’article L. 420-6 s’il est établi qu’ils ont activement coopéré avec l’Autorité de la concurrence et le ministère public. Il faut, pour cela, qu’il soit établi que ces personnes aient « activement coopéré avec l’Autorité de la concurrence et le ministère public », l’ordonnance précisant que la notion de « coopération active » est appréciée au regard des critères suivants : 1° la personne se tient à la disposition des services d’enquête et de l’Autorité de la concurrence pour répondre à toute question pouvant contribuer à établir les faits ; 2° elle s’abstient de détruire, de falsifier ou de dissimuler des informations ou des preuves pertinentes ; 3° elle apporte des éléments de preuve de nature à établir l’infraction et à en identifier les autres auteurs ou complices.
par Yves Rouquetle 2 juin 2021
CNIL, délib. n° 2021-057, 6 mai 2021, JO 27 mai
Objectifs
Sans valeur contraignante, ce référentiel de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a pour objectif de fournir aux personnes mettant en œuvre des traitements relatifs à la gestion locative, un outil d’aide à la mise en conformité à la réglementation relative à la protection des données à caractère personnel.
Le traitement mis en œuvre doit répondre à un objectif précis et être justifié au regard des missions et des activités de l’organisme.
Les traitements relatifs à la gestion locative permettent notamment :
de proposer des biens à louer (notamment pour l’analyse des critères des bien recherchés par d’éventuels locataires et l’envoi d’offres analogues de location) ;de gérer la pré-contractualisation et la conclusion du...De prime abord, la détermination de la qualité pour agir du commissaire à l’exécution du plan semble aisée. Comme son nom l’indique, cet organe est chargé de veiller à l’exécution du plan (C. com., art. L. 626-25, al. 1). Pourtant, là n’est pas sa seule mission. Sur un plan procédural, il peut également poursuivre les actions introduites avant le jugement arrêtant le plan par le mandataire judiciaire ou l’administrateur judiciaire (C. com., art. L. 626-25, al. 3) ou encore, engager des actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers (C. com., art. L. 626-25, al. 4). Malgré ces dispositions précises, la détermination de la qualité pour agir du commissaire à l’exécution du plan est délicate en pratique. Les nombreux arrêts portant sur cette thématique en témoignent (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021-2022, nos 521.311 s.).
L’importance de ce contentieux pourrait s’expliquer de deux façons. D’une part, le domaine des actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers est difficile à cerner, et ce, quel que soit l’organe à qui incombe la mise en œuvre de ces actions. D’autre part, cette difficulté est accrue dans un contexte au sein duquel le débiteur est redevenu in bonis. S’il est certain que le commissaire à l’exécution du plan ne le représente pas (Com. 27 mars 2012, n° 10-28.125, Bull. civ. IV, n° 70 ; D. 2012. 942, obs. A. Lienhard ; Procédures 2012/6, comm. 186, note B. Rolland ; Act. proc. coll. 2012/8, comm. 121, note L. Fin-Langer), la frontière peut être fine entre une action que le débiteur peut exercer seul postérieurement au jugement arrêtant le plan et une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers pour laquelle le commissaire à l’exécution du plan a qualité pour agir.
L’arrêt ici rapporté s’inscrit dans cette problématique et permet de revenir sur les contours de la qualité pour agir du commissaire à l’exécution du plan.
En l’espèce, une société cessionnaire, qui reprochait à deux cédants d’avoir commis un dol lors d’une cession de parts sociales qu’ils lui avaient consentie, les a assignés, le 26 décembre 2014, en paiement de dommages-intérêts. Avant que le tribunal ne statue sur cette demande, la société cessionnaire est placée en redressement judiciaire le 4 septembre 2015. Le mandataire judiciaire a été assigné par la société débitrice en intervention forcée et déclaration de jugement commun. Le 16 février 2016, un plan de redressement est arrêté et le mandataire judiciaire devient le commissaire à l’exécution du plan.
La société cessionnaire obtient gain de cause en première instance quant à sa demande de dommages-intérêts, mais est déclarée irrecevable en appel pour défaut de qualité pour agir.
La cour d’appel retient d’abord que le mandataire judiciaire a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Elle souligne ensuite que les sommes recouvrées à l’issue des actions introduites par le mandataire entrent dans le patrimoine du débiteur et doivent, par conséquent, être affectées à l’apurement du passif. Or, l’action introduite par la société cessionnaire, en ce qu’elle tend à l’allocation de dommages-intérêts, tend en outre à la défense de l’intérêt collectif des créanciers. Dès lors, pour les juges d’appel, après l’arrêté du plan, il appartenait au commissaire à son exécution de s’approprier l’action lorsque le mandataire judiciaire, qui devait reprendre l’action engagée par le débiteur, ne l’a pas fait.
La société cessionnaire se pourvoit en cassation et fait notamment valoir que le commissaire à l’exécution du plan, qui ne représente pas le débiteur redevenu in bonis, n’a qualité que pour poursuivre les instances introduites pendant la période d’observation et non les instances qui étaient en cours à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective.
La haute juridiction souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt d’appel au visa du troisième alinéa de l’article L. 626-25 du code de commerce. Pour la Cour de cassation, le commissaire à l’exécution du plan n’a pas la qualité pour poursuivre une action exercée par le...
Un accident de la circulation survient en Pologne. La victime cède alors sa créance à l’encontre de l’assureur du responsable, assureur dont le siège est situé au Danemark. Le cessionnaire de cette créance cède lui-même par la suite sa créance. Le second cessionnaire, de droit polonais, ayant saisi une juridiction polonaise de demandes dirigées contre l’assureur, la question de la compétence de cette juridiction se pose, au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Les dispositions visées
Ce règlement énonce des règles de compétence spécifiques à la matière des assurances.
Pour la clarté du propos, il est utile de les rappeler :
• Art. 10 : En matière d’assurances, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice notamment de l’article 7, point 5 ;
• Art. 11, § 1 : « L’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait : a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ; b) dans un autre État membre, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile ; ou c) s’il s’agit d’un coassureur, devant la juridiction d’un État membre saisie de l’action formée contre l’apériteur de la coassurance » ;
• Art. 12 : « L’assureur peut, en outre, être attrait devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit s’il s’agit d’assurance de responsabilité ou d’assurance portant sur des immeubles […] » ;
• Art. 13 : « 1. En matière d’assurance de responsabilité, l’assureur peut également être appelé devant la juridiction saisie de l’action de la victime contre l’assuré, si la loi de cette juridiction le permet. 2. Les articles 10, 11 et 12 sont applicables en cas d’action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. […] ».
Il est également utile de rappeler la teneur de l’article 7, points 2 et 5, dont l’application était en l’espèce discutée. Selon l’article 7, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre que celui de son domicile :
• § 2 : « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » ;
• § 5 : « s’il s’agit d’une contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, devant la juridiction du lieu de leur situation ».
Les difficultés
Au regard de ces différentes dispositions, l’affaire soumise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) soulevait deux difficultés.
En premier lieu, il s’agissait de déterminer les règles de compétence pertinentes au regard de l’interrogation suivante : sachant que les articles 10 et suivants du règlement visent à protéger le contractant – considéré comme une partie faible – de l’assureur, ces articles ont-ils vocation à s’appliquer lorsque le litige oppose un assureur de responsabilité civile à un professionnel ayant acquis une créance détenue, à l’origine, par la victime ? Ou faut-il faire application des règles de l’article 7 ?
La CJUE répond que l’article 13, § 2, ne s’applique pas dans une telle hypothèse et ne fait pas obstacle à ce que la compétence juridictionnelle soit fondée, le cas échéant, sur l’article 7, § 2, ou sur l’article 7, § 5.
Cette solution se justifie par l’idée qu’aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances (arrêt, pt 40), puisqu’aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre (CJUE 31 janv. 2018, Hofsoe, aff. C-106/17, pts 39 et 42, Dalloz actualité, 12 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2018. 247 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2018. 609, note S. Corneloup ; Procédures 2018. Comm. 108, obs. C. Nourissat). Elle se situe dans la ligne de précédents arrêts, qui ont exclu, en substance, du bénéfice des règles protectrices spécifiques aux contrats d’assurance un organisme de sécurité sociale, cessionnaire légal des droits de la personne directement lésée dans un accident de voiture, engageant une action directe contre l’assureur établi dans un autre État membre, du responsable (CJUE 17 sept. 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, aff. C-347/08, pt 43, RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; Procédures 2009. Comm. 387, obs. C. Nourissat ; Europe 2009. Comm. 387, obs. L. Idot), ainsi qu’une personne qui exerce une activité professionnelle dans le domaine du recouvrement des créances d’indemnités d’assurance, en qualité de cessionnaire contractuel (CJUE 31 janv. 2018, pt 43, préc.).
La conséquence de cette solution est alors simple : puisque les articles 10 et suivants n’ont pas vocation à s’appliquer en l’absence de partie faible, la compétence du juge doit être déterminée en application de l’article 7 même s’il s’agit d’un litige en matière d’assurance.
En second lieu, l’arrêt admettant l’application de principe de l’article 7, il prend soin de préciser les notions de succursale, d’agence ou d’établissement utilisées par l’article 7, § 5. En l’espèce, l’assureur danois n’opérait pas en effet directement en Pologne mais par le biais d’une société.
Rappelons que la Cour de justice a déjà jugé que l’existence d’une succursale, d’une agence ou d’un établissement suppose un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère et que ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés de s’adresser directement à la maison mère. La Cour a également précisé un autre critère de définition : le litige doit concerner soit des actes relatifs à l’exploitation d’une succursale, soit des engagements pris par celle-ci au nom de la maison mère, lorsque ces derniers doivent être exécutés dans l’État où cette succursale est située (CJUE 19 juill. 2012, Mahamdia, aff. C-154/11, pt 48, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; RDT 2012. 588, chron. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2013. 217, note E. Pataut ; ibid. 2021. 157, note G. Cuniberti ; 11 avr. 2019, Ryanair, aff. C-464/18, pt 33, Dalloz actualité, 2 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 895 ; RTD com. 2019. 787, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; BJS 2019. 28, obs. T. Mastrullo ; JCP 2019. 432, obs. D. Berlin).
Dans l’affaire qui lui était soumise, la CJUE a notamment relevé que l’assureur danois avait mandaté une société polonaise pour liquider le sinistre, que celle-ci disposait d’une existence juridique indépendante, qu’elle était pourvue d’une direction, qu’elle était habilitée à procéder au traitement complet des demandes d’indemnisation et à agir au nom et pour le compte de l’assureur et que ses décisions produisaient des effets juridiques à l’égard de l’assureur, de sorte qu’elle devait être regardée comme étant un centre d’opérations se manifestant d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère (arrêt, pts 54 à 56). La Cour a également retenu que le litige concernait des engagements pris par cette société polonaise au nom de l’assureur danois (arrêt, pt 39).
Au regard de ces éléments, l’arrêt énonce, de manière générale, que l’article 7, § 5, du règlement doit être interprété en ce sens qu’une société qui exerce, dans un État membre, en vertu d’un contrat conclu avec une entreprise d’assurances établie dans un autre État membre, au nom et pour le compte de cette dernière, une activité de liquidation de dommages dans le cadre de l’assurance de responsabilité civile automobile doit être considérée comme étant une succursale, une agence ou tout autre établissement lorsque cette société se manifeste de façon durable vers l’extérieur comme le prolongement de l’entreprise d’assurances et est pourvue d’une direction et est matériellement équipée de façon à pouvoir négocier avec des tiers, de sorte que ceux-ci sont dispensés de s’adresser directement à l’entreprise d’assurances.
L’arrêt du 20 mai 2021 prolonge ainsi la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en fournissant une nouvelle illustration des critères que le juge doit mettre en œuvre en ce domaine.
La société Sogiphar, titulaire de la marque Libeoz pour désigner notamment des produits pharmaceutiques, a formé opposition en 2016 à la demande d’enregistrement de la marque Libz déposée par la société Biogaran. À la suite du rejet de cette opposition par le directeur de l’INPI, la société Sogiphar a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Douai. Cette dernière a déclaré le recours irrecevable par une décision du 8 février 2018.
En effet, selon l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle (en vigueur avant le 1er avr. 2020), le recours contre une décision du directeur de l’INPI devait comporter un certain nombre de mentions à peine d’irrecevabilité prononcée d’office. En particulier, pour une personne morale, ce recours devait indiquer l’organe qui la représentait légalement. Or, en l’occurrence, la société Sogiphar s’était contentée de former un recours « prise en la personne de ses représentants légaux », mention qui ne suffisait pas, selon la cour d’appel, à identifier l’organe la représentant légalement.
La société Sogiphar a contesté la décision d’irrecevabilité devant la Cour de cassation en s’appuyant sur le droit à l’accès au juge protégé par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour devait donc décider si les mentions obligatoires imposées à peine d’irrecevabilité par l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle portaient une atteinte disproportionnée au droit du justiciable d’accéder à la justice.
Les règles de procédure applicables au recours à l’encontre d’une décision du président de l’INPI
Cette affaire posait également en creux la question des règles de procédure applicables aux recours en annulation formés contre les décisions du directeur de l’INPI. Il s’agit en effet d’une procédure inhabituelle en ce qu’elle soumet un acte administratif individuel, la décision du directeur de l’INPI, au contrôle du juge judiciaire (Com. 31 janv. 2006, n° 04-13.676, Bull. civ. IV, n° 26 ; Dalloz actualité, 5 mars 2006, obs. J. Daleau ; D. 2006. 581, obs. J. Daleau ; ibid. 2319, obs. S. Durrande ; CCE 2006, n° 59, note C. Caron). Des interrogations ont donc pu être soulevées quant à la question de savoir si les règles de procédure civile devaient s’appliquer.
Plus particulièrement, dans cette affaire, la Cour de cassation devait examiner la possibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance. En effet, selon l’article 126 du code de procédure civile, dans le cas où une situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. Cependant, selon une jurisprudence constante (Com. 7 janv. 2004, n° 02-14.115 ; 17 juin 2003, n° 01-15.747, Bull. civ. IV, n° 102 ; D. 2003. 2633, et les obs. , obs. S. Durrande ), l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle était considéré comme une « disposition spécifique » qui excluait l’application de l’article 126 du code de procédure civile. Lors d’une procédure de recours contre une décision du directeur de l’INPI, il n’y avait donc aucune possibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance.
Un clair revirement de jurisprudence
Dans cette décision particulièrement explicite et pédagogique, la Cour de cassation effectue un revirement de jurisprudence.
Elle note d’abord que les mentions imposées par l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, et en particulier l’obligation pour une personne morale d’indiquer l’organe qui la représente légalement, répondaient à un objectif légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique. La Cour relève ainsi que « l’obligation pour la personne morale de mentionner l’organe la représentant permet au juge et à la partie défenderesse de s’assurer que le recours est formé par un organe habilité à engager et représenter la personne morale » (§ 9).
Dans un second temps, la Cour estime qu’en revanche, l’impossibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance n’est pas justifiée. Une régularisation en cours d’instance ne porterait pas atteinte aux intérêts de la partie défenderesse et n’affecterait pas les objectifs de bonne administration de la justice et d’accès au juge (§ 12). Ainsi, la Cour de cassation en conclut que « l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’il a jusqu’à présent été interprété, n’assure pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et porte une atteinte excessive au droit d’accès au juge » (§ 13) et qu’« il apparaît donc nécessaire d’abandonner la jurisprudence précitée et d’interpréter désormais l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l’application de l’article 126 du code de procédure civile » ouvrant ainsi la possibilité d’une régularisation en cours d’instance (§ 14).
La Cour note par ailleurs qu’en l’espèce, ce revirement de jurisprudence ne « saurait […] être [opposé] à la société Sogiphar, pour lui reprocher de ne pas avoir procédé à la régularisation de la situation ». La société n’aurait en effet pas pu procéder à une régularisation en cours d’instance « dans la mesure où la jurisprudence antérieure excluait toute possibilité de régularisation » (§ 15).
La décision d’irrecevabilité dont a fait l’objet le recours formé par la société Sogiphar portait donc une atteinte disproportionnée au droit de cette société à l’accès au juge et l’arrêt de la cour d’appel est cassé.
Un revirement cohérent avec les développements récents
Le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation n’est pas surprenant en ce qu’il va dans le sens de la jurisprudence récente qui tend à reconnaître la pleine application des règles de procédure civile à la procédure de recours contre une décision du directeur de l’INPI (v. not. Com. 13 mars 2019, n° 17-10.861, Dalloz actualité, 28 mars 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 583 ; ibid. 2020. 451, obs. J.-P. Clavier ; RTD com. 2019. 370, obs. J. Passa ).
Cette décision, bien que rendue sous l’empire des précédentes dispositions du code de la propriété intellectuelle, s’inscrit également dans la lignée de la réforme issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 et du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, et entrée en vigueur le 1er avril 2020. Cette réforme prévoit en effet, dans un nouvel article R. 411-20 du code de la propriété intellectuelle, que les recours à l’encontre d’une décision du directeur de l’INPI « sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du code de procédure civile ». À cet égard, l’abandon par l’arrêt commenté de l’exception procédurale prévue par l’ancienne interprétation de l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle est en parfaite cohérence avec cette évolution réglementaire.
Cet arrêt de cassation revient sur une institution très ancienne du droit maritime : la copropriété de navire. L’originalité de celle-ci tient à ce que, selon la jurisprudence, elle est dotée de la personnalité morale (Com. 15 avr. 2008, n° 07-12.487, Dalloz actualité, 13 mai 2008, obs. X. Delpech ; ). Elle donne dès lors lieu à l’émission de parts de copropriété, dénommées quirats, qui représentent les droits de chaque copropriétaire (ou quirataire) sur le navire. Elles sont cessibles tout comme les parts sociales ou actions de société. Encore faut-il, pour que cette cession soit efficace, que les formalités de publicité requises pour que celle-ci soit opposable aux tiers aient été correctement accomplies. Tel n’était précisément pas le cas dans l’arrêt commenté.
Les faits sont les suivants. Par un acte du...
L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 12 mai 2021, ses conclusions dans une affaire qui viendra poser une première pierre à l’édifice jurisprudentiel à propos du règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant, dit « loi de blocage de l’UE ». La future décision de la CJUE, très attendue, pourrait même pousser le législateur de l’Union à repenser le fonctionnement des règles actuelles qui placent les entreprises européennes devant un choix extrêmement difficile : se conformer aux mesures américaines et faire face aux conséquences pour avoir violé la loi de blocage de l’UE, ou respecter cette loi mais prendre le risque de perdre l’accès aux marchés des États-Unis.
En novembre 2018, le fournisseur de services de télécommunication allemand, Telekom Deutschland, a notifié à une banque iranienne, disposant d’une succursale à Hambourg, la résiliation de tous leurs contrats portant sur les services de télécommunications, avec effet immédiat. Cette résiliation est intervenue quelques jours à peine après l’entrée en vigueur des nouvelles sanctions américaines à l’encontre de sociétés et autres entités iraniennes, dont l’application avait été suspendue en 2015. Leur rétablissement découlait en effet de la décision de mai 2018 du président américain de l’époque, Donald Trump, de se retirer, au nom des États‑Unis d’Amérique, de l’accord sur le nucléaire iranien.
Selon la banque, la résiliation de ses contrats était motivée uniquement par le souci de Telekom Deutschland, qui réalise environ 50 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis, de se conformer à la réglementation américaine interdisant aux entreprises non américaines d’entretenir des relations commerciales avec des entités iraniennes visées par des sanctions primaires et prévoyant des sanctions secondaires à l’encontre des entreprises non américaines en cas de violation de cette interdiction. Elle estime que l’opérateur allemand a enfreint la loi de blocage de l’Union européenne dont l’article 5, § 1, interdit aux sociétés européennes de se conformer aux mesures extraterritoriales américaines. Telekom Deutschland se fonde, en revanche, sur la note d’orientation de la Commission, pour soutenir que le premier alinéa de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE ne modifie pas son droit à une résiliation ordinaire, qui ne dépend pas d’un motif de résiliation, étant donné que cet article lui permet de mettre un terme à sa relation commerciale avec la requérante à tout moment et quels que soient ses motifs.
Remarque : une distinction est faite en droit américain entre les sanctions « primaires », applicables aux « US Persons » relevant de la juridiction des États-Unis, et les sanctions « secondaires » qui ciblent les entités étrangères qui feraient des transactions avec les pays ou entités visés par les sanctions. Ces sanctions « secondaires » peuvent donc être extraterritoriales.
Dilemmes impossibles
Dans cette affaire, le Hanseatische Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne) a saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’interprétation du premier alinéa de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE, qui prévoit qu’« aucune personne visée à l’article 11 ne se conforme, directement ou par filiale ou intermédiaire interposé, activement ou par omission délibérée, aux prescriptions ou interdictions, y compris les sommations de juridictions étrangères, fondées directement ou indirectement sur les lois citées en annexe ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant ». L’avocat général propose d’y répondre à la seule lumière de la loi de blocage de l’Union européenne et du droit primaire, à l’exclusion de la note d’orientation de la Commission et du règlement d’exécution (UE) 2018/1101 de la Commission du 3 août 2018 établissant les critères pour l’application de l’article 5, deuxième alinéa, de la loi de blocage de l’UE. Mais, avant toute chose, il regrette que « les sociétés européennes [soient] confrontées à des dilemmes impossibles – et très injustes – causés par l’application de deux régimes juridiques différents et directement opposés ». Il estime par conséquent que « le législateur de l’Union pourrait avantageusement revoir la manière dont cette loi opère actuellement ».
Entrant ensuite dans le vif du sujet, l’avocat général relève que l’alinéa premier de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE s’applique même lorsqu’un opérateur se conforme à la législation mentionnée à l’annexe de cette loi sans avoir préalablement reçu une injonction en ce sens de la part d’une administration ou d’un organe judiciaire étrangers. Cette interprétation est confortée par le libellé, l’objectif et le contexte de l’interdiction contenue dans la loi de blocage. L’avocat général observe, à cet égard, qu’en pratique de nombreuses grandes sociétés ont déjà mis en place des départements de compliance pour s’assurer que leurs actions sont conformes au régime de sanctions américaines, même en l’absence de toute instruction à cet effet.
Reconnaissance d’un droit de recours au profit des entreprises de pays tiers
L’avocat général considère, en outre, qu’une entreprise européenne cherchant à résilier un contrat normalement valable conclu avec une entité iranienne visée par les sanctions américaines doit démontrer, et convaincre la juridiction nationale, qu’elle ne l’a pas fait par souci de se conformer à ces sanctions. À cet égard, il relève que si la loi de blocage de l’UE ne vise pas à protéger les entreprises de pays tiers directement visées par les mesures américaines, elle leur confère néanmoins un droit de recours. Si tel n’était pas le cas, la mise en œuvre de la politique exprimée dans le premier alinéa de l’article 5 de cette loi reposerait uniquement sur la volonté des États membres et, indirectement, sur la Commission. Selon l’avocat général, la loi de blocage impose même une obligation de fournir une justification à la résiliation d’une relation commerciale avec une personne visée par des sanctions primaires. En effet, les objectifs poursuivis par cette loi seraient compromis si une entité pouvait discrètement donner effet à la législation américaine en gardant un silence opaque ne permettant pas de connaître ses motifs ni de contrôler ses méthodes. En l’espèce, l’avocat général estime qu’il appartient à Telekom Deutschland d’établir qu’il existait une raison objective, autre que le fait que la banque iranienne en cause était visée par des sanctions primaires, pour résilier les contrats en cause et qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier la véracité de tels motifs. Il précise que c’est l’intention de l’opérateur économique de se conformer aux sanctions qui importe, indépendamment du point de savoir s’il est effectivement préoccupé par leur application. Il admet toutefois qu’une entité puisse démontrer qu’elle est activement engagée, de manière cohérente et systématique, dans une politique de responsabilité sociale d’entreprise (RSE), qui l’oblige notamment à refuser de négocier avec toute société ayant des liens avec le régime iranien.
Absence de violation de la liberté d’entreprise
Enfin, l’avocat général considère qu’en cas de non‑respect, par une entreprise de l’Union, de l’interdiction faite par la loi de blocage de l’UE de se conformer à la législation américaine prévoyant des sanctions secondaires, la juridiction nationale saisie par une partie contractante visée par des sanctions primaires est tenue d’enjoindre à l’entreprise de l’Union de maintenir ces relations contractuelles. Selon lui, le premier alinéa de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE n’est pas en soi contraire à la liberté d’entreprise protégée par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, d’autant plus que les opérateurs économiques peuvent demander à la Commission à être autorisés à déroger à l’interdiction prévue par cette loi dans la mesure où, notamment, un autre comportement léserait gravement leurs intérêts ou ceux de l’Union.
La balle est désormais dans le camp de la CJUE, qui, dans la grande majorité des cas, suit les conclusions de l’avocat général.
Éditions Législatives, édition du 26 mai 2021
« La solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette. Le paiement fait par l’un d’eux les libère tous envers le créancier » (C. civ., art. 1313 ; déjà, ancien art. 1200). Susceptible d’augmenter les obligations d’un codébiteur, amené à payer la part des autres dans la dette et à supporter leur insolvabilité, une telle solidarité « ne se présume pas » (C. civ., art. 1310 ; déjà, ancien art. 1202, al. 1), sauf en matière commerciale (Com. 19 févr. 1991, n° 89-17.839). Elle résulte de la loi ou de la volonté des parties. Tel était le cas dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 20 mai 2021 : des époux avaient solidairement conclu deux contrats de prêt immobilier assortis, chacun, d’un contrat d’assurance emprunteur souscrit par le seul mari afin d’assurer sa propre défaillance.
« Cette forme d’assurance présente un double intérêt. L’emprunteur se protège des conséquences patrimoniales d’évènements susceptibles d’altérer la bonne exécution du contrat de prêt souscrit auprès de l’établissement de crédit : l’assureur sera substitué à l’emprunteur dans le remboursement des mensualités ou du solde du crédit en cas de décès, d’invalidité ou de perte d’emploi de l’emprunteur. Pour le prêteur, l’assurance emprunteur lui permet de transférer les risques d’impayés sur son client, lequel paie les primes d’assurance, tout en le mettant à l’abri des difficultés de recouvrement dans le cadre de procédures de réalisation de sûretés en cas de...
Depuis plusieurs années déjà, les difficultés auxquelles est confrontée la société Commissions Import Export (Commisimpex) pour mettre à exécution deux sentences arbitrales condamnant l’État du Congo à lui verser près d’un milliard d’euros alimentent les chroniques judiciaires. Il faut dire que la Commisimpex bénéficie d’un atout dans son jeu qui lui donne quelques raisons d’espérer recouvrir son dû : un acte du 3 mars 1993 au terme duquel la République du Congo a renoncé définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d’exécution. Certes, cet acte n’a pas permis à la société de saisir des biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’État congolais car la renonciation y étant contenue ne revêt pas un caractère « spécial » (Civ. 2e, 10 janv. 2018, n° 16-22.494 P, Dalloz actualité, 24 janv. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 541 , note B. Haftel ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau ; Rev. crit. DIP 2018. 315, note D. Alland ; RTD civ. 2018. 353, obs. L. Usunier et P. Deumier ; ibid. 474, obs. P. Théry ). Mais la société pouvait légitimement espérer utiliser cette renonciation pour saisir d’autres biens.
C’est ainsi qu’elle a fait pratiquer deux saisies-attributions entre les mains du contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l’Économie et des Finances, sur les comptes ouverts au nom de la Banque des États de l’Afrique centrale. En sa qualité de tiers saisi, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l’Économie et des Finances devait déclarer l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur (C. pr. civ., art. L. 211-3 et R. 211-4) et, en cas de déclaration inexacte ou mensongère, s’exposait à être condamné au paiement de dommages-intérêts (C. pr. civ., art. R. 211-5). Il a déclaré qu’il ne pouvait individualiser dans ses comptes aucune somme appartenant à la République du Congo et que les comptes dont il était fait mention dans le procès-verbal de saisie-attribution lui étaient inconnus. Ces déclarations n’ont pas convaincu la société Commisimpex qui a assigné l’agent judiciaire du Trésor, en qualité de tiers saisi, afin de le voir condamner au paiement de dommages-intérêts.
Pour échapper au paiement de ces dommages-intérêts, l’agent judiciaire du Trésor s’est abrité derrière l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution qui prévoit que « ne peuvent être saisis les biens de toute nature […] que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l’État ou des États étrangers dont elles relèvent », sauf à ce que le juge de l’exécution autorise une telle saisie sur les biens qui font partie d’un patrimoine que la banque centrale ou l’autorité monétaire étrangère affecte à une activité principale relevant du droit privé. La cour d’appel a fait droit à cette argumentation et la société Commisimpex a formé un pourvoi en cassation. Son pourvoi s’est essentiellement organisé autour de sa carte maîtresse : cet acte de 1993 dans lequel l’État du Congo avait renoncé à toute immunité d’exécution. La société a notamment fait valoir que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’État du Congo n’avait pas renoncé à son immunité d’exécution, que l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, qui ne prévoit aucune faculté de renonciation du débiteur, est contraire aux articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 1er, alinéa 1, de son protocole additionnel n° 1 et qu’en tout état de cause, le tiers saisi ne pouvait se prévaloir de l’immunité.
Le pourvoi invitait ainsi la Cour de cassation à répondre à plusieurs questions.
La conventionnalité des dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier
Les dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier sont-elles conformes à celles de l’article 6, § 1, de la Convention européenne et de l’article 1er de son protocole additionnel n° 1 ? Telle est la question centrale posée à la Cour de cassation. Et elle n’est pas tout à fait nouvelle. Dans un précédent arrêt, la Cour de cassation avait pu juger que ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences du droit à un procès équitable car elles « s’inscrivent dans les principes posés en matière d’immunité d’exécution par le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens » (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-10.661 NP, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ). Dans l’arrêt commenté, la conclusion ne diffère pas et la conventionnalité de l’article L. 153-1 n’est pas remise en cause. Mais l’argumentation est tout autre ! Nulle trace de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 ou de la nécessité de respecter le droit international coutumier : la Cour de cassation juge en effet que l’insaisissabilité de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier est « instituée, en raison de la nature des biens concernés, afin de garantir le fonctionnement de ces banques et autorités monétaires, indépendamment de l’immunité d’exécution reconnue aux États étrangers ». En insistant sur la nature des biens concernés et leur fonction, la haute juridiction indique, en filigrane, que l’article L. 153-1 n’instaure pas une immunité d’exécution (même indépendante de l’immunité dont bénéficient les États), mais une « simple » insaisissabilité (sur cette distinction, v. L. Lauvergnat, L’insaisissabilité, thèse, Nanterre, 2020, ss la dir. de S. Amrani-Mekki, nos 45 s.). Ce changement de perspective, qui a des conséquences (v. infra), ne suffit naturellement pas pour conclure à la conventionnalité des dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier. Parce que l’insaisissabilité qui découle de ce texte constitue une ingérence dans l’exercice du droit à l’exécution et du droit de propriété du créancier, sa conformité aux dispositions de la Convention de sauvegarde suppose qu’elle poursuive un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (v. par ex. CEDH 21 nov. 2001, req. n° 37112/97, Fogarty c. Royaume-Uni, § 33). La Cour de cassation juge que tel est bien le cas. Pour dire que l’atteinte est légitime, elle souligne qu’elle « vise à préserver le fonctionnement d’institutions qui concourent à la définition et à la mise en œuvre de la politique monétaire et à prévenir un blocage des réserves de change placées en France ». Et, pour admettre qu’elle est proportionnée, elle ne se fonde pas sur le second alinéa de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, qui offre au créancier la possibilité de solliciter du juge de l’exécution de pratiquer une saisie s’il établit que les biens font partie d’un patrimoine affecté par la banque centrale ou l’autorité monétaire étrangère à une activité principale relevant du droit privé (Civ. 1re, 11 janv. 2018, n° 16-10.661, préc.), mais sur le simple constat que l’insaisissabilité prévue par ce texte « ne s’applique qu’aux valeurs ou biens détenus en France ». Les créanciers sont invités à frapper aux portes des autres États !
La Cour de cassation n’appréhende ainsi plus l’article L. 153-1 du code monétaire et financier comme le prolongement d’une immunité d’exécution reconnue au profit des États par le droit international coutumier. Cela n’est guère surprenant. Car, si la Cour européenne des droits de l’homme a admis que certaines dispositions de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 reflètent le droit international coutumier (CEDH, gr. ch., 29 juin 2011, req. n° 34869/05, Sabeh El Leil c. France, § 49 s., Dalloz actualité, 1er sept. 2011, obs. C. Demunck ; D. 2011. 1831, et les obs. ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; 23 mars 2010, req. n° 15869/02, Cudak c. Littuanie, § 57 s., AJDA 2010. 2362, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ), c’est essentiellement pour souligner que le respect de ce droit peut légitimer les restrictions du droit au juge découlant d’immunités d’exécution protégeant les États (CEDH 23 mars 2010, req. n° 15869/02, préc., § 60). Or l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, en ce qu’il n’envisage aucune renonciation à l’immunité d’exécution, ne se borne pas à refléter la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 (art. 19 et 21) : il porte plus profondément atteinte au droit au juge, ce qui, sous cet aspect, fait douter de sa conventionnalité (en ce sens R. Bismuth, Débat autour de la conventionnalité de l’immunité spéciale des biens des banques centrales étrangères en France, note ss Versailles, 16e ch., 1er oct. 2015, n° 14/05200, JCP 2016. 442). Cela explique le radical revirement argumentatif opéré par la Cour de cassation. Mais en opérant de la sorte, la Cour de cassation fait un saut dans l’inconnu. Car la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais jugé que la préservation d’institutions qui concourent à la politique monétaire constitue un motif légitime de porter atteinte au droit au juge. Surtout, énoncer que le droit d’accès au juge n’est pas méconnu car l’insaisissabilité prévue par ce texte « ne s’applique qu’aux valeurs ou biens détenus en France » paraît critiquable.
Une fois résolu ce problème central, la Cour de cassation en tire les conséquences.
L’inefficacité de la renonciation de l’État du Congo à son immunité d’exécution
La Cour de cassation juge que la cour d’appel n’avait pas à rechercher si l’État du Congo n’avait pas renoncé à son immunité d’exécution. D’une part, l’insaisissabilité issue de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier étant indépendante de l’immunité reconnue aux États, l’État du Congo ne pouvait y avoir renoncé dans son acte de 1993 au terme duquel il renonçait à se prévaloir de toute immunité d’exécution. D’autre part, l’article L. 153-1 du code monétaire ne prévoit aucune faculté de renonciation, de sorte qu’il importe peu que la Convention des Nations unies (qui n’est d’ailleurs pas entrée en vigueur) l’envisage.
La possibilité pour le tiers saisi de se prévaloir de l’insaisissabilité
La haute juridiction juge que le tiers saisi pouvait se prévaloir de l’insaisissabilité découlant de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier. Assurément, une autre conclusion s’imposerait si l’insaisissabilité issue de l’article L. 153-1 découlait de l’immunité d’exécution protégeant les États : une telle immunité constitue en effet un moyen de défense personnel au débiteur dont le tiers saisi ne doit pas pouvoir se prévaloir (J.-P. Mattout, « La saisie des avoirs de banques centrales étrangères et le tiers saisi », in H. de Vauplane et J.-J. Daigre [dir.], Droit bancaire et financier. Mélanges AEDBF-France V ; Rev. Banque 2008. 305, spéc. nos 13 s.), ce qu’a d’ailleurs admis la Cour de cassation (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-13.323, Bull. civ. I, n° 64 ; Dalloz actualité, 16 avr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1728 , note D. Martel ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier ; v. égal., à propos d’une immunité de juridiction, Civ. 1re, 30 juin 1993, n° 91-21.267, Bull. civ. I, n° 234). Mais parce que le texte instaure une simple insaisissabilité, la Cour de cassation croit pouvoir en déduire que le tiers saisi peut s’en prévaloir. S’il est vrai que le tiers saisi a « un intérêt à se prévaloir des causes d’inefficacité de la saisie » (Cass., avis, 21 juin 1999, n° 09-90.008, Bull. avis. n° 5 ; D. 1999. 206 ; JCP 1999. II. 10160, note H. Croze et T. Moussa), il n’est pourtant pas certain qu’il puisse se prévaloir d’insaisissabilités (H. Croze et T. Moussa, art. préc., n° 8 ; v. égal. Civ. 1re, 24 févr. 1993, n° 91-15.032, Bull. civ. I, n° 89 ; D. 1993. 279 , obs. P. Julien ). En rejetant le moyen de ce chef, la Cour de cassation laisse ainsi entendre que le tiers saisi peut se prévaloir des insaisissabilités qui affectent les biens qui font l’objet de la mesure d’exécution pour échapper à toute sanction, ce qui serait un apport considérable…
Le 5 mai 2021, lors de l’examen du projet de loi antipiratage en commission, son rapporteur, le sénateur Jean-Raymond Huguonet avait commencé par citer les vers de Jean de La Fontaine, immortalisant la fable de la Montagne qui accouche d’une souris si les principales mesures n’étaient pas confirmées.
Le sénateur évoquait par là la concision du texte (21 articles) examiné – comparé au texte réformant l’audiovisuel initialement porté par Franck Riester, alors ministre de la Culture.
Le projet de loi a donc été amendé en commission et présenté dans une version plus musclée pour être discuté en séance publique, même sur la question de la mise en œuvre de mesures de blocage de sites massivement contrefaisants (i) notamment sportifs (ii) les modifications ont été minimes (sur le projet de loi initial, v. art. Dalloz actualité, 27 avr. 2021, obs. N. Maximin).
À titre liminaire, il convient de rappeler que les textes applicables en droit français en matière de blocage de sites résultent pour l’essentiel de la transposition de l’article 8.3 de la directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Cette directive a été transposée dans deux articles de la loi pour la confiance dans l’économie numérique dite « LCEN » (L. n° 2004-575, 21 juin 2004, art. 6-I, 8 et 8), dont l’un a été modifié par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet pour devenir l’actuel article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle.
À notre connaissance, l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle a été utilisé systématiquement comme fondement pour demander aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) de bloquer l’accès à des sites internet massivement contrefaisants de droits d’auteur et droits voisins et à demander à des moteurs de recherche de déréférencer lesdits sites.
Depuis 2010, la jurisprudence s’est donc construite sur le fondement de cet article et a progressivement posé les bases d’une réponse efficace en matière de lutte contre les sites massivement contrefaisants généralement opérés et hébergés depuis l’étranger.
Ce dispositif n’est toutefois pas parvenu à se parer contre la réapparition de sites contrefaisants – normalement bloqués – sous de nouveaux noms de domaine, les « sites miroirs ». Or, en pratique, il est lourd et coûteux pour les titulaires de droits de revenir devant le juge chaque fois qu’un nouveau nom de domaine est créé pour l’inclure dans une ordonnance de blocage.
Dispositions en vigueur relatives à la lutte contre le piratage et leur évolution projetée
De ce constat, diverses pistes – ayant pour facteur commun de permettre au juge l’actualisation des décisions de justice – ont été envisagées parmi lesquelles la consécration des injonctions dynamiques et l’introduction d’une procédure particulière pour demander au juge l’actualisation des décisions.
Dans le projet de loi initial, l’éventualité d’une consécration des injonctions dynamiques en droit français avait été écartée avant de revenir lors des débats en commission.
Un amendement de commission notamment porté par la sénatrice Catherine Morin-Desailly et le sénateur Claude Kern allait en effet dans le sens de la consécration des injonctions dynamiques, d’ailleurs similaire à celui de la sénatrice Laure Darcos. Comme les ayants droit et praticiens l’appellent de leurs vœux, il est censé permettre au tribunal judiciaire de prévoir – « dès sa décision initiale » – une extension de l’effet de la décision en cas de continuation de la contrefaçon, par un même service autrement accessible ou autrement localisé. Dans un tel cas – et c’est nouveau –, le périmètre de sa décision pourra être étendu à l’ensemble des autres accès à ce même service continuant la contrefaçon, y compris les « sites miroirs ». En pratique, cette avancée serait très utile si elle est bien organisée, elle est aussi pratiquée dans d’autres pays démocratiques.
Autrement dit, l’intérêt des injonctions dynamiques réside dans la possibilité, pour le juge, d’ordonner des injonctions visant des sites sur lesquels des atteintes sont constatées mais également applicables aux sites identiques qui viendraient à être créés ou découverts après le prononcé de l’injonction initiale et sur lesquels les mêmes atteintes seraient ainsi constatées.
Pour l’heure, alors que les deux amendements cités ont été, le 4 mai dernier, respectivement « retiré » et « rejeté », la lutte contre les sites miroirs est limitée – selon la mouture du projet de loi voté en séance publique – à l’introduction d’une procédure spécialement dédiée à la lutte contre les sites miroirs.
Ainsi, dès lors qu’une décision judiciaire « passée en force de chose jugée » a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne en application du code de la propriété intellectuelle, la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, issue de la fusion entre la Hadopi et le CSA), saisie par un titulaire de droits – « partie à la décision judiciaire » –, peut demander à toute personne visée dans la décision d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service visé par ladite décision. Et ce, pour une durée qui ne peut excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge. Il faut noter que l’arbitrage fait en séance publique semble avoir restreint la liste des personnes auprès desquelles les mesures de blocage peuvent être demandées. En effet, le projet de loi initial prévoyait une liste plus ouverte au terme de laquelle les FAI et autres fournisseurs d’accès à des services de communication au public en ligne (v. LCEN, art. 6-I, 1) et tout fournisseur de noms de domaine pouvaient être sollicités.
Dans les mêmes conditions, l’Arcom peut également demander à tout exploitant de moteur de recherche, annuaire ou autre service de référencement de faire cesser le référencement des adresses électroniques donnant accès à ces services de communication au public en ligne.
Le projet de loi prévoit en outre que l’Arcom peut demander aux services de se justifier lorsqu’il n’est pas donné suite à sa saisine.
Par ailleurs, le projet de loi institue que l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux services contrefaisants – sans préjudice de la saisine prévue dans le code de la propriété intellectuelle (v. art. L. 336-2).
Les mécanismes précités sont censés apporter une réponse à la problématique soulevée par les sites miroirs, et notamment l’actualisation rapide des décisions de justice. Ils multiplient, en tout état de cause, les voies pour lutter contre la contrefaçon en ligne – la voie administrative venant s’ajouter à la voie judiciaire – et incarnent une avancée, dont il faudra accompagner l’efficacité pratique.
Dispositions particulières relatives à la lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives
Dans le domaine sportif, en particulier, les titulaires de droits sont confrontés à la difficulté de lutter contre le live streaming illicite. Il consiste à retransmettre en direct des manifestations et compétitions sportives sans autorisation.
Pour lutter contre ce phénomène, le projet de loi opte pour une forme de consécration des injonctions anticipatrices/préventives – qui a l’intérêt de permettre le blocage d’un site ou d’un flux sur la base d’une atteinte future concernant une œuvre ou un programme pour lequel aucune atteinte n’a été constatée par le passé.
Ainsi, lorsqu’ont été constatées des atteintes graves et répétées (a) au droit d’exploitation audiovisuelle prévu à l’article L. 333-1 du code du sport, (b) au droit voisin d’une entreprise de communication audiovisuelle prévu à l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, dès lors que le programme concerné est constitué d’une manifestation ou d’une compétition sportive, (c) ou à un droit acquis à titre exclusif par contrat ou accord d’exploitation audiovisuelle d’une compétition ou manifestation sportive, occasionnées par le contenu d’un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives, et afin de prévenir ou de remédier (souligné par nous) à une nouvelle atteinte grave et irrémédiable à ces mêmes droits, le titulaire de ce droit peut saisir le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond ou en référé, aux fins d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.
Il s’agit d’une action attitrée qui peut être exercée dans les mêmes conditions par :
• une ligue sportive professionnelle, dans le cas où elle est concessionnaire de la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle de compétitions sportives professionnelles, susceptibles de faire l’objet ou faisant l’objet d’une atteinte grave et répétée ;
• l’entreprise de communication audiovisuelle, dans le cas où elle a acquis un droit à titre exclusif, par contrat ou accord d’exploitation audiovisuelle, d’une compétition ou manifestation sportive, que cette compétition ou manifestation sportive soit organisée sur le territoire français ou à l’étranger, dès lors que ce droit est susceptible de faire l’objet ou fait l’objet de l’atteinte grave et répétée.
Ces dispositions permettent de consacrer la possibilité d’obtenir des injonctions préventives, c’est-à-dire de bloquer à l’avance l’accès à des contenus contrefaisants. Il s’agit d’une forme de révolution puisque, jusqu’à présent, de telles injonctions se heurtaient à des obstacles procéduraux – notamment le fait que pour pouvoir agir en justice, le demandeur doit disposer d’un intérêt à agir né et actuel.
En outre, le président du tribunal judiciaire peut ordonner, au besoin sous astreinte, la mise en œuvre, pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, dans la limite de la durée de la saison sportive mentionnée à l’article L. 333-1 [du code du sport], de toutes mesures proportionnées, telles que des mesures de blocage ou de déréférencement, propres à empêcher l’accès à partir du territoire français, à tout service de communication au public en ligne identifié ou qui n’a pas été identifié à la date de ladite ordonnance diffusant illicitement la compétition ou manifestation sportive, ou dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de la compétition ou manifestation sportive. Les mesures ordonnées par le président du tribunal judiciaire prennent fin, pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, à l’issue de la diffusion autorisée par le titulaire du droit d’exploitation de cette compétition ou de cette manifestation.
En matière de diffusion des compétitions de football, par exemple, cette consécration permettra la préservation du modèle économique. En effet, le football et les médias entretiennent un lien consubstantiel sur la question du financement : les médias ont besoin du football pour générer des taux d’audience élevés – sources de retombées publicitaires importantes – et le football a besoin de ces derniers pour se financer – les droits audiovisuels représentant plus de 50 % du budget de la plupart des clubs professionnels de football français.
Finalement, le projet de loi antipiratage – même s’il pourrait aller plus loin – rajeunit les procédures pour les rendre plus adaptées au contexte numérique et à l’économie mondialisée. Il a la particularité de proposer, en plus de la voie judiciaire, une voie administrative alternative incarnée par la nouvelle autorité de régulation – l’Arcom – dont les missions sont élargies et s’aligne de facto sur les systèmes juridiques étrangers, notamment anglo-saxons.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rendre, coup sur coup, deux arrêts interprétant l’article 3 de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 263, p. 11), concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs.
Dans un premier arrêt, rendu le 29 avril 2021 (aff. C-383/19), la CJUE a précisé que l’article 3, alinéa 1, de la directive « doit être interprété en ce sens que la conclusion d’un contrat d’assurance de la responsabilité civile relative à la circulation d’un véhicule automoteur est obligatoire lorsque le véhicule concerné est immatriculé dans un État membre, dès lors que ce véhicule n’a pas été régulièrement retiré de la circulation conformément à la réglementation nationale applicable ». La Cour de Luxembourg avait déjà jugé, trois ans auparavant, qu’un véhicule apte à circuler et non retiré officiellement de la circulation doit néanmoins être couvert par une assurance responsabilité civile automobile même si son propriétaire, qui n’a plus l’intention de le conduire, a choisi de le stationner sur un terrain privé (R. Bigot, La couverture obligatoire d’un véhicule stationné sur un terrain privé, sous CJUE 4 sept. 2018, aff. C-80/17, Dalloz actualité, 18 sept. 2018 ; D. 2018. 1693 ; RTD eur. 2019. 149, obs. L. Grard ).
Dans un autre arrêt du 20 mai 2021, la demande de décision préjudicielle était présentée dans le cadre d’un litige opposant le propriétaire d’un véhicule à l’assureur du conducteur responsable au sujet d’une demande de remboursement des frais de stationnement en Lettonie et de remorquage vers la Pologne d’un véhicule et d’une semi-remorque endommagés à la suite d’un accident de la circulation survenu en Lettonie (aff. C-707/19).
Précisément, le 30 octobre 2014, un accident de la circulation est survenu dans une ville de Lettonie, au cours duquel un véhicule et sa semi-remorque, immatriculés en Pologne, ont été endommagés. Le véhicule et la semi-remorque ont, en raison des dommages subis, été évacués vers un parking aux fins de stationnement puis remorqués vers la Pologne. Les frais de stationnement en Lettonie se sont élevés à environ 1 292 € et les frais de remorquage vers la Pologne à environ 7 054 €.
À la suite d’une demande de remboursement introduite par le propriétaire du véhicule, la compagnie d’assurances garantissant la responsabilité civile de l’auteur de l’accident, lui a versé une indemnité d’environ 964 € au titre des frais de remorquage en Lettonie. En revanche, l’assureur a refusé de verser toute indemnité au titre des frais de stationnement en Lettonie et de remorquage en dehors du territoire letton. Le 23 janvier 2017, le propriétaire a saisi le tribunal d’arrondissement de Łódź (Pologne) d’un recours aux fins de voir condamner l’assureur à lui payer, avec intérêts de retard, la somme totale d’environ 6 124 € au titre des frais de remorquage en dehors du territoire letton et la somme d’environ 1 292 € au titre des frais de stationnement en Lettonie.
Dans ces circonstances, le tribunal d’arrondissement de Łódź a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions préjudicielles. En premier lieu, l’article 3 de la directive [2009/103] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cadre de « toutes les mesures appropriées », chaque État membre doit veiller à ce que l’assurance de responsabilité civile concernant les accidents de la circulation couvre l’intégralité des dommages, y compris les conséquences du sinistre tenant aux besoins de remorquer le véhicule de la victime vers le pays d’origine de celle-ci et les frais liés à la nécessité de stationner les véhicules ? En second lieu, en cas de réponse affirmative à cette question, la législation des États membres peut-elle limiter, d’une quelconque manière, cette garantie ?
Avant de répondre à ces questions, la CJUE a rappelé le droit de l’Union. Les considérants 2 et 20 de la directive 2009/103/CE énoncent que « l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (l’assurance automobile) revêt une importance particulière pour les citoyens européens, qu’ils soient preneurs d’assurance ou victimes d’un accident. Elle présente aussi une importance majeure pour les entreprises d’assurances, puisqu’elle représente une grande partie des contrats d’assurance non-vie conclus dans [l’Union européenne]. L’assurance automobile a, par ailleurs, une incidence sur la libre circulation des personnes et des véhicules. Le renforcement et la consolidation du marché intérieur de l’assurance automobile devraient donc représenter un objectif fondamental de l’action [de l’Union] dans le domaine des services financiers. […] Il y a lieu de garantir aux victimes d’accidents de la circulation automobile un traitement comparable, quels que soient les endroits de [l’Union] où les accidents se sont produits ».
En outre, l’article 3 de cette directive, intitulé « Obligation d’assurance des véhicules », dispose que « Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre des mesures visées au premier alinéa. Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que le contrat d’assurance couvre également : a) les dommages causés sur le territoire des autres États membres selon les législations en vigueur dans ces États ; […] L’assurance visée au premier alinéa couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels ».
La CJUE a, tout d’abord, jugé que cet article 3 doit être interprété en ce sens qu’il « s’oppose à une disposition d’un État membre en vertu de laquelle l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs ne couvre à titre obligatoire les dommages constitués par les frais de remorquage du véhicule endommagé que dans la mesure où ce remorquage a lieu sur le territoire de cet État membre. Cette constatation est sans préjudice du droit dudit État membre de limiter, sans recourir à des critères tenant à son territoire, le remboursement des frais de remorquage ».
La CJUE a, ensuite, décidé que cet article 3 « ne s’oppose pas à une disposition d’un État membre selon laquelle cette assurance ne couvre à titre obligatoire les dommages constitués par les frais de stationnement du véhicule endommagé que si le stationnement était nécessaire dans le cadre d’une enquête dans une procédure pénale ou pour toute autre raison, à la condition que cette limitation de couverture s’applique sans différence de traitement en fonction de l’État membre de résidence du propriétaire ou du détenteur du véhicule endommagé » (aff. C-707/19).
La décision s’inscrit dans la continuité de la politique législative et jurisprudentielle de l’Union tendant à assurer la protection accrue des victimes d’accidents causés par les véhicules automoteurs (v. en ce sens, CJUE 4 sept. 2018, Juliana, aff. C-80/17, EU:C:2018:661, pt 47, préc.), l’assurance de la responsabilité civile automobile facilitant « la libre circulation des personnes et des véhicules ». La Cour veille à garantir un traitement comparable des victimes des accidents causés par ces véhicules, quels que soient les endroits de l’Union où les accidents se sont produits (CJUE 23 oct. 2012, Marques Almeida, aff. C-300/10, EU:C:2012:656, pt 26 ; 20 juin 2019, Línea Directa Aseguradora, aff. C-100/18, EU:C:2019:517, pt 33, D. 2019. 1336 ; RTD eur. 2020. 404, obs. L. Grard ), ce que rappelle la décision du 20 mai 2021 une nouvelle fois.
L’étendue de l’obligation d’assurance en droit interne français, prévue à l’article L. 211-4 du code des assurances et imposant à l’assureur d’accorder les règles de couverture les plus favorables, ne devrait pas contrarier ce mouvement (v. A. Cayol, L’assurance automobile, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 374), malgré l’échec de l’harmonisation européenne du droit du contrat d’assurance automobile (P. Pailler, Manuel de droit européen des assurances, Bruylant, 2019, n° 130). À ce titre, en contrepartie du paiement d’une prime unique, l’assureur doit prendre en charge le risque de l’indemnisation des victimes d’un éventuel accident impliquant un véhicule, et ce quel que soit l’Etat membre sur le territoire duquel ce véhicule est utilisé et où cet accident se produit (CJUE 26 mars 2015, aff. C-556/13, RCA 2015. Étude 8, obs. N. Ciron). En outre, « le responsable de l’accident va bénéficier de la garantie la plus étendue, soit celle du lieu de l’accident, soit celle figurant dans le contrat d’assurance qu’il a souscrit » (Lamy Assurances 2020, n° 2846 ; sur les règles de circulation internationale, nos 3072 s.). La doctrine souligne cependant que « la jurisprudence accorde une importance excessive à cette disposition. En effet, cette dernière a été prévue pour que les victimes bénéficient de la meilleure des garanties, celle du lieu de survenance de l’accident ou celle bénéficiant au responsable par le contrat qu’il a souscrit. Or, la jurisprudence considère également que l’on doit apprécier les conditions de garanties au regard de la législation étrangère » (ibid.).
En définitive, la CJUE tente de maintenir un subtil équilibre, acceptant que le champ de l’obligation d’assurance automobile soit limité à condition qu’il n’en résulte aucune discrimination.
Les sociétés civiles de construction-vente (SCCV) sont des sociétés civiles disposant d’un statut particulier établi aux articles L. 211-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation. Il est remarquable que le premier texte de droit spécial les concernant fut historiquement un texte fiscal : l’article 28 de la loi n° 64-1278 du 23 décembre 1964 les excluant du champ d’application de l’impôt sur les sociétés.
C’est justement une question fiscale qui est à l’origine de l’affaire présentée devant la troisième chambre de la Cour de cassation le 12 mai 2021 opposant des associés d’une SCCV sur la fréquente question de la responsabilité civile du dirigeant.
Faits et procédure
L’associé majoritaire avait été désigné gérant, puis liquidateur amiable de la société courant 2007. Lorsque l’administration fiscale a notifié une proposition de rectification portant sur les revenus imposables de 2007 et 2008, les deux associés en ont été destinataires. Considérant que le redressement était la conséquence des manquements du gérant, l’associé minoritaire l’a assigné en réparation de son préjudice personnel.
La cour d’appel a accueilli favorablement cette demande. Elle a en effet considéré que le préjudice allégué ne se confondait pas avec celui de la société, condamnant le dirigeant à payer, à titre de dommages et intérêts, 33 998 € en réparation d’un préjudice financier et 5 000 € en réparation d’un préjudice moral.
Le gérant a naturellement formé un pourvoi contre cette décision arguant que l’action individuelle en responsabilité dont disposent les associés à l’encontre des dirigeants ne peut concerner que la réparation d’un préjudice personnel distinct de celui subi par la société. Selon le moyen, le préjudice subi en l’espèce par l’associé et son épouse n’est que le corolaire de celui atteignant la société et ne s’en distingue donc pas. Dès lors, il estime qu’ont été violés l’ancien article 1382 et l’article 1843-5 du code civil.
Il était donc demandé à la Cour de cassation de statuer sur l’existence d’un préjudice personnel distinct de celui de la société au cas d’un redressement fiscal frappant l’associé d’une société causé par les manquements du gérant devenu liquidateur
La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère que l’associé a bien subi un préjudice personnel, constitué par l’application de pénalités et intérêts de retard et la nécessité de trouver un financement pour faire face au redressement fiscal. Elle relève en outre que ce préjudice est en lien direct avec les fautes du gérant.
L’arrêt est l’occasion de revenir sur des marottes tant du droit fiscal que du droit des sociétés.
Sous l’angle du droit fiscal
Le régime fiscal de la SCCV est particulier. En dépit de son activité de construction d’immeubles en vue de leur revente qui s’apparente à une opération de type commerciale, elle échappe à l’article 206, 2°, du code général des impôts qui soumet à l’impôt sur les sociétés les sociétés civiles qui se livrent à une activité commerciale. La SCCV relève en effet de l’article 239 ter du code général des impôts. Ainsi, elle est soumise au même régime que la société en nom collectif. Elle n’a pas la qualité de...
Encore une demande d’indemnisation d’un passager contre une compagnie aérienne sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 ! Une fois n’est pas coutume, le passager n’obtient pas gain de cause. La Cour de justice de l’Union européenne vient, en effet, de juger que le simple déroutement d’un vol vers un aéroport proche n’ouvre pas droit à indemnisation. La solution adoptée, justifiée juridiquement mais également dictée par le bon sens, mérite être approuvée, même si elle n’allait pas totalement de soi, car la Cour de cassation française a rendu il y a peu une solution divergente (Civ. 1re, 17 févr. 2021, n° 19-21.362, D. 2021. 421 ).
Les faits de l’espèce méritent d’être relatés. Un passager de la compagnie Austrian Airlines réclame à celle-ci une indemnisation forfaitaire de 250 €, en raison du déroutement de son vol au départ de Vienne (Autriche) et à destination de Berlin (Allemagne). Ce montant est celui prévu par l’article 7, § 1er, sous a) du règlement (CE), n° 261/2004 en cas d’annulation (ou de retard important, soit trois heures ou plus à l’arrivée) de vol de 1 500 kilomètres ou moins. En effet, alors que ce vol devait initialement atterrir à l’aéroport de Berlin Tegel, ce vol a finalement atterri à l’aéroport de Berlin Schönefeld avec presque une heure de retard. Austrian Airlines n’a pas proposé au passager de transport complémentaire ni de prendre en charge les frais de transfert entre ces deux aéroports. Alors que l’aéroport de Berlin Tegel est situé dans le Land de Berlin, l’aéroport de Berlin Schönefeld est situé dans le Land voisin du Brandebourg. Austrian Airlines fait valoir que le simple déroutement vers un aéroport proche n’ouvre pas droit, comme une annulation ou un retard important à l’arrivée (trois heures ou plus), à l’indemnisation forfaitaire prévue par l’article 7, § 1er, du règlement. De plus, toujours selon cette compagnie aérienne, le retard était dû à des circonstances extraordinaires, à savoir des problèmes météorologiques importants survenus lors de l’antépénultième rotation de l’avion. Or, si le transporteur aérien établit l’existence de pareilles circonstances, il est dispensé de verser, en application de...
On sait que la motivation dite « enrichie » des arrêts de la Cour de cassation accompagne les revirements de jurisprudence (Rép. civ., v° Jurisprudence, par P. Deumier, n° 75). Le contexte des arrêts rendus le 19 mai 2021 par la première chambre civile est celui d’une véritable fresque jurisprudentielle, laquelle repose sur plusieurs revirements en droit administratif, en droit civil et en droit pénal prenant comme point de départ un sujet original, l’épilation définitive par lumière pulsée. Rappelons-en brièvement le contexte, comme l’a d’ailleurs fait de manière très pédagogue la Cour de cassation dans les arrêts commentés. La pratique de l’épilation est, en tout état de cause, normalement réservée aux médecins depuis 1962 (art. 2, 5°, de l’arr. du 6 janv. 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins) sauf pour l’épilation à la pince et à la cire. Mais de nouveaux modes d’épilation définitive sont apparus à la fin du XXe siècle, notamment l’épilation laser et par lumière pulsée. Ce dernier mode consiste à ce que la lumière dirigée sur un poil brûle sa zone de croissance et empêche sa repousse. On comprend donc que le geste n’est pas forcément anodin et les médecins dermatologues ont alors défendu l’idée qu’il s’agissait d’un véritable acte nécessitant des connaissances aiguës de santé qu’ils étaient les seuls à posséder. Voici donc le point de départ de toute cette question puisque l’article L. 4161-1 du code de la santé publique implique que toute personne pratiquant l’un des actes professionnels prévus par l’arrêté susmentionné sans être titulaire du diplôme exerce illégalement la médecine.
Dans ce cadre, la Cour de cassation a pu déduire que la pratique de l’épilation au laser et à la lumière pulsée était un cas d’exercice illégal de la médecine (Crim. 8 janv. 2008, n° 07-81.193, Lebon ; AJDA 2020. 713 ; 13 sept. 2016, n° 15-85.046, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2017. 353, obs. P. Mistretta ). Tout ceci n’était pas une difficulté tant que le Conseil d’État admettait que ces actes d’épilation étaient réservés aux médecins (CE 28 mars 2013, M. C…, req. n° 348089, Lebon ). Toutefois, le Conseil d’État a ensuite annulé la décision de refus implicite du ministre des Solidarités et de la Santé d’abroger les dispositions de l’article 2, 5°, de l’arrêté précédemment cité réservant aux médecins la possibilité d’épiler au laser et à la lumière pulsée (CE 8 nov. 2019, M. Z… et SELARL Docteur Dominique Debray, req. n° 424954, Lebon ; AJDA 2020. 713 ). La Cour de cassation a alors pu retenir que les personnes pratiquant de telles épilations sans être médecins ne pouvaient pas être condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, Dalloz actualité, 14 mai 2020, obs. A. Roques ; D. 2020. 881 ; RSC 2020. 387, obs. P. Mistretta ). Sur le plan pénal, tout était réglé par cet important revirement de jurisprudence accueilli de manière bienveillante par la doctrine. Mais sur le plan civil, subsistait une question : pouvait-on toujours annuler les contrats ayant pour objet de telles épilations pour objet illicite ? L’interrogation pouvait subsister même si la négative semblait l’emporter.
C’est dans ce contexte que les deux arrêts commentés interviennent, lesquels ont le même point de départ. Une personne souhaitait ouvrir un institut d’esthétique pour pratiquer notamment des épilations. Elle a ainsi conclu un contrat de franchise avec la société D…, laquelle proposait des méthodes d’épilation par lumière pulsée. Le droit d’entrée s’élevait à 28 400 € dans la première espèce, 52 800 € dans la seconde. Coup de théâtre : le franchisé décide d’attaquer le franchiseur pour nullité du contrat pour objet illicite et indemnisation du préjudice subi. En réalité, la demande de nullité était liée à un problème de financement que le franchisé n’avait pas pu obtenir. La nullité était un moyen de sortir du lien contractuel. Dans la première affaire (pourvoi n° 19-25.749), le tribunal de commerce de Nice refuse de faire droit à la demande, si bien que le franchisé interjette appel de ce jugement. La cour d’appel d’Aix-en-Provence refuse d’annuler le contrat à son tour. Le franchisé se pourvoit alors en cassation en s’appuyant sur l’article L. 4161-1 du code de la santé publique. Dans la seconde affaire (pourvoi n° 20-17.779), la même cour d’appel annule les contrats de franchise intéressés par ce mode d’épilation au motif « qu’en 2014, l’épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d’un exercice illégal de la médecine, tout mode d’épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins ». C’est donc la société D… qui se pourvoit en cassation en l’espèce.
Dans une longue motivation, dite enrichie, la Cour de cassation confirme sa nouvelle position en refusant d’annuler les contrats de franchise pour objet illicite, alignant ainsi les jurisprudences civiles et pénales eu égard au revirement de jurisprudence intervenu en mars 2020 applicable aux contrats en cours. Elle rejette, ce faisant, le pourvoi n° 19-25.749 et elle casse et annule l’arrêt des juges du fond dans l’affaire n° 20-17.779. Les solutions convergent vers une nouvelle ligne directrice, source de clarté pour le droit positif des franchises en matière d’épilation définitive par lumière pulsée.
L’alignement opportun des jurisprudences en matière civile et pénale
La société D… – présente dans les deux arrêts – avec laquelle la personne physique exploitant l’institut d’esthétique a conclu son contrat de franchise était la même société qui avait été demanderesse au pourvoi dans l’important revirement de jurisprudence en matière pénale cité précédemment (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, préc.). En décidant qu’« il y a lieu de revenir sur la jurisprudence antérieure et de considérer que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire aux articles précités du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) [art. 49 et 56, ndlr] », la chambre criminelle avait fondé sa motivation sur la liberté d’établissement et la libre prestation des services. Un auteur avait pu noter qu’« il faut certainement saluer la clairvoyance et le réalisme ayant animé les magistrats de la chambre criminelle qui permettent enfin de redéfinir un tant soit peu les contours d’une incrimination très complexe et tarabiscotée » (P. Mistretta, Exercice illégal de la médecine et épilation au laser : un revirement à rebrousse-poil, RSC 2020. 387 , dernier paragraphe). Bien évidemment, la solution n’avait rien d’évident à l’époque et un revirement était essentiel pour clarifier la question remise en cause jusqu’au niveau de l’exécutif qui envisageait un décret pour encadrer la pratique de telles épilations par des instituts d’esthétique. L’exercice illégal de la médecine était donc bien éloigné du sujet.
La solution retenue dans ces deux arrêts rendus par la première chambre civile du 19 mai 2021 tire les constats sur le plan civil en refusant d’annuler les contrats passés dans l’optique de la pratique de telles épilations par des personnes qui ne sont pas médecins. En refusant l’annulation du contrat de franchise, la Cour de cassation aligne ainsi de manière opportune les jurisprudences en tirant toutes les conséquences de son revirement de jurisprudence antérieur. L’objet du contrat – ou son contenu – n’est pas illicite puisqu’aucune infraction d’exercice illégal de la médecine n’est constituée en l’état eu égard à la jurisprudence de mars 2020. La lecture de l’arrêt d’appel dans la première affaire est instructive sur le refus de la nullité demandée par le franchisé. L’un des piliers de l’argumentation des juges du fond était que, « d’ailleurs, de nombreux centres d’épilations à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l’activité et des appareils d’épilation à lumière pulsée sont en vente libre auprès du public » (nous soulignons). L’argumentation sur l’objet illicite était donc très difficile à tenir dans ce cadre précis, en dépit d’une notion d’objet du contrat « protéiforme » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 586, n° 505).
Le droit des contrats s’en trouve alors précisé puisque cette nouvelle interprétation s’applique immédiatement aux contrats en cours.
Application aux contrats en cours de la licéité de l’opération
Dans le paragraphe n° 11 commun aux deux affaires, l’arrêt rendu par la première chambre civile précise ainsi que « cette évolution de jurisprudence s’applique immédiatement aux contrats en cours, en l’absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d’un droit d’accès au juge » (nous soulignons). On reconnaît l’expression de plusieurs arrêts désormais bien connus du droit privé (Civ. 1re, 9 oct. 2001 n° 00-14.564, D. 2001. 3470, et les obs. , rapp. P. Sargos , note D. Thouvenin ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber ; ibid. 507, obs. J. Mestre et B. Fages ; 21 mars 2000, n° 98-11.982, D. 2000. 593 , note C. Atias ; RTD civ. 2000. 592, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 666, obs. N. Molfessis ; RTD com. 2000. 707, obs. B. Bouloc ; plus récemment, Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-16.964, Dalloz actualité, 14 déc. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 2284 ; RDI 2021. 143, obs. H. Heugas-Darraspen ). Véritable profession de foi de la Cour de cassation (Rép. civ., v° Jurisprudence, art. préc., n° 120), l’expression permet de justifier l’application aux contrats en cours du revirement posé par la haute juridiction. Ceci explique notamment la présence de l’article 6, § 1er, de la Convention dans le visa de l’arrêt de cassation commenté. C’est une solution bienvenue puisque le contentieux opposant les cocontractants, dont l’un agit en nullité pour objet illicite, sait depuis l’acte introductif d’instance que l’hésitation est telle qu’un revirement était tout à fait envisageable par la Cour de cassation tant le fondement juridique de l’exercice illégal de la médecine était discuté.
L’absence d’annulation par les juges du fond pour objet illicite était ainsi clairvoyante dans la première affaire de ce changement de position inéluctable pour aligner les solutions entre le droit administratif et le droit civil, puis entre le droit pénal et le droit privé. Il faudra un certain temps toutefois pour purger le droit des situations où une demande de nullité avait été introduite antérieurement aux revirements intervenus, comme c’est le cas dans la seconde espèce. Quand la Cour de cassation voyait dans ces pratiques un cas d’exercice illégal de la médecine, la nullité pour objet illicite du contrat de franchise était tout à fait pertinente, dans le même esprit d’harmonisation des jurisprudences. L’application immédiate permettra d’aligner les solutions en la matière, ce qui est garant d’un droit interprété de manière uniforme. L’uniformité de la jurisprudence est, en ce sens, un des rôles de la Cour de cassation (M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier et J. Buk Lament, La technique de cassation, 9e éd., Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2018, p. 113).
On sait qu’antérieurement à l’ordonnance n° 2016-131, l’objet et la cause étaient les instruments du contrôle de la licéité de l’opération contractuelle désormais assuré par l’article 1162 nouveau (F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2e éd., Dalloz, coll. « Référence », 2018, p. 68, n° 123.193). Avant ou après la réforme, la solution sera donc la même en dépit du remplacement de vocables précisant les contours de la notion (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Hors collection », 2018, p. 348, n° 402). Voici donc une solution commune qui permet de sauvegarder des conventions et donc leur force obligatoire en l’absence de toute violation d’une norme légale. Bien évidemment, la solution inverse aurait été maintenue si l’exercice illégal de la médecine était toujours de mise. Tout est ici une question d’équilibre, quelque peu délicat à maintenir compte tenu des enjeux d’une question sujette à controverse entre les médecins et les instituts d’esthétique. Sur le plan du droit, toutefois, ces solutions sont garantes d’uniformité.
La loi n° 2019-775 a déjà transposé l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 en créant un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (v. comm. de T. Azzi, Dalloz IP/IT 2020. 61 ). À moins d’un mois de la date limite de transposition, fixée au 7 juin 2021, la présente ordonnance, prise en application de l’article 34 de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) du 3 décembre 2020, introduit au sein du code de la propriété intellectuelle d’autres dispositions phares du texte européen.
Contrefaçon : responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne
Les articles 1er à 3 de l’ordonnance du 12 mai reprennent le très controversé article 17 de la directive aux termes duquel les « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » peuvent être responsables des contenus contrefaisants téléversés par leurs utilisateurs (v. F. Pollaud-Dulian, Téléversement et responsabilité des prestataires de services de l’Internet : encore et toujours l’article 17 de la directive n° 2019/790, RTD com. 2021. 77 ; P. Sirinelli, Le nouveau régime applicable aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, Dalloz IP/IT 2019. 288 ; C. Alleaume, L’article 17 de la directive [UE] 2019/790 : une [fragile] responsabilité des fournisseurs de service de partage en ligne de contenus protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin, Légipresse 2019. 530 ).
Notion de « fournisseur de services de partage de contenus en ligne »
Le fournisseur d’un service de partage de contenus en ligne est, selon la définition de l’article 2.6 de la directive reprise au nouvel article L. 137-1 du code de la propriété intellectuelle, « la personne qui fournit un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public accès à une quantité importante d’œuvres ou d’autres objets protégés téléversés par ses utilisateurs, que le fournisseur de service organise et promeut en vue d’en tirer un profit, direct ou indirect ». Le critère de « quantité importante » sera précisé par un décret en Conseil d’État.
Sont expressément exclus :
les encyclopédies en ligne à but non lucratif ;les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif ;
les plateformes de développement et de partage de logiciels libres ;
les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 ;
les fournisseurs de places de marché en ligne ;
En l’espèce, une banque a consenti à une société des prêts garantis par plusieurs cautionnements. Las, le 3 avril 2015, la société débitrice est placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire par un jugement de conversion du 15 juillet 2015. La banque a, par la suite, assigné les cautions en paiement et a obtenu gain de cause en première instance et en appel.
Pour la cour d’appel, si la déclaration de créance de la banque était irrégulière pour défaut de pouvoir, la condamnation des cautions au paiement était néanmoins justifiée. En effet, selon les juges du fond, la défaillance du créancier dans la déclaration n’a pas pour effet d’éteindre la dette, mais simplement d’exclure le créancier des dividendes et des répartitions dans le cadre de la procédure collective. Or, cette exclusion des répartitions et dividendes ne constitue pas une exception inhérente à la dette susceptible d’être opposée par la caution pour se soustraire de son engagement.
Les cautions ont formé un pourvoi en cassation en se prévalant notamment de l’irrégularité supposée de la déclaration de créance de la banque, laquelle emporterait, selon les demanderesses au pourvoi, l’extinction de la créance et donc de la sûreté qui la garantissait.
Cette argumentation ne convaincra pas la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. La Haute juridiction rappelle d’abord que le juge du fond, qui statue dans l’instance en paiement opposant le créancier à la caution du débiteur principal à l’égard duquel a été ouverte une procédure collective, ne fait pas application de l’article L. 624-2 du code de commerce. Il en résulte que la décision par laquelle le juge du cautionnement retient que la déclaration de créance est irrégulière ne constitue pas une décision de rejet de cette créance, entraînant, dès lors, l’extinction de celle-ci et la libération de la caution.
Cela étant, si le pourvoi est rejeté, la Cour de cassation opère par une substitution de motifs à ceux attaqués par les cautions. Le procédé est louable. Si la solution à laquelle aboutissait la cour d’appel devait être conservée, le raisonnement employé par les juges du fond était, quant à lui, critiquable. Pour la Haute juridiction, la cour d’appel s’est prononcée à tort sur la régularité de la déclaration de créance en la jugeant irrégulière pour défaut de pouvoir. Or, en l’espèce, s’il n’existait pas de décision du juge-commissaire admettant la créance, il n’existait pas davantage de décision de ce juge la rejetant, dont la caution eût pu se prévaloir. Dès lors, puisque le juge compétent ne s’était pas prononcé sur la régularité de la déclaration de créance, la condamnation en paiement des cautions était légalement justifiée sans qu’il fût besoin d’en rechercher d’autres fondements.
Compétence exclusive du juge-commissaire pour statuer sur la régularité de la déclaration
Ce dernier aspect de la décision ne mérite pas plus de développements. Nous savons que le juge-commissaire a compétence exclusive pour connaître des discussions portant sur la régularité des créances déclarées (Com. 26 mars 2013, n° 11-24.148 NP, D. 2013. 2363, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre ). Or, si la créance n’a pas été rejetée par le juge-commissaire, celle-ci ne peut être éteinte par la décision d’un autre magistrat, en l’occurrence, le juge du cautionnement, s’étant octroyé à tort une compétence qui n’était pas la sienne.
L’une des formules employées par la Cour de cassation au sein de l’arrêt ici rapporté retiendra plus particulièrement notre attention.
Il s’agit de...
D’ici un mois, les demandes de clémence déposées par des opérateurs ayant participé à une pratique anticoncurrentielle devront se conformer aux exigences imposées par le décret publié le 12 mai dernier (v. notre brève). Principaux éléments à retenir.
À qui faut-il adresser sa demande ?
Soit au directeur de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), soit au rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, mentionne le décret. La demande peut être adressée :
par LRAR ;via « une plateforme d’échanges sécurisés de documents électroniques ;
oralement ;
ou par tout autre moyen approprié prévu par l’administration ou par l’Autorité de la concurrence ».
Un accusé de réception faisant figurer la date et l’heure effectives de cette réception est adressé au demandeur (C. com., art. R. 464-5).
Quelles sont les conditions à remplir pour obtenir une exonération ?
Elles sont nombreuses. Tout d’abord, l’opérateur doit cesser sans délai et au plus tard immédiatement après avoir déposé sa demande sa participation à la pratique litigieuse. Participation qu’il doit bien entendu révéler à l’Autorité ou à l’administration.
Comment obtenir l’exonération totale ?
Pour obtenir une exonération totale, il est nécessaire en plus d’être le premier… Le décret évoque alors deux cas de figure. L’opérateur doit fournir ainsi, avant d’autres entités, des éléments d’information qui :
• soit permettent, au moment où la DGCCRF ou l’Autorité de la concurrence reçoivent sa demande, « de procéder à des opérations de visite et de saisie ou à des perquisitions dans le cadre d’une procédure pénale en rapport avec la pratique en cause ». Attention, ce critère ne sera pas rempli si ces autorités étaient « déjà en possession des éléments d’information qu’elles estiment suffisants pour permettre de procéder à de telles opérations de visite et de saisie » ou que de telles opérations ont déjà eu lieu,
• « soit sont suffisants pour permettre à l’Autorité de la concurrence d’établir l’existence de la pratique en cause ». Si, au contraire, la DGCCRF ou l’Autorité de la concurrence ont déjà en leur possession des éléments d’information leur permettant d’établir l’existence de la pratique litigieuse et qu’un autre demandeur remplit déjà les conditions de l’exonération totale, elle ne sera pas accordée (C. com., art. R. 464-5-1).
Et l’exonération partielle ?
Quant à l’exonération partielle d’amende, l’Autorité ou l’administration attend du demandeur qu’il fournisse « des éléments d’information qui comportent une valeur ajoutée significative afin d’établir l’existence de la pratique en cause, par rapport à ceux qui se trouvent déjà en [leur] possession ». Élément important, « lorsqu’un demandeur est le premier à fournir des éléments d’information décisifs permettant à l’Autorité d’établir des éléments de fait supplémentaires conduisant à une augmentation des sanctions pécuniaires infligées aux participants à la pratique en cause par rapport à celles qui auraient été infligées en l’absence de ces éléments, l’Autorité de la concurrence ne le prend pas en compte pour déterminer le montant de la sanction infligée au demandeur ayant fourni ces éléments d’information » (C. com., art. R. 464-5-2).
Il est possible de demander à l’Autorité ou à l’administration d’établir une place dans l’ordre d’arrivée en vue de bénéficier de ces exonérations totales ou partielles. Le rapporteur ou le directeur de la DGCCRF donne dans ce cas un délai au demandeur pour fournir les informations requises, informations qui seront ensuite considérées comme ayant été déposées au jour de la réception de la demande (C. com., art. R. 464-5-3).
Y a-t-il d’autres conditions ?
Le décret liste encore plusieurs conditions de coopération avec les autorités de concurrence ou d’absence de destruction, de falsification de documents ainsi que de révélation de la démarche engagée pour obtenir la clémence (C. com., art. R. 464-5-4).
Enfin est envisagé le cas de la demande adressée à l’Autorité de la concurrence lorsque la même démarche a aussi été faite à la Commission européenne, en cas de pratique anticoncurrentielle couvrant le territoire de plus de trois États membres de l’Union européenne. Dans ce cas, une « demande sommaire » peut être envoyée à l’Autorité française (art. R. 464-5-5).
Les dispositions du décret entrent en vigueur le 12 juin 2021.
Éditions Législatives, édition du 19 mai 2021
L’article L. 643-11, I, du code de commerce dispose que « le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur » (v. à ce sujet P. Le Cannu et D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, nos 1276 s.). Il existe toutefois des exceptions à ce principe, l’une des plus évidentes étant celle prévue par le II du même texte qui dispose, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, que « les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s’ils ont payé à la place de celui-ci » (comp. anc. art. L. 643-11, II : « Toutefois, la caution ou le coobligé qui a payé au lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci » ; sur l’évolution de ce texte, v. J.-D. Pellier, La poursuite de la construction d’un régime des sûretés pour autrui. À propos de la modification de l’article L. 643-11 du code de commerce par l’ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014. 1054 ). On sait en effet que la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif n’affecte pas la dette, mais seulement le droit de poursuite du créancier à l’égard du débiteur principal. Le créancier peut donc toujours poursuivre le garant (v. en ce sens Com. 8 juin 1993, n° 91-13.295 : « Mais attendu que, si, en application de l’article 169 de la loi du 25 janvier 1985, les créanciers ne recouvrent pas l’exercice individuel de leur action contre le débiteur dont la liquidation judiciaire a fait l’objet d’une clôture pour insuffisance d’actif, ils conservent, la dette n’étant pas éteinte, le droit de poursuite à l’encontre de la caution du débiteur ; qu’il en est ainsi quoique le droit, subsistant, de la caution à subrogation, ne puisse s’exercer, sauf dans les cas prévus aux articles 169, alinéa 2, et 170 de la loi du 25 janvier 1985 ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel a exactement décidé que, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de la société pour insuffisance d’actif, Mme X était tenue envers la banque en vertu du cautionnement par elle contracté ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé »). En conséquence, il est logique (et juste) de permettre au garant solvens d’exercer un recours contre le débiteur, et ce que le paiement soit intervenu antérieurement ou postérieurement à l’ouverture de la procédure collective et qu’il s’agisse d’un recours personnel ou subrogatoire (v. en ce sens Com. 28 juin 2016, n° 14-21.810, Dalloz actualité, 22 juill. 2009, obs. X. Delpech : « Mais attendu qu’ayant exactement énoncé que l’article L. 643-11, II du code de commerce, qui autorise la caution qui a payé à la place du débiteur principal à le poursuivre, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de celui-ci pour insuffisance d’actif, ne distingue pas selon que ce paiement est antérieur ou postérieur à l’ouverture de la procédure collective, ni suivant la nature, subrogatoire ou personnelle, du recours exercé par la caution, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la société Interfimo remplissait les conditions prévues par ce texte »). Comme l’a justement souligné une éminente doctrine, « il serait en effet injuste que celui-ci [le garant] supporte définitivement le poids d’une dette qui n’est pas originellement la sienne alors que le débiteur serait revenu à meilleure fortune » (P. Le Cannu et D. Robine, op. cit., n° 1290). Toutefois, le domaine de cette exception doit être strictement limité au recours que peut exercer le garant solvens à l’encontre du débiteur et de lui seul, du moins en principe, ainsi que nous l’enseigne le chambre commerciale dans un arrêt du 5 mai 2021. En l’espèce, une banque a consenti des prêts à une société civile immobilière (SCI), pour lesquels se sont rendus cautions M. et Mme R…, ainsi qu’une société. Les 14 décembre 2010 et 17 janvier 2012, la liquidation judiciaire qui avait été prononcée à l’éga