Droit du producteur de vidéogrammes sur les [I]rushes[/I]
Les arrêts de la Cour de cassation fondés sur l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) sont rares, et celui-ci a le mérite de la clarté (v. Rép. IP/IT et Communication, v° Droits voisins du droit d’auteur, par P. Tafforeau ; M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins, Précis Dalloz, 2019, nos 1368 s. ; J.-Cl. PLA, fasc. 1460, par D. Lefranc). Ce texte donne au producteur de vidéogrammes un droit patrimonial exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction, la mise à disposition ou la communication au public de son vidéogramme. L’arrêt du 16 juin rappelle qu’il s’agit d’un droit autonome et précise qu’il peut s’exercer sur les prises de vues non montées du tournage.
Un producteur a conclu avec une université, agissant pour le compte d’un Institut interne, une convention de cession des droits ayant pour objet la réalisation d’une œuvre audiovisuelle documentaire intitulée Einstein et la relativité générale : une histoire singulière. Il cédait à l’université, à titre non exclusif et en contrepartie du financement qu’elle apportait, les droits d’exploitation non commerciale pour une durée illimitée sur tous supports en vue de la représentation du film dans le cadre de ses activités d’enseignement et de recherche. Soutenant avoir découvert que des vidéogrammes (des DVD) reproduisant, sans son autorisation, le documentaire ainsi que des éléments des rushes issus du tournage non compris dans la version définitive du film étaient édités et distribués par l’Institut, il a assigné l’université en contrefaçon de droits d’auteur, responsabilité contractuelle, concurrence déloyale et parasitisme. La cour d’appel a rejeté ces demandes. La décision est partiellement cassée par la Cour de cassation.
Sur les rushes
Le producteur avait également conclu avec un réalisateur un contrat de cession de droits d’auteur qui prévoyait en son article 13 qu’aucun des deux ne pourrait utiliser ou exploiter les rushes non montés « sauf autorisation réciproque expresse et préalable » de l’autre. La cour d’appel en a déduit que le producteur ne pouvait pas les utiliser ou les exploiter sans l’autorisation du réalisateur et que, faute de cette autorisation, « il [était] irrecevable à se prévaloir d’atteintes à ses droits sur ces rushes, le producteur d’un vidéogramme de l’œuvre audiovisuelle ne pouvant en tout état de cause détenir plus de droits que le producteur de ladite œuvre sur des épreuves de tournage non montées ».
L’arrêt est cassé au visa de l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle. La Cour de cassation considère qu’en application de ce texte, « le producteur de vidéogrammes est titulaire du droit d’autoriser la reproduction, la mise à la disposition ou la communication au public des épreuves de tournage non montées ou rushes dont il a eu l’initiative et la responsabilité de la première fixation ». La haute juridiction rappelle ainsi le caractère autonome du droit voisin des producteurs de vidéogrammes. Il ne se confond pas avec les droits d’auteur dont les rushes pouvaient par ailleurs faire l’objet.
Sur la responsabilité contractuelle
La Cour de cassation censure également l’arrêt en ce qu’il a rejeté les demandes du producteur au titre de la responsabilité contractuelle.
Les juges du second degré ont tout d’abord considéré qu’en l’absence de dispositions relatives à une cession de droits d’exploitation des épreuves de tournage non montées dans le contrat conclu entre le producteur et le réalisateur, leur exploitation par l’université ne pouvait pas caractériser une inexécution fautive. En se déterminant ainsi sans rechercher, comme ils y étaient invités, si l’université n’avait pas manqué à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi en exploitant les rushes sans l’autorisation du producteur, alors qu’elle connaissait la nécessité de cette autorisation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
L’arrêt d’appel retient également qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de propriété du producteur sur les masters dès lors que le contrat conclu avec l’université prévoit la remise d’une version master du film à l’Institut. Seulement, en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du producteur qui soutenait que l’université n’était pas en droit de conserver les matrices des rushes, distinctes des matrices du film achevé, les juges n’ont pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Versailles.