Droit de la concurrence : transposition en droit français de la directive ECN+

Droit de la concurrence : transposition en droit français de la directive ECN+

Une ordonnance du 26 mai 2021, prise sur habilitation de l’article 37 de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite « DADUE », transpose en droit français les dispositions de nature législative de la directive (UE) 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Cette directive, dite « ECN+ », entend donner davantage de moyens aux autorités de concurrence des États membres, en France l’Autorité de la concurrence. Elle vise à faire en sorte que celles-ci disposent des outils de mise en œuvre appropriés quand elles appliquent la même base juridique, ce qui doit permettre de créer un véritable espace commun de mise en œuvre des règles de concurrence. Plusieurs dispositions de la directive faisaient d’ores et déjà partie du droit positif français, d’autres, en revanche, devaient encore être introduites dans notre législation, qu’elles concernent les aspects de procédure comme le volet sanctions.

Règles de procédure

Notion d’entreprise (art. 2, I)

Reprenant la définition posée par l’article 2, § 10, de la directive, elle-même directement inspirée par la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE 23 avr. 1991, Höfner et Elser, aff. C-41/90, Rec. CJCE p. I-1979, spéc. pt 21 ; AJDA 1992. 253, chron. J.-D. Combrexelle, E. Honorat et C. Soulard image ; D. 1991. 155 image ; RDSS 1991. 515, obs. X. Prétot image ; RTD com. 1991. 512, obs. C. Bolze image ; ibid. 524, obs. C. Bolze image ; RTD eur. 1993. 81, chron. E. Traversa image ; ibid. 1995. 859, chron. J.-B. Blaise et L. Idot image ; Rev. UE 2015. 362, étude J.-P. Kovar image), l’ordonnance du 26 mai 2021 introduit explicitement la notion d’entreprise dans notre droit de la concurrence – toutes branches confondues – à l’article L. 410-1 du code de commerce. Les entreprises sont entendues comme les entités « quels que soient leur forme juridique et leur mode de financement qui exercent une activité ».

Saisine de l’Autorité de la concurrence (art. 2, XV)

L’ordonnance précise explicitement que les pratiques dont l’Autorité de la concurrence est saisie « peuvent être établies par tout mode de preuve » (C. com., art. L. 463-1, al. 2 nouv.).

Prescription (art. 2, II, X et XI)

L’ordonnance entend clarifier l’ensemble des règles de prescription, telles qu’elles figurent aux articles L. 420-6, L. 462-6 et L. 462-7 du code de commerce relatifs aux actes interruptifs de la prescription devant l’Autorité de la concurrence. Il est en particulier précisé que « la prescription de l’action devant l’Autorité de la concurrence est également interrompue par la transmission [du dossier au procureur de la République] mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 462-6 ».

Enquêtes

L’ordonnance prévoit, à l’article L. 450-1, I, du code de commerce, que, lorsque l’Autorité de la concurrence procède à une enquête pour le compte d’une autre autorité de concurrence de l’Union européenne, les agents de l’autorité requérante puissent assister et participer activement à l’enquête, sans que le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence ait la possibilité de s’y opposer (art. 2, IV).

L’ordonnance introduit des dispositions visant à renforcer les pouvoirs d’enquêtes des agents des services d’instruction des agents de la DGCCRF « qui permettent de mieux souligner la possibilité pour les agents d’accéder aux informations accessibles aux personnes et entreprises interrogées, et pouvant être sur des supports numériques » (rapport au président de la République). Elle consacre, en particulier, de manière explicite la possibilité pour ces agents d’accéder aux données des entreprises faisant l’objet d’une investigation, quel qu’en soit le lieu de stockage, et d’accéder aux clés de chiffrement (art. 2, V et VI, 1°).

Voies de recours (art. 2, VI, 2°)

L’ordonnance précise explicitement les modalités d’intervention de l’Autorité de la concurrence et du ministre dans le cadre des recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant les opérations de visites et saisies (OVS) et contre le déroulement des OVS. Le régime de l’appel est précisé ; en particulier, il est énoncé que le recours contre l’ordonnance de refus d’autorisation n’est pas suspensif. Est également affirmée la possibilité de former un pourvoi en cassation dans ces mêmes procédures.

Renforcement des pouvoirs des agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF

L’ordonnance prévoit explicitement, à l’article L. 450-7 du code de commerce, que tous les tiers sans restriction sont soumis à l’obligation de répondre aux sollicitations des agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF, y compris les autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes (art. 2, VII).

Le même texte restreint le champ d’application de l’article L. 450-8 du code du commerce qui punit pénalement quiconque s’oppose à l’exercice des fonctions des agents de la DGCCRF et de l’Autorité de la concurrence afin de se conformer à la récente décision du Conseil constitutionnel n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021. Celle-ci a, en effet, jugé que le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce, qui prévoit la sanction administrative des faits d’obstruction aux mesures d’enquêtes et d’instruction mises en œuvre par l’Autorité de la concurrence, est contraire à la Constitution en ce qu’il méconnaît le principe de nécessité et de proportionnalité des peines. Le Conseil constitutionnel a considéré que la répression administrative prévue par le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce et la répression pénale organisée par l’article L. 450-8 du code de commerce relèvent de corps de règles identiques. La modification opérée à l’article L. 450-8, complétée par la création de deux nouveaux articles, les articles L. 450-9 et L. 450-10, permettra, selon le rapport au président de la République, « de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel tout en maintenant l’article L. 464-2 du code de commerce dans sa version actuelle, qui permet de transposer l’article 13 de la directive ».

Renforcement des pouvoirs d’initiative de l’Autorité de la concurrence

L’ordonnance confère à l’Autorité de la concurrence, au nouvel article L. 462-9-1 du code de commerce, un pouvoir d’opportunité des poursuites en lui donnant la possibilité de rejeter des saisines au motif qu’elle ne les considère pas comme une priorité (art. 2, XII). Cette innovation a réjoui l’Autorité, qui aura ainsi désormais « la faculté de fixer ses propres priorités et de rejeter les plaintes qui n’y correspondent pas ». Cela rendra possible, selon elle, « une meilleure allocation de ses ressources, qui pourront être pleinement consacrées à la résolution rapide des affaires les plus importantes (notamment les affaires, complexes, qui concernent les grandes plateformes numériques ou les processus algorithmiques) » (communiqué de presse, 27 mai 2021).

Dans le même ordre d’idées, l’Autorité aura désormais la possibilité de se saisir d’office pour imposer des mesures conservatoires, et non plus seulement en suite d’une demande présentée par une entreprise, accessoirement à une demande au fond (art. 2, XVII ; C. com., art. L. 464-1 mod.). Là encore, l’Autorité de la concurrence s’est félicitée « de cette opportunité nouvelle d’intervenir sans délai, de son propre mouvement, lorsqu’elle a connaissance d’agissements pouvant nuire à la concurrence, en particulier dans des secteurs où les positions des acteurs évoluent très rapidement » (communiqué de presse, préc.).

En outre, l’ordonnance donne la possibilité à l’Autorité de la concurrence d’imposer aux entreprises ou associations d’entreprises des mesures correctives de nature structurelle (par exemple la cession d’une filiale ou d’une activité) ou comportementale proportionnées à l’infraction commise et nécessaires pour faire cesser effectivement l’infraction, alignant ainsi les pouvoirs de l’Autorité sur ceux de la Commission européenne. Elle prévoit également que l’Autorité puisse, de sa propre initiative ou sur demande de l’auteur de la saisine, du ministre de l’Économie, de toute entreprise ou association d’entreprises ayant un intérêt à agir, modifier, compléter ou mettre fin aux engagements qu’elle a acceptés si certaines conditions sont réunies (art. 2, XVIII, 1° et 2° ; C. com., art. L. 464-1 mod.).

Coopération entre autorités de concurrence (art. 2, XIII et XIV)

L’ordonnance, outre qu’elle procède à des adaptations rédactionnelles (C. com., art. L. 462-9 mod.), renforce le mécanisme de coopération entre autorités de concurrence (C. com., art. L. 462-9-1 nouv.). À cette fin, elle introduit quatre séries de mesures (v. rapport au président de la République, préc.) :

• s’agissant de pratiques contraires ou susceptibles d’être contraires aux articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Autorité de la concurrence doit informer la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence des autres États membres du prononcé d’une décision imposant des mesures conservatoires ou d’une décision de non-lieu à poursuivre la procédure ;

• afin d’établir si une entreprise ou association d’entreprises a refusé de se soumettre aux mesures d’enquête et aux décisions prises par une autorité nationale de concurrence d’un autre État membre de l’Union européenne, l’Autorité de la concurrence peut, à la requête et au nom de cette autorité requérante, mettre en œuvre ses pouvoirs d’enquête.

Elle peut, aux mêmes fins, échanger avec cette autorité requérante des informations et les utiliser à titre de preuve, sous réserve des garanties prévues à l’article 12 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 :

• l’Autorité de la concurrence, pour l’application de l’article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, peut requérir l’assistance d’une autorité de concurrence d’un autre État membre pour la notification au destinataire de tout acte de procédure ou pour l’exécution de ses décisions infligeant une sanction pécuniaire ou une astreinte ;

• l’Autorité de la concurrence peut transmettre à une autorité nationale de concurrence d’un autre État membre la déclaration effectuée en vue d’obtenir le bénéfice de la procédure de clémence que si certaines conditions sont réunies.

Informations

L’ordonnance du 26 mai 2021 introduit plusieurs dispositions qui organisent l’accès des parties au dossier et prévoient les limites à l’utilisation des informations notamment celles relatives aux procédures de clémence et de transaction (art. 2, XV, XX et XXI).

Elle donne la possibilité à l’Autorité de la concurrence de publier des informations succinctes relatives aux actes qu’elle accomplit en vue de la recherche, de la constatation ou de la sanction de pratiques anticoncurrentielles, lorsque la publication de ces informations est effectuée dans l’intérêt du public et dans le strict respect de la présomption d’innocence des entreprises ou associations d’entreprises concernées (art. 2, XVI ; C. com., art. L. 463-6, al. 3 nouv.).

Procédure de clémence (art. 2, XX et XXI)

L’ordonnance crée trois nouveaux articles, les articles L. 464-10, L. 490-13 et L. 490-14 du code de commerce, qui consacrent explicitement dans notre législation la procédure de clémence, par laquelle une entreprise qui révèle à l’Autorité une infraction grave aux règles de concurrence peut solliciter une exonération de la sanction pécuniaire encourue. Reprenant largement les termes du programme de clémence précédemment mis en œuvre par l’Autorité de la concurrence, ces nouvelles dispositions harmonisent cette procédure à l’échelle européenne. L’incitation pour les entreprises à mettre au jour d’éventuelles ententes secrètes est encore renforcée puisqu’une immunité, ou une réduction, de sanction pénale peut en outre être obtenue, sous condition, par les personnes physiques appartenant au personnel de l’entreprise qui a, la première, formé une demande de clémence.

Notification d’un acte de procédure (art. 5)

L’ordonnance du 26 mai 2021 modifie l’article L. 311-11 du code de l’organisation judiciaire afin de préciser que le contentieux de la validité de la notification d’un acte de procédure réalisée par l’Autorité de la concurrence à la demande d’une autre autorité de concurrence d’un autre état membre de l’Union européenne relève de la compétence de la cour d’appel. Un décret en Conseil d’État viendra préciser la procédure applicable à ce contentieux. Un décret simple disposera que ce contentieux est confié à la cour d’appel de Paris qui statue déjà sur les recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence.

Sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence

Relèvement des sanctions (art. 2, XVIII)

Il s’agit là d’un volet important de l’ordonnance. Le régime des sanctions pécuniaires, qui a pour siège l’article L. 464-2 du code de commerce, dont la rédaction est modifiée, se veut désormais plus dissuasif et mieux harmonisé au niveau européen. Les organismes – dorénavant les « associations d’entreprises » – ne relèvent plus d’un régime spécifique de sanction en cas d’infraction aux règles de concurrence (ils bénéficiaient jusqu’alors d’un plafond de sanction de 3 millions d’euros), mais sont désormais soumis à un plafond beaucoup plus élevé, égal à 10 % du total des chiffres d’affaires des entreprises membres de l’association. Ceci concernera notamment les syndicats professionnels ou les ordres professionnels.

Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence pourra infliger aux intéressés des astreintes dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires mondial total journalier moyen, par jour de retard à compter de la date qu’elle fixe, pour les contraindre à exécuter une décision ou à respecter les mesures prononcées.

Est également introduit explicitement le critère de la durée de l’infraction comme élément d’appréciation de la sanction tandis que le critère relatif au dommage à l’économie est supprimé.

Il est également prévu que, hors les cas où la force publique peut être requise, lorsqu’une entreprise ou une association d’entreprises refuse de se soumettre à une mesure d’enquête, l’Autorité peut prononcer à son encontre une injonction assortie d’une astreinte.

Enfin, l’ordonnance consacre, au nouveau VI de l’article L. 464-2 du code de commerce, le principe d’une responsabilité financière des membres d’une association d’entreprises. Il prévoit à cet effet que :

• lorsqu’une sanction pécuniaire est infligée à une association d’entreprises en tenant compte du chiffre d’affaires de ses membres et que l’association n’est pas solvable, l’Autorité de la concurrence peut enjoindre à cette association de lancer à ses membres un appel à contributions pour couvrir le montant de la sanction pécuniaire ;

• dans le cas où ces contributions ne sont pas versées intégralement à l’association d’entreprises dans un délai fixé par l’Autorité de la concurrence, celle-ci peut exiger directement le paiement de la sanction pécuniaire par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de cette association ;

• lorsque cela est nécessaire pour assurer le paiement intégral de l’amende, après avoir exigé le paiement par ces entreprises, l’Autorité de la concurrence peut également exiger le paiement du montant impayé de l’amende par tout membre de l’association qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise. Ce paiement n’est toutefois pas exigé des entreprises qui démontrent qu’elles n’ont pas appliqué la décision litigieuse de l’association et qui en ignoraient l’existence ou qui s’en sont activement désolidarisées avant l’ouverture de la procédure.

Exemption de sanctions pénales en cas de coopération active (art. 2, III et XVIII, 7°)

L’ordonnance prévoit au nouvel article L. 420-6-1 du code de commerce que, lorsqu’une exonération totale des sanctions pécuniaires a été accordée à une entreprise ou une association d’entreprises en application de la procédure de clémence, les directeurs, gérants et autres membres du personnel de ladite entreprise ou association d’entreprises qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques sanctionnées par l’Autorité sont exempts des peines pénales prévues par l’article L. 420-6 s’il est établi qu’ils ont activement coopéré avec l’Autorité de la concurrence et le ministère public. Il faut, pour cela, qu’il soit établi que ces personnes aient « activement coopéré avec l’Autorité de la concurrence et le ministère public », l’ordonnance précisant que la notion de « coopération active » est appréciée au regard des critères suivants : 1° la personne se tient à la disposition des services d’enquête et de l’Autorité de la concurrence pour répondre à toute question pouvant contribuer à établir les faits ; 2° elle s’abstient de détruire, de falsifier ou de dissimuler des informations ou des preuves pertinentes ; 3° elle apporte des éléments de preuve de nature à établir l’infraction et à en identifier les autres auteurs ou complices.

(Original publié par Delpech)
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