Clôture d’un compte bancaire sans préavis pour violation par son titulaire d’un embargo
Cet arrêt de cassation est à la fois important et inédit. C’est, en effet, la première fois que la haute juridiction statue sur le droit du banquier de clôturer un compte de dépôt dans le cadre du dispositif du droit au compte.
Le contexte mérite d’être explicité. À l’origine et dans le silence de la loi, tout comme en matière de crédit (Cass., ass. plén., 9 oct. 2006, n° 06-11.056, Bull. ass. plén., n° 11 ; D. 2006. 2933 , note D. Houtcieff ; ibid. 2525, obs. X. Delpech ; ibid. 2007. 753, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 408, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2007. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 145, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 148, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2007. 207, obs. D. Legeais ) le droit de résiliation unilatérale, par le banquier, du compte bancaire revêtait un caractère discrétionnaire, dans la limite, toutefois, du principe de non-discrimination (Com. 26 janv. 2010, n° 09-65.086, D. 2010. 379 ; ibid. 2178, chron. D. Mazeaud ; RTD com. 2010. 762, obs. D. Legeais ). Cette solution était difficile à admettre pour de nombreux clients, notamment ceux dont la situation économique est la plus fragile, et aboutissait assez largement à vider de sa substance, le « droit au compte » institué par une loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. La liberté d’ouvrir un compte constitue même, comme cela a été joliment écrit, un « droit élémentaire de l’individu » (D.R. Martin, L’indépendance bancaire des époux, D. 1989. Chron. 135). Or que reste-t-il de ce « droit au compte » si une banque, parfois contrainte d’ouvrir un compte à la demande de la Banque de France, conserve l’entière liberté de clôturer celui-ci à tout moment ?
D’où une nouvelle intervention du « législateur » via l’ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (art. 2), prise sur l’habilitation de la loi Sapin II du 9 décembre 2016. Cette ordonnance, qui a transposé en droit français la directive 2014/92/UE du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (PAD), a renversé le principe du droit à la résiliation unilatérale du compte par la banque : le nouveau IV de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier prévoit que « l’établissement de crédit ne peut résilier unilatéralement la convention de compte de dépôt assorti des services bancaires de base » que, si cette résiliation repose sur l’un des six motifs institués par l’ordonnance. Le texte ajoute que, sur le plan formel, « toute décision de résiliation à l’initiative de l’établissement de crédit fait l’objet d’une notification écrite motivée et adressée gratuitement au client. La décision de résiliation ne fait pas l’objet d’une motivation lorsque la notification est de nature à contrevenir aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public ».
La Cour de cassation est, dans cet arrêt du 1er juillet 2021, amenée à prendre position sur l’interprétation à retenir du premier motif visé par ce texte : « Le client a délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales. » C’est clairement le blanchiment d’argent qui est visé. Relevons que ce premier motif, tout comme le deuxième (« Le client a fourni des informations inexactes »), dispense même la banque qui résilie le compte d’accorder à son client un quelconque préavis. Dans les quatre autres, considérés comme moins graves (par ex. 5° : « Le client a fait preuve d’incivilités répétées envers le personnel de l’établissement de crédit » !), en revanche, la banque est tenue de respecter un délai de préavis de deux mois, cela afin de permettre au client de trouver un nouveau banquier.
Les faits de l’espèce méritent d’être rappelés. Il est question d’une société française qui a transmis le relevé d’identité bancaire (RIB) de son compte tenu par une banque française à un partenaire commercial iranien. Or l’on sait que l’Iran a été frappé par diverses mesures d’embargo décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou, de manière unilatérale, par les États-Unis, en vertu de lois extraterritoriales, auxquelles les entreprises – et en particulier – françaises sont tenues de se plier, sous peine de lourdes sanctions (S. Poullennec et I. Couet, Sanctions contre l’Iran : le cauchemar des entreprises françaises, 2 nov. 2018, Les Échos). Il s’avère que la société française cliente de la banque avait communiqué son RIB à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l’intermédiaire d’une société chinoise, dont elle s’était refusée à préciser le rôle dans l’opération. Ce virement au bénéfice de la société française avait pour objet le paiement de tubes, dits « à dispositif d’osmose inverse », qu’elle avait livrés dans le cadre d’un projet « Bushehr », du nom d’une ville du golfe persique également donné à la centrale nucléaire située dans les environs de celle-ci. Pour la banque, la société française avait de la sorte délibérément utilisé son compte pour une opération qu’elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, Dès lors, selon la banque, sa décision de clôturer unilatéralement le compte de sa cliente était régulière au regard de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier.
Ce point de vue n’est pourtant pas partagé par la cour d’appel de Grenoble, qui retient que le virement annoncé par la société cliente le 21 décembre 2017, qui constitue l’opération « atypique » invoquée par la banque, n’est parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu’il ne peut être soutenu qu’à la date de cette décision, la société cliente avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.
La banque se pourvoit en cassation ; elle invoque, devant la haute juridiction, l’argument suivant : la société, sa cliente, a communiqué son RIB à des intermédiaires chinois composant le « circuit financier mis en place pour contourner les sanctions financières décidées par la Communauté internationale ». En effet, les règles d’embargo internationales visant l’Iran interdisent qu’un client iranien, surtout s’il est lié à la construction d’une centrale nucléaire, puisse rémunérer un fournisseur français ; d’où l’idée de passer par un intermédiaire chinois pour opérer le règlement.
L’argument paraît emporter la conviction de la Cour de cassation, puisqu’elle casse l’arrêt d’appel, cela au visa de l’article L. 312-1, IV, 1°, du code monétaire et financier. Elle apporte même la précision suivante, qui est potentiellement d’une portée considérable : « Constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte ».
Cela étant, il ne s’agit que d’une cassation pour défaut de base légale. La Cour de cassation considère que les motifs retenus par la cour d’appel ne suffisent pas, compte tenu des circonstances invoquées par la banque, à exclure que le compte bancaire ait été utilisé par la société française pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales. La cour d’appel, pour juger infondée la résiliation du compte de sa cliente sans préavis, aurait dû rechercher si, au jour où elle a procédé à cette résiliation, la banque savait que sa cliente avait communiqué son RIB à son cocontractant iranien, ce qu’elle n’a visiblement pas fait.
En guise de conclusion, on peut se demander si la banque n’a pas néanmoins fait preuve d’une certaine légèreté. Il est peu douteux que, lorsque la société cliente lui a annoncé un virement en sa faveur, le 21 décembre 2017, cette dernière lui ait communiqué l’identité – et donc la nationalité (iranienne) – de son cocontractant, en même temps débiteur. N’aurait-elle pas dû, dès ce jour, demander à sa cliente si elle avait d’ores et déjà communiqué à son débiteur son RIB, en dépit de son devoir de non-ingérence ?