Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales)

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales)

Droit antérieur à la réforme

Les textes du code civil relatifs au cautionnement datent pour la plupart de 1804, à l’instar des autres contrats spéciaux, au titre desquels il était étudié jadis (v. à ce sujet, P. Rémy, Brève histoire du caractère accessoire du cautionnement en droit français, Congresso Internazionale ARISTEC, La garanzia nella prospettiva storico-comparatistica, G. Giappichelli editore, Torino, 2003). Certes, de nombreuses évolutions, pour la plupart contenues au sein d’autres codes, ont peu à peu transformé le visage de cette sûreté personnelle, autrefois appréhendée comme un « petit contrat », un service d’ami, à tel point qu’il était possible de se demander si le code civil était encore le réceptacle du droit commun du cautionnement (v. à ce sujet, P. Delebecque, Le cautionnement et le code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004. 226). C’est la raison pour laquelle la Commission présidée par le Professeur Michel Grimaldi avait proposé, en 2005, de réformer la matière (M. Grimaldi, Orientations générales de la réforme, Dr. et patr., sept. 2005, p. 50 s. ; P. Simler, Les sûretés personnelles, Dr. et patr., sept. 2005, p. 55 s. V. égal. du même auteur, Codifier ou recodifier le droit des sûretés personnelles ?, in Le Code civil, 1804-2004, Dalloz-Litec 2004, p. 373). Mais cette proposition resta lettre morte, faute d’habilitation législative (v. P. Simler, 2006, une occasion manquée pour le cautionnement, JCP N 2016. 1109). Il aura fallu attendre la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », pour que le gouvernement soit enfin habilité à « Réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (art. 60, I, 1°).

Droit issu de la réforme

À titre liminaire, il faut préciser que le droit nouveau n’aura vocation à régir que les cautionnements conclus à compter du 1er janvier 2022, date d’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance (art. 37, I, al. 1er « Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er janvier 2022 »). L’article 37, II, de cette dernière prévoit en effet que « Les cautionnements conclus avant la date prévue au 1er alinéa du I demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public » (on aura reconnu la célèbre formule de l’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 : « Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public »). Toutefois, le III du même texte prévoit que « Les dispositions des articles 2302 à 2304 du code civil sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, telle que prévue au premier alinéa du I, y compris aux cautionnements et aux sûretés réelles pour autrui constitués antérieurement » (ces dispositions concernent les obligations d’information relative au montant de la dette et à la défaillance du débiteur principal).

Formellement, l’ordonnance de réforme a tout d’abord modifié le titre de la première section du chapitre relatif au cautionnement, qui s’intitule désormais « Dispositions générales ». On y trouve, en premier lieu, la définition même du cautionnement au sein de l’article 2288, alinéa 1er : « Le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci » (l’alinéa 2 du même texte reprend en substance le contenu de l’actuel alinéa 1er de l’article 2291 : « Il peut être souscrit à la demande du débiteur principal ou sans demande de sa part et même à son insu »). Cette définition, purement et simplement tirée de l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, constitue, selon le rapport au Président de la République, « une définition modernisée du cautionnement, en faisant expressément mention du caractère conventionnel du lien qui unit la caution au créancier, du caractère unilatéral de ce contrat et du fait que le débiteur est un tiers à celui-ci ». Si cette nouvelle définition permet en effet de mettre en exergue la dimension contractuelle du cautionnement (sans toutefois laisser dans l’ombre sa dimension obligationnelle puisque c’est précisément « la dette du débiteur » que la caution s’oblige à payer. Sur cette conception, v. J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation – Contribution à l’étude du concept de coobligation, préf. P. Delebecque, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 539, 2012, nos 157 s.) ainsi que le caractère unilatérale de ce contrat (sur lequel, Com. 2 juin 2021, n° 20-10.690, Dalloz actualité, 15 juin 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 1076 image ; Rev. prat. rec. 2021. 19, chron. O. Salati image), l’on peut exprimer un regret quant à l’emploi du terme « payer », en raison de la connotation monétaire qu’il porte en lui, même si le paiement est défini par l’article 1342, alinéa 1er, du code civil comme « l’exécution volontaire de la prestation due » (sur cette conception du paiement, A. Sériaux, Conception juridique d’une opération économique : le paiement, RTD civ. 2004. 225 image). Au demeurant, il est intéressant d’observer que la nouvelle définition se rapproche de celle qui avait été exposée dans un premier temps au Conseil d’État par M. Bigot-Préameneu au début du XIXe siècle : « Celui qui se rend caution d’une obligation s’oblige envers le créancier à lui payer, au défaut du débiteur, ce que celui-ci lui doit » (Jouanneau et Solon, Discussions du code civil dans le Conseil d’État, t. 2, éd. Demonville, 1805, p. 652). Jugée trop réductrice, cette définition fut finalement délaissée, après conférence tenue avec le Tribunat. Comme le souligne le Professeur Philippe Dupichot dans sa thèse, « précisément, cette modification de rédaction avait tendu à remplacer le terme de « payer », à consonance trop « monétaire », par celui de « satisfaire », plus général (…). L’intention des rédacteurs de cette disposition a été, sans nul doute, de préciser qu’une caution pouvait accomplir toute espèce d’obligation, qu’elle soit de donner, de faire ou de ne pas faire, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même » (P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, préf. M. Grimaldi, éditions Panthéon-Assas, 2005, n° 277). De ce point de vue, la nouvelle rédaction de l’article 2288 représente donc une régression et non une modernisation (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement. À propos de l’Avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri Capitant, D. 2018. 686, n° 3 image).

En second lieu, ce sont les différents types de cautionnement qui sont envisagés. Le nouvel article 2289 dispose d’abord que « Lorsque la loi subordonne l’exercice d’un droit à la fourniture d’un cautionnement, il est dit légal. Lorsque la loi confère au juge le pouvoir de subordonner la satisfaction d’une demande à la fourniture d’un cautionnement, il est dit judiciaire ». On sait en effet que la source du cautionnement est nécessairement contractuelle et qu’il ne saurait donc y avoir, à proprement parler, de cautionnement légal ou judiciaire (v. en ce sens, P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, nos 7 et 62). Voilà pourquoi il est juste d’affirmer que le cautionnement « est dit » légal ou judiciaire. Il y a là une simple commodité de langage et non une réalité juridique.

Le nouvel article 2290 dispose ensuite que « Le cautionnement est simple ou solidaire. La solidarité peut être stipulée entre la caution et le débiteur principal, entre les cautions, ou entre eux tous ». Ce texte permet de prendre conscience que la solidarité peut s’appliquer au sein de plusieurs rapports et qu’elle peut ainsi concerner les seules cautions (naguère désignées par le terme de cofidéjusseurs, v. à ce sujet, J. Mestre, Les cofidéjusseurs, Dr. et patr., janv. 1998. 66 ; ibid. avr. 1998. 64). Comme le précise le rapport au président de la République, la solidarité peut ainsi être « verticale » entre la caution et le débiteur principal, « horizontale » entre les différentes cautions, ou à la fois « verticale » et « horizontale » entre eux tous. Le texte est toutefois insuffisamment précis, car il ne nous éclaire en rien quant aux effets de cette dernière, qui consistent dans la suppression du bénéfice de division et dans l’application des effets dits secondaires de la solidarité (v. en ce sens, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 205). Il convient d’observer que, dans un premier temps, la Chancellerie avait envisagé d’ajouter un alinéa aux termes duquel « La solidarité entre la caution et le débiteur a pour seul effet de priver la première du bénéfice de discussion ». Il est heureux que ce texte n’ait finalement pas été adopté, car il était trompeur : la jurisprudence applique également les effets secondaires de la solidarité dans cette situation (v. par ex., Civ 1re, 14 juin 2005, n° 04-10.911, concernant l’effet collectif de la mise en demeure ; Com. 1er juin 1999, n° 96-18.466, concernant l’effet collectif de l’autorité de la chose jugée, D. 1999. 182 image ; RTD civ. 1999. 882, obs. P. Crocq image ; ibid. 884, obs. P. Crocq image ; v. à ce sujet, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., nos 200 s. V. égal., sur la signification de la stipulation de solidarité en matière de cautionnement, A. Gouëzel, La subsidiarité en droit privé, préf. P. Crocq, Économica, 2013, nos 511 s. ; J.-D. Pellier, op. cit., spéc. n° 174).

Enfin, les deux derniers textes de la section consacrée aux dispositions générales relatives au cautionnement font œuvre utile en définissant deux figures classiques en matière de cautionnement : d’une part, l’article 2291 prévoit qu’« On peut se porter caution, envers le créancier, de la personne qui a cautionné le débiteur principal » (comp. Avant-projet de la Chancellerie du 18 décembre 2020 : « Une personne peut se porter caution envers le créancier de la dette de la caution ». V. égal., Avant-projet de l’Association Henri Capitant, art. 2292 : « La certification de caution est l’engagement par lequel une personne s’oblige envers le créancier à exécuter l’obligation de la caution en cas de défaillance de celle-ci »). Il s’agit de la certification de caution, qui est actuellement prévue par l’alinéa 2 de l’article 2291 (« On peut aussi se rendre caution, non seulement du débiteur principal, mais encore de celui qui l’a cautionné »). La figure, relativement rare en pratique (v. P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 77), n’en méritait pas moins d’être mentionnée. Il est heureux qu’il ne soit pas fait référence à la « dette de la caution » ou à « l’obligation de la caution », dans la mesure où celle-ci n’est autre que la dette même du débiteur, ainsi d’ailleurs que le met en lumière le nouvel article 2288 (sur cette conception, v. J.-D. Pellier, op. cit., spéc. n° 172).

D’autre part, l’article 2291-1 dispose que « Le sous-cautionnement est le contrat par lequel une personne s’oblige envers la caution à lui payer ce que peut lui devoir le débiteur à raison du cautionnement ». Beaucoup plus fréquente en pratique, cette figure avait pourtant été laissée sous le boisseau par le Code de 1804 (sans doute parce qu’elle était plus rare à l’époque : le cautionnement étant originellement un service d’ami, il ne devait pas être courant de s’assurer du remboursement de la caution en prenant une contre-garantie). Il est donc heureux qu’elle soit désormais gravée dans le marbre du code civil, eu égard à l’importance des contre-garanties dans le monde contemporain (v. P. Delebecque, Garanties et contre-garanties, in Mélanges C. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 91 ; v. égal., C. Houin-Bressand, Les contre-garanties, préf. H. Synvet, Dalloz, coll. « Nouvelles bibliothèques de thèse », vol. 54, 2006).

Par ailleurs, l’article L. 110-1 du code de commerce a été enrichi d’un 11°, réputant actes de commerce « Entre toutes personnes, les cautionnements de dettes commerciales » (comp. Avant-projet d’ordonnance de la Chancellerie du 18 décembre 2020, art. 2290 : « Le cautionnement est civil ou commercial selon la nature de la dette garantie ». V. égal., Avant-projet de l’Association Henri Capitant, art. 2290, al. 2 : « Le cautionnement par un non-commerçant d’une dette commerciale est civil »). La règle est bonne, qui permet d’éviter les affres du contentieux relatif à l’intérêt patrimonial personnel (v. à ce sujet, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 68) et de traiter les litiges relatifs au cautionnement devant la même juridiction. Le rapport au Président de la République précise d’ailleurs à ce sujet que « Cette modification répond à un objectif de bonne administration de la justice, en permettant que le tribunal de commerce soit saisi à la fois du contentieux relatif à la dette principale et de celui relatif au cautionnement ». Corrélativement, l’article L. 721-3 du Code de commerce, relatif à la compétence des juridictions commerciales, qui prévoit in fine que « les parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à l’arbitrage les contestations » énumérées par ce texte, est complété par la phrase suivante : « Par exception, lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci ». Le rapport au Président de la République nous éclaire parfaitement à ce sujet : « Dès lors qu’un acte relève de la compétence du tribunal de commerce en application de ce texte, la clause compromissoire est en effet licite. Le second alinéa de l’article 2061 du code civil prévoit certes que « Lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause [compromissoire] ne peut lui être opposée ». Néanmoins, la jurisprudence a eu l’occasion d’indiquer que l’application de cette disposition et celle du dernier alinéa de l’article L. 721-3 c. com. sont autonomes (Civ. 1re, 22 oct. 2014, n° 13-11.568). Ce dernier texte est donc modifié pour prévoir que lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci ; l’extension de la commercialité du cautionnement n’a en effet pas vocation à conduire à une extension du champ de la clause compromissoire ».

Pour conclure, l’on observera que le « cautionnement réel » brille par son absence (sur cette figure, v. J.-J. Ansault, Le cautionnement réel, préf. P. Crocq, Doctorat et Notariat, t. 40, Defrénois, 2010), alors même que l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, souhaitant briser la jurisprudence (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210, BNP Paribas, D. 2006. 729 image, concl. J. Sainte-Rose image ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 733, note L. Aynès image ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; ibid. 2855, obs. P. Crocq image ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille image ; ibid. 594, obs. P. Crocq image ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais image), avait proposé sa réhabilitation (art. 2291 : « Le cautionnement réel est une sûreté réelle constituée pour garantir la dette d’autrui. Le créancier n’a d’action que sur le bien qui en forme l’objet ». Pour une critique de cette conception, v. J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement, art. préc., n° 4. Comp. A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 image). C’est parce que les auteurs de l’ordonnance ont fait le choix (judicieux) de le traiter au titre des sûretés réelles tout en lui appliquant un certain nombre de règles du cautionnement : le nouvel article 2325 dispose en effet que « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2299, 2302 à 2305-1, 2308 à 2312 et 2314 sont alors applicables ». Le rapport au président de la République précise à ce sujet que « la nature de sûreté réelle de cette figure est ainsi réaffirmée conformément à la jurisprudence actuelle et dans un souci de sécurité juridique (…). En revanche, en rupture avec le droit antérieur, cette sûreté se voit appliquer un certain nombre de règles protectrices de la caution ». Certaines solutions jurisprudentielles, contestées par une partie de la doctrine, seront donc abandonnées (v. par ex., Civ. 3e, 12 avr. 2018, n° 17-17.542, D. 2018. 1540 image, note A. Gouëzel image ; ibid. 1884, obs. P. Crocq image ; RDI 2018. 385, obs. H. Heugas-Darraspen image ; AJ contrat 2018. 241, obs. D. Houtcieff image ; RTD civ. 2018. 461, obs. P. Crocq image ; RTD com. 2018. 773, obs. A. Martin-Serf image, concernant le bénéfice de subrogation). Il serait peut-être temps de s’atteler à l’édification d’un véritable régime des sûretés pour autrui (v. à ce sujet, A. Aynès, Quelques aspects du régime juridique des sûretés réelles pour autrui, Liber Amicorum Christian Larroumet, Économica, 2009, p. 1 ; J.-D. Pellier, La poursuite de la construction d’un régime des sûretés pour autrui. À propos de la modification de l’article L. 643-11 du code de commerce par l’ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014. 1054 image ; v. égal. J. Crastre, La summa divisio des sûretés pour soi et des sûretés pour autrui, Thèse Paris 1, P. Dupichot [dir.], 2020).

 

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