Précisions sur l’abattement de droits de succession en faveur des personnes handicapées
Cet arrêt de rejet se situe au confluent du droit fiscal, du droit des successions et du droit du handicap, mais également du droit de la preuve. Les faits méritent d’être connus. Il est question d’une fratrie composée de deux frère et sœur. La sœur décède en 2010. Son frère, handicapé, en est le légataire. Pour la détermination des droits de succession dont il était redevable, il est fait application de l’abattement prévu par l’article 779, II, du code général des impôts en faveur des personnes handicapées. L’administration fiscale ayant remis en cause cet abattement, il l’a assignée en décharge du rappel de droits mis en recouvrement. La cour d’appel de Versailles confirme la solution, déboutant le frère de ses demandes d’annulation de la décision implicite de rejet de sa réclamation contentieuse formée le 10 février 2014, d’annulation de l’avis de mise en recouvrement n° 3926 du 7 juin 2013 et de remboursement de la somme de 88 821 € correspondant aux droits de mutation. L’intéressé forme alors un pourvoi en cassation.
Le texte précité est rédigé en ces termes : « Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement de 159 325 € sur la part de tout héritier, légataire ou donataire, incapable de travailler dans des conditions normales de rentabilité, en raison d’une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise ». Il est complété par l’article 294 de l’annexe II du code général des impôts : « L’héritier, légataire ou donataire, qui invoque son infirmité, doit justifier que celle-ci l’empêche soit de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle, soit, s’il est âgé de moins de 18 ans, d’acquérir une instruction ou une formation professionnelle d’un niveau normal. Il peut justifier de son état par tous éléments de preuve […] ».
Le Conseil d’État avait eu l’occasion de retenir une interprétation somme toute libérale de ce dispositif, précisant que l’héritier, légataire ou donataire, a droit au bénéfice de l’abattement sur les droits de mutation à titre gratuit « à la seule condition qu’il établisse que son infirmité ne lui permet pas de travailler dans des conditions normales de rentabilité, sans qu’y fasse obstacle le fait qu’il parviendrait néanmoins à satisfaire les besoins de son existence » (CE 5 janv. 2005, n° 261049, Defrénois 2005. 878, note F. Douet). Dès lors bénéficie de l’abattement le légataire en retraite ayant subi une infirmité au cours de sa vie active lorsque cette infirmité l’a empêché de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à une activité professionnelle et, par conséquent, lorsqu’elle a eu une incidence sur le montant de la retraite qu’il percevait au jour de l’ouverture de la succession (Com. 17 juill. 2001, n° 98-13.651, D. 2001. 2724 ). En bénéficie tout autant la personne reconnue invalide à 80 %, dont l’état a eu pour conséquence une mise à la retraite anticipée pour invalidité, de telle sorte que, si elle avait pu poursuivre son activité jusqu’à l’âge légal de la retraite, elle aurait perçu une pension d’un montant plus élevé que celle qu’elle perçoit en réalité (Com. 9 juin 2004, n° 01-16.807).
Le pourvoi prétendait que le frère légataire atteint d’un handicap était bien éligible à l’abattement, car le handicap dont il se prévalait – une nucléation de l’œil gauche – a limité son activité professionnelle, car son avancement a été bloqué ; il est vrai qu’il était demeuré, pendant vingt-six ans, au même poste, au sein de la même entreprise. Le pourvoi ajoute qu’il est présumé avoir été empêché, par son infirmité, de travailler dans des conditions normales de rentabilité. La cour d’appel, pour sa part, a refusé de retenir que le lien de causalité entre la situation de handicap du frère et les limites et blocages professionnels qu’il démontrait avoir rencontrés était présumé. Elle a tout simplement fait application du droit commun de la preuve, laquelle incombe au demandeur. Si l’on comprend bien l’arrêt d’appel, cette preuve est double en réalité. Elle porte à la fois sur la situation de handicap et sur le lien de causalité entre cette situation de handicap et l’empêchement professionnel subi. Cette analyse est pleinement confirmée par la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi par un raisonnement en deux temps.
D’une part, selon l’article 294 de l’annexe II du code général des impôts, le légataire qui revendique l’abattement institué en matière de droits de mutation à titre gratuit par l’article 779, II, du même code en faveur des personnes handicapées doit justifier que son infirmité l’empêche de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle. Il en résulte que, pour bénéficier dudit abattement, le redevable doit « prouver le lien de causalité entre sa situation de handicap et le fait que son activité professionnelle a été limitée et son avancement retardé ou bloqué ».
D’autre part, « après avoir constaté que la situation de handicap [du frère] n’était pas discutée, l’arrêt [d’appel] relève que ce dernier justifie d’une carrière stable d’une durée de vingt-six années, comme dessinateur, au sein de la même entreprise, cependant qu’il n’apporte aucun élément établissant qu’il aurait été dans l’impossibilité de poursuivre des études supérieures ou aurait subi une limitation de son activité professionnelle ou un blocage de son avancement en lien avec son état de santé ». L’arrêt d’appel relève encore que l’intéressé « a bénéficié d’un plan de départ en retraite à l’âge de 55 ans, plan qui était propre à l’entreprise et dont il n’a pas communiqué les conditions financières, n’apporte pas la preuve de ce qu’un tel départ, qui, selon lui, aurait nécessairement été anticipé du fait de son infirmité, aurait eu un impact négatif sur ses revenus ». Enfin, s’il « n’a pu, en raison de son handicap, embrasser une carrière dans la marine nationale, il ne démontre pas qu’une telle carrière lui aurait offert des perspectives économiques plus favorables durant sa vie active et sa retraite ». Dès lors, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’en avoir déduit que le frère « ne démontrait pas que son activité professionnelle ne s’était pas déroulée dans des conditions normales de rentabilité et qu’il ne pouvait, dès lors, bénéficier de l’abattement prévu par l’article 779, II, du code général des impôts ».