Pourquoi quittent-ils la robe pour devenir juristes d’entreprise ?

Pourquoi quittent-ils la robe pour devenir juristes d’entreprise ?

« Le travail en cabinet est passionnant mais dur, avec beaucoup d’horaires et de pression. Il fallait faire un choix : je poursuivais ma carrière ou je choisissais mon équilibre familial ». Chaque année, des avocats quittent la profession. Sur les 3 500 ayant prêté serment en 2014 par exemple, 22 % n’étaient déjà plus avocats cinq ans plus tard. Les données sur leur reconversion sont inexistantes. Mais on sait que parmi eux, certains, comme Marine Lacreuse il y a sept ans, deviennent juristes en entreprise. La recherche d’un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et personnelle est la première raison de cette reconversion, observe Aurélie Thibault, de la division juridique et fiscale chez Michael Page. D’ailleurs, elle constate que « ce sont majoritairement des femmes qui décident de quitter la robe ».

Autre argument : la frustration d’intervenir ponctuellement pour résoudre un problème, sans toujours savoir ce qu’il se passe ensuite pour le client, racontent plusieurs concernés.

« Ce qui m’a frustré lors de ma courte carrière d’avocat est que le client venait pour raconter une histoire plus ou moins vraie. On lui proposait un scénario, il repartait et une fois sur deux, on ne le revoyait plus », se rappelle par exemple Renaud Champetier de Ribes, directeur Juridique Europe, M&O, Afrique de Schneider Electric.

Vision à 360

« J’adore le contentieux, mais j’avais davantage envie d’accompagner les gens : d’anticiper leurs problèmes plus que de les régler », raconte David Masson, avocat depuis une vingtaine d’années, spécialiste en propriété intellectuelle qui vient tout juste de quitter le cabinet Dentons dont il était associé pour devenir directeur juridique chez Scalefast. « En tant qu’avocat, vous ne pouvez pas avoir l’initiative. En tant que juriste d’entreprise, vous êtes vous-même aux manettes : c’est un changement de vision de droit qui est total », ajoute-t-il.

« Avoir une vision à 360 » des sujets. Voilà une expression qui revient souvent dans la bouche des avocats reconvertis qui comparent leur travail actuel avec l’ancien. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Ouria Yazid s’est laissée séduire par le métier de juriste en entreprise. Au début, cela devait juste être un remplacement pour un client. Puis :

« Je me suis noyée dans la négociation, les procédures de licenciement, les relations avec la direction générale… J’étais dans le cœur du réacteur. J’ai découvert une pratique in concreto, in vivo », explique celle qui a finalement accepté de rester pour un salaire moins élevé et des horaires plus soutenus. « J’ai l’impression de désormais faire le tour du globe de cette planète droit social. Si je retournais en cabinet, j’aurais le sentiment de ne faire qu’une partie du travail », anticipe la directrice juridique des relations humaines d’un grand groupe de cosmétique.

La variété des sujets traités est aussi un avantage parfois mis en avant, même si cela dépend de la taille de l’entreprise et du poste occupé. « Je ne trouvais pas ce que l’on te vend avec le métier : la liberté. On parle de collaboration libérale mais il n’en est rien puisque tu es à la merci de tes clients », a ressenti Noémie Saiarh, qui a bifurqué après seulement trois ans et demi en cabinet. Puis « la facturation et la comptabilité, bon débarras ! », se réjouit aussi celle qui sort d’une expérience de quatre ans chez Louis Vuitton.

Prestige et égo

Mais alors, que des avantages et pas une ombre au tableau, donc ? Contentieux et plaidoirie manquent à certains. D’autres, comme Marine Lacreuse, aujourd’hui directrice juridique d’Ealis, font référence au prestige de la profession d’avocat et à son image dans la société, tout en reconnaissant qu’il s’agit juste d’une histoire d’égo mal placé.

Pour autant, décrocher un poste de juriste n’est pas forcément facile : il y a plus de demandeurs que de postes à pourvoir, observe Aurélie Thibault. Aussi, être avocat n’est pas forcément un atout. Après quelques années d’expérience, il est trop cher (les titulaires du CAPA perçoivent 25 % de rémunération de plus en moyenne que les autres juristes d’entreprise, d’après une étude de l’AJFE de 2016). Ensuite, il peut apparaître « loin du terrain ». « Il y a une dizaine d’années, il y avait un gros engouement pour ces profils, gages de qualité et d’expertises pointues. Aujourd’hui, on recherche des collaborateurs très opérationnels capables d’identifier les conséquences, les risques financiers par exemple, d’une disposition sur le business », explique Aurélie Thibault. Elle résume : « on ne cherche plus des responsables juridiques pour être les gardes fous des équipes, mais plutôt être main dans la main avec elles ». D’après la spécialiste du recrutement, avoir seulement deux ou trois ans de barreau et avoir eu comme clients des PME, aux services juridiques externalisés, est plus facile pour trouver un poste. Son conseil ? Insister sur le volet opérationnel de son expérience d’avocat.

 

Édition du 13 septembre 2021

Auteur d'origine: Thill
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Invité
vendredi 29 mars 2024

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