Pas de recours contre la décision d’ouverture de la liquidation judiciaire simplifiée

Pas de recours contre la décision d’ouverture de la liquidation judiciaire simplifiée

Ni tout à fait similaire ni tout à fait différente d’une procédure de liquidation judiciaire, la liquidation judiciaire simplifiée s’est installée depuis 2005 dans le paysage du droit des entreprises en difficulté dans le but d’accélérer la clôture de procédures ouvertes à l’encontre de débiteurs ne possédant que peu d’actifs. Depuis, la liquidation judiciaire simplifiée a fait l’objet de nombreuses retouches chaque fois que l’occasion législative s’est présentée.

Par exemple, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite « loi PACTE », a marqué une étape importante dans la construction du régime de cette procédure « accélérée ». S’il existait auparavant un régime simplifié facultatif, désormais, pour les procédures ouvertes à compter du 23 mai 2019, lorsque le débiteur emploie un nombre de salariés inférieur ou égal à cinq, réalise un chiffre d’affaires inférieur ou égal à 750 000 € et ne possède pas d’actif immobilier, l’application du régime de la liquidation judiciaire simplifiée est obligatoire (C. com., art. L. 641-2). L’arrêt ici rapporté est rendu en application du régime en vigueur sous l’empire de cette loi.

En l’espèce, un débiteur personne physique a été assigné en redressement judiciaire et, subsidiairement, en liquidation judiciaire par un créancier. Le débiteur interjette appel et les juges du fond annulent le jugement d’ouverture de la liquidation, mais procèdent à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée en constatant que le chiffre d’affaires du débiteur était inférieur à 300 000 € et qu’il n’employait pas de salarié. Soutenant qu’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée ne peut être ouverte à l’encontre d’une personne propriétaire d’un bien immobilier, le débiteur se pourvoit en cassation. Las, le moyen invoqué, en ce qu’il fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la liquidation judiciaire sera ouverte selon les modalités du régime simplifié, n’est pas recevable.

La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle énonce que le juge du tribunal qui ouvre ou prononce lui-même la liquidation judiciaire simplifiée ou la décision de son président qui, après rapport du liquidateur, applique à la liquidation, déjà ouverte ou prononcée, les règles de la liquidation simplifiée peuvent être modifiées à tout moment (C. com. art. L. 644-6). Aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 644-1 du code de commerce, ce jugement ou cette décision constituent des mesures d’administration judiciaire non susceptibles de recours.

Une décision ancrée, mais critiquable

Au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, la solution ne surprend guère. En effet, la Haute juridiction a déjà eu l’occasion de juger que la décision décidant d’appliquer à la procédure les règles de la liquidation judiciaire simplifiée était une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours (Com. 4 mars 2008, n° 07-10.033, Bull. civ. IV, n° 51 ; D. 2008. 847, obs. A. Lienhard image ; ibid. 1231, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon image ; RTD com. 2008. 631, obs. J.-L. Vallens image).

La qualification d’une telle décision en une mesure d’administration judiciaire s’explique théoriquement par le fait qu’elle ne préjudicie ni aux droits des tiers ni à ceux du débiteur pour qui, au contraire, la liquidation judiciaire simplifiée ne présenterait que des avantages (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021-2022, n° 565.251).

D’une façon générale, une mesure d’administration judiciaire peut être définie comme « une mesure d’ordre interne et de nature plus ou moins administrative que prennent les juges en vue d’assurer le fonctionnement du service de la justice et, spécialement, le bon déroulement des instances civiles » (A. Perdriau, Les mesures d’administration judiciaire au regard du juge de cassation, Gaz. Pal. 7 mars 2002, n° 66, p. 2).

Or, il n’est pas certain que la décision décidant de l’application du régime simplifié réponde parfaitement à cette définition, car si dans la pureté des concepts une mesure d’administration judiciaire ne doit pas affecter les droits des parties, force est de constater que tel n’est pas le cas de la décision d’appliquer le régime simplifié de la liquidation judiciaire (M. Cabrillac, note ss. Com. 4 mars 2008, n° 07-10.033, Bull. civ. IV, n° 51 ; JCP E 2008. 2062, n° 8).

Pour résumer, la liquidation judiciaire simplifiée implique des modalités particulières de réalisation des actifs du débiteur, lesquels seront cédés sans contrôle judiciaire (F. Pérochon, À propos de la réforme de la liquidation judiciaire par l’ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal. 10 mars 2009, n° 69, p. 3), un processus de vérification des créances allégé et un mécanisme de distribution spécifique des deniers provenant de la vente des actifs mobiliers.

Au demeurant, la lettre de l’article R. 644-1 du code de commerce – en ce qu’elle qualifie la décision optant pour la liquidation judiciaire simplifiée en une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours – est critiquable, car si l’on force le trait, ceci pourrait in fine inciter les juges à passer outre la présence d’un immeuble (comme en l’espèce), à ignorer l’effectif salarié du débiteur ou encore à omettre de vérifier le chiffre d’affaires de l’entrepreneur pour procéder à l’ouverture d’une liquidation en régime simplifié.

À n’en pas douter, une telle décision constituerait un excès de pouvoir dans la mise en œuvre d’une mesure d’administration judiciaire et pour lequel, malheureusement, la Cour de cassation refusait, par principe, l’exercice d’un recours nullité (Com. 12 juill. 2011, n° 09-71.764, Bull. civ. IV, n° 120 ; D. 2011. 1966, obs. A. Lienhard image).

Certes, dans ces hypothèses, les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme pourraient être salvatrices en ce qu’elles permettraient de reconnaître un droit de critique sur cette mesure d’administration judiciaire sur le fondement, par exemple, de la violation du droit à l’accès au juge de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2015, n° 1156). Après tout, le procédé a déjà été employé pour permettre à un associé de société civile de former tierce opposition à l’encontre du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire de la personne morale au sein de laquelle il exerce ses fonctions (Com. 19 déc. 2006, n° 05-14.816, Bull. civ. IV, n° 254 ; D. 2007. 1321, obs. A. Lienhard image, note I. Orsini image ; Rev. sociétés 2007. 401, note T. Bonneau image).

Las, la qualification de mesure d’administration judiciaire, du moins lorsqu’elle concerne l’application de la liquidation judiciaire simplifiée, semble couvrir l’excès de pouvoir du juge. Or, si l’arrêt ici rapporté est indiscutable du point de vue des textes, notamment au regard de la lettre de l’article R. 644-1 du code de commerce, une interprétation plus audacieuse était permise à l’aune des dernières évolutions législatives et jurisprudentielles intéressant la matière.

Une discussion renouvelée par les dernières évolutions législatives et jurisprudentielles

L’histoire de la liquidation judiciaire simplifiée est éclairante. L’arrêt précité du 4 mars 2008 a été rendu à une époque où la liquidation judiciaire simplifiée ne pouvait qu’être facultative. Or, l’arrêt sous commentaire a été rendu sous l’empire de la loi PACTE du 22 mai 2019 ayant rendu la liquidation judiciaire simplifiée obligatoire lorsque le débiteur en remplit les critères. À cet égard, selon certains auteurs, ladite procédure ne serait plus une simple déclinaison de la liquidation judiciaire de droit commun, mais aurait gagné une certaine autonomie (C. Saint-Alary-Houin, M.-H. Monsériè-Bon et C. Houin-Bressand, Droit des entreprises en difficulté, 12e éd., Domat, 2020, n° 1394, spéc. note n° 885).

En outre, l’émancipation de la liquidation judiciaire simplifiée par rapport à la liquidation de droit commun s’est encore renforcée par les dispositions de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 adaptant les règles du droit des entreprises en difficulté aux conséquences de l’épidémie de covid-19 (B. Ferrari, Liquidation judiciaire simplifiée et rétablissement professionnel après l’ordonnance 2020-596 du 20 mai 2020, Gaz. Pal. 13 juill. 2020, n° 382u0, p. 84). L’article 6 de cette ordonnance rend la liquidation judiciaire simplifiée applicable à tout débiteur personne physique dont le patrimoine ne comprend pas de biens immobiliers en abandonnant la condition relative au chiffre d’affaires et cette disposition devrait prochainement être pérennisée par la transposition de la directive Insolvabilité prévue au 17 juillet 2021. Nous voyons par là que la décision d’ouvrir une liquidation judiciaire simplifiée ne correspond plus véritablement, ou en tous les cas, de moins en moins, à une mesure prise par les juges en vue d’assurer le bon fonctionnement du service de la justice. Il s’agit désormais d’un outil liquidatif spécialement conçu pour les débiteurs personnes physiques et dont le nombre d’ouvertures devrait dépasser celui des liquidations judiciaires de droit commun.

À tout le moins, et puisque le régime simplifié tend à se généraliser, la décision par laquelle elle est prononcée devrait pouvoir faire l’objet d’un recours.

Au demeurant, l’actualité jurisprudentielle y est favorable. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir sur une décision de radiation du rôle – pourtant qualifiée comme une mesure d’administration judiciaire – sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301, Bull. civ. II, à paraître ; D. 2020. 89 image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2020. 449, obs. P. Théry image ; JCP 2020. 302, note R. Laher ; Gaz. Pal. 28 avr. 2020, n° 377x5, p. 51, note J. Théron).

En l’occurrence, la reconnaissance d’une voie de recours-nullité lorsque le débiteur se voit soumis à la procédure simplifiée, alors qu’il figure, comme en l’espèce, un immeuble à son actif, serait un minimum et constituait une voie qu’aurait pu explorer en l’espèce la Haute juridiction.

D’une façon plus audacieuse encore, deux solutions alternatives pourraient être envisagées : soit, reconnaître aux parties les mêmes voies de recours que celles ouvertes à l’encontre du jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire de droit commun (C. com., art. L. 661-1-I, 2°) ; soit, d’une façon plus particulière, envisager d’amender l’article R. 644-1 pour y adjoindre un recours spécifique ouvert aux parties affectées par le régime simplifié.

Brefs retours sur la condition tenant à l’absence d’actif immobilier

En dernier lieu, relevons que les juges d’appel justifiaient l’ouverture du régime simplifié, malgré la présence d’un bien immobilier, au motif que cet actif – objet d’une hypothèque – ne faisait pas partie de « l’actif disponible ». Cette justification est critiquable, puisqu’elle confond les conditions de qualification de l’état de cessation des paiements et celles de la réalisation des actifs impliquant des actifs faciles à réaliser dans un bref laps de temps.

Cela étant, l’arrêt ici rapporté a ceci d’intéressant qu’il interroge la pertinence de la condition tenant à l’absence de bien immobilier pour bénéficier de la liquidation judiciaire simplifiée. S’il est indéniable que l’application du régime simplifié suppose l’absence d’actifs immobiliers, notamment en raison de la temporalité qu’implique la réalisation de tels biens, un argument contraire peut être soutenu.

En réalité, le caractère insaisissable de certains des immeubles de l’entrepreneur individuel, dont sa résidence principale, que ce dernier ait procédé par déclaration notariée ou qu’il en bénéficie de droit (C. com., art. L. 526-1) plaiderait en faveur de l’ouverture d’une liquidation judiciaire simplifiée. Dans certains cas, ces biens sont exclus du gage commun de la procédure et il serait donc peu cohérent de refuser l’emploi du régime simplifié à l’entrepreneur propriétaire de sa résidence principale, dès lors que ce bien ne peut, de toute façon, pas être appréhendé dans la procédure.

Reste que les biens insaisissables du débiteur n’échapperont pas systématiquement à l’effet réel de la procédure et là est toute la difficulté !

D’abord, l’insaisissabilité n’est que relative. Par exemple, l’article 206, IV, de la loi du 6 août 2015, dite « loi Macron », prévoit que l’insaisissabilité légale de la résidence principale n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur et après la publication de la loi. Or, tirant les conséquences de cette disposition, la Cour de cassation a jugé que lorsque l’ouverture d’une procédure collective est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi précitée, l’immeuble assurant la résidence principale du débiteur n’en demeure pas moins soumis à l’effet réel de la procédure collective. Ensuite, le liquidateur pourrait obtenir la renonciation du débiteur à l’insaisissabilité aux fins de réintégration du bien au sein du gage commun de la procédure. Enfin, l’insaisissabilité du bien sous déclaration notariée d’insaisissabilité pourrait également être contrariée par l’action du mandataire contestant sa régularité (Com. 15 nov. 2016, n° 14-26.287, Bull. civ. IV, n° 142 ; D. 2016. 2333, obs. A. Lienhard image ; Rev. sociétés 2017. 177, obs. P. Roussel Galle image ; RTD com. 2017. 186, obs. A. Martin-Serf image).

Ces quelques éléments permettent de comprendre que l’instauration d’une règle excluant de façon systématique la condition tenant à l’absence de biens immobiliers est un pas que le législateur ne pouvait franchir tant le traitement des biens insaisissables dans le contexte d’une procédure collective peut varier d’une situation à l’autre.

En l’espèce, nous ignorons la situation du bien immobilier en question. S’il constitue la résidence principale du débiteur – au regard de la date d’ouverture de la procédure –, il peut être supposé que ce dernier soit insaisissable de plein droit en application de la loi du 6 août 2015 instituant une insaisissabilité légale de la résidence principale.

Si tel est le cas, en l’espèce, les critiques portant sur la décision d’appliquer le régime simplifié doivent être relativisées, car la situation de l’immeuble n’aura aucune incidence sur le déroulement de la procédure. Cela étant, cette gymnastique intellectuelle, au demeurant très incertaine, pourrait être évitée par la simple reconnaissance d’une voie de recours sur la décision d’application du régime simplifié et spécialement lorsque celle-ci constitue, selon toute vraisemblance, un excès de pouvoir du juge.

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