Loi « climat et résilience » : aspect de droit des affaires
Bien que le droit des affaires ne soit pas au cœur de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience, dite loi « climat et résilience », cette importante loi comporte plusieurs dispositions qui s’y rattachent. Celles-ci – qui appartiennent majoritairement au droit des sociétés – sont présentées dans les lignes qui suivent, à l’exception de celles qui ont trait au droit bancaire et au droit financier, qui sont commentées par ailleurs.
Libéralisation du marché des pièces détachées des automobiles (art. 32). En l’état actuel de la législation française, les pièces détachées automobiles visibles (ailes, capots, pare-chocs, pare-brise, feux, rétroviseurs, etc.) sont protégées par la loi sur les dessins et modèles et par les dispositions relatives aux droits d’auteurs. Ce dont il ressort que seul le constructeur automobile est habilité à distribuer ces pièces aux différents réparateurs qu’il choisit. Par ailleurs, cette protection sur la pièce automobile visible couvre non seulement sa première incorporation dans le produit fini (dite « première monte », destinée à l’assemblage du véhicule neuf) mais aussi toute fabrication, commercialisation, incorporation à titre de pièce de rechange (« deuxième monte »). C’est là la différence entre la France et de nombreux autres États membres de l’Union européenne où la production et la commercialisation des pièces de rechange destinées à la réparation sont totalement libres et exemptes de droits de propriété intellectuelle. Dans un avis de 2012 (avis n° 12-A-21, 8 oct. 2012, D. 2012. 2815, chron. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2013. 732, obs. D. Ferrier ; ibid. 1924, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle ), l’Autorité de la concurrence avait déjà estimé souhaitable de conserver cette protection pour les pièces visibles de « première monte » mais avait proposé de lever, de manière progressive et maîtrisée, la restriction pour les pièces de rechange destinées à la réparation dites de « deuxième monte ». Cette mesure appelée « clause de réparation » a d’ailleurs déjà été adoptée en droit par onze pays européens et est en vigueur aux États-Unis et en Allemagne. Elle aurait pour conséquences de faire baisser les prix des pièces de rechange visibles, d’accroître le pouvoir d’achat du consommateur français, de permettre aux équipementiers français d’intégrer le marché européen de la fabrication et de la distribution des pièces visibles, de leur offrir de nouvelles opportunités de croissance, notamment à l’export et de créer de l’emploi. Lors de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités en 2019, l’Assemblée nationale avait déjà adopté un amendement du gouvernement visant à libéraliser le marché des pièces détachées visibles pour l’automobile, mais celui-ci avait été censuré par le Conseil constitutionnel pour cause de cavalier législatif (Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC, pt 62, RTD civ. 2020. 581, obs. P. Deumier ; ibid. 586, obs. P. Deumier ).
Ce dispositif a été repris à l’identique par la loi du 22 août 2021. Formellement, il procède à la modification de trois articles du code de la propriété intellectuelle. D’abord de l’article L. 513-6 afin que les droits conférés par l’enregistrement d’un dessin ou modèle ne s’exercent pas à l’égard d’actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque qui portent sur des pièces relatives au vitrage, à l’optique et aux rétroviseurs ou qui sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine. Ensuite de l’article L. 513-1 pour prévoir que la durée de protection maximale de vingt-cinq ans fixée par cet article soit ramenée à dix ans pour les pièces détachées visibles pour l’automobile. Cette mesure concerne les équipementiers autres que ceux de première monte, auxquels la protection au titre des dessins et modèles ne sera plus opposable que pendant une durée de dix ans. Enfin de l’article L. 122-5 concernant le droit d’auteur, pour prévoir une exception pour les pièces détachées qui font l’objet des mesures de libéralisation. Ce dispositif visait à éviter que les constructeurs automobiles ne s’appuient sur le droit d’auteur pour reconstituer un monopole dont le dispositif d’alors les privait déjà sur le terrain du régime de protection au titre du droit des dessins et modèles.
La libéralisation du marché des pièces de vitrage, d’optique et des rétroviseurs pour l’ensemble des équipementiers sera effective à compter du 1er janvier 2023. Celle des autres pièces (essentiellement les pièces de carrosserie) pour les équipementiers dits « de première monte », qui fabriquent les pièces d’origine, le sera à compter du 1er janvier 2023 (art. 32, III et IV).
L’Autorité de la concurrence s’est immédiatement réjouie, via un communiqué de presse du 25 août, de cette mesure qu’il qualifie d’« avancée en faveur des consommateurs et du dynamisme de la filière automobile ».
Encadrement des travaux miniers et de leur arrêt (art. 65). La loi du 22 août 2021 comporte un important dispositif de droit minier. Il s’agit d’une discipline ancienne, née à l’époque de la Révolution (Loi du 12 juill. 1791), qui n’a que très peu évolué, La loi nouvelle entend renforcer l’encadrement des travaux miniers et de leur arrêt, en rénovant les intérêts protégés par le code minier (en y ajoutant en particulier l’impératif de santé publique), en soumettant la déclaration d’arrêt de travaux à la participation du public par voie électronique, en étendant pour une durée de trente ans la police résiduelle des mines et en permettant la recherche en responsabilité des sociétés-mères. C’est cette dernière disposition qui intéresse le droit des affaires, et tout particulièrement le droit des groupes de sociétés : la loi nouvelle vise à permettre la recherche en responsabilité des sociétés-mères (mais aussi « grands-mères » et « arrière-grand-mères) en cas de défaillance éventuelle de la filiale exploitante d’une mine, causée par une faute caractérisée de la maison-mère ayant conduit à une insuffisance d’actifs de la filiale, pour les mesures d’arrêt de travaux ainsi que pour la réparation des dommages causés par son activité (C. min., art. L. 171-3 nouv.). Le dispositif qui vient d’être créé est calqué sur celui, introduit par la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 qui envisage la prise en charge par la société mère de la responsabilité de sa filiale – contre laquelle une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte – en cas de dommage environnemental causé par celle-ci (C. envir., art. L. 512-17).
Déclaration annuelle de performance extra-financière (art. 138). L’article L. 225-102-1 du code du commerce prévoit une obligation pour les entreprises dont le chiffre d’affaires et le nombre de salariés dépassent un certain seuil de joindre à leur rapport de gestion une déclaration de performance extra-financière (DPEF). Cette déclaration comprend notamment des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit, à ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire et de la lutte contre le gaspillage alimentaire. La loi climat et résilience étend cette obligation aux activités de transports, afin de responsabiliser les chargeurs, c’est-à-dire aux entreprises commanditaires de prestations de transport de marchandises. Elle précise ainsi que les informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de la société qui sont inscrites dans la DPEF « comprennent les postes d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre liées aux activités de transport amont et aval de l’activité et sont accompagnées d’un plan d’action visant à réduire ces émissions, notamment par le recours aux modes ferroviaire et fluvial ainsi qu’aux biocarburants dont le bilan énergétique et carbone est vertueux et à l’électromobilité » (C. com., art. L. 225-102-1, III, al. 2 compl.). L’obligation nouvelle s’applique aux DPEF afférentes aux exercices comptables ouverts à compter du 1er juillet 2022 (art. 138, III).
Urbanisme commercial. La loi du 22 août 2021 soumet à certains critères la délivrance de l’autorisation d’exploitation commerciale pour les projets d’implantation ou d’extension commerciale qui engendrent une artificialisation des sols et qui ont une surface de vente inférieure à 10 000 m2. À l’avenir, tout projet sera soumis à trois conditions obligatoires cumulatives : son insertion en proximité avec le tissu urbain existant, un type d’urbanisation adéquat à l’environnement bâti, et, comme dans l’article initial, la réponse aux besoins du territoire (besoins « économiques et démographiques du territoire » ont précisé les travaux préparatoires ; Doc. AN, n° 3995, 19 mars 2021, t. 2, p. 357). En plus de ces conditions, s’ajoute une quatrième condition obligatoire, à choisir entre quatre critères, alternatifs et non cumulatifs : l’insertion dans un secteur d’opération de revitalisation du territoire (ORT) ou de quartier prioritaire (QPV) ; la compensation de l’artificialisation par transformation du sol artificialisé en sol non artificialisé ; l’insertion dans un secteur d’implantation périphérique ou une centralité urbaine établis par le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou dans une zone d’activité commerciale établie par le plan local d’urbanisme avant l’entrée en vigueur de la présente loi ; l’insertion dans un projet d’aménagement qui se situe au sein d’un espace déjà urbanisé. En revanche, la loi nouvelle rend impossible la délivrance de cette autorisation pour tout projet d’une surface de vente supérieure à 10 000 mètres carrés. Comme l’ont précisé les travaux préparatoires (préc.), cette disposition signifie donc notamment la fin, pour l’avenir, des centres régionaux classés comme « régionaux » (surface de vente supérieure à 40 000 m²) et « super-régionaux » (surface de vente supérieure à 80 000 m² ; art. 215 ; C. com., art. L. 752-6 mod.).
Par ailleurs, la loi du 22 août 2021 fait évoluer le document d’aménagement artisanal et commercial du schéma de cohérence territoriale (DAAC), lequel définit les conditions d’implantation des équipements commerciaux et peut fixer des prescriptions différenciées par secteur géographique, pour y inclure des dispositions obligatoires sur la planification de l’implantation des constructions logistiques commerciales. Le texte vise à renforcer la capacité des collectivités territoriales à planifier le développement de l’implantation des entrepôts logistiques à vocation commerciale, de type entrepôt Amazon. À cette fin, il modifie le nom et le contenu de ce document, qui devient le document d’aménagement artisanal, commercial et logistique (DAACL). Sur le fond, ce document doit désormais obligatoirement comporter une analyse de l’implantation des constructions logistiques commerciales en fonction de leur surface, de leur impact sur les équilibres territoriaux en termes économiques et en termes d’aménagement. Ces équilibres doivent être compris au regard de l’impact sur le commerce de proximité. Le DAACL examine aussi les flux engendrés par la présence des entrepôts en matière de personnes et de marchandises (art. 219 ; C. urb., art. L. 141-6 mod.).
Contribution des grandes entreprises à la déforestation importée (art. 273 ; C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 4 et 5 nouv.). La loi climat et résilience prévoit, à partir de 2024, la mise en place, par les grandes entreprises (les seuils applicables seront précisés par voie d’arrêté), d’un plan d’actions comportant des mesures permettant d’identifier et de prévenir la déforestation associée à la production et au transport vers la France de biens et services dont la production contribue à la déforestation. Elle s’est appuyée sur le cadre fixé par la loi du 27 mars 2017 relatif au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre. La logique du « devoir de vigilance » est de rendre les grandes entreprises comptables des agissements de leurs filiales ou sous-traitants, dès lors qu’ils ne respectent pas les droits de l’homme au sens large, quelles que soient les lois du pays où ils ont eu lieu.
Sur la loi « Climat », Dalloz actualité a également publié :
• 305 articles pour le climat, par Pierre Januel le 5 septembre 2021
• Climat et résilience : s’adapter à la réalité des territoires, par Jean-Marc Pastor le 7 septembre 2021
• Loi « climat et résilience » : aspect de droit bancaire et financier, par Xavier Delpech le 8 septembre 2021