La directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité des entreprises constitue le premier pas vers une harmonisation et à terme une uniformisation du droit européen malgré des cultures très différentes et des comportements variant nécessairement selon les États. Dans notre système français qui fonctionne plutôt bien, même si la prévention est insuffisamment développée, le praticien pouvait redouter que cette transposition crée un bouleversement et une confusion dans l’application de nos dispositifs. Le projet d’ordonnance de transposition de cette directive en droit interne qui a été établi et soumis à consultation par les services de la Chancellerie montre que ce péril a été conjuré, pour l’essentiel. Bien entendu, quelques modifications pourront encore intervenir, et il faut donc demeurer prudent. Cependant, les principes essentiels ont été dégagés, et nous pouvons donc en informer les praticiens, sous les réserves d’usage. Le texte définitif devra être disponible en septembre, après l’annonce en conseil des ministres.
Les classes de créanciers
Ce système d’application particulièrement complexe est adapté à la française au point que les classes de créanciers sont amenées à remplacer tous les comités de créanciers existants. À cet égard, plusieurs procédés utiles ont été choisis.
1. La constitution des classes est laissée à la main de l’administrateur judiciaire, ce qui est une bonne chose, sous le contrôle du juge-commissaire. L’administrateur devra bien entendu respecter des critères objectifs qu’il indiquera mais il ne devrait pas y avoir de difficulté à ce titre en regard de la pratique que nous connaissons. Il faut bien entendu craindre qu’un contentieux se développe à propos des créanciers qui entendent faire partie de telle ou telle classe, mais ce risque apparaît très mesuré. Les associés et actionnaires devraient avoir, dans ce système, une position congrue avec des droits limités, ce qui n’est pas surprenant : il faut simplement signaler que les assemblées générales émettent un vote qui vaut vote en classe, ces détenteurs de capital, s’ils sont des parties affectées, étant soumis aux règles de l’application forcée interclasses, sans toutefois en bénéficier en principe.
2. Le large pouvoir d’appréciation du juge pour tenir compte du critère du meilleur intérêt des créanciers en regard de la valeur de l’entreprise et de la comparaison avec une situation liquidative apparaît raisonnable. Le critère du meilleur intérêt des créanciers apparaît logique et il est d’ailleurs déjà pratiqué même si concrètement, il faudra désormais sans doute prévoir de recourir suffisamment en amont à des expertises pour éviter des pertes de temps.
Dans ce système et contrairement au droit anglo-saxon, les pouvoirs du tribunal sont étendus, ce qui est une bonne chose. Certes, les critères sont particulièrement complexes mais cette complexité même donne davantage de pouvoirs au juge qui devra, en pratique, respecter des principes d’équité et de répression des abus. Ainsi, la transposition du droit européen est dédiée à une procédure spécifique, celle de la procédure de sauvegarde accélérée qui ne concernera sans doute que peu d’entreprises, au-delà de certains seuils qui seront sans doute ceux des tribunaux de commerce spécialisés.
C’est donc une satisfaction que peut exprimer le praticien qui est attaché à notre droit français où les droits des créanciers sont certes préservés mais n’ont pas vocation à être éminents si l’entreprise peut être redressée d’une manière crédible. Ainsi, la présence d’un juge fort, d’un administrateur judiciaire ayant des pouvoirs assez larges, de même que la volonté de préservation des intérêts de l’entreprise pérenne sont ainsi consacrées.
Les autres outils
Le projet d’ordonnance règle au passage d’autres questions. Nous n’en résumerons que certaines :
1. En conciliation, la suspension des poursuites facilitée introduite par la réglementation covid est préservée. Cependant, désormais, cette demande de suspension ne pourra être faite que par assignation et non plus par voie de requête. C’est sans doute dommage car cette requête permettait de provoquer un dialogue souvent fécond et facilitait la conclusion d’un accord en rééquilibrant les forces en présence. Cependant, il est positif que cette suspension des poursuites soit ainsi maintenue.
2. L’amélioration de la situation de la caution personne physique en redressement judiciaire est aussi une bonne chose car celle-ci pourra se prévaloir du plan, ce qui n’était valable jusqu’ici qu’en sauvegarde.
3. Au passage, le projet d’ordonnance modernise et complétera plusieurs dispositifs existants. Cela concerne notamment le régime des nullités de plein droit (ord., art. 36), la possibilité pour le juge-commissaire d’autoriser la constitution d’une sûreté réelle conventionnelle ou le paiement d’un transporteur en cas d’action directe (art. 10), la simplification de l’article sur la vente d’un bien grevé d’un privilège spécial, d’un gage, d’un nantissement ou d’une hypothèque pendant la période d’observation (art. 11), les conditions de déclaration des sûretés portant sur l’assiette et non plus sur leur nature (art. 15), la sanction de l’inopposabilité des sûretés en cas de défaut de déclaration au passif (art. 16), le nouveau privilège pour l’apport d’argent frais en procédure collective prévu par l’article 60 de la loi Pacte du 22 mai 2019 (art. 13, 21, 23, 25, 27 et 44), la synthèse du classement des créances en redressement judiciaire (art. 44), etc. Bien entendu, ces numéros d’articles sont en l’état provisoires.
L’impératif de célérité
Dans le prolongement de la directive (art. 6 et 25, B), l’impératif de célérité de la procédure est favorisé par le texte du projet d’ordonnance. Était-il cependant bien nécessaire de réduire la durée de la sauvegarde à douze mois sans possibilité de prolongation ? Il peut en effet exister des hypothèses où cette prolongation, au demeurant demandée par le procureur, ce qui est une garantie, peut être utile. Il est heureux que cette prolongation exceptionnelle reste possible en redressement judiciaire (art. 9). Il est vrai que l’impératif de célérité est une contrainte de la directive, mais une souplesse en sauvegarde aurait été bienvenue. Consolons-nous en constatant qu’il n’y a pas de sanction pour un dépassement de délai…
Un droit de communication accru
En conciliation, le président pourra obtenir plus rapidement des éléments sur l’entreprise convoquée dans le cadre de la détection/prévention (C. com., art. L. 611-2) et le principe de l’alerte précoce du commissaire aux comptes créée pendant la crise de la covid est maintenu (art. 3) : le rapport du président Richelme déposé en février 2021 avait fourni un travail éclairant qui inspire en partie les travaux de la Chancellerie (sur ce rapport, v. G. Teboul, La commission Richelme s’attaque aux signaux faibles des entreprises, Dalloz actualité, Le droit en débats, 17 mars 2021). Ce rapport qui avait réuni les professionnels concernés a créé une dynamique positive, au service de l’entreprise en difficulté.
Le droit au rebond
La directive souhaitait favoriser le rebond des entrepreneurs honnêtes en permettant au débiteur personne physique d’avoir accès à une procédure de remise de dette totale dans un délai de trois mois maximum. Il s’agit en France de la procédure de rétablissement professionnel d’une durée de quatre mois prorogeable un mois et de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée d’une durée de six à douze mois prorogeable trois mois. Dans le cadre de la crise de la covid, l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 avait permis à titre temporaire à toute personne physique d’avoir accès à cette procédure en l’absence d’un bien immobilier. Les conditions de seuils qui étaient prévues à l’article L. 641-2 du code de commerce étaient écartées : l’ordonnance confirmera cette mesure qui deviendra donc « définitive ». En outre, les biens déclarés insaisissables de droit ne sont pas pris en compte pour déterminer la valeur de l’actif de référence (art. 46).
L’entrée en vigueur
À la suite des contacts pris à la Chancellerie et en l’état des consultations en cours, l’ordonnance devrait entrer en vigueur en octobre 2021 mais elle ne sera pas applicable aux procédures en cours à cette date. Le conseil des ministres devrait valider le projet au mois de septembre. L’article 20 devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2022 pour prendre en compte la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance réformant le droit des sûretés.
Pour conclure, nous saluerons donc le travail de la Chancellerie qui a effectué ce travail délicat de transposition de la directive « restructuration et insolvabilité » en respectant pour l’essentiel nos principes et nos pratiques du droit français, ce qui n’était certes pas une chose aisée.