Cet arrêt a beau se rattacher à un cas de figure auquel les tribunaux sont fréquemment confrontés – à savoir l’indemnisation d’un passager aérien pour annulation ou retard important de vol –, les circonstances de fait à l’origine du litige paraissent inédites. Celles-ci méritent d’être brièvement relatées. Un passager a acheté un billet d’avion de la compagnie Vueling pour un vol Milan-Paris, aéroport d’Orly, prévu le 11 juin 2018, devant décoller à 21 h et atterrir à 22 h 30. L’avion a décollé avec plus de deux heures de retard – précisément à 23 h 04 – mais a atterri à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle à 00 h 18, en raison de la fermeture de l’aéroport d’Orly après 23 h 30. Le passager a alors attrait le transporteur aérien en indemnisation sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens. Sa demande est rejetée par le tribunal d’instance d’Ivry-sur-Seine, qui statuait en premier et en dernier ressort. Il est vrai que l’indemnisation n’est due, en application des articles 5 et 7 de ce règlement et de la jurisprudence Sturgeon de la Cour de justice de l’Union européenne, qu’en cas de retard de plus de trois heures (CJCE 19 nov. 2009, aff. C-402/07 et C-432/07, D. 2010. 1461
Une fois encore, la Cour de cassation se montre donc impitoyable avec la compagnie aérienne, même si elle sait parfois se départir de son approche consumériste (pour une illustration récente, v. Civ. 1re, 6 janv. 2021, n° 19-19.940, Dalloz actualité, 28 janv. 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 77
Certes, mais si l’avion a atterri à Roissy au lieu d’Orly, ce n’est pas un hasard. Cela tient à ce qu’Orly est situé dans une zone fortement urbanisée et que, pour préserver les riverains des nuisances aéroportuaires, il est interdit d’atterrir sur cet aéroport (ou de décoller de celui-ci) à une heure trop tardive. Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, qu’il existe une autorité administrative indépendante qui veille au grain, l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) : celle-ci, créée par la loi n° 99-588 du 12 juillet 1999, peut prononcer des amendes administratives à l’encontre des acteurs – et en particulier les compagnies aériennes – qui ne respectent pas les règles du trafic aérien (C. transp, art. L. 6361-12 s.). Le montant maximal est de 40 000 € et l’ACNUSA n’hésite pas à frapper les compagnies aériennes au portefeuille (pour une illustration, v. CAA Paris, 31 déc. 2018, n° 18PA02308, l’ACNUSA avait prononcé une amende administrative d’un montant de 23 000 € à l’encontre d’une compagnie aérienne. Les faits concernaient l’atterrissage à 23 h 48 d’un aéronef certifié 3 – catégorie la plus bruyante d’aéronef – sur la plateforme de Nantes-Atlantique. Or un arrêté ministériel interdit aux avions de cette catégorie d’atterrir entre 23 h 30 et 6 h. Le tribunal administratif de Paris a réduit à 17 000 € le montant de l’amende, au motif qu’il s’agissait d’un premier manquement sur cette plateforme, mais la cour administrative d’appel de Paris a décidé de rétablir le montant initial de l’amende, estimant que l’ACNUSA n’a pas infligé de sanction disproportionnée eu égard à la gêne occasionnée aux riverains par l’atterrissage si tardif d’un avion bruyant et à la récurrence des manquements sur différentes plateformes françaises). Les compagnies font parfois leur calcul : plutôt que d’avoir à payer une amende administrative à l’ACNUSA, elles déroutent leurs aéronefs, quitte à devoir payer l’indemnisation prévue par le règlement 261/2004.
Or, ici, la compagnie aérienne a, en quelque sorte, voulu avoir le beurre et l’argent du beurre, à savoir échapper à la fois à l’amende – ce à quoi elle est probablement parvenue – mais également à l’indemnisation. Elle a, à cet effet, invoqué les « circonstances extraordinaires » prévues par l’article 5, § 3, du règlement, lesquelles, lorsqu’elles sont remplies, permettent au transporteur de ne pas verser l’indemnisation prévue en cas d’annulation – ou de retard important – de vol. Or, pour rejeter la demande d’indemnisation du passager, les premiers juges avaient retenu que le transporteur aérien a précisément dû faire face à des « circonstances extraordinaires » en dirigeant son aéronef vers l’aéroport Charles de Gaulle, celui d’Orly étant impraticable à l’heure prévue, cela en exécution de la décision ministérielle du 4 avril 1968 portant réglementation de l’utilisation de nuit de l’aéroport d’Orly qui exclut tout mouvement aérien entre 23 h 30 et 6 h 15. Cette conception des circonstances extraordinaires, très favorable aux intérêts du transporteur, ne convainc pas la Cour de cassation, qui, en termes très laconiques, casse le jugement : « une telle réglementation ne saurait constituer une circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, § 3.
La solution peut paraître sévère de prime abord mais, en réalité, elle ne saurait surprendre. Surtout si on se donne la peine de la confronter à la conception que se fait le juge européen de la notion de circonstances extraordinaires : ce sont les « événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective » (CJCE 22 déc. 2008, aff. C-549/07, RTD eur. 2010. 195, chron. L. Grard