Malgré sa portée, les débats sur le projet de loi adopté mercredi soir par l’Assemblée se sont déroulés assez paisiblement et rapidement. La partie renseignement a ainsi été expédiée en trois heures. De nombreux députés (Marine le Pen, Guillaume Peltier), virulents sur les plateaux télé, ont déserté l’hémicycle.
La société civile s’est peu mobilisée sur le texte, à l’exception de l’article 19 qui vise à ouvrir certaines archives secret défense. Si cette ouverture reste insuffisante pour les archivistes, c’est l’article du texte qui aura le plus évolué. Le texte reviendra dès le 16 juin au Sénat.
Une surveillance plus globale
L’un des fondements de la loi de renseignement de 2015 était l’individualisation : une cible est surveillée par un service pour une finalité. L’article 7 met fin à ce principe et permettra à un service d’enregistrer un renseignement pour une finalité différente : un renseignement d’intelligence économique pourra être retranscrit même si la surveillance était motivée pour terrorisme.
De plus, les services pourront obtenir plus simplement tout renseignement utile des autres administrations, même si l’information relève d’un secret protégé par la loi. Cela concerne aussi les vingt-sept services dits du second cercle, dont plusieurs ont aussi des attributions judiciaires. Le risque de détournement existe donc.
L’article 6 élargit les croisements entre le fichier des radicalisés (FSPRT) et Hopsyweb, qui enregistre les personnes soignées sans leur consentement pour des troubles psychiatriques.
Autre extension : la surveillance algorithmique. L’ensemble des données de connexion des Français peut actuellement être récupéré et analysé par le groupement interministériel de contrôle. Si un faisceau de comportements suspects (connexion à certains sites ou applis) est repéré, l’anonymat de la personne est levé (1 739 cas en 2020). La personne est repérée. Si d’autres éléments permettent de la suspecter, les services déclenchent une surveillance, ce qu’ils ont fait plusieurs dizaines de fois. Avec cette loi, la surveillance algorithmique, ainsi que la surveillance en temps réel des personnes, sera étendue aux adresses web (URL).
Un contrôle suffisant de la surveillance internationale ?
Depuis 2015, l’ensemble des surveillances fait l’objet d’un avis d’une autorité indépendante (la CNCTR). Même si cet avis n’est que consultatif, le gouvernement l’a toujours suivi. À la suite de l’arrêt FDN, le projet de loi prévoit qu’au cas où si le gouvernement ne suivrait pas l’avis de la CNCTR, elle pourrait saisir le Conseil d’État. Une procédure étendue par les députés à des autorisations de surveillance internationale, où les règles sont souvent plus laxistes que pour la surveillance nationale.
Toutefois, les échanges de renseignement de services étrangers vers la France resteront à l’écart de la CNCTR, malgré un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Dalloz actualité, 28 mai 2021, obs. M.-C. de Montecler). À noter, les députés ont renforcé les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, pour mieux contrôler l’action des services.
Une judiciarisation des mesures de contrôle
Le texte pérennise les mesures de la loi SILT de 2017, et notamment les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). Elles permettent à un préfet d’imposer à une personne un pointage quotidien au commissariat, d’interdire de quitter une commune ou de paraître dans certains lieux.
Parmi les 68 personnes actuellement sous MICAS, les trois quarts sont des sortants de prison, souvent condamnés pour terrorisme. Pour mieux les suivre, les députés avaient l’an dernier proposé une nouvelle mesure judiciaire de contrôle. Mais, le dispositif avait été censuré par le conseil constitutionnel. Le nouveau texte propose donc une nouvelle mesure de suivi, plus axée sur la réinsertion.
Après évaluation, le juge pourra condamner la personne ayant purgé sa peine, à exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement. Elle pourra être astreinte à résider dans un lieu déterminé, éventuellement dans un « établissement d’accueil adapté ». Elle devra répondre aux convocations de la justice et du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).
La partie « contrôle » des obligations (pointage, assignation dans une commune) restera aux mains de l’autorité administrative, via les MICAS. Pour ces sortants de prison, la MICAS pourra durer, non pas un an, mais deux ans. Pour le Conseil d’État, la constitutionnalité de cet allongement est douteuse. À noter, les obligations prononcées dans le cadre des MICAS, devront dorénavant tenir compte « des obligations déjà prescrites par l’autorité judiciaire ». Cette articulation a parfois fait défaut, des préfectures imposant des obligations contradictoires à celles imposées par un contrôle judiciaire.