Mme A., a saisi le juge des référés libertés après s’être vu refuser, en sa qualité d’avocate, l’accès aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles alors qu’elle était venue assister ses clients dans leurs démarches relatives au droit au séjour. Le préfet a justifié cette restriction par le contexte sanitaire et le caractère peu complexe des dossiers pour lesquels les usagers avaient été convoqués. Nous commenterons cette décision d’une part, en abordant le contrôle exercé sur la décision préfectorale et d’autre part, sur la liberté fondamentale particulière mise en exergue.
Le contrôle des mesures préfectorales en période d’état d’urgence sanitaire
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a créé un régime d’état d’urgence supplémentaire, lequel s’ajoute à l’état d’urgence sécuritaire créé par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée. Quand il est déclaré, l’état d’urgence sanitaire actionne trois autorités : le premier ministre qui peut prendre des mesures restrictives prévues par l’article L. 3131-15 du code de santé publique ; le ministre de la santé qui peut prescrire des mesures réglementaires ou individuelles ; les préfets de département qui sont habilités à prendre toutes mesures générales ou individuelles au niveau de leur circonscription. Si l’état d’urgence sanitaire a pris fin le 10 juillet 2020, face à la nouvelle progression de l’épidémie au cours des mois de septembre et d’octobre, il a été rétabli sur l’ensemble du territorial national à compter du 17 octobre par décret du 14 octobre 2020. Suite à la déclaration de cet état d’urgence sanitaire, un décret est intervenu pour prescrire les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19, son article 29 prévoyant que le préfet « est habilité à interdire, à restreindre ou à réglementer, par des mesures réglementaires ou individuelles », afin de réglementer l’accès aux établissements recevant du public lorsque les circonstances locales le justifient. C’est sur ce fondement que le préfet du Val-d’Oise a pris l’arrêté litigieux. L’état d’urgence pose toujours un débat cornélien entre sécurité et libertés. En effet, si les libertés se voient amoindries en période de crise profonde par nécessité, l’Etat de droit doit continuer à exister dans l’état urgence sanitaire. En cas d’excès de l’autorité administrative, il appartient au juge administratif de sanctionner les actes pris par celle-ci.
À cet effet, le Conseil d’État a élaboré une grille de contrôle posée dans son célèbre arrêt Benjamin rendu par le Conseil d’État le 19 mai 1933, requête n° 17413 et 17520, avec la célèbre formule donnée par Monsieur le commissaire du gouvernement Michel : « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Cette grille s’est particulièrement étayée par la suite, le juge du Palais-Royal soumettant toute mesure de police à un contrôle de proportionnalité sur trois critères : la mesure doit être adaptée à la situation donnée, nécessaire au règlement de cette situation et enfin proportionnée à l’ordre public qu’elle a vocation à assurer (CE, ass., 26 oct. 2011, n° 317827, Association pour la promotion de l’image, Lebon avec les concl.
La mission d’intervention de l’avocat : une liberté fondamentale à saluer
Le juge des référés de Cergy-Pontoise a été saisi sur le fondement du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui impose au juge de se prononcer dans un délai de 48 heures. Ce référé suppose pour l’essentiel deux conditions : d’une part, l’urgence et, d’autre part, une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à une liberté fondamentale. La condition d’urgence ne posant aucune difficulté en l’espèce, nous aborderons la question de la liberté fondamentale en cause. En l’espèce, le cas qu’avait à trancher le juge des référés de Cergy-Pontoise est fort intéressant car il aborde une liberté fondamentale attachée à une profession réglementée spécifique. Le juge administratif a eu à se prononcer sur plusieurs atteintes portées à des libertés fondamentales : notamment économique (CE, ord., 11 déc. 2020, Domaines skiables de France et autres, n° 44720 à propos de la fermeture des remontées mécaniques des sports d’hiver), culte (CE, ord., 29 nov. 2020, n° 446930, Association Civitas, AJDA 2020. 2343
L’avocat est un marqueur de l’effectivité de l’État de droit dans une société démocratique : le niveau de la liberté d’action et de parole qui lui est reconnue et la protection dont il bénéficie pour exercer sa mission sont des garanties pour les libertés publiques et individuelles. En l’espèce, l’arrêté d’interdiction pris par le préfet du Val-d’Oise aboutissait à interdire à la requérante à ne pas pouvoir assurer la mission essentielle pourtant reconnue légalement et conventionnellement à un avocat, celle d’assister ses clients dans leurs démarches face à une autorité publique. À juste titre, le juge des référés a considéré en l’espèce que le libre exercice de la profession d’avocat, qui implique nécessairement une mission d’assistance et de conseil, et le droit pour un administré d’être accompagné par un avocat dans ses démarches, constituent des libertés fondamentales. En effet, le préfet ne pouvait, sans entraver gravement l’exercice de la profession d’avocat, décider de manière discrétionnaire de l’utilité de la présence d’un avocat en fonction de la complexité supposée du dossier. Si cela était possible, l’État de droit n’existerait plus puisqu’il se caractérise par la possibilité de permettre à toute personne de faire valoir ses droits, peu importe les circonstances de crise, de temps et de lieu. La décision attaquée aboutissait à nier totalement les droits non seulement garantis à tout avocat mais également ceux que possèdent toute personne désirant bénéficier de l’assistance d’un conseil formé. L’interdiction faite à Mme A. d’accéder aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles a porté une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice de la profession d’avocat et au droit des administrés d’être accompagnés lors de leurs démarches et de pouvoir accéder aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles. À relever l’intervention volontaire pertinente de l’Ordre des avocats du Barreau du Val-d’Oise et du Syndicat des Avocats de France.