By Actus on Lundi 5 Juillet 2021
Category: Généralités juridiques

Le cumul des intérêts en matière de crédit à la consommation à la lumière du droit de l’UE

La déchéance du terme est l’occasion pour le prêteur de réclamer à l’emprunteur certaines sommes à titre de pénalité (v. à ce sujet D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 353 et 356). C’est la raison pour laquelle le législateur prend bien souvent la peine de poser des limites. Tel est notamment le cas en droit slovaque, comme en témoigne un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en date du 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-192/20, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin). En l’espèce, Le 17 juin 2016, une personne a conclu un contrat de prêt à la consommation auprès de Prima banka Slovensko pour un montant de 5 700 € à un taux d’intérêt de 7,90 %, ce prêt étant remboursable en 96 mensualités. L’emprunteur n’ayant plus procédé au versement des mensualités de remboursement partir du mois de septembre 2017, la banque slovaque a déclaré la déchéance anticipée du terme du prêt, le 28 décembre 2017, et exigé le remboursement immédiat de 5 083,79 € au titre du capital restant dû. En outre, elle a réclamé, sur le fondement des stipulations du contrat de prêt, notamment, le versement d’intérêts moratoires de 5 %, tant sur le principal du prêt que sur les intérêts dus, et ce pour la période allant de la déclaration de déchéance du terme du prêt jusqu’au remboursement effectif de la totalité du capital emprunté, ainsi que le versement des intérêts ordinaires de 7,90 % pour cette période.

Le tribunal de district de Kežmarok a, par jugement du 20 septembre 2019, accueilli le recours de la banque visant à la condamnation de l’emprunteur au versement des intérêts moratoires jusqu’au remboursement complet du capital emprunté. En revanche, il a rejeté ce recours en tant qu’il visait une condamnation au versement des intérêts ordinaires pour cette période, au motif que le droit slovaque ne permettait pas un tel cumul des intérêts. De plus, la juridiction a indiqué qu’une clause d’un contrat de prêt qui prévoit le cumul des intérêts moratoires et ordinaires a déjà été qualifiée d’« abusive » par les juridictions slovaques. La banque a interjeté appel de ce jugement, en faisant valoir qu’il résulte de la jurisprudence européenne que l’emprunteur qui n’a pas honoré ses obligations contractuelles est tenu, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt qu’il a contracté, non seulement au versement des intérêts moratoires, mais également à celui des intérêts ordinaires jusqu’au remboursement du capital emprunté (CJUE 7 août 2018, aff. C-96/16 et C-94/17, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud

). La cour régionale de Prešov, saisie de cet appel, considère qu’en vertu des dispositions du droit national, le retard de paiement d’une dette devenue exigible emporte un droit au profit du créancier au versement d’intérêts moratoires, à la réparation du préjudice réellement subi et à l’éventuel versement de pénalités contractuelles. Mais ce droit est toutefois limité dans les contrats conclus par un consommateur, l’article 54, paragraphe 1, l’article 517, paragraphe 2, et l’article 519 du code civil fixant à cet égard un plafond pour le montant de l’ensemble des sanctions applicables et faisant ainsi obstacle à ce que les stipulations du contrat mettent à la charge du consommateur des obligations allant au-delà de la réparation du préjudice réellement subi par le créancier. Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi constate que l’application cumulée des intérêts ordinaires et des intérêts moratoires pour la période allant de la déclaration de déchéance anticipée du terme du prêt jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté entraînerait un dépassement du plafond fixé par la loi et conduirait nécessairement à une aggravation de la situation du consommateur.

C’est dans ce contexte que fut saisie la Cour de Luxembourg, à laquelle il est demandé, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, tels qu’interprétés par la CJUE dans l’arrêt Banco Santander et Escobedo Cortés (préc.), doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat de prêt ne peut être tenu, sur le fondement des stipulations de ce contrat, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt, à verser au professionnel les intérêts ordinaires pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté, dès lors que le versement des intérêts moratoires et des autres pénalités contractuelles dues aux termes de ce contrat permet l’indemnisation du préjudice réel subi par le professionnel. Au terme de son raisonnement, la Cour de justice de l’Union européenne affirme qu’« à la différence de ce que semble suggérer Prima banka Slovensko, il ne résulte pas de l’arrêt Banco Santander et Escobedo Cortés que les dispositions de la directive 93/13 devraient être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une législation nationale ne permettant pas au professionnel ayant conclu un contrat de prêt avec un consommateur d’exiger, en cas de déchéance anticipée du terme de ce prêt et sur le fondement des stipulations de celui-ci, le paiement d’intérêts ordinaires, en sus des intérêts moratoires, pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement complet du capital emprunté » (pt 41). Cela lui permet de répondre ainsi à la question posée : « Sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’est pas applicable à des dispositions nationales en vertu desquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat de prêt ne peut être tenu, sur le fondement des stipulations de ce contrat, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt, à verser au professionnel les intérêts ordinaires pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté, dès lors que le versement des intérêts moratoires et des autres pénalités contractuelles dues en vertu dudit contrat permet l’indemnisation du préjudice réel subi par le professionnel ».

La solution peut sembler justifiée si l’on raisonne en termes de préjudice : dès lors que le préjudice réel subi par le professionnel est pleinement réparé par le paiement des intérêts moratoires et des autres pénalités prévues par le contrat, il paraît logique de ne pas mettre à la charge du consommateur les intérêts ordinaires. Toutefois, ainsi que l’avait jugé la Cour de justice dans l’arrêt sur lequel la banque s’est appuyée, « les intérêts moratoires visent à sanctionner l’inexécution par le débiteur de son obligation d’effectuer les remboursements du prêt aux échéances contractuellement convenues, à dissuader ce débiteur de prendre du retard dans l’exécution de ses obligations et, le cas échéant, à indemniser le prêteur du préjudice subi du fait d’un retard de paiement. En revanche, les intérêts ordinaires ont une fonction de rétribution de la mise à disposition d’une somme d’argent par le prêteur jusqu’au remboursement de celle-ci » (CJUE 7 août 2018, préc., pt 76). Les intérêts moratoires ont donc une fonction différente de celle des intérêts ordinaires. Dès lors, leur cumul ne semble pas rationnellement impossible. D’ailleurs, on peut considérer que le droit français permet d’aboutir, dans une certaine mesure, à un tel résultat, l’article L. 312-39 du code de la consommation prévoyant à cet égard qu’« en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application de l’article 1231-5 du code civil, est fixée suivant un barème déterminé par décret ». Il est vrai, cependant, que le montant de l’indemnité que le prêteur peut réclamer est plafonné à 8 % du capital restant dû à la date de la défaillance en vertu de l’article D. 312-16 du même code (v. à ce sujet G. Cattalano, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz action, 2020, nos 323.121 s. ; J. Lasserre Capdeville, Le droit du crédit à la consommation. 10 ans après la loi Lagarde, LGDJ, coll. « Les intégrales », 2021, nos 306 s. ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 1792 s.).