By Actus on Mardi 8 Juin 2021
Category: TRAVAIL & CONTRATS COMMERCIAUX

La contribution exceptionnelle sur la fortune confrontée à la Convention européenne

Une nouvelle fois, le droit fiscal se trouve confronté à la Convention européenne des droits de l’homme, dans le but, pour le contribuable, de tenter d’atténuer les effets produits par l’introduction d’une imposition nouvelle. Les faits de l’espèce méritent d’être connus. Un contribuable s’est acquitté, au titre de l’année 2012, de la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) instituée par l’article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012. Il s’agissait d’une imposition temporaire du patrimoine – applicable seulement en 2012 et qui concernait les seules personnes assujetties à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) (en d’autres termes, c’était une sorte de « complément d’ISF ») – dont la création a été décidée par le gouvernement Ayrault à la suite de l’élection de François Hollande. Pour mémoire, elle visait à appliquer les promesses de taxation des contribuables les plus aisés que le « candidat Hollande » avait annoncées lors de son fameux meeting du Bourget du 22 janvier 2012. Contestant la conformité de cette contribution avec les dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme – qui pose le principe de non-confiscation des biens, et appliqué à la matière fiscale, la prohibition du caractère confiscatoire de l’impôt – en raison de son caractère rétroactif et de l’absence de tout dispositif de plafonnement, il en a demandé le remboursement. Après rejet de sa réclamation, il a assigné l’administration fiscale pour demander l’annulation de cette décision et la restitution de l’impôt acquitté. On ignore ce que les premiers juges ont décidé. En revanche, l’on sait qu’au stade de l’appel, la cour d’appel de Versailles a rejeté sa demande. Ce rejet est lui-même (définitivement ?… sauf hypothèse d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme) confirmé par la Cour de cassation, qui éconduit le pourvoi du contribuable.

1. La haute juridiction se prononce tout d’abord sur le grief de rétroactivité de la CEF dans un sens qui, au-delà de cet impôt particulier, devrait ravir tant le législateur que l’administration fiscale. Le contribuable avait considéré, dans son pourvoi, que l’instauration en cours d’année de la contribution exceptionnelle sur la fortune avait porté atteinte, sans motif d’intérêt général suffisant, à l’espérance légitime des contribuables ayant acquitté l’ISF. L’argument avancé n’était pas sans pertinence, dès lors que la Cour de cassation a déjà jugé au visa de l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme que l’existence d’une espérance légitime peut conduire à écarter l’application rétroactive d’une loi (v. par ex. Soc. 24 nov. 2010, n° 08-44.181, Dalloz actualité, 8 déc. 2010, obs. L. Perrin ; D. 2010. 2914, obs. L. Perrin

; Dr. soc. 2011. 155, note Walter Jean-Baptiste

; RDT 2011. 257, obs. P. Flores

). La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est également en ce sens (CEDH 7 févr. 2013, n° 16574/08, Dalloz actualité, 15 févr. 2013, obs. I. Gallmeister ; AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen

; D. 2013. 434, obs. I. Gallmeister

; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts

; AJ fam. 2013. 189, obs. N. Levillain

; RTD civ. 2013. 333, obs. J.-P. Marguénaud

; ibid. 358, obs. J. Hauser

). Le Conseil constitutionnel, au nom du principe de sécurité juridique, le caractère rétroactif de la loi fiscale (Cons. const. 19 déc. 2013, n° 2013-682 DC, AJDA 2014. 649, tribune B. Delaunay

; D. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano

; Constitutions 2014. 87, chron. X. Bioy

). En l’occurrence, le contribuable ne parvient pas à convaincre la Cour de cassation. Cette dernière affirme à cet égard que « l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’interdit pas, en tant que telle, l’application rétroactive d’une loi fiscale. La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, qui instaure la CEF, est intervenue au cours de l’exercice au titre duquel cet impôt est dû. Si une telle mesure est, au sens de la Convention, rétroactive en ce que la CEF due au titre de l’année 2012 est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, ce qui s’analyse, en droit interne, comme une mesure rétrospective dès lors que le fait générateur de l’imposition est la situation du contribuable à la date de l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative, elle ne présente toutefois aucun caractère exceptionnel du point de vue du droit fiscal. En outre, l’acquittement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dû au titre de l’année 2012, par des contribuables auxquels l’allégement, issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de cet impôt, a été accordé sans contrepartie, n’a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu’aucun supplément d’imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année ». La solution n’est en réalité en rien surprenante, dès lors que la haute juridiction a déjà jugé, notamment précisément à propos de la CEF, que « l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’interdit pas, en tant que telle, l’application rétroactive d’une loi fiscale » (Com. 27 juin 2019, n° 18-13.370).

2. La haute juridiction prend également position sur le fond du droit, précisément sur le point de savoir si la CEF présente ou non un caractère confiscatoire. Là encore, l’argument avancé par le contribuable, dans son pourvoi, n’avait rien de fantaisiste, d’autant que le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de censurer une disposition fiscale de nature législative car elle présentait un caractère confiscatoire (Cons. const. 29 déc. 1998, n° 98-405 DC, spéc. consid. 28, AJDA 1999. 84

; ibid. 14, note J.-E. Schoettl

; D. 2000. 54

, obs. L. Philip

). Pour autant, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation se prononce une nouvelle fois dans un sens défavorable aux intérêts du contribuable dont elle rejette le pourvoi. Pour la haute juridiction, en premier lieu, « c’est à bon droit que l’arrêt [d’appel] que le seul fait que le montant de la CEF dépasse le montant des revenus du contribuable ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire de cet impôt, puisqu’à défaut, le niveau de taxation pourrait dépendre des choix de gestion des redevables, certains pouvant privilégier la détention de biens ne procurant pas de revenus imposables, et en déduit que doit également être pris en considération l’impact effectif de l’imposition sur la consistance même du patrimoine ». En d’autres termes, le principe de l’égalité devant l’impôt doit conduire le juge de l’impôt à faire abstraction, dans l’appréciation du caractère confiscatoire ou non de l’impôt, de l’origine et des composantes de la richesse du contribuable, laquelle peut résulter soit de son patrimoine, soit de ses revenus. Il importe simplement que l’imposition ne produise pas un « impact excessif » sur la consistance du patrimoine, élément qui doit s’apprécier in concreto – comme l’a déjà admis la Cour de cassation (Com. 7 juill. 2009, n° 08-16.762). C’est là la seconde étape du raisonnement.

En effet, en second lieu, la Cour de cassation énonce que « l’arrêt [d’appel] relève, par motifs propres et adoptés, que [le contribuable] indique s’être acquitté d’une CEF d’un montant de 5 854 531 €, après imputation de l’ISF d’un montant de 2 281 641€, qu’il a perçu au titre de l’année 2011 des revenus d’un montant de 11 735 739 € et que la valeur brute de son patrimoine s’élevait au 1er janvier 2012 à 630 487 023 €, de sorte que le montant de la contribution litigieuse payée représente environ 1,30 % de son patrimoine imposable. [Ce] dont il résulte que le paiement de la CEF n’avait pas constitué, pour [le contribuable], une charge excessive au regard de sa situation financière, [et que] la cour d’appel a pu écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

(Original publié par Delpech)