Encore une affaire de prescription en matière de transport routier de marchandises ! L’article L. 133-6 du code de commerce soumet à la prescription annale les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu (v., par ex., Com. 3 mai 2011, n° 10-11.983, Dalloz actualité, 13 mai 2011, obs. X. Delpech
Tout d’abord, elle avance l’argument suivant devant la Cour de cassation : les demandes de restitution – à la suite du paiement indu de factures fictives – et de compensation ne seraient pas soumises à la prescription annale de l’article L. 133-6 du code de commerce. Précisément, selon le commissionnaire de transport, l’action en répétition de l’indu, quelle que soit la source du paiement indu, se prescrit selon le délai de droit commun de l’article 2224 du code civil, soit au bout de cinq ans. Quant à la compensation, affirme-t-elle, c’est un mode d’extinction de deux dettes réciproques et ne consiste donc pas à demander l’exécution d’une obligation ; en l’espèce, la société Gefco ne demandait pas l’exécution d’une obligation mais demandait l’extinction d’une partie de sa dette envers la société Natixis factor par compensation avec la créance qu’elle détenait sur cette même société. Ces arguments n’emportent pas la conviction de la Cour de cassation, qui, faisant application de l’adage ubi lex non distinguit […], affirme dans un attendu de principe : « toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, en ce compris les demandes de répétition de l’indu et les demandes reconventionnelles de compensation, sont soumises à la prescription annale prévue à l’article L. 133-6 du code de commerce, sauf au cas de fraude ou d’infidélité ». La solution ne surprend pas, la jurisprudence ayant toujours privilégié une interprétation « impérialiste » de cet article L. 133-6 : elle a ainsi déjà appliqué ce texte à précisément à une action en restitution de surfacturations fondée sur la répétition de l’indu (Com. 3 mai 2011, n° 10-11.983, préc.) ou encore à l’action directe en paiement du transporteur sous-traitant contre l’expéditeur (Com. 1er avr. 2008, n° 07-11.093, Bull. civ. IV, n° 75 ; D. 2008. AJ 1140, obs. X. Delpech
Ensuite, pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de restitution et de compensation de la société Gefco, l’arrêt d’appel retient que celle-ci a été dans l’impossibilité de faire valoir ses droits jusqu’en février 2009 en raison de factures fictives établies grâce à une complicité entre le dirigeant de la société Cavelier et un de ses salariés mais que la tardiveté de la découverte de cette fraude est au moins partiellement due à l’absence ou l’inefficience de ses procédures de contrôles internes et que cette négligence a facilité la durée et l’ampleur de la fraude. Et l’arrêt d’appel d’en déduire que la preuve d’une fraude ayant placé la société Gefco dans l’ignorance légitime et raisonnable de son droit et dans l’impossibilité de le faire valoir en temps utile n’est pas rapportée et que la demande est donc prescrite. Sur ce point, l’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article L. 133-6 du code de commerce. Pour la Cour de cassation, en effet : « en statuant ainsi, alors que l’article L. 133-6 du code de commerce n’impose pas la preuve de l’impossibilité d’agir dans le délai d’un an suivant la découverte de la fraude, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé ce texte ». En réalité, en effet, en cas de fraude ou d’infidélité, c’est la prescription de droit commun, soit la prescription quinquennale, qui s’applique. Seule la preuve de la fraude ou de l’infidélité s’impose pour faire échec à la prescription annale. Pour rappel, et selon une jurisprudence jamais démentie, ces notions ne se confondent pas avec la faute inexcusable prévue par l’article L. 133-8 du code de commerce, en ce qu’ils supposent de la part du transporteur à l’égard de son cocontractant (Com. 2 janv. 1952, D. 1952. Somm. 45 ; 13 déc. 2016, n° 15-19.509, Dalloz actualité, 20 janv. 2017, obs. X. Delpech