Civ. 3e, 16 juin 2016, FS-P+B, n° 15-18.143
L'article L. 222-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (anc. art. L. 12-2) pose les conséquences de l'intervention de l'ordonnance d'expropriation sur les droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés. Son premier alinéa prévoit en effet que ces droits s'éteignent du fait de l'intervention de cette ordonnance. Toutefois, et comme le prévoit l'article L. 220-1 du même code, cette procédure n'intervient qu'à défaut de cession amiable. Ainsi, pour bénéficier, dans une telle hypothèse, des effets de l'ordonnance d'expropriation sur les droits réels et personnels existants sur les biens en cause, l'article L. 222-2 précité prévoit, à son deuxième alinéa, une extinction similaire en cas de cession amiable consentie après déclaration d'utilité publique (DUP).
Telle était l'hypothèse sur laquelle s'est penchée la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté : le transfert de propriété d'un bien appartenant à M. N., nécessaire à la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique, était intervenu par voie de cession amiable, au profit d'un aménageur. Or, le bien en question faisait l'objet d'une location à la SARL Amanda.
En application des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code de l'expropriation d'utilité publique (anc. art. L. 13-2), le propriétaire est tenu de dénoncer ses locataires dans les huit jours suivant la notification par l'expropriant soit de l'acte d'ouverture de l'enquête publique, soit de la DUP, de l'arrêté de cessibilité ou encore de l'ordonnance d'expropriation. Toutefois, le propriétaire se montre parfois négligent en ne dénonçant pas ses locataires, et ceux-ci ne disposent plus alors que d'une possibilité d'intenter une action en dommages et intérêts à l'encontre du propriétaire en question. En effet, l'absence de dénonciation du bail à l'expropriant par le bailleur privant les preneurs d'une protection légale, la dépossession entraîne un préjudice distinct ouvrant droit à réparation. De plus, si le bailleur ne dénonce pas le preneur, celui-ci pourra également démontrer que l'expropriant avait connaissance de la situation de location du bien.
Dans l'arrêt rapporté, le bien qui avait fait l'objet d'une cession amiable était loué à la société Amanda, laquelle l'avait sous-loué à la société Texel. Cette dernière, exclue de la procédure d'indemnisation, était intervenue volontairement à l'instance devant le juge de l'expropriation afin de solliciter une indemnité d'éviction.
En appel, la cour avait estimé que l'ancien article L. 13-2 (actuels art. L. 311-1 et L. 311-2) du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique n'était pas applicable en l'espèce : le propriétaire qui a consenti une cession amiable n'était pas tenu de dénoncer ses locataires et l'expropriant n'avait pas à leur notifier la cession. Dans la mesure où il n'était pas établi que la société d'aménagement avait connaissance, lors de la cession amiable, de l'existence d'un contrat de sous-location consenti par la société Amanda à la société Texel, et que la cession avait éteint tous les droits de cette dernière, celle-ci ne pouvait se prévaloir d'un droit à indemnité.
Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation, qui considère que le fait que le transfert de propriété intervienne par voie amiable est sans incidence sur l'applicabilité des dispositions des articles L. 311-1 et L. 311-2 : il appartenait bien au propriétaire de dénoncer ses locataires. C'est, précise la Cour, l'extinction des droits réels et personnels existant sur le bien cédé qui ouvre droit à indemnisation, que cette extinction intervienne à la suite d'une ordonnance d'expropriation ou à la suite d'une cession amiable.
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