By Actus on Vendredi 2 Juillet 2021
Category: Généralités juridiques

Application dans le temps de la loi Pinel (charges) et fixation judiciaire du loyer

Le statut des baux commerciaux issu du décret du 30 septembre 1953, aujourd’hui codifié aux articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, a pour finalité de protéger le locataire dans son activité. Afin de renforcer cette protection, les dispositions essentielles du statut sont d’ordre public. Ces dispositions impératives sont visées aux articles L. 145-15, L. 145-16 et L. 145-45 du code de commerce. Néanmoins, dans l’intérêt du locataire, la Cour de cassation a parfois étendu l’ordre public à certaines dispositions du statut non visées par les articles sus-évoqués (v. not. Cass., ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, D. 2003. 333

, note S. Becqué-Ickowicz

; ibid. 2002. 2053, obs. Y. Rouquet

; AJDI 2002. 525

, obs. J.-P. Blatter

; RTD civ. 2003. 85, obs. J. Mestre et B. Fages

). Toujours dans un souci d’accroître la protection du locataire, notamment au regard des évolutions du commerce, le statut des baux commerciaux a connu quelques modifications. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, aux commerces et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel », est venue le compléter, dans le dessein de mieux réguler les rapports locatifs entre bailleur et locataire, en y intégrant entre autres de nouvelles dispositions impératives.

À l’exception de ces dispositions impératives, la liberté contractuelle est très présente dans la conclusion d’un bail commercial, particulièrement dans la fixation du loyer. En effet, les baux commerciaux restent l’effet de la volonté des parties, qui fixent elles-mêmes et librement le contenu ainsi que les limites de leurs engagements, même si le statut reste, tout au moins en partie, régulateur de cette liberté contractuelle dont il jugule les excès ou contrarie l’expression (V. Delaporte, La liberté contractuelle et le statut des baux commerciaux, JCP N 1978. I. 169).

L’arrêt rapporté est l’occasion de revenir sur le contenu d’un bail commercial réunissant dispositions impératives et stipulations contractuelles.

Une société civile immobilière (SCI), propriétaire d’un local situé dans un centre commercial donné à bail, a signifié à son locataire un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.

Le locataire a accepté le principe du renouvellement du bail, mais a contesté le montant du loyer proposé.

La bailleresse a saisi le juge des loyers en fixation judiciaire du loyer minimum garanti.

La cour d’appel de Paris a retenu dans un arrêt du 27 novembre 2019 que la clause du bail commercial, selon laquelle « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut d’accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative », n’instaurait pas de procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge susceptible de faire l’objet d’une fin de non-recevoir. En effet, les juges du fond ont constaté que la clause se bornait à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties.

Les juges d’appel ont retenu également que « les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de l’article 6 du décret du 3 novembre 2014, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication dudit décret, soit le 5 novembre 2014 » et qu’en conséquence, les dispositions impératives issues de la loi Pinel relatives à la répartition des charges « ne s’appliquent pas à un bail renouvelé à compter du 1er avril 2014 ».

Le locataire s’est pourvu en cassation reprochant à la cour d’appel de Paris, dans le premier moyen, d’avoir rejeté la fin de non-recevoir qu’elle a soulevée tenant au non-respect de l’obligation faite par les dispositions de l’article 35 du bail relatif au renouvellement du contrat de bail de rechercher une solution amiable préalable. En effet, l’auteur du pourvoi soutenait que l’article 35 du bail stipulait expressément que les parties devaient rechercher un accord amiable avant la saisine du juge et que l’échange des mémoires intervenus avant la saisine du juge, lequel s’inscrit dans la procédure légale de fixation des loyers, ne constituait aucunement la phase de négociation amiable préalable visée par ladite clause.

La locataire reprochait également à la cour d’appel, dans un troisième moyen, d’avoir rejeté sa demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi du 18 juin 2014, dite « loi Pinel ». Le locataire soutenait que la loi Pinel « est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 » ; et que le bail ne pouvait être considéré comme renouvelé avant que le loyer ne fût définitivement fixé par les parties ou par le juge. En conséquence, selon l’auteur du pourvoi, les dispositions relatives à la répartition des charges et au coût des travaux issues de la loi Pinel étaient applicables, de sorte que les clauses du bail, contraires à ladite loi, devaient être réputées non écrites.

Pourtant, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans l’arrêt du 17 juin 2021, rejette le pourvoi du locataire.

Sur la fin de non-recevoir

La Cour de cassation constate que la cour d’appel a retenu, « sans dénaturation, que l’article 35 du bail commercial, selon lequel “les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles” et, “à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative”, se borne à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties, sans instaurer une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge ».

En matière de renouvellement de bail commercial, le principe du renouvellement et la fixation du loyer du bail renouvelé sont dissociés (Civ. 3e, 20 mai 1992, n° 90-20.291, Rev. loyers 1992. 325, note S. Duplan-Miellet ; 15 mai 1996, Loyers et copr. 1996, n° 96, obs. C. Denizot), de façon telle que l’acceptation peut ne porter que sur le principe du renouvellement (comme en témoigne l’arrêt rapporté), et non sur le montant du nouveau loyer qui pourra être fixé ultérieurement à l’amiable (v. not. C. com., art. L. 145-11) ou, à défaut d’accord, par la voie judiciaire (Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-24.231, Dalloz actualité, 7 mai 2021, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2021. 798

), ce que prescrivent en l’espèce les stipulations du bail commercial.

Par principe, l’action en fixation du loyer renouvelé ne peut être introduite qu’en l’absence d’accord des parties sur le montant du loyer renouvellement, comme le précisent les dispositions de l’article L. 145-33 du code de commerce. Néanmoins, il n’est pas interdit aux parties d’établir conventionnellement les modalités de fixation du loyer du bail renouvelé (l’article L. 145-33 n’étant pas d’ordre public), comme en l’espèce, voire d’insérer à cet égard une clause de conciliation préalable, par laquelle les parties ont une obligation de moyens de parvenir à résoudre à l’amiable leur différend, reconnue comme étant valide par la Cour de cassation (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423, D. 2003. 1386, et les obs.

, note P. Ancel et M. Cottin

; ibid. 2480, obs. T. Clay

; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller

; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages

; ibid. 349, obs. R. Perrot

). Dans l’arrêt rapporté, le loyer de renouvellement est binaire. La convention des parties énonce que le loyer de renouvellement se compose de deux composantes : un loyer de base égal à la valeur locative du local considéré à la date d’effet du renouvellement du bail et un loyer variable complémentaire fixé au taux convenu aux conditions particulières du bail.

S’agissant du loyer de base, la clause du bail stipule que « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative ». Il ressort explicitement des termes de la clause que les parties sont convenues que le montant du loyer de base du bail renouvelé devait, dans un premier temps, être fixé d’un commun accord entre les parties ; et que ce n’était qu’à défaut d’accord amiable que le montant du loyer de renouvellement serait fixé judiciairement.

La clause, parfaitement claire et précise, n’instaure aucune procédure de conciliation obligatoire préalable dont le non-respect caractériserait une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 122 ; Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, préc.). La haute juridiction a très justement constaté qu’il n’était pas permis de considérer que la référence dans le bail d’une fixation amiable du loyer de base du bail renouvelé à la valeur locative exigeait le recours à un mode alternatif de règlement des différends avant la saisine du juge. En effet, selon les termes du bail, les parties n’ont pas contractuellement décidé de faire appel à un tiers pour tenter de régler leur différend. Il est vrai qu’en ce sens la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait jugé qu’instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la violation constituait dès lors une fin de non-recevoir, la clause qui stipule que « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction » (Civ. 3e, 19 mai 2016, n° 15-14.464, Dalloz actualité, 3 juin 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 2377

, note V. Mazeaud

; ibid. 2589, obs. T. Clay

; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki

; ibid. 422, obs. N. Fricero

; RTD civ. 2016. 621, obs. H. Barbier

). La chambre commerciale, plus sévère, avait jugé, quant à elle, que la clause, selon laquelle, « en cas de litige, les parties s’engagent à trouver un accord amiable avec l’arbitrage de la FEDIMAG. À défaut d’accord amiable, compétence est attribuée au tribunal de commerce de Bobigny nonobstant pluralité de parties », instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable dont le défaut de mise en œuvre constituait une fin de non-recevoir (Com. 30 mai 2018, nos 16-26.403 et 16-27.691, Dalloz actualité, 20 juin 201, obs. M. Kebir ; D. 2018. 1212

; AJ contrat 2018. 338, obs. N. Dissaux

; RTD civ. 2018. 642, obs. H. Barbier

 ; Gaz. Pal. 31 juill. 2018, n° 319, p. 52, obs. S. Amrani-Mekki).

Il ressort donc de l’ensemble des décisions rendues en la matière que la qualification de la clause de conciliation obligatoire et préalable repose notamment sur la désignation d’un tiers habilité par les parties à rechercher une solution amiable au différend qui les oppose (V. Mazeaud, art. préc.) ou au moins, selon la chambre commerciale, sur des modalités de désignation prévues (Com. 30 mai 2018, préc. ; 19 juin 2019, n° 17-28.804, D. 2020. 576, obs. N. Fricero

; RTD civ. 2019. 578, obs. H. Barbier

). Néanmoins, la clause qui prévoit le recours préalable à un conciliateur ne doit pas être « rédigée de manière elliptique, en des termes très généraux au risque d’être qualifiée de “clause de style” n’instituant pas une procédure de conciliation préalable et obligatoire » (Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-13.460, D. 2020. 576, obs. N. Fricero

; AJDI 2019. 919

).

Dans l’arrêt sous étude, l’article 35 du bail ne peut recevoir la qualification de « clause de conciliation préalable et obligatoire ». En effet, les stipulations du bail ne prévoient pas d’obligation pour les parties de trouver une solution amiable, en se faisant aider par un tiers désigné, avant toute saisine du juge. La clause incitait seulement les parties à un arrangement amiable.

Cependant, il faut admettre que les évolutions en matière de règlement des conflits tendent à l’instauration d’un préalable avant toute saisine du juge. À cet égard, la loi exige de plus en plus des parties qu’elles aient recours à un mode alternatif de règlement des litiges avant de saisir le tribunal ou le juge pour régler leur différend (v. par ex. C. pr. civ., art. 750-1, qui impose une tentative obligatoire de règlement amiable pour les litiges inférieurs à 5 000 € à peine d’irrecevabilité).

Si le rejet de la fin de non-recevoir soulevée par le locataire doit être approuvé en l’espèce, il est cependant permis de penser que la solution aurait été différente si la cour régulatrice avait retenu que la clause du bail devait s’interpréter comme une obligation des parties de recourir à une procédure de conciliation obligatoire. Dans cette hypothèse, le non-respect d’un préalable avant la saisine du juge aurait caractérisé une fin de non-recevoir et la saisine du juge aurait été irrecevable. Les parties auraient alors été contraintes de recourir à une procédure de conciliation obligatoire préalable avant de saisir à nouveau le juge, sous réserve d’une éventuelle prescription.

Il faut donc se montrer particulièrement attentif à l’existence d’une clause relative aux modalités de fixation amiable du loyer du bail renouvelé.

Quoi qu’il en soit, afin de préserver les relations entre bailleur et locataire, il reste préférable pour les parties de tenter une négociation préalable avant toute saisine du juge, et ce même en l’absence de clause de conciliation obligatoire et préalable stipulée dans le bail.

Sur l’application des dispositions de la loi dite « Pinel » au bail renouvelé

Avant la loi Pinel du 18 juin 2014, la répartition des charges et travaux était librement déterminée par les parties dans le contrat de bail, en ce qu’aucun texte ne prévoyait la façon dont les charges, travaux, impôts, taxes et redevances devaient être répartis entre les parties à un bail commercial. Dans un souci de protection du locataire, la loi Pinel a réglementé le domaine des charges locatives et du coût des travaux. Pour ce faire, elle a inséré un nouvel article L. 145-40-2 dans le code de commerce, lequel est d’ordre public. Selon cet article, « tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôt, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire ». Le décret d’application du 3 novembre 2014 est venu compléter les dispositions de l’article L. 145-40-2 en créant les articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, lesquels précisent la liste des charges, travaux, impôts, taxes et redevances qui ne peuvent plus être imputés au locataire.

Mais l’application dans le temps de la loi Pinel a suscité de vives interrogations. En effet, certaines dispositions de cette loi étaient applicables immédiatement au 20 juin 2014, date de son entrée en vigueur (par ex. C. com., art. L. 145-40-1), d’autres sont applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 (par ex. C. com., art. L. 145-40-2), d’autres encore ne sont applicables qu’aux baux conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret du 3 novembre 2014 au journal officiel, soit le 5 novembre 2014. Les dispositions relatives aux charges, travaux, impôts, taxes et redevances font partie de ces dispositions applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014. Il en résulte dès lors que les baux conclus avant cette date et non encore renouvelés sont soumis à l’ancien régime selon lequel le bailleur est en droit de demander le règlement d’une charge imputable au locataire par une clause expresse du bail commercial.

Dans la mesure où les dispositions de la loi Pinel n’ont pas vocation à s’appliquer aux baux conclus ou renouvelés antérieurement à leur entrée en vigueur, il était important que la Cour de cassation identifie les règles issues du dispositif Pinel sur lesquelles portent le litige afin qu’elle puisse rappeler la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et statuer sur la demande du locataire tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi.

Après avoir identifié que les dispositions contestées étaient celles relatives à la répartition des charges et du coût des travaux, la Cour de cassation a très justement rappelé que les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, et non comme l’a soutenu le locataire aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre.

Dans un bail renouvelé, la date à prendre en compte est la date d’effet du bail renouvelé (C. com., art. L. 145-12) et non la date de signature du bail renouvelé (J.-P. Blatter, Persiste et signe, AJDI 2015. 477

), lequel souvent peut être signé plusieurs mois après la date de renouvellement mais prend effet rétroactivement, ou la date de fixation définitive du loyer comme semblait le soutenir le locataire, dans la mesure où le nouveau loyer fixé par le juge prendra effet, rétroactivement, à la date d’effet du renouvellement du bail (en ce sens, v. C. com., art. L. 145-57).

Dans l’arrêt du 17 juin 2021 rapporté, le bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2014, date qui n’a pas été contestée par les parties. La haute juridiction constate dès lors que la date d’effet du contrat renouvelé est antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce issues de loi du 18 juin 2014, de sorte que les dispositions créées par la loi Pinel et son décret d’application n’ont pas vocation à s’appliquer, et ce même si une procédure de fixation du montant du loyer renouvelé est en cours. La cour d’appel a donc exactement déduit que la demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses de transfert de charges et travaux contraires à l’article L. 145-40-2 du code de commerce doit être rejetée.