Avalisé par le législateur en 2004 (L. n° 2004-575, 21 juin 2004), le recours au vote électronique dans le cadre des élections professionnelles semble relever de l’évidence aujourd’hui. Le recours au vote électronique suppose qu’il ait été au préalable entériné par voie d’accord collectif ou, à défaut, qu’il ait été décidé unilatéralement par l’employeur (C. trav., art. L. 2314-26, al. 2). Au moment des élections, le protocole d’accord préélectoral permet alors de déterminer les modalités pratiques de mise en œuvre. Depuis 2016 (L. n° 2016-1088, 8 août 2016), l’employeur peut donc décider de recourir au vote électronique même en l’absence de consensus dans l’entreprise. De manière générale, l’employeur aura tendance à s’engager dans cette voie lorsqu’il n’existe pas (ou plus) dans l’entreprise de délégués syndicaux susceptibles de négocier un accord collectif dans les conditions classiques. On sait néanmoins que la conclusion d’un accord collectif est possible même en l’absence de délégués syndicaux, par l’intermédiaire notamment des élus ou salariés mandatés (C. trav., art. L. 2232-24 s.). Cette alternative légale laisse entrevoir un doute quant à la latitude dont dispose l’employeur en matière de vote électronique. En effet, la question s’est récemment posée de savoir quelle était la logique de la formule « à défaut » employée à l’article L. 2314-26 du code du travail. L’arrêt soumis à l’étude apporte en ce sens de précieuses réponses.
En l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, un employeur avait décidé, par décision unilatérale en date du 22 août 2018, de recourir au vote électronique pour les élections des membres du comité social et économique (CSE). Un syndicat avait alors saisi le tribunal d’instance en la forme des référés (aujourd’hui tribunal judiciaire) d’une demande d’annulation de la décision unilatérale. Pour le syndicat, l’employeur aurait dû, en l’absence de délégués syndicaux, privilégier la négociation d’un accord collectif suivant les modalités dérogatoires prévues aux articles L. 2232-23 et suivants du code du travail. Par ordonnance rendue en la forme des référés le 7 octobre 2019, le président du tribunal d’instance de Nice déboutait le syndicat de sa demande en annulation de la déclaration unilatérale sur le vote électronique. Ce dernier formait alors un pourvoi en cassation. Invoquant le principe de loyauté régissant la relation de travail, le syndicat faisait valoir qu’un accord d’entreprise aurait pu être négocié par d’autres interlocuteurs qu’une délégation d’une organisation syndicale dans l’entreprise incarnée par un délégué syndical. Par conséquent, l’employeur aurait dû tenter de mener à bien les négociations d’un accord collectif suivant les modalités dérogatoires avant d’opérer par décision unilatérale. Par un arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation rejette le pourvoi et valide la décision unilatérale prise par l’employeur quant au recours au vote électronique. L’arrêt mérite notre attention à plusieurs égards.
D’abord, la chambre sociale précise que « le recours au vote électronique, qu’il soit prévu par accord collectif ou par décision unilatérale de l’employeur, constitue une modalité d’organisation des élections, et relève en conséquence du contentieux de la régularité des opérations électorales ». Dès lors que la contestation de la décision de recours au vote électronique dépend du contentieux relatif au processus électoral, une telle action doit être portée devant le tribunal judiciaire statuant en dernier ressort. Si l’on admet que l’accord collectif permettant la mise en place du vote électronique est un accord de droit commun (Soc. 28 sept. 2011, n° 10-27.370, Dalloz actualité, 20 oct. 2011, obs. B. Ines ; D. 2011. 2406
Ensuite, la Cour de cassation nous offre une interprétation de la formule « à défaut d’accord » qui ouvre la possibilité à l’employeur de recourir unilatéralement au vote électronique. Au regard de la solution récemment dégagée s’agissant de la détermination du périmètre des établissements distincts (Soc. 17 avr. 2019, n° 18-22.948, Dalloz actualité, 15 mai 2019, obs. H. Ciray ; D. 2019. 894
Enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, la chambre sociale termine son raisonnement en apportant une réponse pragmatique à la question soulevée : « Dès lors que le législateur a expressément prévu qu’à défaut d’accord collectif, le recours au vote électronique pouvait résulter d’une décision unilatérale de l’employeur, cette décision unilatérale peut, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou dans le groupe, être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires prévues aux articles L. 2232-23 à L. 2232-26 du code du travail. » Finalement, la prévalence accordée par le législateur à la négociation collective pour le cadrage du processus électoral ne joue pas en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise. Comme le souligne la note explicative, les dispositions des articles L. 2232-24 et suivants du code du travail sont empreintes de subsidiarité en cela que le dispositif dérogatoire trouve normalement à s’appliquer lorsqu’il permet de combler une lacune. Tel est par exemple le cas lorsqu’il est impossible pour un employeur de négocier un accord collectif dans les conditions habituelles. Toutefois, s’agissant du recours au vote électronique, le législateur a expressément prévu une alternative à l’accord collectif de droit commun, à savoir la décision unilatérale de l’employeur. Dès lors, le dispositif dérogatoire ne saurait être déployé alors même que le législateur autorise formellement la décision unilatérale pour la mise en place du vote électronique. La négociation dérogatoire ne constitue donc pas une démarche préalable indispensable. Pour la Cour de cassation, la position inverse aurait été contraire à la tendance législative qui vise, à l’ère du numérique, à « favoriser la possibilité du recours au vote électronique ». En effet, « cet objectif ne serait pas rempli si, pour mettre en place un tel vote, l’employeur devait, dans le temps contraint de la préparation des élections professionnelles, franchir toutes les étapes que suppose le recours à la négociation dérogatoire, notamment par des informations préalables nécessitant des délais particuliers et le recours à la consultation des salariés eux-mêmes ».