Le juge administratif, dont la compétence en matière de droit du travail est loin d’être nouvelle ou résiduelle1, a vu son office considérablement étendu dans ce domaine par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui, procédant à une refonte des procédures de licenciement collectif, a confié à l’administration le soin de valider ou d’homologuer les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), tout en maintenant la compétence du juge judiciaire pour les contentieux individuels. L’intervention de l’administration du travail et, partant, du juge administratif en matière de licenciement pour motif économique a ainsi été rétablie en ce qui concerne les « grands » licenciements pour motif économique, alors qu’après avoir relevé de l’ordre administratif à la suite de l’instauration, en 1975, de l’autorisation administrative de licenciement, le contentieux des licenciements économiques avait intégralement été confié, après la suppression, en 1986, de cette autorisation, au juge judiciaire. La réforme législative de 2013, qui modifie profondément la procédure de licenciement collectif applicable aux entreprises tenues d’établir un plan de sauvegarde d’emploi, c’est-à-dire aux entreprises d’au moins cinquante salariés projetant au moins dix licenciements sur une période de trente jours, a entendu retranscrire les lignes directrices de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et l’étude d’impact ayant précédé son adoption (M.-C. Sarrazin et A. Denis, Plan de sauvegarde de l’emploi : le droit public s’invite à la table des négociations, Dr. ouvrier 2014. 790).
Une compétence partagée
Depuis l’adoption de cette réforme, les hautes juridictions des ordres administratif et judiciaire ont rendu plusieurs décisions qui ont précisé les frontières de leurs compétences respectives en s’attachant à dégager des lignes directrices garantissant un contrôle juridictionnel cohérent et effectif (v. la très éclairante Lettre de la chambre sociale de la Cour de cassation, n° spéc., oct. 2020, « Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en cas de licenciement économique collectif », par L. Pécault-Rivolier [dir.] ; également les discours introductifs au colloque Vers un nouveau droit du travail ? Regards croisés du Conseil d’État et de la Cour de cassation, 19 avr. 2019, B. Lasserre et B. Louvel). Très récemment, le Tribunal des conflits est venu parfaire le bloc de compétence dévolu au juge administratif, en jugeant que le contrôle du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques en vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail relève en cette matière de l’administration (et, partant, du juge administratif, T. confl., 8 juin 2020, n° 4189, Syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne, Lebon
Le développement d’un droit administratif du plan de sauvegarde de l’emploi
Le contrôle du plan de sauvegarde de l’emploi par le juge administratif s’est ainsi considérablement développé et affiné2, à des degrés variables selon que le contentieux concerne l’homologation du document unilatéral ou la validation de l’accord collectif fixant le contenu du plan, sur laquelle le juge administratif exerce un contrôle réel mais moins approfondi3, conformément à la promotion législative d’une voie négociée entre partenaires sociaux pour traiter les PSE (v. J. Daniel, Les périmètres du PSE en pratique, JCP S 2013, n° 19-20) et à la primauté de cette négociation.
Les contours et les modalités de l’obligation d’information-consultations du CSE
En ce qui concerne le contrôle de la régularité de la procédure d’information-consultation des instances représentatives, l’article L. 1233-30 du code du travail prévoit, dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, la réunion et la double consultation du comité social et économique (CSE, qui s’est vu attribuer par les ordonnances de 2017 les prérogatives de l’ancien comité d’entreprise et du CHSCT), d’une part, sur l’opération projetée et ses modalités d’application et, d’autre part, sur le projet de licenciement collectif (nombre de suppressions d’emploi, catégories professionnelles concernées, critères d’ordre et calendrier prévisionnel des licenciements, mesures sociales d’accompagnement et prévention des risques sociaux), en excluant toutefois de cette consultation le projet de licenciement ayant fait l’objet d’un accord collectif. Il précise que le comité, qui doit tenir au moins deux réunions espacées d’au moins quinze jours, rend ses deux avis dans un délai qui ne peut être supérieur à une période allant de deux à quatre mois (selon le nombre de licenciements envisagés) et qu’en l’absence d’avis de cette instance dans ces délais, celle-ci est réputée avoir été consultée.
Le contrôle de la régularité de cette procédure d’information et de consultation entre, fort logiquement – à peine de laisser lettre morte ces exigences légales pourtant essentielles –, dans le champ du contrôle devant être opéré par l’administration avant toute décision d’homologation du document élaboré par l’employeur (C. trav., art. L. 1233-57-3) ou de validation de l’accord collectif (art. L. 1233-57-2).
Le Conseil d’État a très tôt précisé, essentiellement dès l’arrêt Heinz (CE 22 juill. 2015, n° 385816, Ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, Dalloz actualité, 24 juill. 2015, obs. D. Poupeau ; Lebon
Une jurisprudence administrative pragmatique mais vigilante
La haute juridiction administrative fait, en la matière comme dans d’autres domaines, œuvre de pragmatisme. Ainsi, les éléments d’information devant être communiqués au CSE ne sont-ils pas étendus à la situation économique d’un autre secteur d’activité que celui retenu par l’employeur (arrêt Heinz préc.), dès lors que l’appréciation de la réalité du motif économique n’entre pas dans le champ du contrôle de l’administration. En outre, la circonstance que ce comité ait rendu ses avis au-delà des délais prévus par l’article L. 1233-30 du code du travail est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d’information et de consultation du comité (arrêt British Airways préc.). Quel que soit le formalisme imposé par le code du travail, l’obligation substantielle de l’employeur, ou, en cas de procédure collective, de l’administrateur ou du liquidateur, s’articule autour de cette exigence, dont le respect est soumis au contrôle de l’administration : mettre l’instance concernée – pour ce qui nous concerne, le CSE – en mesure de se prononcer, en toute connaissance de cause, sur l’opération projetée.
L’arrêt du 16 avril 2021 s’inscrit bel et bien dans ce souci de pragmatisme jurisprudentiel et d’effectivité de l’information-consultation du CSE, en permettant d’éclaircir l’articulation entre le droit du CSE de recourir à un expert et les spécificités procédurales propres à l’existence d’une procédure collective.
Le droit de recourir à l’assistance d’un expert-comptable
Le législateur a prévu, à l’article L. 1233-34 du code du travail, la faculté du CSE consulté dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi de recourir à l’assistance d’un expert-comptable, décision devant, en principe (v. CE 23 nov. 2016, n° 388855, Saglietto, Lebon
Les spécificités procédurales relatives à l’existence d’une procédure collective
Ce droit de recourir à l’assistance d’un expert-comptable doit toutefois être concilié, en cas d’ouverture d’une procédure collective, avec les règles propres à ces procédures, tenant à une exigence de célérité. Afin de tenir compte de l’urgence résultant de la situation de l’entreprise, la procédure de consultation se trouve, en effet, allégée. À la différence de la procédure applicable aux sociétés in bonis, l’obligation de réunir au moins deux fois le CSE est écartée lorsque l’entreprise est soumise à une procédure collective par l’article L. 1233-58 du code du travail. De même, la Direccte (DREETS depuis le 1er avr. 2021) dispose, pour instruire une demande de validation ou d’homologation, d’un délai réduit à compter de la date de la dernière réunion du comité (huit jours en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, quatre jours en cas de liquidation judiciaire (C. trav., art. L. 1233-58, II, al. 2). Enfin, le CSE doit rendre son avis au plus tard le jour ouvré avant l’audience du tribunal de commerce (C. com., art. L. 631-19, III).
L’absence d’obligation d’une double réunion du comité social et économique en cas de procédure collective fait-elle, pour autant, obstacle à la mise en œuvre effective du droit de cette entité de recourir à un expert ? Une réponse négative avait été apportée, sous l’empire des dispositions antérieures à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, par la jurisprudence judiciaire (Soc. 7 juill. 1998, n° 96-21.451 P, D. 1998. 212
Une telle solution permet d’articuler les exigences relatives à l’information du comité social et économique et celles relatives aux délais réduits applicables en cas de procédure collective, en ne privant pas de toute utilité le recours à l’assistance d’un expert. Elle apparaît, en outre, respectueuse de l’économie générale du rôle de ce comité et des prérogatives spécifiques qui lui sont accordées en cas de procédure collective, celui-ci devant être consulté à différentes étapes de la procédure (C. trav., art. L. 2312-53) et ses représentants être entendus par le tribunal de la procédure avant qu’il n’arrête certaines décisions (art. L. 2312-54). Enfin, et surtout, elle s’inscrit pleinement dans l’exigence de loyauté de la consultation du comité social et économique dégagée par la jurisprudence administrative comme judiciaire, exigence au sujet de laquelle Gaëlle Dumortier indiquait déjà, dans ses conclusions sur l’affaire Heinz, que « la loyauté de la consultation du comité d’entreprise, qu’on peut rattacher au principe constitutionnel de participation », implique que « l’employeur dialogue avec le comité d’entreprise, réponde à ses demandes légitimes d’information et soit ouvert à ses propositions ».
Notes
1. Outre la fonction consultative du Conseil d’État en matière de réglementation du travail (pour un exemple récent, v. l’éclairant avis rendu par le Conseil d’État le 4 février 2021 sur la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail), le juge administratif est appelé à contrôler les décisions prises par l’administration du travail qui régulent les relations sociales dans l’entreprise : autorisations relatives au licenciement des salariés protégés (CE, ass., 10 juin 1996, n° 66792, Ministre du travail c. Bisson, Lebon
2. Pour des illustrations topiques, voir, outre les arrêts fondateurs (CE, ass., 22 juill. 2015, n° 385816, Heinz, Dalloz actualité, 24 juill. 2015, obs. D. Poupeau ; Lebon
3. CE 7 déc. 2015, n° 383856, Syndicat CGT Darty France, Lebon