Par un arrêt du 17 avril 2019 destiné à être publié, la chambre sociale se prononce sur la nature de la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification du lieu d’exécution de son travail. L’affaire aurait peu suscité l’intérêt si cette modification ne faisait pas suite à un transfert partiel d’activité et si elle n’avait pas été proposée par le nouvel employeur, autrement dit l’entreprise cessionnaire. De plus, cette dernière avait jugé bon de licencier le salarié récalcitrant sur la base d’un motif personnel.
En l’espèce, une société implantée à Orléans avait repris une activité de vente et de commercialisation de fleurs par internet jusqu’alors exercée sur un lieu de production situé dans la région de Nantes. Cette reprise ayant entraîné une modification de la situation juridique de l’employeur, l’article L. 1224-1 entrait alors en jeu. Dans ce cadre, le cessionnaire était donc tenu de reprendre les contrats de travail des salariées affectées à l’entité transférée. Cependant, le repreneur voulait rapatrier à Orléans leur poste de travail, ce que les salariées ont toutefois refusé, comme cela leur est permis lorsque l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d’employeur. Dans ce cas, il appartient au cessionnaire, s’il n’est pas en mesure de maintenir les conditions antérieures, soit de formuler de nouvelles propositions, soit de tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement (Soc. 30 mars 2010, n° 08-44.227 P, D. 2010. 968
Toutefois, le licenciement aurait dû être prononcé selon les modalités d’un licenciement économique dès lors qu’il est lié à une modification et à un transfert auxquels la personne du salarié est étrangère. En effet, la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, imposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement économique (Soc. 14 mai 1997, n° 94-43.712 P, Dr. soc. 1997. 740, obs. F. Favennec et G. Couturier
De bon sens, cette solution semble prendre le contrepied d’un arrêt antérieur rendu le 1er juin 2016 (Soc. 1er juin 2016, n° 14-21.143 P, Dalloz actualité, 17 juin 2016, obs. M. Roussel
Compte tenu de la similarité des deux affaires, il n’est guère étonnant que le cessionnaire ait repris dans son argumentation la solution de l’arrêt du 1er juin 2016. En effet, celui-ci soutenait entre autres, à l’appui de son pourvoi, que « le transfert à la société Bloom Trade, située à Orléans, de l’activité de vente et de commercialisation de fleurs exploitée jusque-là par la société Le Bouquet nantais, avait par lui-même entraîné une modification des contrats de travail des salariés transférés à la société Bloom Trade, cette société ne pouvant maintenir les conditions antérieures de travail de ces salariés […], si bien que les refus de ces salariés de poursuivre l’exécution de leur contrat de travail à Orléans constituaient, pour la société Bloom Trade, une cause réelle et sérieuse de licenciement ne relevant pas des dispositions relatives au licenciement économique ». Pourtant, dans l’arrêt rendu le 1er juin 2016, la haute juridiction ne se prononçait pas sur la nature juridique du licenciement consécutif au refus de la modification du contrat de travail du fait du transfert. L’argumentation du repreneur en l’espèce ne pouvait donc pas s’appuyer complètement sur l’arrêt du 1er juin 2016 qui laissait en suspens la question de la qualification du licenciement. L’arrêt du 17 avril 2019 constitue ainsi un début de réponse de la Cour de cassation à cette interrogation. Plus encore, le fait de confirmer, à la suite de la cour d’appel, que le licenciement avait une nature économique pourrait marquer la volonté de la chambre sociale de s’éloigner de l’arrêt du 1er juin 2016.
Malgré les éclaircissements sur la nature du licenciement consécutif au refus des salariés transférés d’accepter la modification de leur contrat de travail, il faudra sans doute attendre d’autres arrêts de la Cour de cassation pour confirmer la solution de l’arrêt du 17 avril 2019. Dans l’attente, le repreneur qui projette de licencier les salariés transférés ayant refusé la modification de leur contrat de travail est incité à notifier des licenciements économiques. Il s’ensuit que ces salariés-là doivent bénéficier du régime correspondant, l’employeur devant procéder alors à leur reclassement ou même établir le cas échéant, un plan de sauvegarde de l’emploi. À tout le moins, l’arrêt invite l’employeur à faire preuve de prudence dans la rédaction de la lettre de licenciement afin de ne pas créer de décalage entre son contenu et le motif invoqué.