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La coopération entre l’administration fiscale et le parquet s’est considérablement renforcée depuis la quasi-disparition du « Verrou de Bercy », mesure phare de la loi du 23 octobre 2018. Cette réforme a ainsi redéfini les modalités de saisine du parquet par l’administration fiscale prévues à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales :

­avant son entrée en vigueur, le déclenchement des poursuites pénales était laissé à la discrétion de l’administration fiscale, qui déposait une plainte après avis conforme de la Commission des infractions fiscales.­depuis la loi du 23 octobre 2018, l’administration fiscale a l’obligation de dénoncer au parquet les faits découverts à l’occasion de contrôles fiscaux ayant donné lieu à des rappels d’impôts supérieurs à 100 000 € (ou 50 000 € s’agissant de contribuables soumis à des obligations déclaratives spécifiques, tels les députés, sénateurs, membres du gouvernement et certains responsables publics), et assortis des majorations fiscales les plus importantes, allant de 40 % à 100 %. En dehors de ces cas de dénonciation obligatoire, l’administration fiscale a, comme auparavant, la possibilité de saisir le parquet d’une plainte soumise à l’avis préalable de la Commission des infractions fiscales. Néanmoins, cet avis n’est plus requis lorsqu’il existe une présomption caractérisée de fraude fiscale ainsi qu’un risque de dépérissement des preuves.

Depuis l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif, le nombre total de dossiers transmis par l’administration fiscale aux parquets a considérablement augmenté, passant de 823 dossiers en 2018, à 1 678 dossiers en 2019, puis à 1 272 dossiers en 2020.

L’accroissement de ce contentieux pénal a incité les rédacteurs de la circulaire du 4 octobre 2021 à faciliter davantage les échanges d’informations entre l’administration fiscale, le procureur de la République et les enquêteurs afin d’assurer un meilleur traitement de ces nouveaux dossiers dont les parquets sont saisis.

Une intensification des échanges entre le parquet et l’administration fiscale

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 octobre 2018 qui prévoyait la levée du secret fiscal à l’égard du procureur de la République (LPF, art. L. 142 A), la circulaire du 7 mars 2019 a envisagé la mise en place d’un « nouvel espace de dialogue » entre les agents de l’administration fiscale et les magistrats du parquet.

La circulaire du 4 octobre 2021 est venue préciser de façon concrète la mise en œuvre de cette mesure.

En premier lieu, la circulaire recommande la mise en place de « rencontres opérationnelles régulières » avec l’administration fiscale, qui constitueraient « une aide précieuse à la direction de l’enquête ». La circulaire présente ces rencontres comme l’occasion d’échanger sur l’avancement des procédures suivies par l’administration fiscale, sur la sensibilité particulière de certains dossiers ou encore sur l’intention de l’administration fiscale de se constituer, à terme, partie civile dans la procédure.

Si la volonté de dynamiser le traitement des dossiers est louable, le cadre juridique de ces rencontres opérationnelles reste indéfini. En effet, le « cadre juridique » de ces « discussions » entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale devrait être précisé dans une « fiche FOCUS » qui, selon la circulaire, doit être prochainement diffusée par la Chancellerie. En l’état, il est impossible de savoir quelles informations ont effectivement été échangées lors de ces réunions, ou qui y a participé. Le premier point pourrait poser, à terme, des difficultés s’agissant de la garantie des droits de la défense. Le second pourrait en soulever s’agissant du respect du secret fiscal. En effet, aux termes de l’article L. 142 A du livre des procédures fiscales celui-ci n’est levé qu’à l’égard du seul procureur de la République. À l’inverse, les officiers de police ne peuvent par exemple avoir accès aux informations couvertes par le secret fiscal que lorsque la loi le permet, et notamment lorsqu’ils agissent dans le cadre de réquisitions du procureur. En l’état, les dispositions de la circulaire ne précisant pas de façon explicite que seul le procureur de la République participera à ces réunions avec l’administration fiscale, il conviendra d’être attentif à ce que la « fiche FOCUS » à venir le confirme.

En second lieu, la circulaire prévoit la communication d’informations complémentaires par l’administration fiscale lors de la transmission des dossiers de dénonciation obligatoire au procureur de la République.

Jusqu’alors, les dossiers de dénonciation obligatoire contenaient (i) une lettre de dénonciation, (ii) la proposition de rectification adressée au contribuable, et (iii) la réponse de l’administration fiscale aux observations du contribuable. La circulaire prévoit désormais que ces observations seront également transmises au parquet. Ce dernier disposera ainsi d’une vision globale et contradictoire permettant une meilleure appréciation du dossier, qui prendra en compte les arguments opposés par la défense à l’administration fiscale.

Dans cette même optique, s’agissant des dossiers présentant une circonstance particulière ou révélant une fraude fiscale grave ou complexe, la circulaire recommande la communication par l’administration fiscale d’une « fiche d’accompagnement » synthétisant les éléments du dossier et apportant des compléments d’information, afin de permettre au parquet de mieux apprécier les éléments matériel et intentionnel des infractions commises. Sans faire de mauvais esprit, l’on peut légitimement s’interroger sur l’objectivité de l’administration fiscale au moment de la rédaction de cette fiche alors qu’elle aura enclenché des procédures de notification de redressement de plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros.

Une meilleure capacité de traitement de l’information par le parquet et les enquêteurs

La circulaire du 4 octobre 2021 a également pour objet d’apporter aux enquêteurs une méthodologie pour le traitement des informations transmises par l’administration fiscale et de renforcer leurs compétences techniques.

À cet égard, les annexes de la circulaire comprennent une série d’outils pédagogiques à destination des procureurs et enquêteurs afin qu’ils puissent exploiter au mieux le contenu des dossiers de dénonciation obligatoire.

L’annexe 1.1 de la circulaire est une « Fiche d’aide à la lecture de la lettre de dénonciation » qui cible 5 informations essentielles à extraire de la lettre de dénonciation afin de commencer un travail de qualification pénale des faits, à savoir (i) le type de contrôle effectué par l’administration fiscale, (ii) la nature des impôts ou taxes objets de la dénonciation, (iii) la période comptable durant laquelle les manquements fiscaux ont été constatés, (iv) le procédé de fraude employé (défaut ou minoration de déclaration) et (v) l’existence d’antécédents fiscaux défavorables.

L’annexe 1.2 de la circulaire est une « Trame commentée d’un exemple de proposition de rectification », conçue comme un guide pratique qui attire l’attention des procureurs et enquêteurs sur les informations utiles à la caractérisation de l’élément matériel de la fraude fiscale (notamment dans la section dédiée au calcul du montant de l’impôt éludé), ainsi que de son élément moral (en particulier dans la section relative à l’abus de droit ou aux manœuvres frauduleuses). L’identification de ces éléments permettra au procureur de définir les orientations de l’enquête en ciblant les actes d’investigation et les demandes d’informations complémentaires adressées à l’administration fiscale. Il faut espérer que ce guide pratique à disposition du parquet ne devienne pas, par facilité, une trame du réquisitoire définitif lorsque l’on connait la charge de travail des procureurs.
Par ailleurs, la circulaire rappelle l’importance du rôle joué, au sein de chaque parquet, par le magistrat désigné comme « référent fraude fiscale » (institué par la circ. du 7 mars 2019). La circulaire du 4 octobre 2021 ajoute que ce magistrat, qui bénéficie d’une formation spécifique à ce type de contentieux, doit se charger à son tour de former les officiers de police judiciaire et de les sensibiliser quant à « la nécessité d’un traitement réactif et efficace des procédures ».

Une réactivité accrue attendue de la part des parquets

Depuis la loi du 23 octobre 2018, le cadre de la saisine du parquet dans les dossiers de fraude fiscale a été profondément redéfini. Toutefois, que le parquet soit saisi dans le cadre de l’obligation de dénonciation qui pèse désormais sur l’administration fiscale, ou dans le cadre d’une plainte déposée par celle-ci, il demeure que ce dernier ne peut pas s’autosaisir en matière de fraude fiscale (ce qui n’est pas le cas en matière de blanchiment de fraude fiscale).

Néanmoins, une fois le parquet saisi, le principe d’appréciation de l’opportunité des poursuites trouve pleinement à s’appliquer de sorte qu’il appartient à ce dernier d’envisager la mise en mouvement de l’action publique au cas par cas.

Dans cette optique, la circulaire du 4 octobre 2021 prévoit des échanges avec le parquet sur les dossiers en amont de leur transmission par l’administration fiscale, puis au cours de l’enquête. La circulaire fournit en outre au parquet un certain nombre d’outils afin de permettre à ce dernier de mieux interpréter les dossiers qui lui sont transmis par l’administration fiscale et donc (i) d’y déceler plus facilement les premiers éléments utiles à la caractérisation de l’infraction et (ii) de mieux définir les actes d’enquête qu’il convient encore de réaliser avant d’envisager un renvoi devant une juridiction répressive ou la mise en œuvre d’un instrument de justice pénale négociée.

Il apparaît ainsi clairement que le but poursuivi par la circulaire est dans un premier temps de favoriser l’ouverture systématique d’enquêtes par le parquet puis, dans un second temps, de limiter au maximum le nombre de décisions de classement sans suite. Ce qui laisse augurer d’une augmentation croissante de ce contentieux pénal. Les contribuables, et en particulier les entreprises, auront donc intérêt à développer une maîtrise robuste de la « compliance fiscale » pour s’éviter à elles, leurs dirigeant.e.s, collaboratrices et collaborateurs les affres d’une procédure pénale et sa kyrielle de risques dont le risque d’image et réputationnel.

(Original publié par Thill)
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M. Mariani, un administrateur judiciaire défaillant, fait à nouveau couler beaucoup d’encre (par ex. multi, L. Leroux, Aix : sept ans de prison pour Guy Mariani. L’ex-administrateur judiciaire est reconnu coupable du détournement de sommes colossales, La Provence.com, 9 sept. 2011) depuis quelques mois, les suites de ses pratiques « professionnelles » et financières venant de faire l’objet d’une énième décision devant la Cour de cassation. Après l’arrêt de la deuxième chambre civile du 17 décembre 2020 qui portait déjà sur les conséquences de certains de ses détournements de fonds avec d’autres sociétés – pour des sommes importantes (20 215 996 francs ou 3 081 908,72 € dans cette affaire) –, et sur une question technique de l’assurance pour compte souscrite par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (R. Bigot, Assurance pour compte : application de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, sous Civ. 2e, 17 déc. 2020, n° 19-19.272 FS-P+I, Dalloz actualité, 12 janv. 2021 ; D. 2021. 7 ; ibid. 491, chron. G. Guého, O. Talabardon, S. Lemoine, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier ), est dernièrement tombé, pour des fonds « disparus » dans le cadre de mandats distincts, un autre arrêt le concernant, du 14 octobre 2021, et qui pose désormais la question du jeu de l’action directe dans cette assurance de non-représentation des fonds (n° 19-24.728).

En l’espèce, à l’origine de cette dernière affaire, l’administrateur judiciaire a été désigné par jugement du 4 octobre 1998 en qualité de commissaire à l’exécution d’une mesure de concordat concernant deux sociétés, placées en règlement judiciaire. L’administrateur judiciaire a été mis en examen par un juge d’instruction. L’administrateur provisoire (M. Gillibert) de l’étude Mariani a déclaré le 5 novembre 1998 à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (la Caisse de garantie) un sinistre résultant de la non-représentation de fonds pour un montant provisoire. La Caisse de garantie a ensuite régularisé une déclaration de sinistre globale auprès de la société Axa courtage, son assureur de première ligne, et de la société AGF, aux droits de laquelle se trouve la société Allianz, son assureur de seconde ligne.

Une expertise a été ordonnée en référé en vue de déterminer la nature et l’étendue des prélèvements effectués par l’administrateur judiciaire concernant notamment les sociétés placées en règlement judiciaire. Les 13 et 15 mai 2015, l’administrateur provisoire désigné en qualité de commissaire à l’exécution du concordat desdites sociétés, a assigné, ès qualités, la Caisse de garantie et la société Allianz en garantie de la non-représentation des fonds exigibles de M. Mariani. Le 11 mars 2016, la société Gillibert et associés, ès qualités, est intervenue à l’instance aux lieu et place de M. Gillibert (l’administrateur provisoire).

Les fondements légaux de la solution

Par un arrêt en date du 24 septembre 2019, la cour d’appel condamne la société d’assurance à verser à la société de l’administrateur provisoire ès qualités la somme de 1 089 174,75 €. La cour d’appel juge que la société d’assurance est tenue dans les termes et limites de la police d’assurance n° 65 062 682 au titre de la non-représentation de fonds imputable à l’administrateur judiciaire défaillant. L’arrêt rappelle les dispositions de l’article L. 814-4 du code de commerce instituant l’obligation pour chaque administrateur judiciaire ainsi que pour chaque mandataire judiciaire inscrit sur les listes de s’assurer contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, du fait de leurs négligences ou de leurs fautes ou de celles de leurs préposés, commises dans l’exercice de leurs mandats (Paris, 24 sept. 2019).

L’article L. 814-3 du code de commerce et l’objet de l’assurance

L’arrêt d’appel ajoute que le contrat d’assurance souscrit par la Caisse de garantie a vocation à couvrir les dommages causés par les agissements pénalement réprimés de M. Mariani dans l’exercice de ses fonctions et que bien que l’action dirigée contre elle soit soumise à un régime probatoire plus favorable puisque sa garantie joue sur la seule justification de la non-représentation des fonds en application du 6e alinéa de l’article L. 814-3 du code de commerce, il n’en demeure pas moins que l’action de la société Gillibert ès qualités s’analyse en une action directe de la victime contre l’assureur. L’arrêt en déduit que, compte tenu de l’objet de la police d’assurance en cause, l’irrecevabilité soulevée par la société d’assurance concernant l’action directe de la société Gillibert doit être écartée, cette faculté étant expressément prévue par l’article L. 124-3 du code des assurances (Paris, 24 sept. 2019).

La société d’assurance de seconde ligne réalise un pourvoi en cassation aux termes duquel elle soutient que « que l’action directe ne peut être exercée qu’à l’encontre de l’assureur de responsabilité de l’auteur du dommage ; que la non-représentation des fonds à un créancier, au sens de l’article L. 814-3 du code de commerce, doit être garantie par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, laquelle peut s’assurer jusqu’à hauteur de 80 % contre ce risque ; que cette assurance s’analyse en une assurance de dommages et non une assurance de responsabilité ; que seule la Caisse de garantie peut en bénéficier ; qu’en l’espèce, la société Allianz faisait valoir que la société Gillibert ès qualités ne disposait d’aucune action directe à son encontre au titre de la non-représentation de fonds imputable à M. Mariani, dès lors que l’assurance de non-représentation sur le fondement de laquelle la société demandait sa condamnation était une assurance de dommages souscrite par la Caisse de garantie, et non une assurance de responsabilité ; qu’en décidant que l’action de la société Gillibert s’analysait en une action directe de la victime contre l’assureur et que le contrat d’assurance souscrit par la Caisse de garantie avait vocation à couvrir les dommages causés par les agissements pénalement réprimés de M. Mariani dans l’exercice de ses fonctions, peu important le régime probatoire de cette action, ce dont elle a déduit que cette action était recevable, la cour d’appel a violé les articles L. 814-3 du code de commerce et L. 124-3 du code des assurances ».

Par un arrêt rendu le 14 octobre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation suit la demanderesse au pourvoi et censure la cour d’appel au visa de l’article L. 814-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, applicable à la cause, et de l’article L. 124-3 du code des assurances.

L’article L. 124-3 du code des assurances et l’action directe en assurance de responsabilité civile

La Cour de cassation rappelle qu’« aux termes du premier texte, une caisse dotée de la personnalité civile et gérée par les cotisants a pour objet de garantir le remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés par chaque administrateur judiciaire et par chaque mandataire judiciaire inscrits sur les listes, à l’occasion des opérations dont ils sont chargés à raison de leurs fonctions. La garantie de la caisse joue sans que puisse être opposé aux créanciers le bénéfice de discussion prévu à l’article 2298 du code civil et sur la seule justification de l’exigibilité de la créance et de la non-représentation des fonds par l’administrateur judiciaire ou le mandataire judiciaire inscrits sur les listes. La caisse est tenue de s’assurer contre les risques résultant pour elle de l’application du code de commerce » (Civ. 2e, 14 oct. 2020, n° 19-24.728 F-P, pt 7).

Il en résulte, selon la Haute juridiction, que l’assurance ainsi souscrite par la Caisse de garantie est une assurance de chose contre le risque de perte financière pouvant découler pour elle de la mobilisation de sa garantie au titre de la non-représentation de fonds par ses cotisants (pt 8). En effet, pour le parallélisme des formes, les agréments administratifs des entreprises d’assurance se font par branche. Selon l’article R. 321-1 du code des assurances, la branche 13 est celle de la responsabilité civile générale, la branche 15 porte sur la caution et la branche 16 est relative aux pertes pécuniaires diverses.

La Cour de cassation ajoute qu’aux termes du second texte, le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable (pt 9).

Les magistrats du Quai de l’horloge en concluent que la cour d’appel a violé les articles L. 814-3 du code de commerce et L. 124-3 du code des assurances en statuant comme elle l’avait fait, alors que « l’assurance souscrite pour elle-même par la Caisse de garantie au titre de sa garantie de non-représentation des fonds, contrairement à celle souscrite par son intermédiaire par ses cotisants en application de l’article L. 814-4 du code de commerce, n’est pas une assurance de responsabilité et n’ouvre pas, dès lors, aux créanciers auxquels des fonds n’ont pas été représentés une action directe contre l’assureur de la Caisse de garantie » (pt 12). Pour déterminer le jeu de l’action directe, la distinction des contrats à objet différent, et de l’assuré, est ainsi primordiale.

L’explication de la solution

La jurisprudence « a, depuis longtemps, reconnu une action directe au profit des victimes contre l’assureur du responsable (Civ. 14 juin 1926, S. 1927. I. 57, note L. Josserand), et ce en dépit de l’absence de tout fondement légal. Il s’agit du droit donné à la victime d’agir directement contre l’assureur du responsable de son préjudice (C. Jamin, La notion d’action directe, LGDJ, 1991, n° 843). L’action directe a été consacrée par la loi du 17 décembre 2007, venant compléter l’article L. 124-3 du code des assurances d’un nouvel alinéa : « Le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. Celui-ci donne aux victimes un droit propre doté de la force de l’ordre public » (Y. Avril et A. Cayol, Les aspects processuels en assurance de responsabilité, in R. Bigot et A. Cayol, Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 274).

L’action directe non étendue aux assurances de choses

Il est vrai que classiquement, l’unique terrain de jeu de l’action directe de la victime contre l’assureur est celui de l’assurance de responsabilité civile (pour une analyse approfondie, v. D. Noguéro, Aspects de l’action directe en droit français des assurances de responsabilité, in Dimensiones y desafíos del seguro de responsabilidad civil, éd. Thomson Reuters, Civitas, Espagne, Abel B. Veiga Copo [dir.], Miguel Martínez Muñoz [coord.], 2021, Capítulo 24, p. 703). Si l’action directe est réservée à la victime (ou à ses héritiers après son décès) et aux personnes subrogées dans ses droits, elle peut parfaitement être exercée, par exemple, par le liquidateur d’une société. La Cour de cassation a ainsi jugé, dernièrement, qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit au liquidateur de joindre, dans la même instance, à sa demande de condamnation du dirigeant, celle de l’assureur en exerçant contre ce dernier une action directe. En effet, « comme le souligne la chambre commerciale, le liquidateur avait, en l’espèce, « agi en qualité d’organe de chacune des procédures et en représentation de l’intérêt collectif des créanciers aux fins de réparation de leur préjudice et non en représentation des sociétés et pour leur compte » (R. Bigot et A. Cayol, Paiement de l’insuffisance d’actif : action directe du liquidateur contre l’assureur du dirigeant, sous Com. 10 mars 2021, nos 19-12.825 et 19-17.066 F-P, Dalloz actualité, 2 avr. 2021).

Au contraire, une telle action – dont les contours suscitent un contentieux important (v. la première partie relative à l’actualité de l’action directe, R. Bigot et A. Cayol [dir.], Chronique de droit des assurances, Lexbase, Hebdo édition privée n° 874 du 22 juill. 2021) – n’est pas ouverte aux autres assurances de dommages, celles dites de biens ou de choses. En d’autres termes, les assurances de choses ne permettent pas l’action directe du tiers lésé (Civ. 1re, 7 juill. 1993, RGAT 1994. 91, note A. Favre-Rochex). Ainsi, par exemple, l’assurance dommages ouvrage n’est pas éligible à un tel mécanisme (Civ. 3e, 8 juill. 2014, n° 13-18.763 ; comp. Civ. 3e, 10 févr. 2009, n° 07-21.170 ; Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-10.031, D. 1996. 265 ).

Dans l’affaire jugée le 14 octobre 2021, « l’action directe de l’administrateur judiciaire en tant que tiers lésé aurait sans doute eu plus de chance d’aboutir s’il avait revendiqué la mise en œuvre à son profit de l’assurance de responsabilité civile souscrite en application de l’article L. 814-4 du code de commerce » (J. Landel, L’action directe du tiers lésé n’est admise qu’en assurance de responsabilité civile, Éditions Législatives, 20 oct. 2021). La doctrine considère par ailleurs qu’« il n’est pas impossible qu’à l’occasion d’un sinistre, une personne puisse agir contre l’assureur en une double qualité : celle d’assuré pour compte (assurance de chose souscrite à son profit) et celle de tiers lésé (assurance de responsabilité souscrite par l’auteur du dommage) » (Le Lamy Assurances, 2021, n° 36).

À plus forte raison, la question demeurait ouverte pour la forme particulière d’assurances collectives de dommages auxquelles appartiennent les assurances de détournement de fonds dont bénéficient les justiciables et la clientèle des différentes grandes professions du droit (R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle. L’exemple des professions du droit et du chiffre, avant-propos H. Slim, préf. David Noguéro, Defrénois, coll. « Doctorat & Notariat », tome 53, 2014, nos 58 s.).

Le doute levé pour l’assurance de non-représentation des fonds souscrite par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires

La Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires a pour rôle de garantir la représentation des fonds gérés par chacun de ces professionnels du droit inscrits sur les listes nationales. À cet effet, elle est tenue de souscrire les assurances nécessaires (C. com., art. L. 814-3 ; mod. par ord. n° 2019-964 du 18 sept. 2019) – dites aussi de non-représentation des fonds (NRF) – prenant la forme d’assurances pour le compte de qui il appartiendra ou de procéder, aux termes d’un dispositif légal de solidarité interne, à des appels de fonds auprès de ces auxiliaires de justice qui abonderont pour régler la défaillance de leur confrère (H. Slim, Les garanties d’indemnisation, in La responsabilité liée aux activités juridiques, Bruylant, 2016, p. 191 s., spéc. n° 23). Articulé avec l’article L. 814-4 du code de commerce, il revient encore à la Caisse de garantie de souscrire un contrat d’assurance collective responsabilité civile – à adhésion obligatoire – pour couvrir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que tous ces professionnels qui y cotisent encourent dans l’exercice de leurs mandats (H. Slim, La responsabilité professionnelle des administrateurs et liquidateurs judiciaires, Litec, LexisNexis, 2002, p. 3 s.) avec, selon l’article R. 814-23 du même code, « une garantie minimale de 800 000 € par sinistre et par an pour chaque personne assurée » (R. Bigot, Assurance pour compte : application de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, sous Civ. 2e, 17 déc. 2020, n° 19-19.272 FS-P+I, Dalloz actualité, 12 janv. 2021 ; D. 2021. 7 ; ibid. 491, chron. G. Guého, O. Talabardon, S. Lemoine, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier ).

L’assurance de non-représentation des fonds correspond à une figure d’assurance spéciale, principalement assimilée à une assurance pour compte (S. Cabrillac, Les garanties financières professionnelles, préf. P. Pétel, th. Litec, 2000, nos 411 s. ; Contra pour un cautionnement, P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, préf. M. Grimaldi, th. Paris II, éd. Panthéon Assas, 2005, p. 190, n° 225 ; ou une garantie indemnitaire, I. Riassetto, Réflexions sur la nature juridique des garanties professionnelles, LPA 16 déc. 1996, p. 4 s.). Dans la pratique, l’assurance de non-représentation des fonds est parfois nommée « assurance insolvabilité » ou « assurance de responsabilité pécuniaire », cette dernière dénomination pouvant créer une certaine confusion pour le jeu de l’action directe.

Mais la Caisse de garantie, dotée de la personnalité civile et gérée par les cotisants (C. com., art. L. 814-3) est bien la souscriptrice de l’assurance collective pour le compte de qui il appartiendra. Ce mécanisme contractuel donnera la qualité d’assuré pour compte à toute victime potentielle d’un des membres de la profession défaillant ou son représentant (en l’espèce l’administrateur provisoire ès qualité). À ce titre, cette assurance est fondée sur une stipulation pour autrui (comp. pour les avocats, R. Bigot et M.-J. Loyer-Lemercier, Les conditions de l’assurance de non-représentation des fonds par l’avocat, sous Civ. 1re, 8 sept. 2021, n° 19-25.760, Lexbase avocats n° 318 du 7 oct. 2021). Rappelons en effet que l’assurance peut être « contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause ». Ainsi, « l’assuré pour compte peut être connu au moment de la souscription. Il peut être ou non nominativement désigné. Mais il est tout aussi possible, comme le signale l’article L. 112-1 du code des assurances, de prendre une assurance pour le compte d’une personne dont l’intérêt d’assurance n’existe pas à l’instant de la souscription. Il suffit que l’on rende déterminable cet intérêt et, en conséquence, l’assuré pour compte. […] C’est lors de la mise en jeu de la garantie que l’on constatera que tel intérêt d’assurance est atteint par le sinistre. De façon générale, on parle d’assurance « pour le compte de qui il appartiendra » (Le Lamy Assurances, 2021, n° 36). En d’autres termes, « si le contrat d’assurance est ordinairement conclu, à son profit, par la personne qui se trouve exposée au risque, de sorte que celle-ci cumule les qualités de souscripteur et d’assuré, la police peut également être contractée « pour le compte de qui il appartiendra », comme l’admet l’article L. 112-1 du code des assurances, les parties convenant alors d’attribuer la qualité d’assuré à un tiers au contrat » (M. Asselain, Assurance pour le compte de qui il appartiendra. – Modalités, Assurance - Droit des assurances – Chronique par P.-G. Marly, M. Asselain et M. Leroy, JCP E n° 43-44, 22 oct. 2020, 1413, n° 1).

En définitive, le critère de distinction pour l’action directe tient donc davantage dans l’objet du contrat que son éventuel titulaire. 

(Original publié par rbigot)

La rédaction de Dalloz actualité fait une petite pause la semaine du 1er novembre.

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(Original publié par Thill)
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Le premier arrêt concerne la société Malongo qui est titulaire depuis 2005 de la marque verbale XPOD pour des classes de produits relevant des machines à café. En 2014, la société Interpool a déposé la marque ZPOD pour désigner des produits similaires. La société Malongo a alors assigné sa concurrente en annulation de la marque ZPOD en formulant également une demande en contrefaçon de sa propre marque XPOD.

Par une décision du 17 mai 2019, la cour d’appel de Paris a effectivement annulé la marque ZPOD en constatant qu’il existait un risque de confusion avec la marque antérieure XPOD. Cependant, la cour a débouté la société Malongo de sa demande en contrefaçon. En effet, pour la juridiction, il ne pouvait y avoir contrefaçon dans la mesure où la marque ZPOD n’avait pas été utilisée avant d’être annulée. La cour notait ainsi que « le dépôt d’une marque annulée, qui est réputée n’avoir pas existé, ne peut à lui seul constituer un acte de contrefaçon ».

La société Malongo a donc formé un pourvoi en cassation puisqu’elle estimait au contraire que la seule demande d’enregistrement de la marque ZPOD, même sans autre utilisation de cette marque, constituait un acte de contrefaçon.

Le second arrêt porte sur la société Wolfberger qui a acheté, en 2012, le fonds de commerce de la société Domaine Lucien Albrecht. Ce fonds de commerce incluait des marques françaises, communautaires et internationales, notamment les marques « Lucien Albrecht » et « Weid » pour désigner des vins et crémants d’Alsace. La famille Albrecht, qui gérait précédemment la société Domaine Lucien Albrecht, a déposé en 2012 et 2013 plusieurs signes, notamment « Jean Albrecht », « Le Weid de Jean Albrecht » et « Famille Albrecht », pour désigner les mêmes produits. L’Institut national de la propriété industrielle a refusé d’enregistrer ces signes mais la société Wolfberger a tout de même assigné les consorts Albrecht pour contrefaçon de ses marques.

Par un arrêt du 3 juillet 2019, la cour d’appel de Colmar a rejeté les demandes de la société Wolfberger tenant à la contrefaçon. La société a alors formé un pourvoi en cassation en avançant que « le dépôt d’une marque, même non suivi de son enregistrement, est susceptible, en soi, de constituer un acte d’usage non autorisé d’une marque antérieure et, par là même, un acte de contrefaçon ».

Dans ces arrêts du 13 octobre 2021, la Cour de cassation devait donc décider si la demande d’enregistrement d’un signe similaire à une marque antérieure, indépendamment de toute autre utilisation de ce signe, pouvait constituer un acte de contrefaçon.

Une jurisprudence antérieure constante mais contestée

La jurisprudence antérieure de la Cour de cassation considérait clairement qu’une demande d’enregistrement pouvait constituer un acte de contrefaçon. La Cour estimait en effet que le dépôt d’une marque contrefaisante portait atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque antérieure et, en conséquence, lui causait nécessairement un dommage (Com. 10 juill. 2007, n° 05-18.571, D. 2007. 2112, obs. J. Daleau ; ibid. 2009. 691, obs. S. Durrande ; Rev. crit. DIP 2008. 322, note E. Treppoz ; RTD com. 2007. 712, obs. J. Azéma ; v. égal. Com. 26 nov. 2003, n° 01-11.784 et Com. 24 mai 2016, n° 14-17.533, D. 2017. 318, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ; Dalloz IP/IT 2016. 556, obs. N. Martial-Braz ; RTD com. 2016. 729, obs. J. Azéma ).

On peut également noter que la Cour de cassation ne considérait aucunement l’usage commercial d’une marque contrefaisante comme nécessaire à établir un acte de contrefaçon. Elle jugeait au contraire que « l’atteinte portée au droit privatif que constitue la propriété d’une marque justifie à elle seule l’allocation de dommages-intérêts, peu important […] l’absence d’usage dans la vie des affaires de la marque contrefaisante » (Com. 21 févr. 2012, n° 11-11.752, PIBD 2012. III. 311).

Toutefois, cette jurisprudence n’était pas toujours suivie par les juridictions du fond. Par exemple, le tribunal de grande instance de Paris affirmait en 2017 que le « simple dépôt d’une marque ne peut être en soi jugé contrefaisant d’une marque antérieure dans la mesure où la contrefaçon nécessite un usage dans la vie des affaires » (TGI Paris, 3e ch., 21 sept. 2017, n° 16/00723).

Un revirement de jurisprudence net

Dans ses deux arrêts du 13 octobre 2021, qui partagent la même motivation, la Cour de cassation opère explicitement un revirement de jurisprudence. La Cour, citant sa propre jurisprudence, confirme que son interprétation précédente de la loi considérait que le seul dépôt d’une marque pouvait constituer un acte de contrefaçon avant d’affirmer qu’« il y a lieu de reconsidérer cette interprétation à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ».

Ainsi, la Cour de cassation cite l’arrêt Daimler de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 3 mars 2016, aff. C‑179/15, D. 2016. 2141, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2017. 318, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ; CCE 2016, n° 32, note C. Caron ; Propr. ind. 2016, n° 26, note A. Folliard-Monguiral ; LEPI 5/2016, p. 1, obs. J.- P. Clavier) et en déduit quatre critères cumulatifs pour définir un acte de contrefaçon :

le signe contrefaisant doit être utilisé dans la vie des affaires ;en l’absence du consentement du titulaire de la marque antérieure ;pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés par la marque antérieure ;et l’utilisation doit provoquer un risque de confusion dans l’esprit du public, ce qui porte atteinte à la fonction essentielle de la marque, sa fonction de garantie de provenance.

En l’occurrence, dans le cas de la marque ZPOD, la marque a été enregistrée puis annulée avant d’avoir été exploitée alors que dans le cas des marques déposées par les consorts Albrecht, les marques n’avaient pas même été enregistrées. Ainsi, les marques potentiellement contrefaisantes avaient seulement été déposées mais n’avaient ensuite fait l’objet d’aucune exploitation. Deux des critères susmentionnés n’étaient donc pas remplis. Les signes n’ont pas été utilisés dans la vie des affaires. De plus, puisqu’ils n’ont jamais servi à désigner de produit ou service commercialisés, ils n’ont pas pu provoquer de risque de confusion, donc d’atteinte à la fonction essentielle des marques antérieures.

En conséquence, le seul dépôt d’une marque, que ce dépôt soit suivi ou non d’un enregistrement, ne constitue pas un acte de contrefaçon.

Une motivation curieuse mais une décision souhaitable

Ces décisions sont très clairement motivées par la volonté de la Cour de cassation de se conformer au droit européen. Or, si cette motivation est légitime, le choix de l’arrêt particulier cité pour la sous-tendre peut paraître contestable.

En effet, la définition de la contrefaçon par la CJUE est bien antérieure à l’arrêt Daimler qui est cité par la Cour de cassation. La liste des quatre critères que retient la Cour provient ainsi de l’arrêt de la CJUE du 12 juin 2008 (O2 Holdings et O2, aff. C-533/06, pt 57, D. 2008. 1824, et les obs. ; CCE 2008, n° 132, note C. Caron ; Propr. ind. 2008, n° 61, note A. Folliard-Monguiral).

Certes, l’arrêt Daimler précise la définition d’un acte de contrefaçon, mais ne le fait que de façon marginale. Son principal apport réside dans la distinction entre le cas où les produits et services désignés par le signe contrefaisant sont identiques à ceux désignés par la marque antérieure et le cas où il existe uniquement une similarité – distinction que la Cour de cassation ne reprend pas à son compte. Le fait, pour la juridiction française, de s’appuyer cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne en particulier semble donc constituer une motivation d’opportunité pour justifier du revirement de jurisprudence et de la mise en conformité tardive avec le droit européen.

Par ailleurs, ce revirement de jurisprudence lui-même est bienvenu. À travers la question, certes mineure, de savoir si le seul dépôt d’une marque pouvait constituer un acte de contrefaçon, c’était finalement deux conceptions du droit des marques qui s’opposaient. Si l’on considère que le dépôt d’un signe peut être contrefaisant même en l’absence d’exploitation commerciale, le droit du titulaire de marque est vu comme un droit de propriété classique. Toute atteinte au droit exclusif est donc prohibée de façon absolue. À l’inverse, le droit européen tend à penser le droit des marques dans une approche fonctionnelle, dans laquelle le droit est assujetti à l’objectif qui lui est attribué. Or, dans cette perspective, il est logique qu’une simple demande d’enregistrement ne puisse pas être sanctionnée puisqu’elle ne dérange pas l’objectif ou la fonction du droit.

(Original publié par nmaximin)
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L’article 3 se voulait un progrès important pour le renforcement du secret des avocats. Le texte protège tout d’abord les avocats en introduisant des protections supplémentaires en cas de perquisitions, interception judiciaire ou réquisitions des données de connexion. Le ministre souhaitait également une reconnaissance du secret professionnel de l’avocat. Devant la justice pénale, le secret professionnel de l’avocat n’est actuellement protégé que contre la saisie de documents « en lien avec l’exercice des droits de la défense », comme l’a récemment indiqué la chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim. 25 nov. 2020, n° 19-84.304 P, Dalloz actualité, 23 déc. 2020, obs. L. Priou-Alibert). Les députés sont allés plus loin, en prévoyant le secret pour les missions de conseil de l’avocat.

Mais le Sénat, tout en reconnaissant le secret du conseil, a prévu des exceptions pour certains délits (Dalloz actualité, 27 sept. 2021, art. P. Januel) : la fraude fiscale, la corruption et le trafic d’influence, ainsi que leur blanchiment. Plusieurs raisons expliquent ces limitations. Après les Pandora Papers, les sénateurs ne souhaitaient pas affaiblir la lutte contre la fraude fiscale, d’autant que des obligations déclaratives pèsent maintenant sur les avocats. De plus, le Conseil constitutionnel considère que rien dans la Constitution ne consacre « un droit au secret des échanges et correspondances des avocats » (Cons. const. 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, French Data Network (Assoc.) et autres, AJDA 2015. 1514 ; D. 2015. 1647, et les obs. ; ibid. 2016. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ). Dès lors, un renforcement trop important du secret du conseil des avocats serait fragile constitutionnellement. D’une part, parce que ces protections ne seraient pas forcément équilibrés avec la nécessité de prévenir les infractions. D’autre part, parce que d’autres professions qui effectuent aussi des missions de conseil, ne bénéficieraient pas des mêmes protections.

En commission mixte paritaire (CMP), les arguments des sénateurs l’ont emporté. Si le texte consacre le secret de la défense et du conseil, il prévoit des exceptions. D’abord, si les documents saisis sont utilisés aux fins de commettre ou de faciliter la commission de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence ou financement du terrorisme (un ajout fait à la demande du gouvernement). Seconde exception, si « l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ».

La colère des avocats, l’étonnement des parlementaires

L’annonce du compromis a suscité la colère des avocats (Dalloz actualité, 23 oct. 2021, obs. S. Bridier). Les représentants de la profession ont évoqué un « compromis totalement inacceptable », le Barreau de Paris en appelant même au président de la République pour une réécriture de l’article 3.

Côté parlementaires, cette réaction suscite l’étonnement. Loin d’être un recul, pour les parlementaires la reconnaissance du secret du conseil, même avec des exceptions, est un progrès pour les avocats. Le co-rapporteur du texte au Sénat Philippe Bonnecarrère, rappelle que « de l’accès aux dossiers dans les enquêtes préliminaires à la force exécutoire de l’acte d’avocat ou au titre exécutoire du CNB, ce texte contient de très nombreuses avancées pour la profession. » D’autant que pour Laetitia Avia, cheffe de file des députés LREM, « les représentants de la profession ont été évidemment associés à la réflexion et ont reçu la rédaction en amont de la CMP ».

Pour la députée, « l’indivisibilité du secret de l’avocat est un impératif pour nous d’où l’absence d’exception dans l’article préliminaire afin de consacrer le principe. Des exceptions ont été instaurées dans les dispositions relatives à l’opposabilité des documents saisis, sous contrôle du JLD et du bâtonnier ».

La seconde exception, qui prévoit la levée du secret si l’avocat a fait l’objet de manœuvres est contestée par les avocats. Pour Laetitia Avia : « S’il s’agit de clarifier les dispositions du texte cela peut, bien évidemment, se faire. S’il s’agit de revoir son économie générale, c’est nettement plus compliqué. Il faudra surtout convaincre les sénateurs. » Philippe Bonnecarrère indique qu’il n’a pour l’instant pas été saisi d’une demande en ce sens.

Le texte peut encore être amendé, lors des lectures des conclusions de la CMP, qui auront lieu le 16 novembre. Mais l’amendement doit être soutenu par le gouvernement et voté à l’identique par les deux chambres. À défaut, les conclusions de la CMP seraient annulées et le texte reviendrait en nouvelle lecture à l’Assemblée. Ce que, au Parlement ou au gouvernement, personne ne souhaite.

Face à la gronde des avocats, le garde des Sceaux a souhaité rencontrer leur représentants. Lundi après-midi, Éric Dupond-Moretti a reçu Jérôme Gavaudan (président du CNB), Hélène Fontaine (présidente de la conférence des bâtonniers), Olivier Cousi (bâtonnier de Paris) et Vincent Nioret. Charge à eux de se mettre d’accord sur une rédaction, qui puisse convenir aux assemblées. Mais les critiques envers les représentants et l’appel à la verticalité du pouvoir, n’est pas forcément l’attitude la plus adroite dans un processus qui reste parlementaire.

(Original publié par Thill)

Cette proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption était particulièrement attendue des praticiens intervenant en pénal des affaires et désireux de voir les mécanismes en matière de lutte contre la corruption et justice négociée parachevés.

Pour mémoire, les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix s’étaient vu confier, dans le cadre de la mission d’information de la commission des lois, d’évaluer la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 ». Ce travail avait abouti à la formulation de cinquante propositions destinées à compléter la politique anticorruption de la France et dont la présente proposition de loi s’inspire.

Trois axes viennent articuler cette proposition de loi : les dispositions relatives à la lutte contre la corruption et les autres atteintes à la probité (art. 1 à 5), les dispositions relatives à la justice négociée (art. 6 à 8), enfin les dispositions relatives au registre des représentants d’intérêts (art. 9 à 10).

Les dispositions relatives à la lutte contre la corruption et autres atteintes à la probité

La présente proposition de loi vient suggérer plusieurs pistes visant à réformer le statut de l’Agence française anticorruption (AFA). C’est ainsi que les députés souhaitent que soit clarifiée la distribution des rôles entre les fonctions gouvernementales et les fonctions de supervision. Ils proposent ainsi de modifier la loi Sapin 2 ainsi que la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

Concrètement, la proposition de loi consacre le rôle de l’AFA en matière de coordination administrative et de programmation stratégique, et transfère à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) les fonctions de conseil et de contrôle des acteurs publics actuellement remplies par l’AFA. En d’autres termes, l’AFA resterait en charge tant du conseil que du contrôle des acteurs économiques. L’agence conserverait de la même façon ses missions de monitoring et de contrôle de la loi de blocage (art. 1 de la proposition de loi).

Parallèlement, la proposition de loi élargit le champ d’application des sociétés assujetties aux obligations de l’article 17 de la loi Sapin 2. L’article 1er propose ainsi de supprimer la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère afin de soumettre aux obligations prévues par l’article 17 précité les petites filiales de grands groupes étrangers établies en France, dès lors que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi.

Cet article envisage enfin la création d’une commission des sanctions au sein de la HATVP, à l’instar de ce qui existe pour l’AFA.

Les obligations en matière de conformité qui pèsent sur les acteurs publics sont renforcées en identifiant notamment les responsables publics chargés de la mise en œuvre du dispositif. Les obligations prévues pour les acteurs économiques visées à l’article 17 de la loi Sapin 2 se voient adaptées aux acteurs publics aux termes de l’article 2 de la proposition de loi.

L’article 4 de la proposition propose de conférer des pouvoirs de contrôle et de sanction à la Haute Autorité en consacrant trois nouveaux articles dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013. Plus précisément, elle envisage d’offrir un droit de communication aux agents de l’HATVP (art. 25). Cet article prévoit des sanctions administratives lorsqu’un représentant d’intérêts ne se conforme pas aux obligations prévues à l’image d’une mise sous astreinte. En ce qui concerne les sanctions susceptibles d’être retenues, la Commission des sanctions peut prononcer six mois après cette mise sous astreinte, une amende susceptible de s’élever à 4 % du chiffre d’affaires ou encore « 50 % des dépenses engagées pour mettre en œuvre les actions de représentation d’intérêts concernées ». Cette seconde notion reste cependant à ce stade floue et mérite d’être précisée (art. 25-1). Enfin, l’article 25-2 de la proposition de loi porte sur les contrôles relatifs aux mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption.

Le texte vient également parachever la procédure de sanction en présence de manquement aux obligations de conformité en matière de lutte contre la corruption (art. 5). Ce faisant, elle modifie les dispositions figurant aux IV et V de l’article 17 de la loi Sapin 2.

Concrètement cette disposition rend obligatoire le prononcé d’une mise en demeure avant la saisine de la Commission des sanctions par le président de l’AFA. C’est ainsi que le Président ne pourra saisir la commission de sanctions que si l’entité visée par la mise en demeure ne s’y conforme pas dans le délai expressément fixé. Pour autant, cette obligation est assortie d’une exception, le Président pourra ainsi saisir directement la Commission des sanctions en présence d’un manquement grave c’est-à-dire « lorsque la personne morale n’a pas apporté son concours au contrôle » ou « lorsqu’elle a agi de mauvaise foi ».

Les dispositions en matière de justice négociée

Les dispositions en matière de justice négociée méritent une attention particulière en ce qu’elles renforcent utilement le mécanisme de Convention judiciaire d’intérêt publique (CJIP). L’article 6 de la proposition de loi vient en effet améliorer la CJIP avec comme objectif de « favoriser la révélation spontanée de faits de corruption, et pour cela, renforcer les droits de la personne morale au cours de la négociation de la CJIP ».

Ces pistes d’amélioration se traduisent en pratique par l’extension du champ des infractions concernées pour la conclusion d’une CJIP au délit de favoritisme, la limitation du programme de mise en conformité prévue par la CJIP à cinq ans, la consécration d’une phase intermédiaire permet l’accès au dossier à la personne morale.

L’article 6 envisage également la possibilité pour le procureur de la République avec l’accord de la personne morale concernée de nommer un mandataire ad hoc ou un comité spécial, en fonction de la taille de l’entreprise, pour représenter la société dans le cadre de la négociation de la convention. « Ce mandataire ou comité pourrait également conduire l’enquête interne menée au sein de la personne morale, lorsqu’une telle enquête est ouverte. Cette mesure a pour objectif de faire cesser d’éventuels conflits d’intérêt, dans le cas où certains dirigeants seraient impliqués dans les faits pour lesquels la personne morale est mise en cause ». Un tel mécanisme apparait, dans sa présentation, opportun afin de préserver les éventuels risques de conflits d’intérêts mais également de permettre au dirigeant concerné de se concentrer sur sa propre défense.

La proposition de loi se prononce également sur le sort des documents remis par la personne morale lors des négociations. Elle renforce la protection applicable aux documents et informations transmises au procureur durant cette phase de négociation et étend cette protection aux cas où la personne morale renonce à la conclusion au cours de la période de négociation ou refuse la proposition qui lui est faite par le procureur.

L’article 7 vient utilement renforcer les droits des personnes physiques au cours d’une enquête interne en s’inspirant des droits des personnes gardées à vue. En pratique, la proposition envisage la création de six articles (706-183 à 706-187) au sein du code de procédure pénale. Ces garanties sont envisagées dans l’hypothèse où une personne morale est mise en cause pour un ou plusieurs délits et diligente une enquête interne portant sur les mêmes faits. Si bien que les enquêtes spontanées diligentées en dehors de poursuites pénales sont exclues du périmètre de ces articles.

L’article 706-184 prévoit ainsi que « toute personne convoquée dans le cadre d’une enquête interne ne peut être librement entendue que si cette convocation lui a été notifiée dans un délai raisonnable ». À l’occasion de cette notification, la personne doit avoir été informée :

1° du droit de mettre fin à l’audition lorsqu’elle le souhaite ;2° du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire,3° du droit de se faire accompagner par un avocat choisi par elle ;4° le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète.

La notification doit également indiquer la durée maximale de l’audition.

L’article 706-185 du code de procédure pénale tel que proposé permet aux personnes auditionnées de relire et signer leur procès-verbal et de formuler des observations écrites qui sont annexées.

La proposition de loi consacre également un droit d’accès au dossier de la personne auditionnée dans le cadre d’une enquête interne lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a participé aux faits sur lesquels porte l’enquête (C. pr. pén., art. 706-186). L’article 706-188  permet à la personne soupçonnée d’être informée de la clôture de l’enquête.

L’article 8 de la proposition de loi propose enfin de réformer les modalités d’engagement de la responsabilité pénale de la personne morale en proposant d’insérer un nouvel alinéa à l’article 121-2 du code pénal comme suit : « les personnes morales sont également responsables pénalement lorsque le défaut de surveillance de leur part a conduit à la commission d’une ou plusieurs infractions par l’un de leur salariés ». Un tel ajout fait écho au concept britannique de « failure to prevent » pour mettre en cause la responsabilité pénale de la personne morale. En l’état, une telle proposition semble cependant périlleuse en raison de son caractère flou et particulièrement extensif.

Les dispositions relatives au registre des représentants d’intérêts

Le titre III de la proposition de loi s’intéresse au registre des représentants d’intérêts afin d’améliorer la transparence des décisions publiques en renforçant « les obligations auxquelles sont soumis les représentants d’intérêts et […] la responsabilité des décideurs publics sur lesquels ne pèse aucune obligation ».

En substance, la proposition de loi envisage une nouvelle réflexion sur la notion de représentants d’intérêts en se concentrant sur l’activité de la personne morale et non sur celles des personnes physiques qui la composent. Elle envisage également de responsabiliser les décideurs publics en leur demandant « de tenir à la disposition de la HATVP, y compris par l’intermédiaire de leur référent déontologue, la liste des représentants d’intérêts avec lesquels ils sont entrés en communication » afin de faciliter le travail de contrôle de la Haute Autorité.

Six ans et demi après l’adoption de la loi Sapin 2, cette nouvelle proposition de loi apparait comme un nouveau souffle utile dans la lutte en France contre la corruption. Il sera intéressant d’observer comment la représentation nationale accueille cette proposition.

(Original publié par Gayet)

Le logiciel dénommé GCS WMS est une solution de gestion des entrepôts commercialisée par GENERIX (en anglais Warehouse Management System : WMS). Il était édité sous le nom WMS INFOLOG par la société INFOLOG avant l’acquisition de celle-ci par la société GENERIX en 2010. Le responsable du support solutions d’INFOLOG a quitté la société pour créer sa propre société ACSEP en 2011 avec la même activité que GENERIX. D’autres anciens employés de GENERIX ont rejoint ACSEP et certains clients de GENERIX ont mis un terme à leur collaboration pour se tourner vers ACSEP. GENERIX a ensuite appris que ACSEP était en possession des codes sources du logiciel GCS WMS. Après l’établissement d’un constat d’huissier assisté d’un expert informatique, la société GENERIX a assigné la société ACSEP, son fondateur et deux salariés pour contrefaçon et concurrence déloyale.

La protection d’un logiciel par le droit d’auteur

Dans sa décision, le tribunal va en premier lieu confirmer l’application du droit d’auteur aux codes sources du logiciel. La protection des logiciels par le droit d’auteur est reconnue au niveau européen depuis la directive du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateurs (Dir. n° 91/250/CE du 14 mai 1991 ; ultérieurement abrogée et remplacée par dir. n° 2009/24/CE du 23 avr. 2009 [ci-après la Directive]). En France, la Cour de cassation avait consacré dès 1986 la jurisprudence des juridictions du fond pour l’application du droit d’auteur au logiciel (Cass., ass. plén., 7 mars 1986 (3 arrêts), n° 84-93.509 Pachot, n° 84-93.509, Atari et n° 85-91.465, Williams Electronics, D. 1986. 405, note Edelman ; RTD com. 1986. 399, obs. Françon ; JCP 1986. II. 20631, note Mousseron, Teyssié et Vivant ; RIDA juill. 1986. 136, note Lucas). Puis la loi n° 94-361 du 10 mai 1994 a transposé la Directive en France. Cette protection par le droit d’auteur s’applique aux logiciels (ou programmes informatiques, termes équivalents en France d’un point de vue juridique) définis de façon large.

Le tribunal vise l’article L. 112-2, 13°, du code de la propriété intellectuelle qui dispose que les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire, sont considérés comme œuvres de l’esprit. Cet article reprend les termes du septième considérant de la Directive également visé par le tribunal. Le tribunal considère qu’il faut « ainsi voir dans les...

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(Original publié par nmaximin)

Identification des actionnaires et exercice de leurs droits

La loi du 8 octobre 2021 (art. 38) transpose en droit interne la directive (UE) 2017/828 du 17 mai 2017 (dite « SRD II ») modifiant la directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 (dite « SRD I ») en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires. Tout d’abord, elle améliore la procédure d’identification des actionnaires des sociétés cotées, substituant explicitement à la procédure de titre au porteur identifiable (TPI) jusque-là en vigueur (cette procédure, introduite dans notre droit en 1987, permet aux sociétés émettrices d’interroger le dépositaire central sur les détenteurs de titres, leur permettant ainsi de connaitre l’identité et le nombre de titres détenus sous la forme de titres « au porteur » chez les intermédiaires financiers) le nouveau dispositif, dit d’identification sur demande, issu de cette directive SRD II (C. com., art. L. 228-2 mod.). La loi nouvelle introduit également de nouveaux articles dans le code de commerce relatifs à l’effectivité des droits des actionnaires pour mettre le droit français en accord avec le droit européen (C. com., art. L. 228-29-7-1 à L. 228-29-7-4 nouv.). En particulier, le nouvel article L. 228-29-7-1 prévoit que les sociétés émettrices doivent transmettre soit aux intermédiaires, soit directement aux actionnaires, toutes les informations nécessaires pour permettre aux actionnaires d’exercer les droits associés aux actions qu’ils détiennent. La loi du 8 octobre 2021 créée enfin un nouvel article L. 22-10-43-1 au sein du même code, dont l’objet est de prévoir les modalités de confirmation électronique de réception des votes, renvoyant, quant à leur contenu, à un décret en Conseil d’État.

Transfert de compétences

La loi du 8 octobre 2021 (art. 39) transpose dans notre droit le transfert des compétences d’agrément et surveillance des prestataires de services de communication de données, aujourd’hui exercées l’autorité nationale compétente, soit en France par l’Autorité des marchés financiers (AMF), à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Ce transfert de compétences s’inscrit dans la refonte des compétences des autorités européennes de surveillance (AES) prévue par la directive (UE) 2019/2177 du 18 décembre 2019 (C. mon. fin., art. L. 549‑1 mod. et L. 549-2 nouv.).

Élargissement du droit d’information du commissaire aux comptes

La loi du 8 octobre 2021 (art. 40) élargit le droit d’information des commissaires aux comptes vis-à-vis de l’AMF pour permettre au régulateur de mieux anticiper les potentielles difficultés des entreprises contrôlées par les commissaires aux comptes. Désormais, les commissaires aux comptes devront communiquer à l’AMF « toute information dont ils ont eu connaissance à l’occasion de l’exercice de leur mission dans les situations et conditions définies au 1 de l’article 12 du règlement (UE) n° 537/2014 […] du 16 avril 2014 relatif aux exigences spécifiques applicables au contrôle légal des comptes des entités d’intérêt public ». L’article 12 de ce règlement organise le rapport des commissaires aux comptes avec les autorités compétentes chargées de la surveillance des entités d’intérêt public. Il établit l’obligation pour le contrôleur légal des comptes d’une entité d’intérêt public de communiquer à l’autorité de supervision (en France, l’AMF) toute information obtenue lors d’un contrôle légal susceptible d’entraîner : une violation significative des dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui fixent, le cas échéant, les conditions d’agrément ou qui régissent, de manière spécifique, la poursuite des activités de cette entité d’intérêt public ; un risque ou un doute sérieux concernant la continuité de l’exploitation de cette entité d’intérêt public ; un refus d’émettre un avis d’audit sur les états financiers ou l’émission d’un avis défavorable ou d’un avis assorti de réserves. Le même article élargit le devoir d’information des commissaires aux comptes pour intégrer, là-encore, les exigences de l’article 12 du règlement (UE) n° 537/2014 en droit interne, texte qui ne fait pas de distinction entre les sociétés concernées par le devoir d’information du commissaire aux comptes. Elle élargit ainsi le devoir d’alerte des commissaires aux comptes auprès de l’AMF aux sociétés cotées autres que les sociétés anonymes, ce qui vise au premier chef les sociétés en commandite par actions cotées.

La loi du 8 octobre 2021 (art. 41) élargit, par ailleurs, le spectre des informations que peut demander l’AMF aux commissaires aux comptes contrôlant des sociétés de gestion de portefeuille, le droit interne étant jusque-là considéré comme trop limité par rapport au droit européen (notamment l’article 46, 2, h] de la directive 2011/61/UE du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs qui précise que les autorités peuvent « exiger des gestionnaires agréés, des dépositaires ou des contrôleurs des comptes qu’ils fournissent des informations »). Elle donne ainsi la possibilité pour l’AMF de demander aux commissaires aux comptes d’une société de gestion de portefeuille « tout renseignement concernant l’application par la société de ses obligations professionnelles définies par les dispositions législatives et réglementaires » (C. mon. fin., art. L. 621-25, al. 2 nouv.). Selon les travaux préparatoires, l’objectif poursuivi est d’« améliorer la qualité des données dont a connaissance l’Autorité des marchés financiers pour lui permettre d’anticiper les potentielles difficultés rencontrées par les sociétés de gestion de portefeuille, notamment en matière de respect des règles relatives aux exigences de fonds propres » (Doc. AN n° 4186, 23 juin 2021, p. 153).

Extension des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

La loi du 8 octobre 2021 (art. 42) confère de nouvelles missions d’information et de nouvelles prérogatives à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour améliorer la supervision des sociétés exerçant dans l’Union européenne sous le régime de la libre prestation de services ou du libre établissement. Elle ajoute une étape dans la procédure d’agrément par l’ACPR d’une entreprise d’assurance lorsque cette dernière demande l’agrément présente un projet comprenant des activités qui seront exercées sous le régime de la libre prestation de services ou du libre établissement dans un autre État membre. Dans ce cas de figure, si l’ACPR estime que ces activités sont de nature à avoir un effet significatif sur le marché de l’État membre d’accueil, elle doit informer l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) de cette demande ainsi que l’autorité de contrôle de l’État membre d’accueil. Il est précisé que l’information doit être suffisamment détaillée pour que l’AEAPP et l’autorité de contrôle de l’État d’accueil soient en mesure de procéder à « une évaluation correcte de la situation » (C. assur., art. L. 321-1 mod.). Une disposition analogue est introduite s’agissant des entreprises de réassurance (C. assur., art. L. 321-1-1 mod.).

L’ACPR se voit, par ailleurs, confier de nouvelles missions. En particulier, dans le cadre de sa supervision des entreprises d’assurance et de réassurance agréées en France et qui opèrent sous un régime de libre prestation de services ou de libre établissement : elle devra informer l’AEAPP si elle constate qu’une entreprise présente une détérioration de ses conditions financières ou un autre risque émergent liés à l’exercice de ses activités en France. Par ailleurs, si elle a des préoccupations « sérieuses et justifiées » sur la protection des consommateurs liées à l’exercice d’activités d’entreprises d’assurance ou de réassurance opérant en France sous le régime de la libre prestation de services ou du libre établissement, elle aura la possibilité : d’en faire état auprès de l’autorité de contrôle de l’État membre d’origine, c’est-à-dire auprès de l’autorité ayant accordé l’agrément ; de demander l’assistance de l’AEAPP pour travailler à résoudre la situation (C. assur., art. L. 321-11-2 nouv.).

Transposition et mise en conformité de textes européens

La loi du 8 octobre 2021 (art. 43) habilite le gouvernement à transposer par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois, la directive (UE) 2021/338 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2021 pour soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la Covid-19, dite directive « CMRP Mifid ».

Cette même loi (art. 44) met en conformité le droit français avec la directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres. D’une part, modifiant une nouvelle fois l’article L. 330-1 du code monétaire et financier, elle confirme la reconnaissance du caractère définitif des opérations effectuées au moyen de systèmes de règlement notifiés par un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE). En effet, la rédaction de cet article, telle qu’elle résultait de la loi Pacte du 22 mai 2019, était de nature à créer un doute sur la compatibilité du droit français avec la directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, dite directive « finalité », dont l’extension aux EEE est admise de longue date. D’autre part, elle entend prémunir la France d’un éventuel conflit de lois entre les règles matérielles de la faillite des pays tiers et les règles françaises issues du droit de l’Union européenne.

La loi du 8 octobre 2021 (art. 45) met, par ailleurs, en conformité notre droit avec le règlement (UE) 909/2014 du 23 juillet 2014 (règlement dit « CSDR »). Ce règlement prévoit un « passeport européen pour les dépositaires centraux de titres (DCT) agréés par l’autorité compétente du pays où ils sont établis » ; en d’autres termes, l’activité de ces dépositaires est désormais ouverte à la libre prestation de services. La loi nouvelle permet de distinguer entre les DCT implantés en France qui reçoivent l’agrément de l’AMF et les DCT étrangers qui relève du droit de l’État dans lequel ils ont été agréés (pays membre de l’Union européenne ou pays tiers). Elle différencie les règles applicables selon le mode d’exercice de l’activité de dépositaire central. Elle distingue ainsi trois catégories de dépositaires centraux : les dépositaires dont le siège social est en France et qui sont agréés par l’AMF ; les dépositaires européens exerçant leur activité à travers une succursale en France ; les dépositaires européens exerçant en libre prestation de services depuis l’État d’origine, sans succursale en France. Désormais, seules les règles de fonctionnement des dépositaires centraux agréés en France sont approuvées par l’AMF (C. mon. fin., art. L. 441-1 mod.).

Sanctions en cas de manquement aux obligations du règlement « SEPA »

La loi du 8 octobre 2021 (art. 46) introduit un régime de sanctions administratives applicables en cas d’infraction à certaines dispositions du règlement n° 260/2012 relatif aux virements et prélèvements transfrontaliers, dit « SEPA ». Ce règlement vise à créer un marché des paiements unifié, en opérant la migration des standards de virements et prélèvements nationaux qui préexistaient vers le format unique « SEPA ». Jusqu’alors le contrôle de l’application de ces dispositions fait intervenir deux acteurs : l’ACPR d’une part, au titre de sa mission générale de supervision des prestataires de services de paiement (PSP) ; la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d’autre part, en application de l’article L. 511-7 du code de la consommation dans les actes de consommation faisant intervenir un paiement par virement ou prélèvement. La loi nouvelle introduit, pour les trois types de manquement prévus par le règlement SEPA (non-respect, par les professionnels, d’une demande de blocage émise par un consommateur pour des opérations de prélèvement et l’application de frais supérieurs en cas de virements transfrontaliers ; méconnaissance de l’interdiction de facturer des commissions d’interchange lors de la réalisation de ces opérations ; refus d’une opération de paiement par un créancier au motif que le compte bancaire n’est pas localisé en France), un nouveau régime de sanctions administratives. Sont désormais prévues des amendes administratives ne pouvant excéder les montants de : 3 000 € en cas de non-respect, par les professionnels, d’une demande de blocage émise par un consommateur pour des opérations de prélèvement ainsi que d’application de frais supérieurs en cas de virements transfrontaliers ; 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale en cas de non-respect de l’interdiction de facturer des commissions d’interchange lors de la réalisation de ces opérations et de refus d’une opération de paiement par un créancier au motif que le compte bancaire n’est pas localisé en France (C. mon. fin., art. L. 362-1 nouv.). La loi du 8 octobre 2021 désigne la DGCCRF comme autorité compétente pour prononcer les sanctions administratives qu’elle a introduites (C. mon. fin., art. L. 362-1 nouv.).

Prestation de services de courriers recommandés électroniques

La loi du 8 octobre 2021 (art. 47) habilite les agents de la DGCCRF à poursuivre les personnes qui proposeraient un service présenté comme un service de lettre recommandée électronique (LRE) sans avoir reçu la qualification de « service d’envoi recommandé électronique » par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) prévue à cet effet. Par ailleurs, elle renforce le niveau des sanctions pour les aligner sur les sanctions applicables en matière de fraude à la consommation : l’amende administrative susceptible d’être infligée passe ainsi de 50 000 € à un montant maximal de 75 000 € pour les personnes physiques et 375 000 € pour les personnes morales (CPCE, art. L. 101 mod.).

Recours des collectivités publiques au financement participatif

La loi du 8 octobre 2021 (art. 48) met en cohérence le droit français avec le règlement (UE) 2020/1503 du 7 octobre 2020 relatif aux prestataires européens de services de financement participatif pour les entrepreneurs. Elle offre la possibilité aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics de recourir au financement participatif pour l’ensemble des services publics sauf pour le financement des missions régaliennes pour lesquelles la constitution d’une régie de recettes, au caractère protecteur, restera de vigueur. Elle retient également la possibilité pour les personnes morales de consentir des prêts aux collectivités pour des projets les concernant directement. Elle lance une expérimentation de trois ans pour les collectivités qui souhaitent financer leurs projets de financement participatif par des obligations (CGCT, art. L. 1611-7-1 mod.). Enfin, elle renforce les obligations des plateformes en matière de prévention des risques pénaux encourus par les élus et les responsables des collectivités territoriales : elle sont ainsi tenues de prendre « toutes les mesures visant à détecter et, le cas échéant, à empêcher la conclusion d’un contrat qui serait constitutif d’[une prise illégale d’intérêt] » (C. mon. fin., art. L. 548-6, 12° nouv.).

La loi du 8 octobre 2021 habilite, par ailleurs, le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai d’un an, les mesures relevant du domaine de la loi pour compléter et adapter les dispositions relatives au financement participatif concernées ou non par le règlement européen (UE) 2020/1503, ainsi que pour adapter les dispositions législatives de droit interne encadrant les activités de financement participatif ne relevant pas du droit de l’Union européenne.

Liste d’initiés

La loi du 8 octobre 2021 (art. 48) prévoit les conditions dans lesquelles les émetteurs dont les instruments financiers sont négociés sur un marché de croissance des petites et moyennes entreprises (PME) – soit pour la France Euronext growth – doivent établir leur liste d’initiés, conformément aux obligations prévues par le règlement européen (UE) 596/2014 du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché, dit règlement « MAR », modifié par le règlement (UE) 2019/2115 du 27 novembre 2019. Dans sa version modifiée, le règlement européen autorise ces émetteurs à produire une liste d’initiés simplifiée, au contenu réduit, tout en laissant aux États membres la faculté de maintenir une obligation renforcée « lorsque cela est justifié par des préoccupations nationales spécifiques liées à l’intégrité du marché » (art. 18, § 6, al. 2). Le règlement, en ce qu’il permet aux États membres de déroger à l’autorisation les émetteurs à produire une liste d’initiés simplifiée, prévoit que les sociétés cotées sur un marché de PME seraient soumises à une liste d’initiés standard, intermédiaire entre la liste d’initiés complète qui s’applique aux sociétés émettrices sur les marchés réglementés et la liste d’initiés restreinte. En ce cas, pour réduire le coût de conformité, il est prévu que les modalités déclaratives des émetteurs sont allégées. Pour cela, il est renvoyé à une norme technique d’exécution devant être élaborée par l’AEMF (art. 18, § 6, al. 4). La loi du 8 octobre 2011 fait le choix de déroger aux dispositions simplifiées d’établissement de la liste d’initiés prévue pour les émetteurs dont les instruments financiers sont négociés sur un marché de croissance des PME, en recourant à la faculté laissée par le règlement MAR (C. mon. fin., art. L. 451-4 mod.). En d’autres termes, elle opte pour la liste d’initiés dite « standard » et non pas pour la liste d’initiés « restreinte ». Ce faisant, ces émetteurs devraient également inclure dans cette liste « les personnes étrangères à la société mais qui, de par leurs fonctions, peuvent avoir accès à des informations privilégiées » (Doc. Sénat n° 569, 12 mai 2021, p. 55).

 

Sur la loi « DDADUE 2021 », Dalloz actualité a également publié :

• Adaptation au droit de l’Union européenne par la loi du 8 octobre 2021 : aspects de droit aérien, par Xavier Delpech le 19 octobre 2021

Adaptation au droit de l’Union européenne par la loi du 8 octobre 2021 : modes de transport autres qu’aériens, par Xavier Delpech le 20 octobre 2021

(Original publié par Delpech)
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Bien que le contrat d’assurance soit soumis à de nombreuses contraintes légales (notamment l’interdiction de garantir les fautes intentionnelles ou dolosives de l’assuré, C. assur., art. L. 113-1, al. 2), le principe reste celui de la détermination conventionnelle des garanties. Découle de la liberté contractuelle (C. civ., art. 1102) la possibilité pour les parties au contrat d’assurance (comme à tout contrat) « de convenir du champ d’application du contrat et de déterminer la nature et l’étendue de la garantie » (Civ. 1re, 24 mars 1992, n° 90-17.862). « Le processus de spécification, qui tend à déterminer l’objet de la garantie, s’opère généralement en deux étapes. Dans un premier temps, il convient de définir le risque devant être a priori couvert. Dans un second temps, il s’agit d’exclure de la garantie certains éléments du risque, que l’assureur ou l’assuré ne souhaitent pas voir pris en charge pour des raisons économiques ou techniques. La définition du risque contribue ainsi à préciser l’objet de la garantie, qui est ensuite restreint par le jeu des exclusions » (L. Mayaux, La couverture du risque, in J. Bigot, V. Heuzé, J. Kullmann, L. Mayaux, R. Schulz et K. Sontag, Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, 2014, n° 1687, p. 836).

L’article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances précise que « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Délicate à définir et à distinguer, notamment, de la condition de garantie, la notion d’exclusion de garantie est source d’un abondant contentieux, ce qu’illustre encore un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 14 octobre 2021 (n° 20-14.094).

En l’espèce, plusieurs dégâts des eaux ont eu lieu dans des locaux dépendant d’un immeuble en copropriété en raison de fuites des canalisations d’eaux dudit immeuble, ayant pour origine un défaut d’entretien et de réparations imputable au syndicat des copropriétaires. Après expertise, le propriétaire des lots affectés par ces dégâts des eaux assigne le syndicat des copropriétaires en exécution forcée de travaux et en réparation de ses préjudices, ainsi que l’assureur de la copropriété. Ce dernier dénie sa garantie.

La cour d’appel déboute le syndicat des copropriétaires de sa demande de garantie contre l’assureur. Elle considère que la clause insérée sous le titre « exclusions communes à toutes les garanties », et précisant que « n’entrait ni dans l’objet ni dans la nature du contrat, l’assurance de dommages ou responsabilité ayant pour origine un défaut d’entretien ou de réparation incombant à l’assuré, caractérisé et connu de lui », constituait une clause de non assurance. Selon elle, l’absence d’aléa constituerait une cause de non-assurance, l’exigence du caractère accidentel des désordres correspondant à une condition d’ouverture de la garantie et non à une exclusion de garantie.

Le syndicat des copropriétaires soutient, dans son pourvoi en cassation, que les juges du fond auraient ainsi violé l’article L. 113-1 du code des assurances, ainsi que l’article 1134 du code civil, en sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige. Selon lui, « la clause qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque constitue une clause d’exclusion de garantie, qui doit être formelle et limitée ».

Retenant une telle analyse, la deuxième chambre civile casse et annule la décision rendue par la cour d’appel au visa de l’article L.113-1, alinéa 1er, du code des assurances, en affirmant que la « clause, qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque, constitue une clause d’exclusion de garantie ».

Qualifier une telle clause d’exclusion de garantie n’est pas étonnant au regard de la jurisprudence antérieure (déjà, Civ. 2e, 12 déc. 2013, n° 12-29.862 et n° 12-25.777 [deux arrêts], D. 2014. 78 ; RDI 2014. 122, obs. P. Dessuet ; 6 oct. 2011, n° 10-10.001 ; 2 juin 2005, n° 04-11.754).

Après de multiples fluctuations jurisprudentielles, la Cour de cassation a posé comme principe, en 1996, que les clauses d’exclusion de garantie sont celles qui « prive[nt] l’assuré du bénéfice de la garantie des risques […] en considération de circonstances particulières de réalisation du risque » (Civ. 1re, 26 nov. 1996, n° 94-16.058, D. 1997. 1 ; ibid. 2012. 957, chron. S. Abravanel-Jolly ). Au contraire, la qualification de condition de garantie doit être retenue lorsque l’évènement visé par la clause affecte en permanence le risque couvert. Ainsi, l’obligation d’installer un système d’alarme est une condition de garantie (Civ. 1re, 3 mars 1998, n° 96-16.802) ; celle d’enclencher un tel système, une exclusion de garantie (Civ. 1re, 26 nov. 1996, préc.). Autrement dit, lorsque les stipulations « portent sur une situation permanente afférente au risque […], et non pas sur des circonstances particulières de réalisation du sinistre […], la jurisprudence y voit des conditions de la garantie, qu’elle ne soumet pas au régime des exclusions […] » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, 2017, n° 465, p. 344).

L’enjeu pratique de la qualification est particulièrement important. Tandis que l’assuré est tenu de prouver qu’il a respecté une condition de garantie (Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 99-10.650, D. 2004. 912 , obs. H. Groutel ), il appartient à l’assureur de rapporter la preuve d’une exclusion de garantie (Civ. 2e, 21 fév. 2013, n° 12-17.528). Surtout, si une clause de condition de garantie doit seulement être « claire et précise » (Civ. 3e, 18 mars 1992, n° 90-10.292), « le législateur subordonne la validité des clauses d’exclusion de garantie au respect de strictes conditions de fond et de forme : nécessairement formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1), elles doivent en outre être mentionnées en caractères très apparents dans la police (C. assur., art. L. 112-4) » (A. Cayol, Le principe de la détermination conventionnelle des garanties, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 120).

Il est vrai, cependant que la distinction entre les clauses d’exclusion de garantie et de condition de garantie reste « l’une des plus délicates » du droit des assurances (L. Mayaux, Les grandes questions du droit des assurances, LGDJ, 2011, n° 134, p. 91). La formule retenue par l’arrêt de 1996 n’est pas, en effet, « une clé générale de distinction » (G. Durry, La distinction de la condition de la garantie et de l’exclusion de risque, in Études offertes à H. Groutel, LexisNexis, 2006, p. 136), au point qu’il a pu être proposé de ne plus retenir qu’une seule catégorie – les restrictions de garantie – et un régime juridique unique afin de « trancher le nœud gordien » (ibid.). De manière moins radicale, la précision du critère de distinction entre les clauses d’exclusion de garantie et de condition de la garantie a été recherchée par la doctrine.

Le critère retenu par la Cour de cassation en 1996 s’avère, en effet, insuffisant à distinguer ces deux notions s’agissant des restrictions autres que des mesures de prévention. Ainsi, en l’espèce, il est difficile de considérer que la stipulation selon laquelle « n’entrait ni dans l’objet ni dans la nature du contrat, l’assurance de dommages ou responsabilité ayant pour origine un défaut d’entretien ou de réparation incombant à l’assuré, caractérisé et connu de lui » fasse référence à une circonstance particulière de réalisation du risque. Il a ainsi été, à juste titre, suggéré de préciser que « la condition est un évènement permanent qui affecte l’obligation de couverture du risque et qui est extérieur à celui-ci. L’exclusion, circonstance particulière de réalisation du sinistre ou élément restrictif de la définition de celui-ci, affecte l’obligation de règlement » (S. Abravanel-Jolly, Nécessité du maintien de la distinction entre exclusion et condition de garantie, D. 2012. 957 ). La clause qui, comme en l’espèce, prévoit un refus de garantie si les dommages résultent d’un défaut d’entretien ou de réparation incombant à l’assuré « vise un évènement inhérent au sinistre, qu’il soit concomitant, causal ou simplement restrictif de sa définition » (ibid.). Il s’agit donc d’une clause d’exclusion de garantie. En effet, « le critère de la concomitance ne vise pas seulement les circonstances qui sont strictement contemporaines du sinistre. Il conduit également à qualifier d’exclusions certaines clauses relatives à l’évènement générateur de celui-ci (comme l’exclusion des accidents provoqués par la pratique d’un sport, ou par le défaut d’entretien du bâtiment endommagé), ainsi qu’aux dommages qui en résultent […]. Toutes ces clauses sont bien afférentes à la « période du sinistre », entendue au sens large » (L. Mayaux, La couverture du risque, in Le contrat d’assurance, op. cit., n° 1717, p. 857). 

Auteur d'origine: rbigot

Corrigeant une malfaçon de la loi Pacte du 22 mai 2019, la loi n° 2021-1317 du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce étend l’éligibilité aux fonctions de juge de tribunal de commerce aux juges consulaires en exercice ainsi qu’aux anciens membres des tribunaux de commerce. Le tort de la loi Pacte, probablement trop hâtivement rédigée, est de ne pas avoir retranscrit dans le code de commerce le principe de l’éligibilité, dans le même tribunal ou dans un tribunal de commerce limitrophe, des juges en exercice. Or, relèvent les travaux préparatoires, la conséquence de cette omission en est lourde : sur les 793 juges consulaires dont le mandat s’achève en 2021, 450 à 500 d’entre eux...

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Auteur d'origine: Delpech
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L’état de cessation des paiements d’un débiteur est un élément central du droit des entreprises en difficulté. Il conditionne, d’une part, l’application des procédures de redressement et de liquidation judiciaires ou, à défaut, le choix d’opter en faveur d’une autre procédure. D’autre part, la fixation de la date de cessation des paiements permet aussi la détermination de l’étendue de la période suspecte. À ce propos, le code de commerce prévoit qu’au sein du jugement d’ouverture de la procédure, le tribunal fixe la date de cessation des paiements (C. com., art. L. 631-8, al. 1).

En pratique, cette date est arrêtée par les juges au jour de la déclaration de la cessation des paiements, sauf s’ils disposent d’éléments leur permettant de déterminer l’apparition de cet état à une date antérieure. Reste qu’en règle générale, au moment de l’ouverture de la procédure, la connaissance par le tribunal de la situation exacte de l’entreprise est limitée. Partant, la loi prévoit la possibilité, postérieurement au jugement d’ouverture, de reporter une ou plusieurs fois la date de cessation des paiements. Cette dernière règle connaît toutefois deux limites. D’une part, la date de report ne peut être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d’ouverture (C. com., art. L. 631-8, al. 2). D’autre part, la demande de modification de la date doit être présentée au tribunal dans le délai d’un an à compter du jugement d’ouverture de la procédure (C. com., art. L. 631-8, al. 4).

Portant sur ce thème, l’arrêt ici rapporté a ceci d’intéressant qu’il repose sur une problématique en apparence inextricable.

Nous savons que le jugement d’ouverture d’une procédure collective a autorité et force de chose jugée (Com. 13 févr. 2007, n° 05-13.526, Bull. civ. IV, n° 36 ; D. 2007. 583, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2008. 624, obs. A. Martin-Serf ). Or, selon un auteur, l’autorité absolue de la chose jugée attachée au jugement d’ouverture s’étend à la date de cessation des paiements, qu’elle soit fixée par le jugement d’ouverture ou par un...

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(Original publié par bferrari)
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Une clause d’exclusion stipulée dans une police d’assurance en « caractères lisibles et gras » correspond-elle à l’exigence de caractères très apparents posée par l’article L. 112-4 du code des assurances ? Voilà la question qu’a dû se poser la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 14 octobre 2021.

Rappelons qu’afin de protéger la « partie réputée faible », autrement dit le souscripteur, un « formalisme de protection » s’est progressivement développé en droit des assurances, dont le contrat, considéré comme l’archétype du contrat de consommation, est « structurellement déséquilibré » au point de permettre des aménagements au principe de la liberté contractuelle (F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Contrats, PUF, 2014, p. 34).

Manifestation patente de ce déséquilibre, les assureurs avaient la regrettable habitude de rédiger les documents contractuels en très petits caractères – notamment les clauses restrictives ou exclusives de garantie – avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1930. Or « l’exposé des motifs de la loi de 1930 souligne la volonté de mettre fin à de telles pratiques afin de protéger les assurés : L’obligation de rédiger les clauses et conditions de la police en caractères très apparents a pour objet de remédier à des abus trop fréquents. L’emploi encore trop fréquent de petits caractères oppose en effet de réelles difficultés à la lecture du contrat » (exposé des motifs sous l’article 8 du projet de loi). « L’attention de l’assuré doit être attirée tout particulièrement sur les clauses de nullité ou de déchéance, qu’il a le plus grand intérêt à connaître » (exposé des motifs sous l’art. 9 du projet de loi). La loi de 1930 a imposé que la police soit rédigée en caractères apparents (C. assur., art. L. 112-3) et précisé que « Les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents » (C. assur., art. L. 112-4, in fine). De même, « la durée du contrat doit être mentionnée en caractères très apparents dans la police » (C. assur., art. L. 113-15, al. 1 ; A. Cayol, Le principe du consensualisme et ses limites, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 1re éd., 2020, p. 114 s., spéc. p. 116). Toute forme d’assurance – individuelle ou de groupe – est concernée par ce formalisme (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, n° 547, in fine ; Civ. 2e, 8 oct. 2009, n° 08-14.482, RCA 2010. Comm. n° 23, note H. Groutel).

De strictes conditions de fond doivent aussi être respectées par les assureurs dans la rédaction des clauses d’exclusion de garantie. Il est requis que ces clauses soient formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1), ce qu’elles ne sont plus dès lors qu’elles doivent être interprétées et qu’elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées (R. Bigot et A. Cayol, L’article L. 113-1 du code des assurances et les clauses d’exclusion non formelles sur la sellette, sous Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 19-16.435, Dalloz actualité, 7 janv. 2021 ; D. 2020. 2397 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ). Par exemple, dernièrement n’a pu recevoir application parce que jugée non formelle et limitée la clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne « et autre "mal de dos" », peu important que l’affection dont est atteint l’assuré soit l’une de celles précisément énumérées à la clause (R. Bigot et A. Cayol, Les assureurs se cassent les dents sur la clause d’exclusion « mal de dos », sous Civ. 2e, 17 juin 2021, n° 19-24.467, Dalloz actualité, 30 juin 2021 ; D. 2021. 1186 ). L’étau du formalisme de protection se resserre ainsi autour des clauses d’exclusion mal rédigées, ce que confirme cette énième affaire sur la question.

En l’espèce, une société financière a donné un véhicule utilitaire en crédit-bail à un artisan. Le contrat était assorti de deux assurances de groupe, souscrites par la société crédit-bailleresse auprès de sociétés d’assurance du même groupe. L’artisan a adhéré, notamment, à un contrat collectif d’assurance couvrant les risques « décès-perte totale et irréversible d’autonomie-incapacité de travail ». Après avoir été victime d’un accident vasculaire cérébral et placé en arrêt de travail, l’assuré a été examiné par un médecin expert, mandaté par l’assureur. Le médecin expert a conclu à un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) inférieur à celui contractuellement fixé et à ce que la pathologie présentée par l’assuré n’était plus liée à l’accident vasculaire et était exclue de la garantie contractuelle. L’assureur a opposé, en conséquence, à l’assuré un refus de garantie au titre de l’« incapacité permanente ».

L’artisan assuré bénéficiaire du crédit-bail a été assigné par la crédit-bailleresse devant un tribunal de grande instance en paiement des sommes restant dues et en restitution du véhicule. L’assureur est intervenu volontairement à l’instance.

Deux importants problèmes de droit se présentaient à la Cour de cassation dans cette affaire, exposés en deux moyens. L’un a trait à l’exigence de caractères très apparents pour les clauses d’exclusion. L’autre concerne l’irrecevabilité de l’expertise médicale non soumise à la discussion contradictoire des parties.

Les clauses d’exclusion soumises à l’exigence de caractères très apparents posée par l’article L. 112-4 du code des assurances

En l’espèce, la cour d’appel déboute l’assuré de sa demande de garantie dirigée contre la société d’assurance, au motif que la clause d’exclusion litigieuse figurant dans la notice d’information prévoit, en caractères lisibles et gras [nous soulignons], des exclusions applicables pour la garantie...

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(Original publié par rbigot)
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Si l’extension, au cours du bail expiré, d’une terrasse de plein air devant l’établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative ne saurait s’analyser en une modification des caractéristiques des locaux loués (puisque la terrasse ne fait pas partie de ceux-ci), en revanche, elle peut entraîner le déplafonnement du loyer de renouvellement si elle est constitutive d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité.

Tel est le sens de l’arrêt de censure rapporté, très en prise avec notre réalité post-confinement, qui – avec l’assentiment de l’administration – voit fleurir des terrasses sur les trottoirs dans le prolongement de nombreux cafés-restaurants.

Au cas particulier, le principe du renouvellement d’un bail commercial de locaux dans lesquels était exploité un commerce de restaurant-bar-brasserie avait été acté en 2011 et le contentieux portait sur le quantum du nouveau loyer.

Au soutien de sa demande de déplafonnement, arguant du bénéfice tiré par le preneur d’une terrasse octroyée par l’administration, lui permettant de tirer un meilleur profit de son commerce, le bailleur invoquait tant la modification des caractéristiques des locaux loués que la modification des facteurs locaux de commercialité.

Absence de modification des caractéristiques des locaux loués

Le bailleur échoue à convaincre sur ce premier fondement, dans la mesure où, ainsi que le relève le juge du fond et, après lui, les hauts magistrats, l’extension au cours du bail expiré de la terrasse de plein air devant l’établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative, ne fait pas partie des locaux loués. Or, l’article R. 145-3 du code de commerce vise les caractéristiques « propres au local » (dans le même sens, à propos d’une terrasse close et couverte précaire, v. déjà, Civ. 3e, 25 nov. 2009, n° 08-21.049, D. 2009. 2932 ; AJDI 2010. 378 , obs. Y. Rouquet ; Rappr., jugeant au visa de l’art. R. 145-4 c. com. que la création d’une terrasse sur le domaine public à l’extérieur des lieux loués constitue un élément extrinsèque des locaux ne pouvant s’analyser en une modification des caractéristiques propres du local, Paris, 16 janv. 1996, Loyers et copr. 1996, n° 124, obs. P.-H. B. ; dans le même sens, eu égard au caractère précaire de l’autorisation, v. Civ. 3e, 17 déc. 2002, n° 01-16.833, AJDI 2003. 267 ; Paris, 24 nov. 1999, AJDI 2000. 142 . Comp. cependant jugeant, à propos d’une terrasse fermée et couverte, que son adjonction, qui entraîne l’augmentation de 17 % de la capacité d’accueil, constitue une modification notable des lieux, Paris, 13 sept. 2017, n° 15/18072, Administrer 10/2017. 56, obs. M.-L. Sainturat ; Gaz. Pal. 21 nov. 2017. 85, obs. S. Chastagnier).

Possible prise en compte de l’évolution des facteurs locaux de commercialité

Le bailleur obtient toutefois la censure de l’arrêt d’appel au visa des articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145-6 du code de commerce : le juge d’appel aurait dû, ainsi qu’il y était invité, rechercher si l’extension du commerce du preneur à la faveur de cette terrasse modifiait les facteurs locaux de commercialité et constituait par là-même un motif de déplafonnement.

Il incombera par conséquent à la cour de renvoi de déterminer si l’extension du commerce par une terrasse de plein air devant l’établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative est de nature à faire évoluer favorablement et notablement les facteurs locaux de commercialité.

Ce serait, à notre connaissance une première, mais le texte semble le permettre.

En effet, d’une part, nous pouvons remarquer, avec un auteur (J.-P. Blatter, Traité des baux commerciaux, Le Moniteur, 6e éd., n° 914), que les facteurs locaux de commercialité sont exclusivement externes au bail et au local.

D’autre part, l’article R. 145-6 du code de commerce vise, entre autres, « l’attrait particulier […] que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que [les éléments déterminant les facteurs locaux de commercialité] « subissent d’une manière durable ou provisoire ».

Certes, l’installation temporaire d’une terrasse sur le domaine public n’est pas « subie » par le commerçant (puisqu’elle lui est incontestablement profitable), toutefois, cet argument ne nous semble pas dirimant pour exclure le jeu de cet article.

En effet, texte d’application de l’article L. 145-33 du code de commerce, cet article R. 145-6 est un outil visant à déterminer la valeur locative du local loué au regard de l’intérêt que présentent les facteurs locaux de commercialité pour le commerce considéré (rappr. d’ailleurs, tenant compte : de la pietonnisation d’une rue, Civ. 3e, 10 janv. 2006, n° 04-20.443, AJDI 2006. 282 …. ou de l’élargissement des trottoirs d’une artère, Paris, 2 déc. 2015, n° 14/09224, Administrer 2/2016. 33, obs. Sainturat ; Bordeaux, 12 nov. 2018, n° 17/03506, AJDI 2019. 369 ).

(Original publié par Rouquet)

La circulaire du 4 octobre 2021 a été émise le lendemain de la sortie du dossier Pandora Papers, révélé dans le cadre d’articles de presse publiés le 3 octobre 2021 (v. not., Pandora Papers : plongée mondiale dans les secrets de la finance offshore, Le Monde, 3 oct. 2021). Comme les Lux Leaks et les Panama Papers avant eux, les Pandora Papers sont le fruit du travail du Consortium international de journalistes d’investigations (ICIJ). L’ICIJ a dans ce cadre révélé les pratiques d’évitement d’impôts utilisés par de nombreuses personnalités publiques, dont 35 dirigeants de gouvernements et plus de 330 hommes et femmes politiques.

S’inscrivant dans l’objectif d’un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, cette circulaire a conduit le ministère de la Justice à préciser le régime issu de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale, par des directives opérationnelles.

Contexte global

Dès les premières lignes de son préambule, la circulaire du 4 octobre 2021 pointe la fraude fiscale comme une « atteinte grave au pacte social » en ce qu’elle engendre « une inégalité de fait devant l’impôt ».

Se soustraire au paiement de l’impôt est ainsi présenté comme une atteinte aux intérêts de la collectivité des contribuables et donc à l’intérêt général, et non plus seulement une atteinte aux intérêts budgétaires de l’État.

Cette nouvelle perspective exprime clairement l’ambition du gouvernement de renforcer la répression pénale, concomitamment aux procédures fiscales, et donc de valoriser l’office du juge pénal, et ainsi ne pas laisser la seule administration fiscale avoir la main sur les procédures menées contre les présumés fraudeurs. En ce sens, la circulaire du 4 octobre 2021 s’inscrit dans le prolongement naturel de la loi du 23 octobre 2018, en ce qu’elle érige la lutte contre la fraude fiscale en « enjeu majeur pour l’autorité judiciaire ».

Le durcissement de la répression pénale de ce type d’infraction peut notamment être interprété comme une réponse politique aux reproches d’inertie des pouvoirs publics face à l’évitement fiscal de certains, à l’heure où les mouvements sociaux de 2018 à 2020 dénonçaient la pression fiscale sur les contribuables aux revenus les plus modestes, et ce au bénéfice des plus fortunés selon la majorité des commentateurs.

Si la pénalisation de la fraude fiscale n’est pas nouvelle, la volonté politique de mobiliser de nouveaux moyens pour mettre en œuvre cette réponse pénale l’est quant à elle. Outre le contexte national, cette démarche poursuit une dynamique impulsée à plus grande échelle.

À l’échelon international, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) adopte une approche concrète et opérationnelle dans sa mission d’harmonisation des politiques de poursuite et de répression des infractions fiscales. Dans cette logique, elle a d’abord publié, le 30 novembre 2020, un guide pratique de diagnostic des États s’agissant de leur capacité d’enquête et de répression des délits à caractère fiscal (OCDE [2020], Le Modèle de maturité en matière d’enquêtes sur les délits fiscaux, Paris) ; elle a ensuite publié, le 17 juin 2021, un rapport actualisé présentant une série de dix mécanismes juridiques, institutionnels, administratifs et opérationnels essentiels à la mise en place d’un système efficace de lutte contre les délits fiscaux (OCDE [2021], Lutte contre la délinquance fiscale : les dix principes mondiaux, 2e éd., Paris. Actualisant une 1re édition du rapport publiée le 8 nov. 2017). Parmi les autres recommandations concrètes de l’OCDE certaines ont pu viser en particulier la répression des conseils et intermédiaires fiscaux en tant que facilitateurs dans la commission des infractions fiscales (OCDE [2021], En finir avec les montages financiers abusifs : réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc, Paris).

À l’échelon européen, l’entrée en fonction le 1er juin 2021 du Parquet européen marque un tournant dans la coopération entre les États membres pour la poursuite et la répression d’infractions fiscales et financières constituant une « atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne ». Cette nouvelle institution, certes dotée de compétences propres, contribue à l’élaboration d’un espace commun de justice pénale entre les États membres. À cet égard, il est probable que la collaboration des Parquets européen et nationaux se révèle en pratique utile à la détection et à la répression des fraudes fiscales transfrontalières.

La circulaire du 4 octobre 2021 s’inscrit donc dans ce mouvement d’une poursuite plus efficace et une répression plus ferme des infractions fiscales, en mettant à la disposition des Parquets de nouveaux moyens, méthodes et dispositifs opérationnels.

Le régime issu de la loi du 23 octobre 2018, complétée par la circulaire du 7 mars 2019

La loi du 23 octobre 2018

Le régime actuel de la lutte contre la fraude fiscale est, au niveau national, en grande partie issu de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale, qui poursuit les objectifs suivants : « mieux détecter, appréhender, et sanctionner la fraude » (Loi préc., Exposés des motifs).

Les principales innovations de cette loi étaient les suivantes :

S’agissant de la détection et de l’appréhension de la fraude, la loi du 23 octobre 2018 prévoyait :

la création d’un service placé sous l’autorité du ministre chargé du budget, chargé d’effectuer des enquêtes judiciaires (il s’agira du service d’enquêtes judiciaire des finances créé par le décr. n° 2019-460 du 16 mai 2019), qui intervient concurremment avec la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, (BNRDF - décr. n° 2010-1318 du 4 nov. 2010) ;la levée du secret fiscal jusqu’alors opposable au procureur de la République ;la suppression du « Verrou de Bercy » : dans un certain nombre de cas, l’administration fiscale a désormais l’obligation de dénoncer les faits au Parquet. En outre, en cas de « présomption caractérisée de fraude fiscale », l’administration fiscale peut désormais dénoncer les faits sans solliciter l’avis de la Commission des infractions fiscales. Dans tous les autres cas, l’avis de la CIF demeure nécessaire ;l’extension de la CRPC et de la CJIP à la fraude fiscale.

S’agissant de la répression de la fraude fiscale, la loi prévoyait également :

une aggravation des peines encourues ;le prononcé automatique de peines complémentaires ;la création d’une amende fiscale pour les professionnels ayant facilité la réalisation de la fraude.

Ces nouvelles dispositions, qui ont profondément remanié le régime français de la lutte contre la fraude fiscale, ont été explicitées par une première circulaire émise le 7 mars 2019.

La circulaire du 7 mars 2019

La première partie de la circulaire CPAE1832503C du 7 mars 2019 relative à la réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale et au renforcement de la coopération entre l’administration fiscale et la Justice en matière de lutte contre la fraude fiscale, a pour seul objet de préciser les dispositions de la loi du 23 octobre 2018 relatives à l’engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale, i.e. à la disparition du « Verrou de Bercy ».

La seconde partie de la circulaire est quant à elle consacrée au « renforcement de la coopération et de la coordination entre l’administration fiscale et la Justice ».

Dans ce cadre, la circulaire rappelle les dispositions des articles L. 101 et L. 82 C du livre des procédures fiscales qui prévoient la transmission d’informations et de dossiers par l’autorité judiciaire à l’administration fiscale, et insiste sur la nécessité de procéder rapidement et de façon systématique à de telles transmissions.

Réciproquement, la circulaire rappelle les cas dans lesquels l’administration fiscale doit dénoncer des faits au Parquet sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, cette dénonciation devant également se faire rapidement et de façon systématique.

Afin d’assurer l’efficacité de ces échanges, la circulaire comprend des directives relatives au suivi des suites apportées aux informations transmises par l’administration fiscale à l’autorité judiciaire. À cet effet, elle prévoit la création d’un comité de suivi des échanges et d’un référent fraude fiscale au sein des Parquets.

Les instructions concrètes contenues dans la circulaire du 7 mars 2019 s’inscrivaient ainsi dans un périmètre limité, ce qui a conduit la Chancellerie à les compléter par la circulaire du 4 octobre 2021.

La circulaire du 4 octobre 2021 : un renforcement opérationnel de la lutte contre la fraude fiscale

La circulaire du 4 octobre 2021 comprend ainsi, pour chaque étape de la chaîne pénale, des instructions concrètes et opérationnelles. Ces instructions vont clairement dans le sens d’une plus grande sévérité dans la lutte contre la fraude fiscale.

Cette circulaire comprend trois axes principaux.

Des instructions liminaires relatives à la répartition des attributions respectives des juridictions non spécialisées et spécialisées

Aux termes de ces instructions, les procureurs sont incités à être davantage réactifs dans le traitement des signalements, dénonciations obligatoires et plaintes transmises par l’administration fiscale ainsi que dans le traitement des signalements TRACFIN.

Surtout, il leur est demandé d’envisager de les diriger, selon le cas, vers une des juridictions spécialisées : JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées), JUNALCO (Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) et PNF (Parquet national financier). Dans cette optique, la première partie de la circulaire rappelle les champs d’intervention de ces trois juridictions spécialisées. Le PNF est d’ailleurs spécifiquement encouragé à envisager la mise en cause de la responsabilité pénale des intermédiaires institutionnels et conseils juridiques. À titre de précision, les juridictions spécialisées n’avaient pas été évoquées par la circulaire du 7 mars 2019, omission qui pouvait nuire à l’efficacité de la procédure pénale (NB : la JUNALCO n’existait pas encore lors de la parution de la circulaire du 7 mars 2019, puisqu’elle a été créée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, mise en place au début de l’année 2020).

Au début de la chaine pénale : les stratégies d’enquête dans le domaine de la fraude fiscale

La circulaire vient préciser l’action des Parquets tant en amont de l’enquête pénale, i.e. au stade des échanges avec l’administration et de l’ouverture de l’enquête, qu’au cours de son déroulement. Tout comme celle du 7 mars 2019, la circulaire du 4 octobre 2021 encourage une coopération renforcée, et des échanges d’informations, entre l’administration fiscale et l’autorité judiciaire, notamment dans le cadre de rencontres opérationnelles régulières.

Par ailleurs, la circulaire contient surtout de nombreuses directives visant à renforcer une meilleure poursuite des infractions par les Parquets.

Ainsi, lors de la « naissance du dossier », il est demandé :

à l’administration fiscale de compléter le contenu de ses dénonciations obligatoires, qui doivent désormais inclure la réponse du contribuable à la proposition de rectification définitive ;aux magistrats de procéder à une évaluation préalable des dossiers, et de fixer des directives précises aux enquêteurs, au moyen d’un soit-transmis détaillé et uniformisé.

En outre, la circulaire comprend des annexes telles qu’un guide de lecture des dossiers de dénonciation obligatoire et des modèles de soit-transmis, visant à éclairer très concrètement les procureurs sur l’application de ces directives.

Enfin, dans l’optique de renforcer l’analyse des dossiers par les Parquets, le recours au détachement d’assistants spécialisés de l’administration fiscale au sein des juridictions spécialisées est encouragé, notamment en vue d’étendre les investigations à d’autres impôts ou à d’autres infractions.

Au bout de la chaine pénale : la détermination des modes de poursuite de la fraude fiscale

Alors que la circulaire du 7 mars 2019 n’évoquait pas les dispositions de la loi du 24 octobre 2018 relatives à la CRPC et à la CJIP, la circulaire du 4 octobre 2021 encourage le recours à ces deux procédures notamment, s’agissant de la CJIP, pour les dossiers à forts enjeux financiers. La portée de cette instruction ne devra pas être sous-estimée, et il conviendra de s’interroger sur ses potentielles conséquences quant au nombre de dossiers pouvant être appréhendés dans ce cadre, ainsi que sur le montant des amendes susceptibles d’être infligées.

En cas de poursuites devant les juridictions répressives, la circulaire encourage les Parquets à requérir systématiquement, en plus des peines principales encourues, la prononciation des peines complémentaires (affichage et diffusion de la décision et inéligibilité). 

(Original publié par Dargent)

Contrairement à d’autres textes, le Sénat n’a pas bouleversé le projet de loi du gouvernement sur la confiance dans l’institution judiciaire. Il avait même adopté plusieurs articles-clés (encadrement des enquêtes, diffusion des audiences, fin des remises automatiques de peine). Néanmoins, deux points importants font toujours dissensus et seront à trancher lors de la commission mixte paritaire (CMP) qui rassemblera députés et sénateurs ce jeudi matin : le secret de l’avocat et la généralisation des cours criminelles départementales.

Alors que les députés avaient adopté à l’unanimité l’article 3 sur le secret de l’avocat en matière de conseil et défense pénale, les sénateurs sont revenus sur cet article. Si le secret de la défense pénale serait entier, celui du conseil serait exclu en matière de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence et blanchiment de ces délits. Une manière pour les sénateurs de garantir la constitutionnalité du dispositif et les impératifs des enquêteurs. Une position inacceptable pour les représentants des avocats et les députés du groupe LREM.

Autre point de dissensus : l’article 7 sur la généralisation des cours criminelles départementales, article que le Sénat a supprimé. Si les oppositions contre ces cours se sont adoucies, les sénateurs LR ne souhaitent pas généraliser dès à présent ce dispositif : ils souhaitent que l’expérimentation prévue jusqu’en mai 2022 aille à son terme.

Les rapporteurs du texte (Stéphane Mazars à l’Assemblée, Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère au Sénat) essaient donc d’arriver à un compromis. Compromis auquel pousse par ailleurs le gouvernement, lui-même divisé sur le secret de l’avocat et qui souhaite accélérer le calendrier parlementaire. Mercredi matin, si les positions commençaient à converger, les rapporteurs n’avaient toujours pas trouvé d’accord. L’issue de la CMP était donc toujours incertaine.

Des compromis sont néanmoins possibles. Concernant le secret de l’avocat, les exceptions pourraient être plus limitées (uniquement la fraude fiscale), et la présence de l’avocat durant les perquisitions abandonnée.

Concernant les cours criminelles, l’expérimentation pourrait se voir prolongée, à défaut d’être immédiatement généralisée.

En cas de réussite, le texte serait rapidement adopté. En cas d’échec, le texte reviendrait en nouvelle lecture à l’Assemblée puis au Sénat, avant une lecture définitive à l’Assemblée. Un échec pourrait également conduire le Sénat à saisir le Conseil constitutionnel, notamment sur l’article 3. C’est ce qu’il fait habituellement en cas d’échec de CMP, dès lors que le texte présente des fragilités constitutionnelles.

(Original publié par Dargent)

Si l’important volet transport de la loi du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances – dite « DDADUE 2021 » – est essentiellement consacré au droit aérien (v. notre brève, Adaptation au droit de l’Union européenne par la loi du 8 octobre 2021 : aspects de droit aérien, Dalloz actualité, 19 oct. 2021), il n’oublie en réalité aucune branche de ce droit. Cette loi s’intéresse, en effet, à la fois au droit des transports routiers, au droit des transports maritimes, ainsi qu’au droit des transports fluviaux. Enfin, elle comporte deux mesures de circonstance destinées à sécuriser juridiquement certaines conséquences du Brexit.

Transport routier

La loi du 8 octobre 2021 (art. 13) procède à la transposition de la directive (UE) 2019/520 du 19 mars 2020 concernant l’interopérabilité des systèmes de télépéage routier et facilitant l’échange transfrontalier d’informations relatives au défaut de paiement des redevances routières dans l’Union au sein d’une section intitulée « Service européen de télépéage » du code de la voirie routière. Pour rappel, le télépéage permet aux usagers d’une autoroute ou d’un ouvrage routier de franchir les péages dans une file dédiée sans avoir à s’arrêter pour s’acquitter de la redevance due à raison de l’utilisation des infrastructures routières concernées. Sa mise en œuvre nécessite l’utilisation d’un dispositif électronique spécifique embarqué au sein du véhicule de l’usager, qui aura pour fonction d’interagir avec le système électronique de la gare de péage. Parmi les dispositions introduites dans le code, on relèvera que la loi nouvelle vient compléter et élargir la définition du service européen de télépéage (SET), qui ne concernait, pour l’heure, que les paiements effectués par les usagers du réseau routier via l’utilisation d’un dispositif électronique embarqué. La nouvelle définition intègre désormais un élément matériel (le service de péage) et un élément organique (l’enregistrement du prestataire de services en tant que prestataire du service européen de télépéage ; C. voirie rout., art. L. 119-2 mod.). Elle confie à l’ART plusieurs missions : une mission de conciliation entre les percepteurs de péage et les prestataires du service de télépéage européen ; l’enregistrement, en tant que prestataire du service européen de télépéage, les personnes morales établies en France qui souhaitent exercer cette activité ; la tenue registre électronique du service européen de télépéage (C. voirie rout., art. L. 119-4 mod.).

La loi nouvelle (art. 14) procède également à une actualisation de l’article L. 330-2 du code de la route pour transposer l’article 23 de la directive (UE) 2019/520 en intégrant le « défaut d’acquittement du péage » au sein des motifs permettant la communication à destination d’autres États membres d’informations relatives à la circulation des véhicules. Cette modification offre une base législative à la transposition de l’article 23 de la directive (UE) 2019/520 qui sera effectuée par voie réglementaire. Elle actualise (art. 15) également l’article L. 1262-3 du code des transports, qui définit les missions de l’ART, en prévoyant un renvoi au code de la voirie routière pour les missions de l’ART concernant le secteur des autoroutes. Elle intègre (art. 16) expressément les sous-concessionnaires du réseau autoroutier parmi les entités susceptibles de faire l’objet de collectes régulières d’information de la part de l’ART (C. voirie rout., art. L. 122-31 mod.). Comme l’ont précisé les travaux préparatoires, cette collecte constitue un enjeu important pour contrôler le respect des engagements pris par les sous-concessionnaires « en matière de modération tarifaire pour les carburants, pour apprécier si la durée des contrats de sous-concession n’excède pas le temps raisonnablement escompté par l’exploitant pour qu’il amortisse les investissements réalisés pour l’exploitation des ouvrages ou des services avec un juste retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l’exécution du contrat » (Doc. AN n° 4186, 23 juin 2021, p. 85).

Le texte (art. 24) introduit par ailleurs dans notre législation les règles du « Paquet mobilité I », adopté par les instances européennes en juillet 2020, qui vise à harmoniser la législation européenne relative au transport en garantissant une juste concurrence au sein du marché unique et des conditions de travail des conducteurs routiers compatibles avec la préservation de leur santé et de la sécurité routière. Elle vient inscrire au sein du code des transports certaines dispositions des règlements (UE) n° 2020/1054 et n° 2020/1055 du 15 juillet 2020 concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs routiers, ainsi que les conditions d’accès au marché du transport routier de marchandises. Elle vient notamment interdire le repos hebdomadaire régulier en cabine, en introduisant le tachygraphe intelligent et en imposant à l’entreprise de transport d’organiser le retour du conducteur routier à son domicile régulièrement. La loi du 8 octobre 2021 (art. 25) transpose également la directive (UE) 2020/1057, également en date du 15 juillet 2020 qui comporte des mesures spécifiques au détachement des conducteurs routiers. Cette directive, dite « lex specialis », est aussi l’une des composantes du « Paquet mobilité I ». Elle vise à appliquer des règles spécifiques aux conducteurs routiers faisant exception au cadre général posé par la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. L’application de ces règles doit permettre de réduire la concurrence déloyale en garantissant aux conducteurs routiers une rémunération plus juste, reposant sur les règles définies dans l’État membre d’accueil (C. transp., art. L. 1331-1 mod. et L. 1332-1 à L. 1332-8 nouv.).

Enfin, la loi du 8 octobre 2021 (art. 27) ratifie l’ordonnance n° 2021-487 du 21 avril 2021 relative à l’exercice des activités des plateformes d’intermédiation numérique dans divers secteurs du transport public routier.

Transport maritime

La loi du 8 octobre 2021 (art. 17) met en conformité le droit français avec la directive (UE) 2016/802 du 11 mai 2016 concernant la réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides qui vise à réduire la teneur en soufre des combustibles marins. Elle vient préciser, au sein du code de l’environnement, l’existence d’un plafond de teneur en soufre des combustibles marins de 3,50 % en masse pour les navires mettant en œuvre des méthodes de réduction des émissions et qui ne peut être dépassé que pour ceux fonctionnant en système fermé. Elle rend également applicable le régime des sanctions pénales prévu en cas de non-respect de ce plafond. Elle procède enfin à l’extension de l’application de ce régime en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF ; C. envir., art. L. 218-1, L. 218-2, L. 612-1, L. 622-1, L. 632-1 et L. 640-1 mod.).

Cette même loi (art. 18) met en conformité le droit français avec la directive 2008/106 du 19 novembre 2008 concernant le niveau minimal de formation des gens de mer, qui reprend elle-même largement les exigences de deux conventions internationales, la convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille adoptée en 1978 (STCW) et la convention internationale sur les normes de formation du personnel des navigants de pêche, de délivrance des brevets et de veille adoptée en 1995 (convention STCW-F). Elle vient ainsi parachever la transposition mise en œuvre par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (C. transp., art. L. 5547-3) en ajoutant les superviseurs à la liste des personnels des organismes de formation professionnelle maritime dont le niveau de qualification et d’expérience est pris en compte dans le cadre de la délivrance d’un agrément et renvoie au pouvoir réglementaire la définition du niveau de qualification des formateurs et évaluateurs dispensant ces formations (C. transp., art. L. 5547-10 nouv.).

La loi (art. 19) modifie plusieurs dispositions du code des transports relatives à l’autorité de surveillance des équipements marins en vue de l’entrée en vigueur, en juillet 2021, d’une partie du règlement (UE) n° 2019/1020 du 20 juin 2019 sur la surveillance du marché et la conformité des produits, qui modifie le règlement européen (CE) n° 765/2008 du 9 juillet 2008 relatif à l’accréditation et à la surveillance du marché. Il complète en conséquence la définition de la notion d’opérateur économique, en intégrant en son sein les « prestataires de services d’exécution des commandes » et renforce la capacité d’intervention de l’autorité de surveillance des équipements marins sur les matériels présentant un danger ou un risque pour le consommateur.

Le texte (art. 22) met également en conformité les dispositions du code des transports relatives au travail de nuit de jeunes de moins de 18 ans à bord des navires avec la directive 94/33/CE du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail et la directive 2017/159 du 19 décembre 2016 relative à la mise en œuvre de la convention C188 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail dans la pêche. A cette fin, elle prévoit notamment : d’avancer l’heure à laquelle débute le travail dit de nuit, en principe interdit, à 21 heures (au lieu de 22 heures actuellement) afin de couvrir une période de 9 heures consécutives conformément au droit européen (C. transp., art. L. 5544-27 mod.) ; d’étendre la période de repos obligatoire dont bénéficient ces jeunes travailleurs de minuit à 4 heures du matin plutôt que 5 heures (C. transp., art. L. 5544-29 mod.).

Cette même loi (art. 23) soumet, par ailleurs, au versement de cotisations vieillesse les périodes d’activité partielle des marins. En effet, le Brexit et le contexte économique lié à l’épidémie de Covid-19 ont eu pour conséquence un recours massif à l’activité partielle de longue durée dans le secteur maritime. Cette mesure vise ainsi à permettre de prendre en compte ces périodes dans le calcul du salaire forfaitaire sur la base duquel les droits à pension des marins sont déterminés (C. transp., art. L. 5553-4 mod.).

Enfin, la loi du 8 octobre 2021 (art. 28) procède à la ratification de six ordonnances relatives au transport maritime, qui ont été publiées en 2020 et 2021. Ces ordonnances ont été prises par le gouvernement sur le fondement de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM). Parmi celles-ci, l’ordonnance n° 2021-266 du 10 mars 2021 portant application de la convention conclue à Nairobi sur l’enlèvement des épaves.

Transport fluvial

La loi du 8 octobre 2021 (art. 20) actualise la rédaction de l’article L. 4463-2 du code des transports qui pose le principe de l’interdiction de la conclusion de contrats à un prix inférieur au coût de la prestation de services dans le domaine du transport fluvial de marchandises ; il s’agit là d’une infraction pénale assortie d’une amende de 15 000 €. Il s’avère que la rédaction jusque-là en vigueur de cet article n’est pas conforme à l’article 2 de la directive 96/75/CE du 19 novembre 1996 concernant les modalités d’affrètement et de formation des prix dans le domaine des transports nationaux et internationaux de marchandises par voie navigable dans la Communauté, selon lequel les contrats sont librement conclus entre les parties concernées et les prix librement négociés. Désormais, cet article L. 4463-2, dans sa nouvelle rédaction, prévoit que ces prix ne doivent pas constituer, conformément aux règles communautaires en matière de droit la concurrence, des prix bas susceptibles de constituer un abus de position dominante telle qu’elle est définie à l’article L. 420-2 du code du commerce, en conformité avec le droit de l’Union européenne, sous peine de l’application des sanctions prévues à l’article L. 464-2 du même code.

Mesures liées au Brexit

La loi (art. 21) vient sécuriser en droit, dans le contexte du Brexit, la possibilité pour les ferries sous pavillon français naviguant entre la France et le Royaume-Uni d’exploiter exclusivement des appareils de jeu de type « machine à sous ». L’article L. 321-3 du code de la sécurité intérieure prévoit, en effet, la possibilité d’exploiter au sein des casinos installés à bord des navires des appareils de jeu (machines à sous) dans le cadre d’une « ligne régulière intracommunautaire ». Or, le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne fait peser le risque que les navires battant pavillon français ne puissent plus exploiter ces appareils de jeu au regard de la rédaction de cet article qui fait référence à la condition que les navires concernés appartiennent à une « ligne intercommunautaire régulière ». D’où la substitution, au sein de celui-ci, au mot « intercommunautaire », les mots « touchant un port de l’Union européenne ».

Enfin, la loi nouvelle (art. 26) confère une base légale à l’autorisation des installations douanières et sanitaires mises en place en urgence dans la perspective du Brexit et du rétablissement des contrôles aux frontières entre la France et le Royaume-Uni. Ces installations, situées sur la commune de Calais, ont été construites en 2019 et 2020 de manière dérogatoire à la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi « littoral ». Autorisée sur la base d’une habilitation législative à légiférer par ordonnance, leur implantation ne vaut que pour une durée de deux ans, qui devrait expirer en 2022. L’intervention du législateur était donc nécessaire pour pérenniser ces installations et permettre qu’elles fassent l’objet d’un permis de construire. Concrètement, cette dérogation permettra la délivrance d’un permis de construire pour ces infrastructures.

(Original publié par Delpech)

Alors qu’un frémissement des ouvertures de procédures collectives se fait sentir (V. Altares, Études de défaillances et sauvegardes des entreprises en France au 3e trimestre 2021), et après une chute historique des défaillances d’entreprises, les deux décrets d’application de l’article 13 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ayant instauré la procédure judiciaire de traitement de sortie de crise viennent d’être publiés (v. K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : instauration temporaire d’une procédure judiciaire de traitement de sortie de crise, Dalloz actualité, 7 juin 2021). L’objectif du législateur est de prévoir une procédure judiciaire pour les entreprises qui rencontrent un problème conjoncturel lié à la crise sanitaire et au financement de leur activité, ce qui exclut les entreprises structurellement en difficulté. Temporaire et spécifique, la procédure est entrée en vigueur le 18 octobre 2021 et s’appliquera jusqu’au 1er juin 2023 (Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, art. 13, VII). Les deux décrets d’application, n° 2021-1354 et n° 2021-1355 du 16 octobre 2021, sont d’inégale contenance. S’ils comportent tous les deux des dispositions d’adaptation réglementaire du code de commerce à la procédure de traitement de sortie de crise spécifiques et des disposition spécifiques, le décret n° 2021-1354 aménage, par ailleurs, les voies de recours de cette procédure et poursuit la modification de vocabulaire liée à la mise en place du « comité économique et social » en supprimant les références aux comités d’entreprise et aux délégués du personnel. Un chapitre du décret est également dédié aux frais de procédures et émoluments du mandataire désigné, émoluments dont les montants seront précisés ultérieurement par arrêté ministériel.

Les conditions spécifiques d’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise

La demande d’ouverture d’une procédure de traitement de sortie de crise doit répondre à différentes conditions énumérées par l’article 13 de la loi n° 2021-689 en date du 31 mai 2021 qui ont été précisées par les deux décrets du 16 octobre 2021. À défaut, le tribunal devra rejeter la demande (Décr. n° 2021-1354, art. 3).

Critères et seuils des débiteurs pouvant demander l’ouverture de la procédure

L’initiative de la procédure de traitement de sortie de crise relève exclusivement du débiteur, personne physique ou morale. Elle est toutefois restreinte aux débiteurs dont le nombre de salariés est inférieur à vingt et dont le bilan est inférieur à 3 000 000 € de total du passif hors capitaux propres (Décr. n° 2021-1355, art. 1er). Il s’agit ici de deux critères cumulatifs. Pour ce qui est du premier critère, le nombre de salariés à prendre en compte est « le nombre de salariés employés par le débiteur à la date de la demande d’ouverture de la procédure » ; et s’agissant du second, le bilan est « apprécié à la date de clôture du dernier exercice comptable » (Décr. n° 2021-1355, art. 2 et 3). Si le nombre de salariés est un critère connu, celui du bilan hors capitaux propres est nouveau. Le total du passif sans les capitaux propres permet essentiellement de tenir compte des dettes financières, d’exploitation et des dettes diverses, ainsi que des provisions (pour risques, pour charges, etc.). Ce critère cible spécifiquement l’endettement, ce qui oriente bien sa vocation première, à l’égard des petites entreprises. Le critère des capitaux propres est toutefois moins pertinent pour les associations. Il faut probablement comprendre qu’il s’agit là des fonds associatifs.

Une demande précisant les modalités d’élaboration de l’inventaire

Lors de la demande d’ouverture de la procédure, le débiteur doit préciser les modalités d’élaboration de l’inventaire de son patrimoine et des garanties qui le grèvent (Décr. n° 2021-1354, art. 1er). Trois options s’offrent à lui : soit il s’engage à l’établir lui-même, soit il demande à en être dispensé, soit encore, il demande au tribunal la désignation d’un officier public ou un courtier de marchandises assermenté.

Les pièces jointes à la demande d’ouverture de la procédure

L’article 1er du décret n° 2021-1354 énonce une liste de quatorze pièces à joindre à la demande d’ouverture, en lien avec les conditions spécifiques d’ouverture de la procédure, telles qu’énoncées par l’article 13 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 (v. K. Lemercier et F. Mercier, préc.). C’est ainsi que le débiteur doit joindre l’état du passif exigible et de l’actif disponible, ainsi qu’une « déclaration de cessation des paiements » (1°). Il doit également fournir une situation de trésorerie (3°). À noter qu’en redressement judiciaire, l’article R. 631-1 du code de commerce précise que cette situation doit être datée de moins d’un mois, précision non reprise pour la procédure de traitement de sortie de crise. Ce critère, tel que décrit, est celui qui prévaut pour la demande de sauvegarde. Le débiteur doit également joindre un compte de résultat prévisionnel (4°). Cette pièce est déjà prévue pour la demande de sauvegarde, mais pas pour celle de redressement judiciaire (v. C. com., art. R. 621-1 pour la sauvegarde et R. 631-1 pour le redressement judiciaire). Toutefois, elle se justifie ici au regard de la nature de la procédure. Le débiteur doit également justifier du nombre des salariés employés à la date de la demande et le total du bilan ainsi que le montant du chiffre d’affaires. La précision du montant du chiffre d’affaires, qui apparait classiquement nécessaire pour que le tribunal apprécie notamment si les critères de désignation d’un administrateur judiciaire sont réunis, semble ici revêtir une moindre importance, si ce n’est pour l’information du tribunal, puisque le montant du chiffre d’affaires n’est pas retenu comme critère d’ouverture de la procédure. Il doit également justifier du paiement des créances salariales échues et fournir l’état chiffré des créances salariales à échoir ; à défaut, le texte précise que le débiteur peut attester sur l’honneur être à jour de ses obligations à l’égard de ses salariés (7°). Le législateur exige, en effet, que le débiteur qui demande l’ouverture de la procédure dispose « des fonds disponibles pour payer ses créances salariales » (Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, art. 13, I A). L’état chiffré des créances et des dettes, ainsi que le montant total des sommes à payer et à recouvrer au cours d’une période de trente jours à compter de la demande, doit également être fourni. Cette pièce permet d’établir le montant des créances à recouvrer. Le débiteur doit également fournir une attestation sur l’honneur certifiant l’absence de mandat ad hoc ou de procédure de conciliation dans les dix-huit mois précédant la date de la demande ou, dans le cas contraire, la mention de la date de la désignation du mandataire ad hoc ou de l’ouverture de la procédure de conciliation (12°). À noter que lorsque le débiteur était engagé dans une procédure de conciliation lors de la demande, le tribunal devra statuer sur l’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise après un rapport du conciliateur (Décr. n° 2021-1354, art. 3). Cette obligation ne concerne que la conciliation et non le mandat ad hoc sans que les raisons d’une telle éviction soient comprises. Les éléments de la demande empruntent ainsi à la sauvegarde et au redressement judiciaire, en y ajoutant le critère spécifique de la justification du paiement des créances salariales. Toutefois, il semble que cette demande écarte une condition déterminante : la justification par le débiteur d’être en mesure, dans le délai de trois mois, d’élaborer un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise. Cette absence interroge, s’agissant là également d’un critère d’éligibilité de la procédure de traitement de sortie de crise (L. n° 2021-689, 31 mai 2021, art. 13, I A). Il sera difficile à la juridiction consulaire d’apprécier l’effectivité de cette condition sans élément objectif apprécier le jour de l’examen de la demande d’ouverture.

La condition de qualité des comptes du débiteur

Outre les quatorze pièces énumérées à l’article 1er, les comptes annuels du dernier exercice sont également exigés. Ceux-ci doivent apparaître « réguliers, sincères et aptes à donner une image fidèle de la situation financière de l’entreprise » (Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, art. 13, I A). Afin d’appréhender avec certitude l’ampleur du passif, l’article 2 du décret n° 2021-1354 prévoit que le tribunal peut désigner un administrateur judiciaire, un mandataire judiciaire, un expert, un commissaire aux comptes ou encore un expert-comptable lorsque les comptes du débiteur n’ont pas été certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable. Cette mission d’expertise apportée au juge, qui peut également porter sur le respect des obligations relatives aux créances salariales, ne peut excéder un mois. On peut regretter que la mission ne porte pas sur la condition liée à l’obligation pour le débiteur de justifier qu’il est en mesure, dans le délai de trois mois, d’élaborer un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise.

Déroulement de la procédure de traitement de sortie de crise

Dépôt et vérification de la liste des créanciers

Dans les dix jours du jugement d’ouverture, le débiteur doit déposer au greffe la liste des créances de chaque créancier identifié dans ses documents comptables, ou avec lequel il est lié par un engagement dont il peut justifier l’existence (Décr. n° 2021-1354, art. 6). Cette liste doit contenir les informations détaillées sur les créances de l’article R. 622-5 du code de commerce, auxquelles sont ajoutées les « modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté ». Compte tenu de la très grande précision de ces informations, et s’agissant de petites entreprises, l’élaboration de cette liste peut s’avérer difficile. Le mandataire de la procédure de traitement de sortie de crise doit ainsi opérer une vérification de la conformité de la liste établie par le débiteur, avec les documents comptables de l’entreprise (Décr. n° 2021-1354, art. 6, al. 2). La liste établie peut ainsi différer de la liste ayant permis au tribunal d’ouvrir la procédure de traitement de sortie de crise. Ce point interroge dans la mesure où les conditions d’éligibilité de la procédure prévoient la justification par le débiteur qu’il est en mesure, dans le délai de trois mois, d’élaborer un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise. Cette justification, examinée par le tribunal à l’ouverture de la procédure peut donc être remise en cause a posteriori si jamais certaines créances, absentes de la liste annexée à la demande d’ouverture de la procédure, sont ensuite intégrées dans la liste des créances réalisées après l’ouverture de la procédure.

Information des créanciers par le mandataire de justice

Dans les huit jours suivant la remise de la liste, le mandataire communique à chaque créancier concerné les informations relatives aux créances dont il est titulaire, telles qu’elles résultent de la liste (Décr. n° 2021-1354, art. 7 al. 2). Ces créanciers peuvent donc faire connaître au mandataire leur demande d’actualisation des créances mentionnées ou toute contestation sur le montant et l’existence de ces créances, dans le délai d’un mois, soit à compter de la publication de la procédure au BODACC soit de la date de communication des créances par le mandataire (la date retenue étant celle la plus lointaine). Lorsqu’une créance n’a pas été mentionnée sur la liste, le mandataire informe le créancier, s’il peut l’identifier (Décr. n° 2021-1354, art. 8, al. 2). Il est précisé que « lorsqu’une ou plusieurs créances omises sont de nature à remettre en cause la qualité des comptes de l’entreprise ou à compromettre l’exécution du plan de traitement de sortie de crise, le mandataire en informe sans délai le juge-commissaire » (Décr. n° 2021-1354, art. 8, al. 3). Cette précision interroge sur les pouvoirs d’appréciation du mandataire quant à la soutenabilité du plan de traitement de sortie de crise. Alors qu’aucun élément formel n’est prévu dans la demande de procédure de traitement de sortie de crise pour justifier de la possibilité, pour le débiteur, d’élaborer un projet de plan, il semble difficile de pouvoir apprécier si l’ajout de telle ou telle créance sera de nature à compromettre l’exécution d’un plan de traitement de sortie de crise. Par ailleurs, l’information au juge-commissaire est inhérente même à la mission de ce dernier et questionne sur les suites qui pourront être réservées par le juge-commissaire.

Liste des créances

L’article 10 du décret n° 2021-1354, portant sur la liste des créances établie par le mandataire et transmise ensuite au commissaire à l’exécution du plan, précise que les créances rejetées de cette liste par le juge-commissaire ne peuvent se voir imposer « les délais mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 626-18 du code de commerce lorsqu’elles n’ont pas été mentionnées sur la liste prévue par le B du II de l’article 13 de la loi du 31 mai 2021 susvisée » (Décr. n° 2021-1354, art. 10 al. 5). Cet article mérite une attention particulière : sa lecture, peu aisée de prime abord, semble indiquer qu’une créance qui ne relèverait pas de la poursuite d’activité dans le cadre de la période d’observation (et qui serait donc une créance antérieure à l’ouverture de la procédure) et qui n’aurait pas été mentionnée dans la liste des créances antérieures établie par le débiteur et vérifiée par le mandataire, ne pourrait donc pas être intégrée dans le plan de traitement de sortie de crise. Il faut probablement en conclure que cette créance serait alors exigible et que le créancier pourrait donc utiliser tout moyen pour la recouvrir. Cette précision est importante afin d’assurer une certaine sécurité aux créanciers dont les créances auront été omises par le débiteur.

Consultation des créanciers sur le plan

Le délai de consultation des créanciers par le mandataire est en principe de trente jours, délai dans lequel, en cas de consultation par écrit, le défaut de réponse, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire, vaut acceptation (Décr. n° 2021-1354, art. 26, II). Toutefois, ce délai peut être réduit à 15 jours, le décret reprenant ici les dispositions transitoires de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020. La consultation par le mandataire répond aux exigences habituelles de l’article R. 626-7 du code de commerce.

Procédure spécifique pour les créances publiques

Les dispositions réglementaires prévues pour le règlement des créances publiques sont applicables à la procédure de traitement de sortie de crise (Décr. n° 2021-1355, art. 4). Toutefois, la saisine de la commission réunissant les chefs des services financiers et les représentants des organismes et institutions intéressés, mentionnée à l’article D. 626-14 du code de commerce, est faite par le mandataire désigné conformément au B du I de l’article 13 de la loi susvisée. Rappelons que la saisine de cette commission doit désormais être réalisée dans un délai de six mois à compter de l’ouverture de la procédure (Décr. n° 2021-1218, 23 sept. 2021, art. 19), ce qui est donc compatible avec la durée de la procédure de traitement de sortie de crise. Il faut souligner ici que la commission dispose d’un délai de deux mois maximum pour rendre sa décision, sauf décision implicite de rejet (C. com., art. D. 626-14 in fine). Ce délai de deux mois pourrait ne pas s’accorder avec la durée rapide de la procédure de traitement de sortie de crise dont la durée est de trois mois maximum.

Recours. Les jugements et ordonnances rendus en matière de procédure de traitement de sortie de crise sont exécutoires de plein droit à titre provisoire (Décr. n° 2021-1354, art. 27). On notera que, par dérogation aux dispositions de l’article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, ne peut arrêter l’exécution provisoire que lorsque les moyens à l’appui de l’appel paraissent sérieux. La seconde condition de l’article 514-3 du code de procédure civile, à savoir que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives, est donc ici écartée, ce qui semble favoriser la possibilité d’obtenir le sursis à exécution.

Issues de la procédure de traitement de sortie de crise

Arrêté du plan

Au terme de la période d’observation d’une durée maximale de trois mois (Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, art 13, I D), le tribunal peut statuer sur le projet de plan (Décr. n° 2021-1354, art. 12, I). Dans l’hypothèse où le plan de traitement de sortie de crise est toujours en cours à l’expiration d’un délai d’un an à compter de son arrêté, la radiation des mentions relatives à la procédure de traitement de sortie de crise fait obstacle à toute nouvelle mention intéressant l’exécution du plan de traitement de sortie de crise, sauf si celle-ci est relative à une mesure d’inaliénabilité décidée par le tribunal ou à une décision prononçant la résolution du plan (Décr. n° 2021-1354, art. 24, III 3°). La mesure favorise le rebond du dirigeant en effaçant les mentions de la procédure du traitement de sortie de crise. Le délai est court – un an – et reprend les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 qui prévoyait, de manière transitoire, que les délais mentionnés aux 4° et 5° de l’article R. 123-135 du code de commerce sont réduits à un an (au lieu de deux ans).

Ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire à défaut de plan arrêté

Si la présentation d’un projet de plan n’est pas possible dans le délai de trois mois, le ministère public, le mandataire unique ou le débiteur peut saisir le tribunal pour mettre fin à la procédure de traitement de sortie de crise, et ouvrir une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire par application de l’article 13, IV D de la loi du 31 mai 2021 (Décr. n° 2021-1354, art. 12, 3°).

***

La procédure de traitement de sortie de crise fait du critère de l’endettement une condition pivot de son éligibilité. Cela traduit bien la finalité de cette procédure express, qui vise uniquement à la restructuration des dettes de l’entreprise. Celles-ci peuvent être de toute nature (à l’exception de quelques restrictions en matière salariale) ; les dettes résultant de la crise liée à l’épidémie de « Covid-19 » sont les plus ciblées par cette procédure. On pense aux dettes de loyer ou encore aux dettes fiscales et sociales. On pense surtout aux prêts garantis par l’État qui, pour certains, sont déjà en phase d’amortissement mais qui, pour d’autres, le seront à compter du deuxième trimestre 2022 (après deux années de franchise). L’arrêté du 8 juillet 2021 portant modification de l’arrêté du 23 mars 2020 accordant la garantie de l’Etat aux établissements de crédit et sociétés de financement en application de l’article 6 de la loi n° 2020-289 de finances rectificative pour 2020, permet d’ailleurs à l’établissement prêteur de conserver sa garantie étatique lorsque le prêt est restructuré dans un plan de traitement de sortie de crise. À l’heure où la reprise de l’activité économique apparaît contrainte par des besoins de financement augmentés par les tensions sur les matières premières (prix et disponibilité), cette procédure est un outil supplémentaire que le chef d’entreprise en difficulté devra s’approprier. C’est probablement là son plus grand défi. 

(Original publié par Delpech)

La France se veut le « bon élève » de l’Europe. La couleur est annoncée. La loi du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances – dite « DDADUE 2021 » – constitue la traduction législative de cette volonté politique. Elle vise à permettre à la France, qui assurera la présidence du Conseil de l’Union européenne à compter du 1er janvier 2022, « de ne présenter aucun déficit de transposition et de disposer d’un droit national conforme à différentes évolutions législatives récentes de l’Union européenne (UE) » (Communiqué de presse du Conseil des ministres du 14 avril 2021). Le droit des transports y occupe une place de choix. À l’intérieur de celui-ci, c’est le droit aérien qui fait l’objet des articles les plus nombreux, certains habilitant le gouvernement à prendre des ordonnances en ce domaine, d’autres contenant des règles substantielles, notamment en matière de sûreté aérienne.

Habilitation du gouvernement à prendre des ordonnances

La loi du 8 octobre 2021 (art. 1er) habilite le gouvernement à prendre, dans un délai de huit mois, une ordonnance pour mettre en œuvre les obligations de conduire de tests d’alcoolémie sur les équipages, et la possibilité d’effectuer des tests pour d’autres substances psychoactives, introduites par le règlement (UE) n° 2018/1042 du 23 juillet 2018 modifiant le règlement (UE) n° 965/2012 du 5 octobre 2012, dit « AIR-OPS », en ce qui concerne les exigences techniques et les procédures administratives applicables à l’introduction de programmes de soutien, l’évaluation psychologique des membres de l’équipage de conduite, ainsi que le dépistage systématique et aléatoire de substances psychotropes en vue de garantir l’aptitude médicale des membres de l’équipage de conduite et de l’équipage de cabine. Le règlement de 2018 se présente comme une réponse à l’accident particulièrement grave qui avait causé la mort, en mars 2015, des passagers d’un vol de la compagnie Germanwings en raison d’un mouvement suicidaire du pilote qui a délibérément précipité l’avion sur un flanc de montagne dans les Alpes du sud. Il impose de nouvelles obligations tant aux États membres de l’Union européenne (mise en place de nouvelles inspections au sol, d’aéronefs en particulier) qu’aux compagnies aériennes. En ce qui concerne ces dernières, elles doivent désormais notamment mettre en place pour les personnels navigants des programmes de soutien pour leur permettre de faire face et surmonter des difficultés susceptibles d’affecter leur capacité à assumer leurs fonctions, procéder à une évaluation psychologique des membres de l’équipage de conduite avant qu’ils effectuent des vols en ligne et enfin mettre en place des programmes de prévention de l’usage de substances psychotropes ainsi qu’un dépistage systématique et aléatoire de substances psychotropes. La mise en conformité de la législation nationale avec le règlement (UE) n° 965/2012 est nécessaire puisqu’il n’existe pas de dispositions en droit interne qui permette d’effectuer des contrôles du niveau d’alcoolémie, notamment sur les pilotes aériens sauf en cas de délit ou de crime, ou des contrôles de la consommation d’autres substances psychoactives. Cette mise en conformité nécessite la modification ou l’ajout de dispositions de nature législative car d’une part, celles-ci devront prévoir un régime de sanctions si les personnes contrôlées dépassent les normes limites fixées et sont en infraction et d’autre part, soumettre des personnes à des tests de cette nature touche aux libertés publiques et aux garanties fondamentales qui les entourent. Tel est donc l’objet de la future ordonnance.

La loi du 8 octobre 2021 (art. 3) habilite, par ailleurs, le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois, des dispositions pour mettre en conformité le code des transports avec plusieurs règlements européens en matière de délivrance des licences d’exploitation et de système de déclaration en ce qui concerne les certificats de transporteur aérien, notamment le règlement (UE) n° 2018/1139 du 4 juillet 2018 concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne. L’objectif des dispositions de l’ordonnance sera de permettre la délivrance d’une licence d’exploitation communautaire ou régie par la législation nationale indépendamment de l’obtention du certificat de transporteur aérien (CTA) qui pourra désormais être obtenu selon plusieurs procédures, soit par déclaration, soit par demande d’autorisation.

La loi nouvelle (art. 4) habilite également le gouvernement à prendre dans le même délai par ordonnance les dispositions législatives nécessaires pour substituer à des références devenues obsolètes en regard du règlement (UE) n° 2018/1139. L’habilitation concerne également la législation sur les drones car le règlement précité fait entrer ces derniers dans le champ de la réglementation européenne sur les aéronefs.

Elle habilite (art. 12), enfin, le gouvernement à prendre, dans un délai de huit mois, une ordonnance pour renforcer la réglementation visant à lutter contre les faits commis par les passagers indisciplinés à l’intérieur d’un aéronef, notamment en renforçant les sanctions pénales et administratives

Autres dispositions

La loi du 8 octobre 2021 entend tirer les conséquences de règlements européens modifiés (notamment le règlement (UE) n° 1178/2011 du 3 novembre 2011) concernant les âges limites d’exercice des fonctions de pilote d’un certain nombre d’aéronefs (art. 2 ; C. transp., art. L. 6521-4 mod.). Le droit européen fixe une autorisation générale de poursuite de l’activité de pilote jusqu’à 65 ans, âge limite pour exercer la profession. Il précise que les pilotes âgés de 60 ans et plus ne pourront exercer leur activité que s’ils font partie d’un équipage multipilote. Les dispositions de ces règlements qui sont entrés en vigueur sont d’application directe. Les pilotes et copilotes sont donc d’ores et déjà soumis à ces nouvelles règles concernant l’âge, notamment à la règle concernant les pilotes de plus de 60 ans qui peuvent exercer leur activité dans un équipage multipilote et ce, quel que soit l’âge du ou des copilotes. En droit interne, les conditions pour la poursuite de l’activité de pilote ou de copilote au-delà de 60 ans sont fixées par l’article L. 6521‑4 du code des transports. En application de cet article, le titulaire d’une licence de pilote d’avion doit demander annuellement l’autorisation de poursuivre son activité dans la limite de l’âge de 65 ans. Par ailleurs, jusqu’à maintenant, les pilotes de plus de 60 ans ne pouvaient exercer leur activité dans un équipage multipilote que si l’autre pilote avait moins de 60 ans. Il est apparu nécessaire de mettre en cohérence cet article avec les règlements européens pour que les règles nationales correspondent aux prescriptions des règlements. Ces règles ne remettent cependant pas en cause, la possibilité pour les pilotes au-delà de 60 ou de 65 ans de poursuivre une activité professionnelle dans les services aériens, notamment s’il s’agit d’activités au sol, commerciales.

La loi du 8 octobre 2021 (art. 5) étend au transport par voie aérienne certaines dispositions relatives au transport de marchandises dangereuses par voie terrestre afin de respecter les prescriptions de la convention de Chicago du 7 décembre 194, étant précisé que cette réglementation ne s’applique qu’au transport aérien effectué par aéronef civil (C. transp., art. L. 1252-1 A nouv.). L’objectif est de prendre en compte non seulement le transport lui-même de ces marchandises mais aussi les opérations en amont et aval par des personnes autres que les transporteurs aériens.

Cette même loi (art. 6) procède à la ratification de l’ordonnance n° 2019-761 du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires prise pour achever la transposition de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires. Il ne s’agit cependant pas d’une ratification « sèche », puisqu’elle introduit une modification pour confier à l’Autorité de régulation des transports (ART) la compétence de fixer les principes des règles d’allocation comptable des actifs, produits et charges du périmètre dit « régulé » (C. transp., art. L. 6327-3-1 nouv.). Selon les travaux préparatoires, la fixation de ces principes par l’ART « permettra de garantir la cohérence et l’homogénéité entre les aéroports pour l’édiction des règles comptables par les exploitants » (Doc. AN n° 4186, 23 juin 2021, p. 49). Par ailleurs, la loi du 8 octobre 2021 confère une nouvelle compétence au régulateur : celle d’assurer un « suivi économique et financier » des « grands » aérodromes (ceux visés à l’art. L. 6327-1 c. transp.), étant précisé qu’il dispose à cette fin d’un droit d’accès aux informations économiques, financières et sociales détenues par les exploitants de ces aérodromes (C. transp., art. L. 6327-3-2 nouv.).

La loi du 8 octobre 2021 (art. 7) élargit le périmètre des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public (OSP) conformément à l’article 16 du règlement (CE) n° 1008/2008 du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté, dont l’organisation peut être déléguée par l’État aux collectivités territoriales. Jusqu’à maintenant, lorsque l’État use de sa faculté de délégation, il ne peut le faire que pour des liaisons intérieures au territoire français. Cette faculté est élargie à tous les services aériens (nationaux et internationaux) touchant le territoire français, c’est-à-dire vers ou au décollage de celui-ci (C. transp., art. L. 6412-4 mod.).

La loi (art. 8) précise également le régime de responsabilité civile des transporteurs aériens en droit interne. Ce régime est déterminé par la Convention internationale de Montréal du 28 mai 1999, mais ne s’applique pour l’instant en droit interne qu’aux transporteurs aériens disposant d’une licence d’exploitation communautaire (C. transp., art. L. 6421-3). La loi nouvelle étend ce régime de responsabilité aux transporteurs aériens qui ne disposent pas d’une telle licence, cas où les transporteurs aériens ne sont soumis qu’à la réglementation nationale (C. transp., art. L. 6421-4 mod.). Curieusement, le régime jusque-là applicable était celui résultant de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, alors même que la Convention de Montréal lui a succédé en 2004. Par ailleurs, cette même loi amende le régime de responsabilité qui pèse sur le transporteur aérien effectuant un transport gratuit. Il s’agit, traditionnellement, d’un régime de responsabilité pour faute. Elle maintient ce régime de responsabilité basé sur la faute, mais il introduit un montant de dépenses en deçà duquel seule la faute simple (et non pas la faute inexcusable) doit être prouvée, le montant étant celui fixé au 1 de l’article 21 de la Convention de Montréal (montant, pour les vols réalisés à compter du 28 décembre 2019, fixé à 128 821 DTS, soit approximativement 161 500 €). Il est prévu que ce montant est écarté s’il provient d’une faute inexcusable du transporteur ou de ses préposés. La loi reprend à l’identique la définition de la faute inexcusable du transporteur routier de marchandises de l’article L. 133-8 du code de commerce : « Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ».

Le texte (art. 9) intègre dans le code des transports de nouvelles obligations prévues par les règlements d’exécution (UE) n° 2019/103 du 23 janvier 2019 et (UE) n° 2019/1583 du 25 septembre 2019 relatifs à la vérification des antécédents de certains personnels intervenant dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile, tout en maintenant la procédure propre au droit interne d’habilitation par l’autorité administrative. Ces deux règlements entreront en vigueur le 31 décembre 2021. Ils prévoient d’ajouter à la liste des personnels devant faire l’objet d’une vérification des antécédents de nouvelles catégories de personnel et distinguent deux catégories de contrôle, la vérification renforcée des antécédents (qui vise les personnels responsables de la mise en œuvre de l’inspection/filtrage, du contrôle d’accès ou d’autres contrôles de sûreté) et la vérification ordinaire. Plusieurs articles du code des transports ont dû être modifiés, en particulier son article L. 6342-3. Pris dans sa rédaction nouvelle, il renforce les exigences de contrôle de l’identité et des antécédents de certains personnels qui détiennent un accès ou des informations critiques sur la sécurité aérienne, notamment des personnes ayant des droits d’administrateur ou un accès non surveillé et illimité à des données et systèmes d’information critiques dans le but de maîtriser au maximum les risques d’attaque et de criminalité (C. transp., art. L. 6342-3 mod.).

La loi (art. 10) crée par ailleurs un nouveau délit d’intrusion sur les pistes. Il vise toute personne qui ne dispose pas de l’autorisation prévue à l’article L. 6342‑2 du code des transports et qui pénètre dans la zone côté piste. Ce délit est puni d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. La zone côté piste d’un aéroport est définie à l’article 3 du règlement (CE) n° 300/2008 du 11 mars 2008 relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile comme celle regroupant les espaces occupés par les pistes elles-mêmes, mais aussi les salles d’embarquement, les passerelles, les zones de circulation de l’aéroport, les zones de tri des bagages au départ, les zones de livraison des bagages et les espaces dits de sûreté. Le délit est aggravé lorsque l’intrusion est commise en réunion ou lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration. Dans ce cas, la commission du délit ou la tentative de commission est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (C. transp., art. L. 6372-11 nouv.).

Enfin, la loi (art. 11) confère le pouvoir d’effectuer des constats et procès-verbaux en cas d’infraction aux règles de sécurité de la part des exploitants d’aéronefs et gestionnaires d’aérodrome à des personnes qui jusqu’ici ne pouvaient que transmettre des informations. Les personnes habilitées pour constater ces infractions sont pour l’instant les personnes mentionnées à l’article L. 6142‑1 du code des transports, à savoir les officiers de police judiciaire, les fonctionnaires et agents de l’État, les personnels navigants habilités à effectuer des constats et les marins sur les bases militaires. Or, ont constaté les travaux préparatoires, elles « représentent peu de personnes par rapport à l’ensemble des personnes veillant à la sécurité et à la sûreté dans les aérodromes qui peuvent être amenées à constater, au sens visuel du terme, un grand nombre d’infraction » (Doc. AN, préc., p. 72). La loi nouvelle étend ce pouvoir à l’ensemble des « agents des organismes ou les personnes que le ministre chargé de l’aviation civile habilite à l’effet d’exercer les missions de contrôle au sol et à bord des aéronefs ». Selon ces mêmes travaux préparatoires, l’intérêt d’un tel élargissement est manifeste puisqu’« il permettrait à des personnes beaucoup plus proches du terrain, c’est-à-dire travaillant au contrôle et à l’inspection sur les aérodromes, de dresser des constats et d’enclencher plus rapidement des procédures administratives ou judiciaires en cas de manquement aux règles de sécurité, et donc d’infraction » (C. transp., art. L. 6142-1 mod.). 

(Original publié par Delpech)

L’ouverture d’une procédure collective sonne, pour le créancier soumis à la discipline collective, le glas de son droit de poursuite individuelle contre le débiteur. Cette limitation de l’activité juridique du créancier est notamment compensée par l’obligation qui lui est faite de procéder à la déclaration de sa créance (C. com., art. L. 622-24). Par cet acte, le créancier vient manifester son intention d’obtenir, dans le cadre de la procédure collective, paiement de ce qui lui est dû par le débiteur.

Figure emblématique du droit des entreprises en difficulté, le régime de la déclaration de créance a été bouleversé par l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 mars 2014. Pour l’essentiel, si auparavant, seul le créancier était doté du pouvoir de déclarer sa créance, la réforme a introduit la possibilité pour le débiteur de déclarer pour le compte du créancier (C. com., art. L. 622-24, al. 3) et la faculté pour ce dernier de ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue (C. com., art. L. 622-24, al. 2).

L’arrêt ici rapporté vient confirmer le régime de cette ratification, laquelle peut être seulement « implicite » (plus précisément sur cette question, B. Ferrari, Entre symbole et précision : la ratification implicite de la créance déclarée sans pouvoir, Dalloz actualité, 26 mars 2021).

En l’espèce, une banque a, par l’intermédiaire d’un préposé, déclaré au passif de son débiteur une créance correspondant au solde d’un prêt. Cette créance a été contestée par le mandataire judiciaire au motif que le salarié déclarant était...

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(Original publié par bferrari)
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L’assurance construction repose « sur la combinaison de deux polices, l’une de chose, l’assurance dommages- ouvrage (C. assur., art. L. 242-1), l’autre de responsabilité, l’assurance de responsabilité décennale (C. assur., art. L. 241-1). […] Ces deux polices dites obligatoires sont au cœur du dispositif appelé « système à double détente » où l’assurance dommages-ouvrage assure le préfinancement avant de présenter ses recours aux assureurs de responsabilité décennale. […] L’assurance dommages-ouvrage doit être souscrite par tout maître d’ouvrage. Seules les personnes publiques et certaines personnes privées d’importance visées à l’alinéa 2 de l’article L. 242-1 du code des assurances sont exonérées de cette obligation » (C. Charbonneau, L’assurance construction, in R. Bigot et A. Cayol, Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 400). Son intérêt est de permettre une réparation rapide des dommages « en dehors de toute recherche des responsabilités » (C. assur., art. L. 242-1). Subrogé dans les droits de la victime, l’assureur de choses a, dans un second temps, la possibilité d’exercer une action récursoire contre l’assureur de responsabilité du constructeur.

Un tel préfinancement par la garantie dommages-ouvrage est rendue possible par la procédure réglementaire amiable de constatation et d’indemnisation des dommages (issue d’un arrêté du 17 nov. 1978, JO 21 nov.), laquelle présente un caractère d’ordre public et « se caractérise par sa simplicité et sa rapidité, comme également par les contraintes qu’elle impose à l’assureur et la sécurité et les garanties qu’elle procure à l’assuré » (J.-P. Karila, L’assurance construction, Le Lamy Assurance, édition 2021, n° 3352). La première étape est l’obligation pour l’assureur, dans un délai de soixante jours à compter de la déclaration du sinistre par l’assuré de se prononcer sur la mise en jeu des garanties prévues au contrat (C. assur., art. L. 242-1, al. 3).

En application de l’article L. 114-1 du code des assurances, selon lequel « Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance », l’assuré est tenu de déclarer le sinistre dans les deux ans de la connaissance qu’il a pu ou aurait dû en avoir. À défaut, l’assureur peut se prévaloir de la prescription biennale.

Toutefois, lorsque l’assureur ne répond pas à l’assuré dans un délai de soixante jours, « l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal » (C. assur., art. L. 242-1, al. 5). Autrement dit, l’assureur n’a plus la possibilité d’opposer une prescription déjà acquise ni, plus largement, d’invoquer une cause de non-garantie (Civ. 3e, 28 janv. 2009, n° 07-21.818, D. 2009. 429 ; ibid. 1231, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; ibid. 2010. 1740, obs. H. Groutel ; RDI 2009. 191, obs. C. Noblot ), à l’instar de la nullité du contrat d’assurance (Civ. 3e, 2 mai 2015, n° 14-13.074).

Telle est la solution rappelée par la troisième chambre civile le 30 septembre 2021, et ce même dans l’hypothèse où les désordres déclarés sont identiques à ceux précédemment dénoncés dans une première déclaration de sinistre.

En l’espèce, des époux avaient conclu un contrat de construction de maison individuelle le 21 mars 2008. Se plaignant de malfaçons, ils ont, après expertise, assigné le constructeur en résiliation du contrat à ses torts et en indemnisation de leurs préjudices, et appelé en intervention forcée l’assureur dommages-ouvrage et la Caisse de garantie immobilière – cette dernière ayant octroyé une garantie de livraison à prix et délais convenus.

La cour d’appel déclare leur demande irrecevable à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage, aux motifs que les désordres déclarés le 29 décembre 2012 sont exactement identiques à ceux qui ont été dénoncés par une première déclaration de sinistres le 17 avril 2009, et pour lesquels les maîtres de l’ouvrage sont prescrits pour n’avoir pas introduit leur action dans le nouveau délai de prescription biennale ayant couru à la suite de cette première déclaration et de la désignation d’un expert par l’assureur (pt 7).

Dans leur pourvoi en cassation, les époux soutiennent que les juges du fond ont ainsi violé l’article L. 242-1 du code des assurances, lequel impose à l’assureur de répondre dans un délai de soixante jours à toute déclaration de sinistre (pt 4).

Suivant leur argumentation, la troisième chambre civile casse l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article L. 242-1, alinéas 3 et 5, du code des assurances. Après avoir rappelé l’obligation pour l’assureur de notifier sa décision à l’assuré dans les soixante jours courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, elle précise que cela vaut pour « toute déclaration de sinistres, y compris lorsqu’il estime que les désordres sont identiques à ceux précédemment dénoncés » (pt 6). À défaut, l’assureur « ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date de la seconde déclaration » (pt 6).

La solution avait déjà été retenue dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 26 novembre 2003 (n° 01-12.469, D. 2004. 911 , obs. H. Groutel ; RDI 2004. 59, obs. P. Dessuet ). Sa sévérité pour l’assureur avait alors pu être soulignée : s’il est juste d’imposer à l’assureur de respecter le délai de soixante jours lorsque la nouvelle déclaration mentionne une aggravation des dommages, il serait en revanche fort discutable d’« admettre que, désormais, l’assuré peut procéder sans limite à des déclarations de sinistres à répétition pour des désordres identiques, jusqu’à ce que l’assureur commette un jour l’erreur de ne pas transmettre son refus dans le délai légal » (P. Dessuet, RDI 2004. 59 ; A. d’Hauteville, RGDA 2004. 447). La seule issue pour l’assureur pourrait alors résider dans l’invocation d’un abus de droit (en ce sens, H. Périnet-Marquet, Defrénois 2004. 451) qui reste « le grand absent du code des assurances » (J. Kullmann, Assurances : quelles punitions, et pour quels faisans et malfaisans ?, in Mélanges en l’honneur du Professeur Gilbert Parleani, IRJS éd., 2021, p. 247 s., spéc. p. 254). Afin d’éviter tout risque d’enrichissement indu de l’assuré, la Cour de cassation a toutefois précisé que, lorsque les dommages ont déjà fait l’objet d’une indemnisation à la suite de la première déclaration de sinistre, aucune nouvelle réparation ne peut être octroyée, et ce même lorsque l’assureur ne répond pas dans les soixante jours à la seconde déclaration des mêmes dommages (Civ. 3e, 10 oct. 2012, n° 11-17.496, Dalloz actualité, 30 oct. 2012, obs. T. de Ravel d’Esclapon.

(Original publié par CAYOL)

La Cour de cassation a rendu le 29 septembre 2021 un arrêt qui mérite un commentaire et une critique.

En l’espèce, un dirigeant – précisément le gérant d’un groupement forestier en liquidation judiciaire – s’était vu infliger la mesure d’interdiction de gérer prévue par l’article L. 653-8 du code de commerce. Il considérait que les droits de la défense avaient été violés, dès lors que l’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière de sanction, l’intéressé ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la parole en dernier, mention devant en être faite dans la décision. Or, la cour d’appel n’avait pas relevé que le dirigeant ou son conseil avait été invité à prendre la parole en dernier et il était donc indiqué que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales avait été violé. La Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur des moyens qui ne lui paraissaient pas être de nature à entraîner la cassation, en application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile.

Dans cette affaire, la cour d’appel de Versailles avait statué sur une demande de faillite personnelle et d’interdiction de gérer présentée par le liquidateur, à la suite d’une décision de liquidation judiciaire prononcée le 19 décembre 2014. La cassation a été encourue pour un autre motif car le dirigeant avait été condamné pour n’avoir pas tenu de comptabilité alors qu’il s’agissait d’une société civile (ce qu’est un groupement forestier) et que les textes applicables ne semblaient pas lui imposer la tenue d’une comptabilité.

L’interdiction de gérer ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes, la cassation a été encourue pour ce motif, dès lors que l’une des fautes n’était pas constituée et qu’il convenait d’appliquer le principe de proportionnalité. Cependant, la motivation qui nous intéresse concerne l’exigence du procès équitable et...

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(Original publié par Delpech)

Une fois passé le stade de l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement, la situation du débiteur est en théorie rétablie. Hélas, en théorie seulement, car le plan étant destiné à être exécuté sur un laps de temps plus ou moins long, de nombreux aléas sont susceptibles d’entraver sa bonne exécution. Aussi la modification du plan peut-elle se révéler indispensable. Cette dernière est permise par l’article L. 626-26 du code de commerce à l’initiative du débiteur ou du commissaire à l’exécution du plan, lorsque la modification profite aux créanciers.

Sur un plan technique, et sous l’empire de la loi applicable aux faits de l’espèce commentée, c’est-à-dire antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, le troisième alinéa de l’article R. 626-45 du code de commerce disposait que lorsque la modification du plan envisagée portait sur les modalités d’apurement du passif, le greffier en informait les créanciers intéressés par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Ceux-ci disposaient alors d’un délai de quinze jours pour faire valoir leurs observations par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au commissaire à l’exécution du plan.

L’arrêt sous commentaire conduit à s’interroger sur la portée du silence conservé par le créancier à la suite de l’information transmise par le greffier portant sur les modalités d’apurement du passif envisagées pour la modification du plan.

En l’espèce, une société bénéficiant d’un plan de redressement judiciaire a saisi le tribunal d’une demande tendant à la modification substantielle du plan. Elle proposait aux créanciers d’opter entre un remboursement immédiat, assorti d’une remise à hauteur de 80 % de la somme restant due ou un réaménagement des modalités de leur remboursement intégral. En application de l’article R. 626-45 du code de commerce, les créanciers concernés ont été informés de cette demande par le greffier. Or, la société débitrice entendait faire juger que les créanciers n’ayant pas apporté de réponse dans le délai de quinze jours étaient réputés avoir accepté la première option, soit un remboursement à hauteur de 20 % de la dette existante contre abandon du solde. Hélas, la cour d’appel rejette sa demande et elle se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation ne souscrit pas à son argumentation. Pour la Haute juridiction, il convient de ne pas confondre le régime de la consultation des créanciers par le mandataire judiciaire lors de l’élaboration du plan (C. com., art. L. 626-5) et l’information des créanciers par le greffier sur une proposition de modification du plan portant sur les modalités d’apurement du passif. Dans le premier cas, il est exact que le défaut de réponse d’un créancier vaut acceptation des délais ou remises qui lui sont proposés. En revanche, dans le second cas, et sous l’empire de la législation applicable en l’espèce, aucune disposition légale ou réglementaire ne déduisait de l’absence d’observations adressées au commissaire à l’exécution du plan par un créancier l’acceptation par celui-ci de la modification proposée.

Si cet arrêt est intéressant, il l’est pour au moins deux raisons.

D’une part, la Cour de cassation devait répondre à la question, inédite à notre connaissance, de la possibilité, en matière de modification substantielle d’un plan, d’imposer une remise à un créancier demeuré silencieux à la suite de son information par le greffe. D’autre part, l’arrêt est rendu dans un contexte de modifications législatives avec lesquelles il est particulièrement intéressant de le mettre en perspective.

En somme, nous traiterons d’abord de la substance de la solution pour aborder ensuite sa portée.

La substance de la solution

De prime abord, un avis tranché sur la question posée à la Cour de cassation est difficile à formuler.

D’un côté, les arguments tendant à reconnaître que le silence du créancier sur les propositions de modification du plan vaut acceptation sont séduisants, car ils permettraient d’uniformiser les règles applicables à la consultation individuelle des créanciers au stade de l’élaboration du plan et celles gouvernant leur information au stade de la modification substantielle du plan. Relevons, en outre, que tant en matière d’adoption du plan que pour sa modification, les pouvoirs du tribunal sont similaires et il en va de même des voies de recours. Au demeurant, il peut paraître étrange de laisser « impuni » le dépassement du délai de quinze jours au sein duquel les créanciers doivent prendre position sur les propositions de modification du plan. Pourquoi avoir instauré un tel délai si c’est pour considérer qu’un défaut de réponse des créanciers demeure sans conséquence ? Partant, il serait permis de considérer que le défaut de réponse des créanciers vaut approbation des propositions formulées.

D’un autre côté, il est aussi vrai qu’à la différence de la procédure d’adoption du plan, les créanciers ne sont pas consultés, à proprement parler, dans la procédure de modification. Ces derniers sont simplement informés par lettre. Or, là où l’article L. 626-5 du code de commerce prévoit expressément qu’à défaut de réponse du créancier dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire, son silence vaut acceptation des propositions de l’organe, rien de tel n’est prévu à propos du délai de quinze jours dont disposent les créanciers à la suite de leur information par le greffe en cas de modification substantielle du plan. Autrement dit, il y aurait peut-être là une atteinte excessive aux droits des créanciers, lesquels accepteraient tacitement de nouvelles modalités d’apurement du passif dans un délai réduit de moitié par rapport au stade de l’élaboration du plan et avec des conditions d’information moindres. Plus précisément, si nous considérons les conditions d’information amoindries, c’est que la lettre adressée aux créanciers lors de la modification du plan n’informe pas les créanciers de ce que leur silence vaudrait acceptation. La comparaison avec la lettre adressée aux créanciers dans le cadre de l’élaboration du plan est frappante. Celle-ci doit contenir un certain nombre d’indications, dont la « reproduction » de ce que le silence du créancier vaut acceptation (C. com., art. R. 626-7, II).

Pour un auteur, une solution de compromis consisterait à estimer que le silence gardé par le créancier vaut refus des propositions, mais que le tribunal conserve alors la possibilité d’imposer des délais de paiement uniformes (N. Borga, La modification du plan, in Les procédures collectives : 10 ans après, Cah. dr. entr., 2016/4. Dossier 36).

En somme, bien que nous comprenions l’attrait que représentait la reconnaissance d’une acceptation tacite des créanciers aux propositions de modification du plan, il nous semble que la solution posée par la Haute juridiction doit être approuvée.

Comme nous l’avons indiqué, l’arrêt intervient dans un contexte de réforme. Or, il faut à présent mettre la substance de la solution à l’épreuve des règles instaurées par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021.

La portée de la solution

L’arrêt sous commentaire a, pour ainsi dire, choisi son moment !

Quinze jours avant sa parution, la procédure de modification substantielle du plan était modifiée par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021. Désormais, pour les procédures en cours au 1er octobre 2021, le deuxième alinéa du nouvel article L. 626-26 du code de commerce précise que lorsque la demande de modification substantielle du plan porte sur les modalités d’apurement du passif, les créanciers intéressés sont consultés et leur défaut de réponse à cette consultation vaut acceptation des modifications proposées, sauf s’il s’agit de remises de dettes ou de conversions en titres donnant ou pouvant donner accès au capital. En somme, le nouvel article R. 626-45 du code de commerce prévoit que lorsque la modification porte sur les modalités d’apurement du passif, le greffier en informe les créanciers intéressés par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, mais ils disposent désormais d’un délai de vingt et un jours à compter de la réception de cette information pour faire valoir leurs observations et non plus seulement de quinze jours.

Malgré cette nouvelle règle, la portée de la solution fournie par l’arrêt ici rapporté a tout de même vocation à perdurer.

En effet, si le nouvel article L. 626-26 fait produire au silence gardé par le créancier le même effet d’acceptation que pour le créancier silencieux consulté dans le cadre de l’élaboration du plan, il n’en demeure pas moins que ce principe ne s’applique pas pour les remises de dettes et les conversions de créances en capital. A contrario, le silence gardé par le créancier sur la consultation portant sur la modification du plan ne vaudra acceptation qu’en matière de délais de paiement. Or, en l’espèce, les modalités d’apurement du passif envisagées prenaient la forme d’une remise de dette confinant à un abandon de créance. Par conséquent, tant sous l’empire du droit antérieur que sous l’empire des règles applicables à compter du 1er octobre 2021, nous n’aurions pu déduire du silence conservé par le créancier son acceptation, en l’espèce, des modalités de la modification du plan.

Au bénéfice de la solution fournie par l’arrêt, relevons encore que la retouche des textes en la matière provient de l’une des mesures prises durant la période de crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19. À cet égard, le III de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19 prévoyait déjà ce que contient désormais l’article L. 626-26 du code de commerce. Or, si le législateur a jugé bon d’apporter, durant la crise, une telle modification textuelle, c’est qu’il était auparavant considéré que le silence conservé par le créancier sur la proposition de modification du plan ne pouvait « naturellement » valoir acceptation. Cette position est en tous les cas partagée par une juridiction du fond ayant estimé que, sous réserve des dispositions spéciales adoptées pour faire face à la pandémie de la Covid-19, toute modification du plan portant sur les conditions d’apurement du passif exige, pour être adoptée, que les créanciers concernés aient expressément donné leur accord (Paris, pôle 5 - ch. 8, 13 avr. 2021, n° 20/17061).

Pour conclure, à l’avenir, la solution ici commentée s’appliquera à chaque fois que la modalité d’apurement du passif portée par la modification substantielle du plan concernera une remise de dette ou la conversion d’une créance en titres donnant ou pouvant donner accès au capital. En revanche, lorsque la mesure envisagée concernera l’octroi de délais de paiement, les créanciers devront prendre garde au fait que leur silence vaudra acceptation.

(Original publié par bferrari)

Le rapport de l’OCEG, publié le 13 septembre 2021, s’attache, à titre introductif, à définir les critères ESG. Il procède, ensuite, à un état des lieux en matière de conformité au sein des entreprises et revient à cette occasion sur la quintessence des critères ESG, la technologie déployée ainsi que les indicateurs utilisés à des fins d’évaluation.

L’analyse de ce rapport révèle, d’une part, un constat en demi-teinte quant à l’état actuel de la conformité des agissements des entreprises aux critères ESG. D’autre part, elle témoigne de la nécessité pour les entreprises d’affirmer leur engagement en la matière.

Un constat en demi-teinte en matière de conformité aux critères ESG

Le constat dressé par l’OCEG témoigne de carences certaines en termes d’adoption et de développement des critères ESG au sein des entreprises dont sont issus les participants à l’enquête. En effet, le rapport révèle que 61 % des personnes interrogées ne disposent pas d’un logiciel permettant de recueillir ou d’analyser des données ESG.

De plus, seulement 30 % des participants indiquent avoir procédé à une évaluation du respect des critères ESG au cours de l’année passée. Aux termes de l’enquête réalisée, il s’avère que ce faible pourcentage pourrait s’expliquer par le fait que « de nombreux participants n’aient pas disposé d’un programme ESG formellement...

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(Original publié par Thill)
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Par l’arrêt rapporté, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 2020 qui était venu « préciser les modalités de mise en œuvre du droit de préférence légal instauré à l’article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d’ordre public » (Paris, 27 mai 2020, n° 19/09638, Dalloz actualité, 17 juill. 2020, obs. P. de Plater ; AJDI 2020. 833 , obs. P. de Plater ; RTD com. 2020. 596, obs. J. Monéger ).

Dans cette affaire, un bailleur commercial avait confié un mandat de vente à une agence immobilière le 3 mars 2018. Ayant trouvé un acquéreur potentiel, le bailleur avait transmis, par une lettre recommandée avec accusé de réception du 19 octobre 2018 puis par acte d’huissier du 24 octobre 2018, une offre de vente à son preneur qui mentionnait, en sus du prix principal proposé, des honoraires d’agence. Par une lettre du 29 octobre 2018, le preneur avait contesté la régularité de l’offre de vente. Malgré cette contestation, le bailleur avait consenti le 9 novembre 2018 une promesse unilatérale de vente à un tiers, sous la condition suspensive de non-exercice par le preneur de son droit de préférence. Le preneur n’ayant pas accepté l’offre transmise, le propriétaire l’avait fait assigner aux fins de constatation de la purge du droit de préférence de celui-ci, ce qui devait lui permettre de vendre le bien au tiers bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente.

Le litige portait donc sur la régularité de l’offre de vente transmise au preneur et l’arrêt de la Cour de cassation du 23 septembre 2021 pose désormais clairement la jurisprudence : d’une part, le bailleur peut mettre en vente son bien avant de l’offrir à son preneur, à la condition qu’une offre de vente soit transmise au locataire avant la conclusion de la vente avec un tiers ; d’autre part, l’offre de vente envoyée par le bailleur peut mentionner les honoraires de l’agent immobilier dès lors que ceux-ci étaient clairement identifiés.

La possibilité de mettre en vente un local commercial ou artisanal avant de l’offrir en priorité au locataire

L’article L. 145-46-1 du code de commerce dispose que le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal qui « envisage de vendre celui-ci » doit offrir son bien à la vente en priorité au locataire. Or envisager, c’est réfléchir à vendre, se dire que le moment de vendre est peut-être venu. Autrement dit, envisager une vente ne peut en principe qu’être chronologiquement antérieur à toute action positive du vendeur.

Une telle interprétation restrictive pose cependant une immense difficulté pratique. En effet, le propriétaire peut n’avoir aucune idée précise de la valeur de son bien au moment où il envisage de le vendre. Son intérêt est alors de l’offrir au locataire à un prix très élevé pour s’assurer qu’il ne perdra pas d’argent par rapport à une mise sur le marché aboutissant à une vente avec un tiers. Plus encore, même expertisés et faisant l’objet de nombreux avis circonstanciés, le prix de vente et ses conditions ne sont véritablement établis qu’à partir du moment où un acquéreur tiers a formulé une offre d’achat ou accepté l’offre de vente qui lui a été faite par le propriétaire. Avant cet événement, rien n’indique que le bien se vendra bel et bien aux conditions et prix voulus par le propriétaire. C’est ce qui explique que l’article L. 145-46-1 du code de commerce prévoit une obligation pour le notaire, en cas de prix ou de conditions plus avantageux proposés à un tiers, de transmettre cette offre au locataire. Dans cette hypothèse, l’offre est adressée au locataire bien après que le propriétaire a envisagé de vendre son bien, puisqu’elle intervient avant la signature de l’acte notarié de vente avec un tiers. Elle est donc postérieure à la mise en vente et aux négociations précontractuelles.

L’esprit de l’article L. 145-46-1 du code de commerce n’est donc pas d’obliger le propriétaire à formuler une offre de vente dès qu’il envisage de vendre, mais de donner au locataire la préférence pour acquérir un bien, le cas échéant en se substituant à un tiers qui est sur le point de l’acheter. La Cour de cassation a retenu cette interprétation en jugeant que « [l]a cour d’appel a exactement retenu que la notification de l’offre de vente ayant été adressée préalablement à la vente, l’association avait pu confier à la société Immopolis un mandat de vente le 3 mars 2018, puis faire procéder à des visites du bien et que le fait qu’elle ait conclu, le 8 novembre 2018, une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n’invalidait pas l’offre de vente ».

La position de la Cour de cassation est particulièrement claire : l’offre de vente notifiée par un propriétaire à son locataire est valable à la condition qu’elle soit antérieure à la vente avec un tiers. Par cette décision, la Cour de cassation s’assure que le locataire qui exerce son droit de préférence mettra le propriétaire dans la position dans laquelle il aurait été s’il avait vendu son bien à un tiers. Droit de préférence ne signifie pas droit à une réduction du prix ou à des conditions plus avantageuses pour le locataire.

Bien que l’arrêt ne le dise pas expressément, l’interprétation large de la Cour de cassation devrait permettre au propriétaire de faire tout acte préalable à la vente, et notamment de conclure une promesse unilatérale ou synallagmatique de vente avec un tiers.

En effet, en cas de promesse unilatérale, la vente n’est formée qu’au jour de la levée de l’option par le bénéficiaire. Pour se conformer à l’article L. 145-46-1 du code de commerce, il suffira donc que l’offre de vente soit transmise au locataire avant la levée de l’option.

Dans le même sens, bien que l’article 1589 du code civil dispose que la promesse synallagmatique de vente vaut vente s’il y a accord sur la chose et sur le prix, la vente n’est en réalité formée que lorsque les conditions suspensives ont été réalisées. Le propriétaire devrait donc pouvoir conclure une promesse synallagmatique de vente avec un tiers avant de transmettre son offre de vente à son locataire tant que les conditions sont pendantes.

Pour pallier tout risque d’importants contentieux, il conviendrait de stipuler, comme en l’espèce, une condition suspensive de purge du droit de préférence. Sans cette stipulation, la levée de l’option dans le cas d’une promesse unilatérale ou l’accomplissement des autres conditions suspensives dans le cas d’une promesse synallagmatique, pourrait intervenir alors même que le locataire dispose encore de son droit de préférence. Il y aurait alors violation de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, ce qui est susceptible d’entraîner des conséquences particulièrement graves pour le propriétaire et même pour le tiers acquéreur (nullité du contrat de vente, condamnation à payer des dommages et intérêts, etc.).

La mention possible des honoraires d’agence dans l’offre de vente adressée au locataire

Outre la possibilité de transmettre l’offre de vente au locataire tant qu’il n’y a pas vente avec tiers, l’arrêt du 23 septembre 2021 précise que l’offre de vente peut mentionner des honoraires d’agence.

Ceci ne signifie cependant pas que ces honoraires soient dus. La Cour de cassation, dans un arrêt remarqué, a en effet jugé que, dans un tel cas, le locataire pouvait accepter l’offre du propriétaire « au seul prix de vente » (Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 17-14.605, D. 2018. 1739 ; ibid. 1736, avis F. Burgaud ; ibid. 1740, note P. Viudès et F. Roussel ; ibid. 2435, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel ; ibid. 2019. 1511, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2019. 122 , obs. J.-P. Blatter ; RTD civ. 2018. 875, obs. H. Barbier ; RTD com. 2018. 605, obs. F. Kendérian ). Une telle solution s’imposait dès lors que, comme le rappelait M. Kendérian « le locataire, en tant que titulaire d’un droit de préemption légal, n’a pas à être recherché par l’agent immobilier, qui n’accomplit ici aucune réelle prestation de recherche et de présentation » (RTD com. 2018. 605, § 15 ).

La particularité qu’il convient de souligner ici est que l’acceptation du locataire est formulée dans des termes différents de ceux de l’offre, tout en permettant au contrat d’être malgré tout formé. Offre et acceptation divergentes peuvent donc être sources de contrat… Sans doute est-ce justifié par le caractère d’« offre légale » que revêt l’offre notifiée en vertu de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une figure juridique relativement surprenante.

Plus encore, que l’offre puisse être acceptée au seul prix de vente sans les honoraires d’agence implique que, même lorsqu’il est fait mention des honoraires, l’offre notifiée est susceptible de remplir les conditions posées par l’article L. 145-46-1 du code de commerce. C’est en tout cas ce qu’a retenu la Cour de cassation dans son arrêt du 23 septembre 2021 en jugeant que « l’offre de vente n’était pas nulle ».

L’idée de validité d’une offre est à première vue difficile à comprendre puisque, en principe, l’offre n’est pas soumise à des conditions de validité mais plutôt d’existence. L’article 1114 du code civil dispose à cet égard que : « L’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. À défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation. » Autrement dit, en droit commun, une manifestation de volonté est qualifiée d’offre si elle est suffisamment précise et ferme. Lorsqu’elle ne présente pas ces caractères, la manifestation de volonté n’est pas nulle : elle doit être requalifiée en invitation à entrer en négociation.

Cependant, dans le cas particulier de l’offre notifiée en vertu d’un droit de préférence, l’offre ne trouve pas sa source dans la liberté contractuelle du propriétaire mais dans une obligation légale de proposer de vendre au locataire. Ce dernier doit donc être assuré de bénéficier d’une véritable offre. Ainsi, l’offre doit revêtir ses conditions d’existence (précision ; certitude) mais sa formulation doit également ne pas être susceptible de le tromper.

À cet égard, il convient de rappeler que la réforme du droit des contrats a introduit l’article 1100-1 du code civil qui dispose que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. Ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats. » L’offre, si on la qualifie d’acte juridique, est donc susceptible d’être annulée pour les vices du consentement du contrat, et notamment pour erreur. Or il ne fait aucun doute que la mention d’honoraires que le locataire ne doit pas payer est de nature à lui faire croire qu’il doit les payer.

Dans cette affaire, la cour d’appel avait d’ailleurs retenu, pour justifier son arrêt, que l’offre de vente était valable car le locataire savait ne pas avoir à en supporter la charge, le prix de vente étant clairement identifié. Mais dans l’hypothèse où la cour d’appel avait jugé, dans son pouvoir souverain d’appréciation des faits, que le locataire ne savait pas ne pas avoir à supporter la charge des frais d’agence, l’offre transmise aurait été trompeuse, ce qui aurait justifié, semble-t-il, son annulation. Les juges seront donc invités à l’avenir à rechercher si la mention des honoraires dans une offre de vente formulée en vertu de l’article L. 145-46-1 du code de commerce a introduit une confusion dans l’esprit du preneur afin de juger si le droit de préférence du preneur a été respecté.

(Original publié par Rouquet)

par Xavier Delpechle 13 octobre 2021

Haut Conseil de stabilité financière, décis. n° D-HCSF-2021-7, 29 sept. 2021

Le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) est l’autorité macroprudentielle – en ce qu’elle est chargée de prévenir ou d’atténuer les risques systémiques qui pèsent sur le système bancaire et financier – française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. À ce titre, l’article L. 631-2-1 du code monétaire et financier lui confie un certain nombre de missions, parmi lesquelles (5°) la possibilité « sur proposition du gouverneur de la Banque de France et en vue de prévenir l’apparition de mouvements de hausses excessives sur le prix des actifs de toute nature ou d’un endettement excessif des agents économiques, [de] fixer des conditions d’octroi de crédit par les entités soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ou de l’Autorité des marchés financiers et ayant reçu...

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(Original publié par Delpech)

Dans l’épisode 5 de notre podcast, William Feugère, avocat spécialisé en droit pénal des affaires et en compliance, explique comment cartographier ses risques.Il revient sur les différentes étapes du processus… Et surtout sur la méthode à appliquer pour mener à bien ce travail de fondation du programme de compliance.

Conseils recueillis par Stefano Danna, rédacteur en chef de la solution compliance et éthique des affaires et Sophie Bridier, journaliste pour actuel-direction-juridique.fr.

Retrouvez les épisodes précédents d’Enquête interne disponibles ici.

Ecouter le podcast

(Original publié par Dargent)
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L’application de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale est entrée en vigueur le 1er janvier 2010 pour l’Union européenne, le Danemark et la Norvège, le 1er janvier 2011 pour la Suisse, le 1er mai 2011 pour l’Islande. Elle donne lieu à un contentieux limité mais régulier (par ex., Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 17-28.555 F-P+B, Dalloz actualité, 18 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 261 ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; Rev. crit. DIP 2019. 820, note C. Chalas ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; CJUE 2 mai 2019, aff. C-694/17, Dalloz actualité, 27 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 997 ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; RTD com. 2019. 790, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

L’arrêt de la Cour de justice du 30 septembre 2021 mérite de retenir l’attention car il se prononce pour la première fois sur une difficulté que les auteurs spécialisés ne semblent pas avoir envisagée.

Un particulier domicilié en Allemagne avait ouvert un compte courant dans ce même État, auprès d’un établissement bancaire de droit allemand. Ce compte présentant un solde débiteur, un litige apparut entre les parties et l’établissement bancaire saisit un juge allemand. Or, le consommateur s’était, postérieurement à la conclusion du contrat mais avant la saisine du juge allemand, installé en Suisse.

La question à résoudre était, dans ces conditions, la suivante : la compétence du juge devait-elle être appréciée à la date de la conclusion du contrat – auquel cas il s’agissait d’un simple litige interne soumis au droit allemand – ou fallait-il prendre en considération l’apparition postérieure d’un élément d’extranéité lié au déménagement du consommateur en Suisse ?

Pour bien comprendre l’arrêt, il faut rappeler que :

- l’article 15 de cette convention dispose qu’« en matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par (les art. 15 à 17), sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, paragraphe 5 : a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ; b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ; c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État ou vers plusieurs États, dont cet État, et que le contrat entre dans le cadre de ces activité » ;
- l’article 16 ajoute, notamment, que « l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié » et que « l’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel est domicilié le consommateur ».

La notion de domicile du consommateur est donc essentielle, notamment au regard de l’article 15, §1er, sous c), applicable en l’espèce.

Or, en application de l’article 18 du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 qui énonce par ses articles 17 à 19 des règles équivalentes à celles posées par les articles 15 et suivants de la Convention de Lugano, la Cour de justice a jugé que cette notion doit être interprétée comme désignant le domicile du consommateur à la date de l’introduction du recours juridictionnel (CJUE, ord., 3 sept. 2020, mBank, aff. C-98/20, RTD com. 2021. 227, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

L’arrêt du 30 septembre 2021 rappelle cette solution. Il ajoute que l’article 15 de la Convention de Lugano ne prévoit pas que, à la date à laquelle le contrat a été conclu, l’activité professionnelle doit nécessairement être dirigée vers un autre État que celui du siège du professionnel et que, par ailleurs, rien n’indique non plus que l’État dans lequel le consommateur a son domicile doit être, à cette date, un État autre que celui du siège du cocontractant professionnel (arrêt, pt 42). L’arrêt précisé également qu’aucune des trois hypothèses visées à l’article 15 ne fait mention de la nécessité que l’activité exercée présente un élément d’extranéité à la date de la conclusion du contrat (arrêt, pt 49).

La Cour en déduit que l’article 15, paragraphe 1, sous c), « détermine la compétence dans le cas où le professionnel et le consommateur, parties à un contrat de consommation, étaient, à la date de la conclusion de ce contrat, domiciliés dans le même État lié par cette convention, et où un élément d’extranéité du rapport juridique n’est apparu que postérieurement à ladite conclusion, en raison du transfert ultérieur du domicile du consommateur dans un autre État lié par la Convention de Lugano ».

Cette position peut être approuvée, même s’il est certain qu’elle n’a vocation à être mise en œuvre que rarement. Certes, la détermination des règles de compétence applicables dépend alors de la volonté du consommateur, s’il décide de déménager dans un autre État lié par la Convention de Lugano. Toutefois, le risque d’une manipulation de ces règles est très limité car il appartient au juge saisi de vérifier la réalité du nouveau domicile dont il se prévaut. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’objet des dispositions de la Convention de Lugano consacrées aux contrats de consommation est précisément d’offrir au consommateur, considéré par principe comme une partie faible, des règles protectrices.

Il est enfin à noter que la solution retenue par l’arrêt du 30 septembre 2021 peut être transposée à propos des articles 17 et suivants du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, compte tenu de la proximité des règles énoncées par ce texte et celles de la Convention de Lugano.

(Original publié par fmelin)
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Les demandeurs contestaient en effet la validité des clauses annulant toute valeur de leurs titres, de même que celles prévoyant la suppression rétroactive de leurs rémunérations variables ; ils estimaient que ces clauses les privaient de leur liberté d’exercice et étaient léonines.

Le pourvoi portait donc notamment sur la question de savoir si les dispositions statutaires d’une société d’exercice libéral par actions simplifiées peuvent décider valablement que les actions de l’associé sortant seront valorisées à leur valeur nominale, et non à leur valeur réelle, même en cas de sortie non volontaire dudit associé.

De cet arrêt, et de l’arrêt attaqué (Paris, 12 févr. 2020, n° 2018/15568), on peut tirer quatre enseignements : les statuts peuvent décider librement de la valeur des actions, ce qui nous semble faire fi de certaines considérations fiscales ; la clause qui fixe la valeur des titres d’une société, en cas de départ même forcé d’un associé, à la valeur nominale n’est pas léonine, ce qui, de notre point de vue, est contestable ; il est possible de remettre en cause des rémunérations antérieurement votées sous certaines conditions. On verra enfin que ces juridictions font peu de cas de la liberté d’exercice de l’avocat, qui était invoquée au soutien des demandes.

Sur la validité de la clause fixant la valeur des actions à la valeur nominale

Les associés exclus attaquaient tout d’abord les délibérations de l’assemblée générale fondées sur l’article 11-25 du règlement intérieur qui prévoit que : « … l’associé de catégorie A ne dispose d’aucun droit sur les réserves. La cession de ses titres au nominal est une des conditions essentielles et déterminantes de son entrée dans l’association. »

Selon cette clause, la valeur des actions ne tient compte ni de la valeur du fonds libéral, ni des capitaux propres. Il ne s’agit donc pas d’une simple clause de dépatrimonialisation (v. Loi n° 90-1258 du 31 déc. 1990, art. 10), mais d’une disposition beaucoup plus radicale, d’autant que la valeur réelle de la société serait selon les demandeurs, de plus de 21 millions d’euros.

En première instance, le délégué du bâtonnier de Paris avait considéré cette stipulation inapplicable en dehors des cas de départ volontaire, et avait fait droit aux demandes. La cour d’appel infirme et considère, sur l’autel de la force obligatoire du contrat, que la fixation à la valeur nominale est parfaitement valide : « si il n’est pas contesté que la valeur réelle des titres de la SELAS est beaucoup plus élevée que leur valeur nominale, force est de constater que les associés partants, juristes particulièrement expérimentés, ont accepté en pleine connaissance de cause la valorisation des parts à ce montant comme un des éléments déterminants de leur entrée dans la société… ».

La solution repose donc essentiellement sur une « loi des parties » renforcée, s’agissant de juristes expérimentés qui n’ont pas pu se méprendre sur le sens de leurs engagements.

Le pourvoi, alors formé par les associés exclus, est intéressant.

Il s’appuie sur les dispositions de dépatrimonialisation prévues par l’article 10 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, en soutenant qu’il n’est possible de fixer librement les modalités de détermination de la valeur des parts sociales que dans la situation d’une cession volontaire (précisément, ce texte permet de fixer la valeur des parts au gré des associés dans le seul cas du refus d’agrément, lequel fait suite bien à une proposition – volontaire donc – de cession).

Or, selon le moyen, dès lors qu’il s’agit d’une cession forcée, l’article 10 est inapplicable, les actions n’ont pas pu être dépatrimonialisées, et la cour d’appel a statué en violation de ces dispositions.

La Cour de cassation rejette sèchement le moyen, considérant que la cour d’appel a « exactement énoncé que rien n’interdisait à la SELAS d’adopter des dispositions statutaires prévoyant la détermination de la valeur des parts à leur valeur nominale et non réelle ».

Cette décision a le mérite de la clarté : on peut donc faire ce que l’on veut.

Mais on reste cependant sur sa faim. À quoi sert en effet l’article 10 précité ? Ce texte s’évertue à fixer de strictes conditions pour la dépatrimonialisation. Son premier alinéa permet de fixer la valeur librement, mais seulement dans le cas du refus d’agrément. Son second alinéa s’applique dans tous les cas, mais permet seulement de ne pas tenir compte de la valeur de la clientèle.

En d’autres termes, pour fixer la valeur au nominal, il faut être dans le cas du refus d’agrément, et les demandeurs au pourvoi, qui n’étaient pas dans ce cas, étaient donc dans le vrai.

L’arrêt commenté créé donc une incertitude : les associés sont libres de fixer à leur gré la valeur de leurs titres, mais de quelle liberté s’agit-il si elle crée un risque fiscal ?

Le mécanisme de la dépatrimonialisation étant prévu par la loi, il nous semble opposable à l’administration fiscale qui ne devrait pas pouvoir remettre en cause une valorisation découlant d’une telle clause conforme à l’article 10 (à noter toutefois que l’administration ne s’est jamais prononcée sur ce sujet).

Mais quid d’une valorisation qui serait fixée si l’on suit la solution adoptée par la Cour de cassation ? Il n’y a pas d’arrêt de règlement en droit français, et chacun connait l’autonomie du droit fiscal. Il y aurait dès lors un risque non négligeable de redressement si in fine l’évaluation faite par les parties paraît inférieure à la valeur vénale des titres.

La clause qui fixe la valeur des titres d’une société à la valeur nominale n’est pas léonine, même en cas de départ forcé d’un associé

Les demandeurs, selon la sentence, « soutenaient …le caractère léonin de l’article 11-25 … qui exclut … un quelconque droit sur les réserves … »

Sur l’autel, on l’a dit, de l’engagement renforcé du « juriste expérimenté », la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a balayé cet argument : la fixation à la valeur nominale est donc valide et la clause qui le prévoit n’est pas léonine.

Or, s’il parait légitime d’utiliser l’article 10, et d’évacuer la valeur de la clientèle, car après tout, les avocats exclus ont sans doute pu, comme dans 99% des séparations, emporter leurs clients, la dépatrimonialisation « extrême » qui résulte de la privation du droit aux réserves nous semble entrainer une rupture d’égalité entre les associés.

Car au final, les associés restants pourront, s’ils le souhaitent, se partager les réserves, dont une partie a été constituée par l’industrie des exclus.

Sur la remise en cause a posteriori des rémunérations variables

L’article 11-24 prévoyait que « le départ en cours d’exercice d’un associé de catégorie A … entraînera renonciation immédiate et irrévocable à tout complément de rémunération variable au titre de l’exercice en cours… ». Il s’agissait pour les exclus d’une clause pour le moins rigoureuse.

En première instance, le bâtonnier avait annulé les conséquences de ce texte, sans le reconnaitre léonin. La cour d’appel confirme cette solution, mais estime la clause léonine : « la clause prévoyant la renonciation par avance à percevoir toute rémunération variable, ce en toute hypothèse même en cas de résultat définitif positif, apparaît présenter un caractère léonin puisqu’elle conduit à priver en toute hypothèse les partants de toute rémunération variable au seul profit des associés restants [cette expression « au seul profit des associés restants » aurait pu être utilisée tout aussi bien à propos de l’article 11-25 évoqué au paragraphe précédent] ».

Un second alinéa permettait la remise en cause des rémunérations variables de l’année précédente, mais, selon la Cour, « … cette clause n’apparaît pas frappée de nullité, rien n’interdisant de revenir sur le montant d’une rémunération variable déjà votée ».

Cela ne peut toutefois se concevoir que « dans des hypothèses alternatives limitativement prévues et précisément énumérées… ».

Sur la liberté d’exercice

Un argument fort intéressant était proposé par les demandeurs, qui soutenaient que ces règles constituaient ensemble une sanction pécuniaire de nature à dissuader l’associé souhaitant quitter la structure de le faire, et portant atteinte au principe de la liberté d’exercice de l’avocat.

Sur le même fondement du consensualisme, la cour d’appel fait litière de ce principe si cher aux avocats : « … rien n’interdit dans une SELAS d’adopter ces dispositions … qui font la loi des parties ; que ces règles ne constituaient en rien un obstacle à la liberté d’établissement » (à noter la confusion : la sentence évoquait le principe de « la libre installation de l’avocat », mais l’arrêt d’appel celui du « libre établissement ». La liberté d’établissement est une règle de droit européen et il s’agit ici de la liberté d’exercice, déclinaison libérale du principe de la liberté du commerce et de l’industrie).

Quant à la Cour de cassation, elle n’évoque même pas le sujet.

Il aurait pourtant été intéressant de connaître son avis sur cette confrontation liberté d’exercice versus engagement contractuel de l’avocat.

Rappelons que la Cour (Civ. 1re, 12 déc. 2018, n° 17-12.467, Parabellum, note P. Touzet ; D. 2019. 5 ; ibid. 2020. 118, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2019. 322, note B. Brignon ) a déjà évoqué cette question de la liberté d’exercice, en cassant l’arrêt qui avait autorisé le retrait « justifié par la nécessité de permettre à [l’avocate] … de pouvoir assurer cette activité libérale dans le cadre d’une autre structure, en vertu de la liberté d’établissement » [encore une fois mal dénommée, cette fois par la Cour de cassation].

Il restera une autre confrontation à trancher : en présence d’une clause d’exclusivité statutaire, très fréquente en pratique, l’avocat qui entend exercer dans une autre structure ne risque-t-il pas de se le voir interdire, nonobstant la liberté d’exercice, puisqu’il ne peut pas se retirer (à noter que dans le cadre de la réforme de la loi du 31 décembre 1990, lancée par les pouvoirs publics, le Conseil national des barreaux a demandé l’introduction du retrait capitalistique dans la loi ), qu’il est donc toujours associé de son ancienne structure et dès lors toujours tenu à l’exclusivité statutaire ?

(Original publié par Dargent)
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C’est la mise en oeuvre de certaines pratiques dans le secteur des isolants thermiques qui aura conduit la Cour de cassation à répondre à la question de savoir si la requête en récusation dirigée contre le rapporteur désigné par l’Autorité de la concurrence pour procéder à une instruction est recevable.

Le point de départ de toute l’affaire réside dans l’arrêt Autorité polynésienne de la concurrence rendu le 4 juin 2020. Dans cet arrêt inédit, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait décidé que « lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction, l’Autorité polynésienne de la concurrence est une juridiction au sens des articles [6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 111-8 du code de l’organisation judiciaire] de sorte que, même en l’absence de disposition spécifique, toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant la juridiction ayant à connaître des recours de cette autorité » (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-13.775, inédit, RLC sept. 2020, note B. Bouloc ; ibid. oct. 2020, p. 40, note M. Dumarçay ; CCC 2020. Comm. 130, note D. Bosco). C’était là un petit séisme dans le monde des autorités administratives indépendantes dont les répliques ne se sont pas faites attendre. Dès le 24 juillet 2020, le président de la cour d’appel de Paris jugeait, non sans raison, qu’un raisonnement analogue devait être tenu pour admettre la présentation d’une requête en récusation dirigée contre le rapporteur désigné dans le cadre d’une instruction diligentée devant l’Autorité de la concurrence ; et si les requêtes en récusation dont il était saisi étaient finalement déclarées irrecevables, c’était uniquement parce qu’elles n’avaient pas été déposées suffisamment tôt (Paris, 24 juill. 2020, pôle 1 - ch. 7, n° 20/08149).

Les décisions ainsi rendues par le président de la Cour d’appel de Paris ont fait l’objet de pourvois en cassation qui, assez logiquement, s’évertuaient à souligner que les requêtes en récusation étaient bien recevables car, avant l’arrêt rendu le 4 juin 2020, elles n’avaient aucune chance de succès !

Dans les deux arrêts commentés, la Cour de cassation rejette pourtant les pourvois après avoir opéré une substitution de motifs. Au terme de deux arrêts longuement motivés, elle juge que les requêtes en récusation dirigées contre le rapporteur désigné pour instruire l’affaire devant l’Autorité de la concurrence n’était effectivement pas recevables. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour de cassation laisse entendre, sans l’affirmer toutefois expressément, que l’Autorité de la concurrence ne constitue pas une juridiction, si bien que les dispositions organisant la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime devant les juridictions civiles ne lui sont pas applicables.

Entre arguments logiques et d’autorité

La Cour de cassation avance que l’Autorité de la concurrence constitue une « autorité administrative indépendante », reprenant ainsi à son compte la qualification donnée par l’article L. 461-1 du code de commerce. Mais elle a tenté de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’une juridiction ou d’une autorité exerçant un pouvoir juridictionnel en s’appuyant sur une argumentation logique doublée d’arguments d’autorité.

L’argumentation logique de la Cour de cassation est bâtie autour des critères matériels et formels de qualification de la notion de juridiction ; chacun sait que la notion de juridiction est assez fuyante et, en l’absence de certitude, ne peut réellement être déduite qu’à partir d’indices plus ou moins pertinents (L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, 3e éd., PUF, 2020, nos 213 s. ; E. Jeuland, Droit processuel général, 4e éd., LGDJ, 2018, nos 68 s.). La Cour de cassation ne s’est pas dérobée à cette tâche et a recensé divers indices (déjà utilisés par la Cour de justice de l’Union européenne, CJUE 16 sept. 2020, aff. C-462/19, Anesco) : après avoir rappelé la finalité « administrative » de l’Autorité de la concurrence (chargée de veiller au libre jeu de la concurrence et de contrôler les opérations de concentration économique), elle a relevé qu’elle est appelée à devenir partie à l’instance en cas de recours dirigé contre sa décision, qu’elle peut être dessaisie d’une affaire par la Commission européenne et que son président peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé sa décision. Autant d’indices qui laissent effectivement penser que l’autorité administrative indépendante ne constitue pas une véritable juridiction car elle peut être dessaisie d’une affaire et ne rend pas ses décisions en qualité de « tiers ».

Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation ne s’est cependant pas arrêtée là et a cru bon d’invoquer deux arguments d’autorité en relevant que la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé que l’Autorité de la concurrence n’est pas une juridiction apte à lui poser une question préjudicielle en application de l’article 267 du TFUE (CJUE 16 sept. 2020, aff. C-462/19, préc. ; 31 mai 2005, aff. C-53/03, Syfait, RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ) et que le Conseil constitutionnel avait retenu que l’Autorité de la concurrence est une autorité de nature non juridictionnelle (Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Groupe Canal Plus (Sté), consid. 16, AJDA 2012. 1928 ; D. 2012. 2382 ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2013. 141, chron. Agnés Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2013. 95, obs. O. Le Bot ). Il s’agit là de purs arguments d’autorité ; rien n’interdisait d’ailleurs de penser que la Cour de justice de l’Union européenne ou le Conseil constitutionnel avaient exclu la qualification de juridiction au regard de préoccupations propres…

Même si elle s’est ainsi fondée sur l’autorité de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation n’a pas pour autant occulté la Cour européenne des droits de l’homme. Il est vrai que, pour apprécier l’applicabilité de l’article 6, § 1er, de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme se borne à rechercher non l’existence d’une juridiction ou d’un tribunal, mais si une personne a fait l’objet d’une « accusation en matière pénale » : « la notion de juridiction intervient donc dans la mise en œuvre de l’article 6-1 et non dans ses conditions d’applicabilité » (E. Jeuland, Droit processuel général, 4e éd., LGDJ, 2018, n° 68). Incontestablement, lorsque l’Autorité de la concurrence est appelée à prononcer une éventuelle sanction administrative, elle apprécie le bienfondé d’une accusation en matière pénale (CEDH 3 déc. 2002, n° 53892/00, Lilly France SA c/ France). À ce titre, il faudrait qu’elle puisse être qualifiée de tribunal indépendant et impartial (v. par ex. le raisonnement suivi dans CEDH 4 mars 2014, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, Grande Stevens et a. c/ Italie, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d’Ambrosio et D. Vozza ) ; mais ce qui importe à la Cour est moins que l’organe ayant prononcé des sanctions puisse être qualifié de tribunal que son indépendance ou son impartialité (même si toutes ces notions sont liées). Or, la Cour européenne des droits de l’homme admet que « dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative » dès lors que les sanctions prononcées par celle-ci peuvent faire l’objet de contestations devant un organe judiciaire effectuant un contrôle de pleine juridiction selon une procédure, cette fois-ci, conforme aux canons de l’article 6, §1er de la Convention de sauvegarde (v. par ex., CEDH 10 déc. 2020, n° 68954/13 et 70495/13, Edizioni del Roma societa cooperativa A.R.L. et Edizioni del Roma S.R.L. c/ Italie ; 27 sept. 2011, n° 43509/08, A. Menarini Diagnostics S.R.L. c/ Italie, RTD eur. 2012. 117, étude M. Abenhaïm ). Ayant rappelé cet état de la jurisprudence, la Cour de cassation avait beau jeu de souligner que les décisions rendues par l’Autorité de la concurrence peuvent faire l’objet d’un contrôle de « pleine juridiction » devant la Cour d’appel de Paris, si bien que la partialité éventuelle de l’Autorité de la concurrence ne saurait de facto entraîner le constat de la violation des garanties tirées du droit à un procès équitable.

Au terme de sa démonstration, la Cour de cassation ne peut tirer qu’une unique conclusion : l’Autorité de la concurrence ne constitue pas une juridiction. Elle ne l’exprime pourtant pas expressément et se borne à en tirer la conséquence principale : il n’y a pas lieu de faire application des instruments propres aux juridictions civiles que sont la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime. 

La démonstration paraît impeccable ; il reste à l’éprouver. À dire vrai, il est particulièrement délicat de démontrer que les critères avancés par la Cour de cassation pour établir que l’Autorité de la concurrence ne constitue pas une juridiction sont erronés, même s’il est toujours permis de discuter de l’un ou de l’autre (par exemple même si l’Autorité de la concurrence est réglementairement « partie à l’instance », elle a un rôle singulier). Les critères qui permettent d’établir qu’une institution constitue une juridiction sont variés et leur mise en œuvre peut conduire à des résultats fluctuants ; on ne saurait donc reprocher à la Cour de cassation d’avoir utilisé certains critères plutôt que d’autres. Tout au plus peut-on regretter qu’elle n’ait pas dégagé ses propres indices et ait préféré reprendre une argumentation développée par la Cour de justice pour répondre à une autre question…

Des exigences procédurales aux techniques de leur mise en oeuvre 

Il ne faudrait pas croire que l’impartialité constitue une exigence qui n’a pas sa place devant l’Autorité de la concurrence. Tel n’est assurément pas le sens des arrêts rendus le 30 septembre 2021 ! Même si la Cour de cassation se refuse, au moins implicitement, à qualifier l’Autorité de la concurrence de juridiction, cela n’exclut nullement que certaines exigences procédurales soient applicables aux procédures se déroulant devant elle. L’article L. 463-1 du code de commerce énonce ainsi qu’en principe l’instruction et la procédure devant l’Autorité de la concurrence sont contradictoires. La Cour de cassation ne nie pas que les exigences d’indépendance et d’impartialité trouvent à s’appliquer, dans une certaine mesure, devant cette autorité : elle souligne ainsi que l’organisation de l’Autorité de la concurrence est fondée sur une stricte séparation des fonctions de poursuite et d’instruction et que les textes fixant la composition du collège de l’Autorité de la concurrence et organisant les procédures devant elle tendent à garantir son indépendance et son impartialité. En somme, l’impartialité a sa place devant l’Autorité de la concurrence ; simplement, les techniques mises en œuvre pour la garantir ne sont pas les mêmes que devant les juridictions civiles…

Il reste alors à se demander ce qu’il reste de l’arrêt du 4 juin 2020. Deux chemins s’offrent à l’interprète.

Le premier revient à considérer que l’arrêt du 4 juin 2020 ne constituait finalement qu’un arrêt d’espèce, peut-être lié aux difficultés de fonctionnement qu’a pu rencontrer l’Autorité polynésienne de la concurrence à ses débuts et qui ne se retrouvent pas (ou en tout cas pas avec la même force) à propos de l’Autorité de la concurrence. Cela inviterait à se demander à l’instar du « professeur Zozo » si « ces arrêts ne méritent jamais le détour et que la lettre D, dont la Cour de cassation les accable, les condamne fatalement aux oubliettes du droit jurisprudentiel » (F. Rome, Yoyo et Zozo sont dans un restau…, D. 2011. 2921 ). Toutefois, l’arrêt du 4 juin 2020 paraît bel et bien formuler un principe. Et l’existence d’une divergence de jurisprudence ou d’un revirement ne peut être admise que si toutes les autres explications méritent d’être écartées.

Il faut donc s’efforcer de concilier ce dernier arrêt avec ceux rendus le 30 septembre qui font l’objet du présent commentaire. En somme, cela revient à se poser la question suivante : existe-t-il une raison justifiant que l’Autorité polynésienne de la concurrence soit qualifiée de juridiction lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction quand l’Autorité de la concurrence n’en constitue pas une ? La chose n’est pas aisée et plusieurs commentateurs de l’arrêt rendu le 4 juin 2020 semblaient admettre que la solution retenue à l’égard de la première devait être transposée, par voie d’analogie, à la seconde (v. notes préc.). Et, en ce sens, il est permis d’observer que l’Autorité polynésienne de la concurrence est bâtie selon un modèle similaire à celui de l’Autorité de la concurrence. Il faut toutefois remarquer que les arrêts faisant l’objet du présent commentaire sont fortement inspirés de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, elle-même fondée en tout ou partie sur le droit de la concurrence de l’Union européenne (et notamment sur l’existence de liens entre la Commission et l’Autorité de la concurrence), droit qui n’a pas vocation à s’appliquer en Polynésie française. Cela pourrait bien expliquer la qualification différente retenue à l’égard de l’Autorité polynésienne de la concurrence…

(Original publié par nhoffschir)

Les 17 octobre et 7 novembre 2018, le Dr. Stephen Thaler, un scientifique de l’Université du Missouri, a déposé deux brevets auprès de l’IPO, l’office anglais des brevets. Le premier concernait un récipient alimentaire et le second un système de signaux clignotants. La particularité de ces demandes de brevet : leur inventeur, un système d’intelligence artificielle (IA) inventif créé par le Dr. Thaler et nommé DABUS (« Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience »).

Du fait de ces demandes de brevets, déposées dans plusieurs pays, les offices ont été contraints de se prononcer sur la possibilité de reconnaître une IA comme inventeur et de la mentionner, à ce titre, dans la demande de brevet.

Alors que l’IPO, l’EPO (office européen des brevets) et l’USPTO (office des brevets américains) ont répondu à cette question par la négative, d’autres pays ont accueilli la demande plus positivement.  

Au-delà des interrogations qu’une telle consécration peut poser, notamment en ce qui concerne le recouvrement et la gestion des droits accordés par le brevet, cette situation soulève une question qui se situe à mi-chemin entre la propriété intellectuelle et la philosophie : est-il possible d’appliquer aux IA un cadre juridique pensé initialement pour des personnes physiques ou morales ?

« Why cannot our own creations also create ? »

L’office sud-africain des brevets est le premier pays à accorder un brevet mentionnant une IA en tant qu’inventeur, suivi de peu par la Cour Fédérale d’Australie qui, dans une décision du 30 juillet dernier (Thaler v Commissioner of Patents [2021] FCA 879) admet également cette possibilité.

Si l’office sud-africain n’a pas encore eu l’occasion d’indiquer les raisons de cette décision, tel n’est pas le cas du juge australien. Par un argumentaire précis et rigoureux, ce dernier infirme la décision de refus de l’office australien et explique pourquoi, au sens de la Patents Regulations 1991 (loi australienne sur les brevets), un système d’IA – qui est une entité non humaine et dépourvue de personnalité juridique – peut être un inventeur.

Selon l’office, l’obligation d’indiquer le nom de l’inventeur sur le formulaire de dépôt sous-entend que ce dernier doit disposer d’une personnalité juridique. La cour énonce, au contraire, qu’il convient de distinguer les notions de propriétaire, d’utilisateur, de titulaire et d’inventeur. Ainsi, si « seul un être humain ou une autre personne morale peut être propriétaire, utilisateur ou titulaire d’un brevet […], c’est une erreur d’en déduire qu’un inventeur ne peut être qu’un être humain ». La cour indique qu’« un inventeur peut être un système d’intelligence artificielle, mais dans une telle circonstance, il ne pourrait pas être le propriétaire, l’utilisateur ou le titulaire du brevet ».

Par ailleurs, le juge australien précise que le fait de refuser le dépôt d’un brevet au prétexte que l’inventeur n’est pas doté de personnalité juridique serait contraire à l’esprit de la loi. En effet, cette dernière a pour but de favoriser l’innovation technologique et sa diffusion auprès du public. La protection offerte par le brevet doit donc s’adapter aux nouveaux enjeux que représente l’IA et le développement d’une créativité « non humaine ». La notion d’inventivité doit ainsi, selon la cour, primer sur celle d’inventeur.

L’inventeur, une personne physique dotée d’un patrimoine

À l’inverse des décisions précédemment évoquées, les offices anglais, européen et américain ont refusé de reconnaître la qualité d’inventeur à DABUS.

Lors du dépôt d’une demande de brevet, deux informations relatives à l’identité de la personne doivent être communiquées à l’office. Tout d’abord, l’identité du déposant ; ensuite, celle de l’inventeur. Dans l’hypothèse classique, le déposant et l’inventeur constituent une seule et même personne. Toutefois dans certaines hypothèses, et notamment dans le cas d’inventions de salariés, le déposant et l’inventeur peuvent être deux personnes distinctes. Tel est le cas lorsque le déposant est la société employant les salariés inventeurs.

En l’occurrence, les demandes de brevet précisaient que le déposant était le Dr. Thaler et que l’inventeur était DABUS. Pour rejeter la demande de brevet, les différents offices ont invoqué le même argument. Selon eux, seule une personne physique peut se voir accorder la qualité d’inventeur. La décision de l’office anglais, confirmée par la High Court ainsi que par la Court of Appeal, s’est fondée sur les textes régissant le dépôt de brevet, qui définissent l’inventeur comme la « personne » ayant créé l’invention. Selon l’office, cela renvoie de facto à une personne physique. Il en est de même pour l’office américain, dont les textes définissent l’inventeur comme un « individual ». De plus, l’USPTO précise que le déposant doit être capable de prêter serment lors du dépôt, ce qu’une IA ne peut faire.

Pour contrecarrer cet argument, le déposant a invoqué le fait que les textes de loi encadrant le dépôt de brevet ont été rédigés au début des années 1960, à une époque où le développement des nouvelles technologies était balbutiant et ne pouvaient donc envisager l’hypothèse de l’IA. De plus, selon lui, aucun de ces textes n’exclut expressément la qualification d’une IA en tant qu’inventeur. Il se trouve que ce terme n’a jamais fait l’objet d’une définition précise, que ce soit dans le droit anglais, américain ou même français, et demeure donc soumis à interprétation.

Par ailleurs, se pose également la question de la titularité des droits. Le fait d’accorder à une personne la qualité d’inventeur entraîne un certain nombre de conséquences juridiques, et notamment l’attribution de droits moraux et patrimoniaux générés par le brevet. Or, l’IA n’ayant pas de personnalité juridique, elle ne dispose pas d’un patrimoine. A ce titre, l’EPO rappelle qu’elle est dans l’impossibilité d’être propriétaire des droits générés par le brevet. 

Afin d’apporter une réponse à la question de la titularité des droits, le Dr. Thaler soutient l’argument selon lequel, étant propriétaire de la machine ayant créé l’objet, il est de facto titulaire des droits générés par le brevet. Or, aucun texte ne semble prévoir une telle dévolution. En effet, la législation anglaise prévoit que, par principe, le titulaire d’un brevet est son inventeur. Par exception, il peut s’agir d’un tiers auquel un texte de loi ou un contrat aurait cédé cette qualité. En l’absence de tout texte de loi ou contrat valablement signé, le titulaire du brevet peut également être l’héritier de l’inventeur.

En l’espèce, il ne fait pas de doute que le Dr. Thaler n’est pas l’inventeur puisqu’il a indiqué que DABUS était à l’origine des inventions. De plus, ce dernier n’ayant pas de personnalité juridique, il n’a pu céder par contrat au Dr. Thaler les droits qu’il détenait sur le brevet. L’IPO a également relevé l’absence de dispositions légales permettant au propriétaire d’une IA d’être investi des droits de propriété intellectuelle générés par cette dernière. Enfin, l’office a considéré que le Dr. Thaler n’était pas l’héritier de DABUS. La transmission des droits de l’IA à son propriétaire ne semble donc pas pouvoir être établie. Il semblerait qu’à l’impossibilité de reconnaître DABUS en tant qu’inventeur s’ajoute donc l’impossibilité de reconnaître le Dr Thaler comme étant le déposant, et donc le titulaire, des brevets.  

Le requérant ayant largement invoqué l’inadéquation de la réglementation avec les innovations technologiques actuelles, l’IPO a rappelé que sa mission était d’appliquer la loi et non d’en faire une interprétation non prévue par les textes, ni par la jurisprudence actuelle.

Un cadre juridique incertain et inadapté

L’EPO, l’IPO et l’USPTO ayant refusé d’attribuer la qualité d’inventeur à l’IA, la question est de savoir qui reconnaître en tant qu’inventeur dans cette hypothèse ? 

Cette question, qui n’est pas nouvelle, a déjà fait l’objet de nombreuses réflexions, principalement dans le domaine du droit d’auteur et du copyright. Elle revient à s’interroger sur la véritable source créative ou inventive dont est issu l’objet de droits. Peut-on encore envisager la machine comme un simple outil, au même titre qu’un pinceau, ou faut-il la reconnaître comme une force créative indépendante ? Le fait de considérer les concepts de créativité, d’inventivité et d’originalité comme étant inhérents à la personne ne semble plus correspondre à la réalité dans laquelle nous passons d’un mode de création assisté par ordinateur à des œuvres et inventions générées par ordinateur.

Pour résoudre cette incertitude juridique, l’une des solutions évoquées est d’attribuer à une personne physique, qui a participé indirectement à la création de l’invention, la qualité d’inventeur. Cette personne physique pourrait, par exemple, être le programmeur de l’IA, son propriétaire ou encore son utilisateur. C’est d’ailleurs sous son propre nom que le Dr. Thaler, inventeur de DABUS, a breveté les précédentes inventions de sa machine. Toutefois, ce dernier estime aujourd’hui que cela ne représente pas la réalité du processus créatif et permet à des individus de s’attribuer faussement la paternité de travaux qu’ils n’ont pas réalisés.

La protection des œuvres et travaux générés par l’IA soulève des questions d’ordre juridique, économique et morale et le débat autour de la place de ces « nouveaux créateurs » n’en est qu’à ses débuts. De nombreux pays mènent une réflexion active pour déterminer comment encadrer juridiquement la protection d’œuvres et d’inventions générées par l’IA : faut-il reconnaître la possibilité d’œuvres sans auteurs (« authorless subject matter »), désigner des auteurs et inventeurs présumés (« deeming authorship ») ou créer une protection sui generis ?

(Original publié par nmaximin)
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D’abord remise en cause par Showroomprive.com pour son caractère usuel et son défaut de distinctivité, la marque semi-figurative française n° 4055655 « vente-privee » associée à un dessin de papillon déposée dans les classes 35, 38 et 41 l’emporte non seulement sur le terrain de la distinctivité mais également sur celui du défaut de caractère frauduleux.

Cette joute judiciaire avait commencé en 2013. Le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 28 nov. 2013, n° 12/12856, D. 2015. 230, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ; Légipresse 2014. 12 et les obs. ) avait alors annulé la marque verbale « vente privee.com » n° 3623085 pour défaut de caractère distinctif. En 2015, à la suite de l’appel formé à l’encontre de ce jugement, la cour d’appel de Paris (Paris, pôle 5 - 1re ch., 31 mars 2015, n° 13/23127, D. 2016. 396, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ) avait finalement admis le caractère distinctif de la marque acquis par l’usage. Les juges avaient pris en compte les éléments de preuve démontrant un usage continu et particulièrement intensif de la marque après son enregistrement. Cette décision avait ensuite été réaffirmée par la Cour de cassation en 2016 (Com. 6 déc. 2016, n° 15-19.048, D. 2017. 318, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ; Dalloz IP/IT 2017. 226, obs. C. Le Goffic ; Légipresse 2017. 13 et les obs. ; ibid. 88, Étude Y. Basire et P. Darnand ; RTD com. 2017. 339, obs. J. Azéma ; RTD eur. 2017. 336-24, obs. A. Quiquerez ).

En 2019, le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 3e ch. - 1re sect., 3 oct. 2019) confirmait l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque « vente-privee » associée cette fois au papillon rose. Mais c’était sans compter sur le dernier argument de la société Showroomprive.com : le dépôt qualifié de frauduleux. Le tribunal de grande instance prononce en effet la nullité du dépôt de la marque pour dépôt frauduleux, considérant que la société Vente-privee.com était consciente du fait qu’en procédant à ce dépôt, elle privait ses concurrents de la possibilité d’utiliser les termes « vente privée » pourtant nécessaires à leur activité. En ce sens, le tribunal avait souligné que « la connaissance du caractère générique du terme et les intentions d’appropriation de ce terme par la société Vente-privee.com sont établies et même assumées par le dirigeant de cette société », lequel avait effectivement maladroitement affirmé que « si j’arrive à faire en sorte que le terme “vente privée” nous appartienne un jour, tant mieux. Je comprends qu’on puisse me le reprocher, mais c’est le jeu, chacun défend son territoire ».

Cette solution était critiquable car si un signe, certes utile à tous, est reconnu comme ayant acquis un caractère distinctif par l’usage et est ensuite taxé de « dépôt de mauvaise foi », il risque d’être difficile de bénéficier de la protection pourtant offerte par le code de la propriété intellectuelle.

La cour d’appel de Paris infirme le jugement du tribunal de grande instance et considère que la marque est distinctive et que le dépôt n’était pas frauduleux.

Sur le défaut de caractère distinctif

L’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle (dans sa version applicable au présent litige) prévoit que sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle des produits ou des services visés. Toutefois, le dernier alinéa de cet article prévoit que le caractère distinctif d’une marque peut être établi par l’usage.

Sur ce point, la cour d’appel relève d’abord que le papillon rose ne peut être réduit, comme l’avait fait le tribunal de grande instance à un élément « purement accessoire et décoratif », et qu’il est au contraire « parfaitement arbitraire ». En l’état, « l’association de l’expression “vente-privee” et de la représentation d’un papillon de couleur rose sera perçue par le public comme apte à identifier les services précités comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ces services de ceux des autres entreprises ».

Le signe présentant un caractère distinctif à l’égard des produits et services de la classe 35, la cour d’appel rejette la demande de nullité de la marque sans qu’il soit nécessaire de statuer sur l’acquisition de son caractère distinctif par l’usage.

Sur le dépôt frauduleux

Si la fraude n’est envisagée par le code de la propriété intellectuelle que dans le cadre de l’action en revendication, la jurisprudence a toutefois recours à l’adage « la fraude corrompt tout » afin de prononcer l’annulation d’une marque déposée de façon frauduleuse. La Cour de cassation juge d’ailleurs de manière constante « qu’un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité » (Com. 25 avr. 2006, n° 04-15.641, D. 2006. 1371, obs. J. Daleau ; RTD com. 2006. 599, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2007. 342, obs. J. Azéma ).

La cour d’appel considère sur ce point que la société Vente-privee.com avait un intérêt légitime à déposer la marque afin de préserver ses droits en raison de l’usage continu qu’elle faisait du signe. Elle relève que le changement de nom de l’appelante en 2019 pour devenir « Veepee » n’était pas plus pertinent à démontrer le caractère frauduleux du dépôt de la marque. Enfin, elle revient sur les preuves apportées par la société Showroomprive.com, à savoir des lettres de mise en demeure de son concurrent sur l’usage de l’expression « vente-privee.com » mais à titre d’AdWords. Selon la cour d’appel, ces lettres n’avaient pas pour intention de priver Showroomprive.com de l’usage des termes du langage courant « vente » et « privée ». En effet, le signe figuratif est protégé dans son ensemble : la protection du signe complexe n’emporte pas la protection de l’expression usuelle et descriptive qui demeure utilisable pour les concurrents du leader des ventes éphémères.

La Cour a donc jugé que la mauvaise foi de la déposante n’était pas démontrée et condamne la société Showroomprive.com à verser à la société Vente-privee.com 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’apport essentiel de cette décision est que la cour d’appel fait fi de l’argument du caractère frauduleux de la marque au profit de son usage continu. La cour d’appel insiste également sur le fait que ce soit bien la marque figurative prise dans son ensemble qui est protégée. Les titulaires de marques ont donc tout intérêt à associer un élément figuratif à leurs marques lorsque celles-ci sont constituées de termes génériques. Toutefois, encore faut-il s’assurer que l’élément figuratif est suffisamment distinctif en lui-même. Enfin, cette décision encourage les titulaires de marques à collecter et à conserver précieusement toutes les preuves permettant d’attester d’un usage intense et continu de la marque.

En tout état de cause, la société Vente-privee.com a vraisemblablement décidé d’adopter une nouvelle stratégie. Souhaitant par ailleurs uniformiser le nom de ses marques, connues sous différents noms dans le monde, elle utilise aujourd’hui sa nouvelle marque « Veepee » – mais toujours avec le papillon rose – pour toutes les entités du groupe.

(Original publié par nmaximin)

Le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique présenté à la fin de l’année 2019 n’avait pas pu être examiné par le Parlement en raison de la crise sanitaire. C’est pourquoi lors du Conseil des ministres du 8 avril 2021, un nouveau texte en procédure accélérée a été présenté : le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Ce texte a pour ambition de garantir une meilleure protection aux créateurs, de créer une autorité de régulation du numérique mais également d’assurer au public un accès aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises. Adopté en première lecture au Sénat le 20 mai 2021, il a été modifié par l’Assemblée nationale le 23 juin 2021. Ce projet a été débattu en commission mixte paritaire avant d’être définitivement adopté le 29 septembre 2021. Le lendemain de son adoption, plus de soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel afin de vérifier sa conformité à la Constitution.

Annuellement, le manque à gagner résultant de la consommation de contenus audiovisuels sur des plateformes illégales est estimé que plus d’un milliard d’euros. Cette nouvelle loi entend lutter contre les nombreuses contrefaçons présentes sur internet et ainsi défendre la création culturelle.

La garantie d’un accès du public aux œuvres audiovisuelles françaises

La protection des catalogues d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises est un des principaux objectifs de cette loi. Ce dernier prévoit que lorsque les catalogues d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles seront cédés à une société étrangère, les œuvres qu’ils contiennent devront nécessairement rester accessibles au public français. Le ministère de la Culture devra être notifié d’une telle cession afin de veiller au respect de cette obligation par la société étrangère concernée. Le ministre disposera d’un délai de trois mois pour se prononcer et saisir la « commission de protection de l’accès à l’œuvre ». Si cette commission le juge nécessaire, elle aura la possibilité de contraindre la société étrangère à apporter des garanties supplémentaires. La loi précise également que la décision de cette commission pourra faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire.

Initialement, le gouvernement souhaitait accorder au ministère de la Culture des pouvoirs étendus afin de limiter la cession à des sociétés étrangères de catalogues d’œuvres cinématographiques. Mais dans son avis du 1er avril 2021, le Conseil d’État a considéré excessive la possibilité pour le ministère de la Culture de contraindre administrativement la cession par une injonction sous astreinte et des sanctions importantes dans la mesure où cela équivaut à un droit de véto. L’exécutif s’est vu dans l’obligation de revoir son projet et de proposer un dispositif plus doux que celui initialement imaginé.

Il s’agit de s’assurer que les sociétés étrangères mettront en valeur l’œuvre cinématographique tout en permettant au plus grand nombre de profiter de l’œuvre malgré sa cession. Se faisant, la loi entend protéger le patrimoine audiovisuel français en apportant au public l’assurance que certaines œuvres françaises demeureront toujours accessibles au plus grand nombre.

La fin de la HADOPI et du CSA

La Haute autorité pour le développement des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) existe depuis le décret du 31 décembre 2009. La HADOPI se charge d’encourager le développement de l’offre légale et d’observation de l’utilisation licite et illicite des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin. Elle doit également protéger ces œuvres de toute forme d’atteinte commise en ligne. La HADOPI a une mission de régulation et de veille dans les domaines des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin. Enfin, la HADOPI sanctionne le piratage par l’intermédiaire de sa Commission de protection des droits, composée exclusivement de hauts magistrats.

Plus de douze ans après sa création, la HADOPI dresse un bilan financier mitigé puisqu’elle a perçu 87 000 € d’amendes alors qu’elle a reçu plus de 82 millions d’euros de subventions publiques. Le bilan de sa lutte principale, contre le téléchargement en peer-to-peer, est également en nuances, dans la mesure où cette technologie ne représente aujourd’hui plus qu’un quart des téléchargements illégaux. La majorité des infractions sont en effet désormais réalisées via des plateformes illégales de streaming.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) existe quant à lui depuis 1989, date à partir de laquelle il a remplacé la Haute autorité de la communication audiovisuelle créée en 1982. Le CSA est une autorité publique dont l’indépendance financière et administrative lui permet le bon exercice de ses missions.

Le CSA est un régulateur de l’audiovisuel puisqu’il est chargé de délivrer des autorisations permettant à l’ensemble des chaines de télévisions et des radios d’émettre par voie hertzienne, par satellite, par câble ou par ADSL. Le CSA surveille et sanctionne également ce qui est diffusé à la radio et à la télévision, en veillant à ce que les distributeurs de services de communication audiovisuelle et des opérateurs de réseaux satellitaires respectent leurs obligations. Celles-ci concernent en particulier la protection des mineurs, la représentation de la diversité, le respect de la dignité humaine ou encore le pluralisme lors des périodes électorales.

Plus de trente-deux ans après sa création, le CSA a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment en raison de son inaction à l’égard de certaines émissions diffusant des propos jugés polémiques. Le CSA a aussi été accusé de ne pas promouvoir la diversité audiovisuelle et de manquer d’impartialité du fait de sa proximité avec l’exécutif.

C’est pourquoi la nouvelle loi a pour intention d’acter la fin de la HADOPI et du CSA. Pour autant, le gouvernement a veillé à ce que leurs missions respectives continuent d’être assurées par une nouvelle autorité administrative indépendante.

La naissance de l’ARCOM

La création d’une autorité de régulation du numérique apparaît comme la clé de voute de cette loi. De la fusion entre la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) naîtra une nouvelle autorité publique indépendante, l’Autorité de régulation de la communication et du numérique (ARCOM).

Le collège de l’ARCOM sera composé de sept personnes, comme l’était auparavant celui du CSA. Son président sera nommé par le président de la République. Deux membres seront désignés par le président du Sénat et deux le seront par le président de l’Assemblée nationale. Un membre sera désigné par le vice-président du Conseil d’État, un autre le sera par le premier président de la Cour de cassation. Les pouvoirs de l’ARCOM seront donc calqués sur ceux de la HADOPI et du CSA mais seront renforcés.

L’ARCOM bénéficiera de nombreux pouvoirs, en particulier en termes de procédure, de conciliation ou d’enquête. Ses missions principales se déclineront dans la sphère de l’audiovisuel et du numérique, notamment à travers la protection des mineurs, la lutte contre la désinformation, la haine en ligne et enfin le piratage.

Les pouvoirs initialement réservés à la HADOPI concernant la protection du droit d’auteur et des droits voisins seront transférés à l’ARCOM. Les pouvoirs de recueil d’informations et d’enquête dont cette dernière hérite du CSA seront quant à eux élargis. Les informations que détiendra l’ARCOM pourront par exemple être échangées avec celles que détient l’Autorité de la concurrence sans que celles-ci ne soient soumises au secret des affaires, comme le prévoit l’article 11 de la loi. Les pouvoirs de sanctions de l’ARCOM seront étendus par rapport à ceux dont bénéficiaient la HADOPI et le CSA (mode de publication, délai de prescription). Enfin, l’ARCOM se verra attribuer de nouvelles compétences. Elle sera en effet tenue d’établir une liste des plateformes de partage de contenus audiovisuels et numériques portant atteinte « de manière grave et répétée au droit d’auteur et aux droits voisins ». L’ARCOM aura enfin la possibilité de contraindre les moteurs de recherche au blocage ou au déréférencement de sites miroirs utilisant les contenus de plateformes illicites. Ces nouveaux pouvoirs conférés à l’ARCOM lui permettent de prendre en compte les problématiques liées au streaming illégal qui n’étaient jusqu’alors pas prises en compte par la HADOPI. Cette évolution constitue par conséquent une réelle avancée dans la mesure où elle s’adapte aux usages actuels.

Le piratage audiovisuel dans le viseur de la loi

L’ambition de cette loi est de limiter au maximum le piratage de contenus cinématographiques et audiovisuels, dans la mesure où il porte un préjudice conséquent à la création culturelle et à certaines économies parallèles.

Si l’on prend l’exemple des matchs de football, le piratage audiovisuel ne représente pas particulièrement une menace pour les grands clubs de football, mais reste un danger pour la survie des autres clubs. En France, le modèle économique des petits clubs de football repose en grande partie sur les subventions publiques alimentées par les droits TV audiovisuels des compétitions sportives. La diffusion de matchs de football en direct sur des plateformes illégales porte donc un coup supplémentaire au financement des petits clubs de football, déjà impactés par le récent accord entre Canal+ et la Ligue de Football professionnel. Le piratage en direct des compétitions sportives représente 500 millions d’euros de pertes pour le financement de la taxe Buffet, courroie de solidarité entre les grands clubs de football professionnel et les petits. La loi entend permettre à la Ligue du Football professionnel et aux médias sportifs de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin que les plateformes illégales de streaming soient rapidement bloquées.

Accusé par plusieurs parlementaires de ne pas être à la hauteur de la révolution numérique que subissent les œuvres cinématographiques et audiovisuelles, cette loi devra encore être débattu par la commission mixte paritaire en séance publique avant son éventuelle adoption par le Parlement. Cependant par la création de l’ARCOM et par la lutte contre le piratage audiovisuel, cette loi témoigne d’une réelle volonté de lutte contre les plateformes de streaming illégal. Ainsi, cette loi s’inscrit dans lignée de la directive (UE) 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins qui responsabilise les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne.

(Original publié par Dargent)

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Depuis sept ans et l’apparition des premières legaltech, le marché du droit traverse des mutations qui ont parfois provoqué des situations extrêmes. Pourtant le besoin de justice, comme l’inflation législative et règlementaire ou le développement complexe des entreprises, entraînent une croissance soutenue des besoins sur un marché estimé en France à 40 milliards d’euros en 2020. Cette dynamique a d’ailleurs permis la multiplication du nombre des avocats sur les vingt dernières années. Mais cette croissance, contrairement à beaucoup de secteurs économiques, n’avait permis qu’à la marge une réflexion pour passer d’un travail artisanal à une industrie du droit qui pourrait offrir plus de prestations, pour un prix plus abordable, en travaillant ses coûts de revient et ses apports de valeur. Les lois économiques classiques d’un marché mature ont ainsi rattrapé les avocats qui doivent innover et investir pour ne pas être hors marché, sans avoir été préparés, par leurs études et leur organisation, à cette mutation qui dépasse l’impact de l’usage du digital généralisé. Comment rattraper le temps perdu pour innover à 360 degrés ?

Premier d’une longue série à venir, le livre blanc « Innovations et avocat : le temps de faire », sous la direction de Stéphane Baller, entend opportunément s’intéresser à la compréhension des initiatives qui pourraient permettre à la profession d’avocats de s’adapter aux mutations profondes qui la traversent, à savoir sa capacité à innover, au travers d’articles de réflexion sur le marché du droit en général et la profession d’avocat en particulier, et de podcasts d’interviews et de témoignages de ceux qui vivent l’innovation au quotidien.

L’innovation, loin d’être seulement digitale, serait ainsi avant tout managériale et stratégique. Et cette innovation, qui s’apprend et s’expérimente, mais suppose une vision, n’attend plus !

Le Livre Blanc « Innovation et avocats : le temps de faire ! » s’inscrit dans le cadre des travaux du Comité stratégique Avocats Lefebvre Dalloz. Ce comité a pour objet de contribuer à la réflexion relative à la profession d’avocat, dans ses aspects tant d’exercice professionnel, que de gestion ou de stratégie de développement des cabinets ou sociétés d’avocats. ll entend ainsi favoriser l’expression et la diffusion des bonnes pratiques, expériences, ou visions du métier ou du droit, autour d’écrits, de podcasts, de vidéos ou d’événements, afin d’accompagner la compréhension des mutations de la profession et d’animer le débat au sein de la communauté des avocats, de leurs clients, de leurs instances … de leur écosysteme.

(Original publié par Dargent)

Le 16 septembre 2021, sont parues au Journal officiel deux ordonnances très attendues.

La première, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, rend plus cohérent le droit applicable aux sûretés – éclaté précédemment entre plusieurs codes – tout en rénovant ou abrogeant certains dispositifs considérés comme obsolètes.

La seconde, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, réforme les dispositions relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés, tout en transposant la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 dite « Restructuration et insolvabilité ». Elle s’accompagne de son décret d’application du 23 septembre 2021.

L’entrée en vigueur de ces réformes étant prévues le 1er janvier 2022 pour les sûretés et le 1er octobre 2021 pour le livre VI du code de commerce, nous avons choisi de mettre à la disposition des utilisateurs des codes civil et de commerce Dalloz une version consolidée des articles du code civil et du code de commerce impactés par ces textes.

Le fascicule de consolidation des éditions Dalloz est alors le complément idéal de ces deux codes, permettant de comparer anciennes et nouvelles dispositions. Le lecteur dispose ainsi de la version complète du nouveau livre IV du code civil, étant précisé que pour chaque article, il est mentionné s’il est nouveau, inchangé, modifié ou déplacé, afin de se référer ensuite aux enrichissements présents dans le code civil Dalloz. Une table des matières et une table alphabétique le complètent.

Pour un commentaire de la réforme des sûretés, v. notre dossier, sous la direction de Jean-Denis Pellier, Professeur à l’Université de Rouen, Codirecteur du Master 2 Droit privé général : partie I et partie II. Et, dans le prolongement de ce dossier, vous pouvez vous inscrire ici au colloque Dalloz formation sur la réforme.

Pour un commentaire de la réforme des entreprises en difficultés, v. notre dossier rédigé par Karine Lemercier, Maître de conférences à l’Université du Maine et François Mercier, Administrateur Judiciaire, 2M&associés. Et, dans le prolongement de ce dossier, vous pouvez vous inscrire ici à la formation Elegia Formation.

(Original publié par Dargent)

Dans le cadre de l’examen du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire », les sénateurs ont fait part de leur désaccord avec la position adoptée par les députés en première lecture. Le texte a donc été amendé afin de rendre compétent le tribunal de commerce de Paris pour connaître des litiges relatifs au devoir de vigilance. « Le plan de vigilance étant inclus dans le rapport de gestion, il est logique que les tribunaux de commerce aient aussi à connaître des actions fondées sur les dispositions des articles L. 225-102-4, II et L. 225-102-5 du code de commerce relatives au devoir de vigilance.

Confirmant cette analyse, la cour d’appel de Versailles a, dans un arrêt du 10 décembre dernier, reconnu la compétence du tribunal de commerce au motif qu’ était « caractérisée l’existence d’un lien direct...

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(Original publié par Thill)
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par Rodolphe Bigot, Maître de conférences, Le Mans Université, et Amandine Cayol, Maître de conférences, Université Caen Normandiele 6 octobre 2021

Civ. 2e, 16 sept. 2021, F-B, n° 19-25.529

L’assurance de groupe est « le contrat souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise en vue de l’adhésion d’un ensemble de personnes […] pour la couverture des risques dépendant de la durée de la vie humaine, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité ou du risque de chômage » (C. assur., art. L. 141-1, al. 1). Il s’agit d’une assurance de personnes (sauf garantie perte d’emploi). « Son mécanisme contractuel se réalise en deux temps, avec trois acteurs. En premier lieu, le temps de la souscription du contrat d’assurance, entre le souscripteur et l’assureur. En second lieu, le temps de la rencontre du souscripteur et des adhérents, autrement dit de l’adhésion par ces derniers au contrat de groupe souscrit auparavant par le preneur, lequel ne peut être qu’un dirigeant de société/employeur/chef d’entreprise (personne physique) ou un syndicat professionnel, une association et un établissement de crédit (personne morale). Un « lien de même nature » de tous les membres avec le souscripteur est exigé » (R. Bigot, Les assurances collectives, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., Ellipses, 2020, préf. de D. Noguéro, p. 164). Si l’adhésion prend...

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(Original publié par rbigot)

Dès 2009, le barreau de Paris avait intégré l’activité d’intermédiaire en assurances dans son règlement intérieur (RIBP, art. P.6.2.0.1 – Créé en séance du Conseil de l’ordre du 17 nov. 2009 ; devenu art. P.6.3.6). La même disposition fut reprise au niveau national à l’article 6.3.6 du RIN, dans sa rédaction issue de la décision à caractère normatif du 26 janvier 2017 (JO 13 avr.), autorisant l’avocat « à exercer à titre accessoire une activité d’intermédiaire en assurances, uniquement en qualité de mandataire de l’assuré ». Cette activité entrait ainsi dans la catégorie des mandats spéciaux de l’avocat au même titre que les missions de mandataire en transaction immobilière, mandataire sportif, délégué à la protection des données, tiers de confiance, représentant d’intérêts ou fiduciaire compatibles avec les principes essentiels de la profession (pour une présentation complète, S. Bortoluzzi, D. Piau et T. Wickers, Règles de la profession d’avocat, Dalloz Action, 6e éd., 2019, nos 640 s.).

L’encadrement de cette activité d’intermédiaire en assurances posait toutefois difficulté, au regard notamment de la règlementation spécifique prévue par le code des assurances. La directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (JOUE L26, 2 févr. 2016), transposée en droit interne par l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018 (JO 17 mai, texte n° 29), a modifié la définition de l’intermédiation en assurance. Ainsi, le nouveau régime instauré ne porte plus seulement sur l’activité « d’intermédiation » d’assurance mais sur l’activité de « distribution de produits d’assurance ou de réassurance », laquelle consiste à fournir des recommandations sur des contrats d’assurance ou de réassurance, à présenter, proposer ou aider à conclure ces contrats ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre (C. assur., art. L. 511-1, I ; mod. par Ord. n° 2018-361 du 16 mai 2019, art. 4). Est un distributeur de produits d’assurance ou de réassurance tout intermédiaire d’assurance ou de réassurance, tout intermédiaire d’assurance à titre accessoire ou toute entreprise d’assurance ou de réassurance (C. assur., art. L. 511-1, III).

Un statut d’intermédiaire d’assurances incompatible avec l’exercice de la profession d’avocat

Ce statut d’intermédiaire d’assurances n’est pas apparu compatible avec l’exercice de la profession d’avocat au regard des dispositions de l’article R. 511-2 du code des assurances définissant limitativement les catégories de personnes pouvant exercer l’activité de distribution de produits d’assurance ou de réassurance (courtiers d’assurance ou de réassurance, agents généraux d’assurance, mandataires d’assurance ou d’intermédiaires d’assurance, salariés des entreprises d’assurance ou de réassurance, intermédiaires enregistrés sur le registre d’un autre État membre de l’UE), et de celles de l’article 6.3.6 du RIN, dans sa rédaction issue de la décision à caractère normatif du 26 janvier 2017, limitant l’exercice de cette activité à titre accessoire en qualité de « mandataire de l’assuré » uniquement « rémunéré par son client ». Le mandataire d’un intermédiaire d’assurance n’est pas, par définition, mandataire de l’assuré au sens du RIN. Il est par ailleurs exclu que l’avocat puisse exercer les professions de courtier, d’agent d’assurance ou même de mandataire d’assurances autre qu’un agent.

On soulignera utilement que les activités traditionnelles de conseil de l’avocat, telles qu’elles sont définies aux articles L 511-1, II et R. 511-1, alinéa 2, du code des assurances, se situent hors du champ de l’intermédiation, et donc de la réglementation spécifique applicable aux activités de distribution d’assurances ou de réassurances (fourniture de conseils n’ayant pas pour objet d’aider le souscripteur à conclure ou à exécuter un contrat d’assurance ou de réassurance, activité consistant exclusivement en la gestion, l’évaluation et le règlement des sinistres, travaux préparatoires à la conclusion d’un contrat d’assurance ou de réassurance mentionnés au I de l’art. L. 511-1).

L’avocat mandataire d’intermédiaire d’assurances

La commission des règles et usages du CNB s’est dès lors emparée de la problématique pour permettre à la fois de clarifier le texte, l’adapter à la règlementation en vigueur et sécuriser l’activité de l’avocat. Elle a ainsi estimé nécessaire de modifier l’article 6.3.6 du RIN afin que le mandat spécial qu’il organise soit compatible avec les dispositions du code des assurances. Il est admis que l’avocat peut parfaitement intervenir dans des opérations d’intermédiation sans conférer un caractère commercial à son activité, dès lors que l’avocat intervient en qualité de mandataire de son client et que cette activité présente un caractère accessoire. Il s’agit en effet d’écarter toute confusion avec le courtage, dont les opérations commerciales par nature sont incompatibles avec l’exercice de la profession (RIN, art. 6.2), et d’éviter à l’avocat de se trouver en situation de conflit d’intérêts.

En conséquence, par décision du 7 mai 2021 portant modification du Règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat (JO 30 sept., texte n° 22), le CNB supprime de l’article 6.3.6 du RIN l’expression « uniquement en qualité de mandataire de l’assuré » et remplace la notion « d’intermédiaire en assurances » par celle de « mandataire d’un intermédiaire d’assurances ». Elle précise par ailleurs au même article que sa rémunération doit être conforme aux dispositions de l’article 11.3 du RIN, l’avocat intervenant en qualité de mandataire exclusif de son client, intermédiaire d’assurances. Il n’est ni courtier, ni apporteur d’affaires et son activité ne doit pas relever de la pratique des commissions.

Les obligations du code des assurances

La nouvelle rédaction du RIN précise que l’avocat qui décide d’exercer une activité de mandataire d’un intermédiaire d’assurances doit être en conformité avec la réglementation applicable et notamment avec les obligations d’immatriculation et de formation prévues par le code des assurances (C. assur., art. L. 512-1). Il devra ainsi s’immatriculer préalablement auprès du registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance, tenu par l’ORIAS. Bien que l’ORIAS effectue un contrôle lors de l’inscription et lors des renouvellements annuels, le contrôle de l’activité des intermédiaires en assurance relève de la compétence de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), autorité administrative indépendante adossée à la Banque de France.

S’agissant des conditions de solvabilité résultant de l’assurance de responsabilité prévues par le code des assurances, l’activité de l’avocat paraît couverte par son assurance responsabilité civile dès lors qu’elle entre dans les missions particulières énumérées à l’article 6.3 du RIN. L’avocat devra vérifier auprès de son barreau que cette position a bien été validée par la police d’assurance souscrite par ce dernier, ainsi que le niveau de couverture applicable par sinistre.

La déclaration préalable à l’Ordre

Enfin, selon les dispositions de l’article 6.4 du RIN, l’avocat qui entend exercer l’activité de mandataire d’un intermédiaire d’assurances, comme pour celles de mandataire en transaction immobilière, en gestion de portefeuille ou d’immeubles, de mandataire sportif, de mandataire d’artistes et d’auteurs, de lobbyiste, de syndics de copropriété, ou de délégué à la protection des données doit en faire la déclaration à l’Ordre, par lettre ou courriel adressé au bâtonnier. Il s’agit d’une simple déclaration et non d’une autorisation préalable.

Il en ressort que si l’activité de mandataire d’un intermédiaire d’assurances offre un nouveau champ de missions à l’avocat, il appartient à celui-ci d’être particulièrement vigilant sur le mandat qui lui est confié, le caractère accessoire de sa mission et le respect des principes essentiels de sa profession. 

(Original publié par Dargent)

Selon Rabelais, sur la grande porte de Thélème était inscrit :
Cy n’entrez pas, hypocrites, bigotz
Vieux matagotz, marmiteux boursouflés… 

De même, sur la porte de la Juridiction unifiée du brevet (JUB), on pourra inscrire que les pessimistes, hypocrites et ennemis du progrès ont fini par perdre leur pari : la JUB entrera bien en vigueur et ce, prochainement.

Et pourtant, les adversaires de cet immense projet, attendu depuis plus de quarante ans par les utilisateurs du système des brevets n’ont pas désarmé. Une première attaque devant la Cour constitutionnelle allemande s’était soldée par l’annulation en février 2020 de la loi de ratification allemande en raison d’une insuffisante majorité lors du vote au parlement (v. C. Meiller et V. Chapuis, Brevet : sale temps pour la juridiction unifiée du brevet, Dalloz actualité, 8 avr. 2020). Le gouvernement allemand, soutenu par la majorité des industriels et des utilisateurs de brevets, n’a pas tardé à présenter à nouveau au parlement la même loi de ratification. Celle-ci a été votée le 26 novembre 2020 à une large majorité (100 voix de plus que la majorité requise des 2/3).

Les adversaires, notamment la communauté open source, pensent que le brevet unitaire, rendu possible par la mise en œuvre de la juridiction unifiée, entraînerait un changement dans la protection du logiciel par brevet et même la destruction d’emplois. Ils ont donc soutenu le dépôt de deux nouveaux recours devant la Cour constitutionnelle allemande. Ces recours, avec demande d’injonction préliminaire, déposés en décembre 2020, se fondaient sur une prétendue violation de l’État de droit, sur une insuffisance d’indépendance des juges nommés pour six ans (et non à vie) et sur l’existence d’un plafonnement du montant des frais de représentation récupérables par la partie gagnante.

Le 23 juin 2021, la Cour constitutionnelle a rejeté les deux demandes d’injonction préliminaire et dit que la loi de ratification pouvait être promulguée sans attendre la décision au fond. Elle a considéré notamment que la prétendue atteinte à l’État de droit était insuffisamment motivée, que la procédure de nomination des juges ne portait pas atteinte aux principes démocratiques et enfin que l’article 20 de l’accord relatif à la JUB, qui mentionne la primauté du droit de l’Union européenne, avait seulement pour but d’éliminer les doutes sur l’application du droit de l’Union ou du droit national.

À la suite de cette décision, le président de la République fédérale d’Allemagne a procédé à la signature officielle de la loi de ratification le 7 août 2021 et elle a été promulguée le 12 août. La France, ainsi que dix-sept autres États de l’Union ayant déjà ratifié l’accord relatif à la JUB, ce dernier peut entrer en vigueur.

Il reste cependant quelques aménagements indispensables à réaliser, tels que la nomination des juges, l’établissement du greffe, la mise au point du système informatique ou la finalisation du règlement de procédure par le comité administratif. Tout cela demandera un certain temps avant que la juridiction ne soit pleinement opérationnelle. Le Protocole d’application provisoire (PAP) organise cette période transitoire. En outre, les conséquences du Brexit doivent être prises en compte.

À quoi sert le protocole d’application provisoire (PAP) ?

Le PAP, signé le 1er octobre 2015, prévoit que certaines dispositions de l’accord sur la JUB entrent provisoirement en vigueur.

C’est le cas de l’article 7, qui définit l’organisation de la 1re instance de la juridiction avec ses divisions locales et régionales et sa division centrale à Paris (avec les sections de Munich et de Londres). Il en est de même pour les articles 10 à 19 qui concernent le greffe, les différents comités administratifs, budgétaire et consultatif ainsi que les juges et leur formation. C’est encore le cas de l’article 35 sur le centre de médiation et de l’article 41 qui dispose que le règlement de procédure est définitivement adopté par le comité administratif après avis de la Commission européenne. Enfin, sont également concernées différentes dispositions prévues par les statuts de la juridiction, et notamment celles relatives aux élections des présidents de la 1re instance et de la cour d’appel.

Le protocole entre automatiquement en vigueur dès que treize États l’ont signé ou ont indiqué accepter l’application provisoire de ces dispositions. Le 27 septembre, un pas de plus a été franchi avec le dépôt par l’Allemagne des instruments de ratification du protocole. Il ne manque plus que deux États. On peut s’attendre à une ratification prochaine par l’Autriche et la Slovénie.

Dès l’entrée en vigueur du protocole, les préparatifs pour la mise en œuvre de la juridiction unifiée pourront commencer. Il s’agit notamment de la nomination des juges, de l’établissement du greffe, de la mise au point du système informatique ou de la finalisation du règlement de procédure. À cela on peut encore ajouter la finalisation du barème des taxes et des coûts récupérables. Tout cela demandera un certain temps, la durée probable étant estimée à environ huit mois.

Quid du Brexit ?

Le comité administratif pourra en outre procéder aux aménagements du texte de l’accord rendus nécessaires par le départ du Royaume-Uni. L’article 89, qui règle les conditions d’entrée en vigueur, ne nécessite aucun changement, le Royaume-Uni étant automatiquement remplacé par l’Italie en tant que troisième État avec le plus grand nombre de brevets après l’Allemagne et la France.

L’article 7-2 et l’annexe II de l’accord, qui mentionnent expressément une section de la division centrale à Londres, devront en revanche être modifiés. Il s’agit là de dispositions pratiques sans portée juridique, on peut donc penser que les aménagements rendus nécessaires à la suite du Brexit pourront être effectués par le comité administratif sans que les États membres aient l’obligation de procéder à de nouvelles ratifications d’un accord modifié. L’article 87-1 prévoit précisément la possibilité pour le comité administratif de décider d’une révision pour améliorer le fonctionnement de la juridiction. Les États membres peuvent cependant la refuser (art. 87-3), ce qui entraîne alors la convocation d’une conférence de révision. On notera à cet égard, que la loi de ratification allemande exige qu’une telle révision soit acceptée par une loi spécifique (art 1(2)).

Quelles modifications ?

Une section de la division centrale ne peut exister en dehors du territoire des États participants. La section de Londres ne peut pas être instituée depuis que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne. Sa suppression ne laisse subsister à côté du siège de Paris, que la section de Munich. Les attributions prévues à l’origine pour la section de Londres pourraient, au moins à titre provisoire, être réparties entre Paris, lieu du siège de la division centrale, et Munich. Si, par la suite, une autre section de la division centrale devait être créée dans une autre ville européenne, cela demanderait probablement une ratification par les États Membres (v. W. Tilmann, Zur Nichtigerklärung des EPGÜ-Ratifizierungsgesetzes, GRUR 5/2020. 441).

Conclusion

L’entrée en vigueur du protocole d’application provisoire ne dépend plus que de son acceptation par deux pays. Dès qu’elle sera effective, une part importante de l’accord sur la JUB entrera automatiquement en vigueur.

Pendant une période d’environ huit mois, tout sera mis en œuvre pour que les dispositions restantes de l’accord puissent également s’appliquer. Dès que le comité préparatoire aura annoncé que tous les organes de la juridiction sont prêts (juges nommés, greffe et sous-greffes opérationnels, divisions locales et division centrale prêtes à recevoir les premiers dossiers), l’Allemagne, en tant que dernier État à ne pas l’avoir fait, déposera ses instruments de ratification auprès du Conseil de l’Union européenne. Le premier jour du quatrième mois faisant suite à ce dépôt, l’accord sur la JUB entrera complètement en vigueur et les premières actions en contrefaçon ou demandes de nullité, pourront être portées devant la juridiction.

Simultanément, le règlement (UE) 1257/2012 sur le brevet européen à effet unitaire (le brevet unitaire) deviendra immédiatement applicable dans tous les États ayant ratifié l’accord sur la JUB. Parmi les vingt-sept États membres de l’Union européenne, seize l’ont déjà fait. Les principaux absents sont pour l’instant des pays comme l’Espagne, la Pologne ou la Hongrie. De plus les pays hors de l’Union européenne, comme le Royaume-Uni ou la Suisse, ne peuvent bénéficier ni de la nouvelle juridiction ni du brevet unitaire.

Pour les sceptiques, il restera possible de profiter des dispositions transitoires. Elles permettent, pendant une durée de sept ans (éventuellement prolongeable), de choisir un tribunal national à la place de la JUB ou de faire enregistrer, pour une demande de brevet européen ou un brevet européen, une déclaration de dérogation selon laquelle seuls les tribunaux nationaux sont compétents pour cette demande de brevet ou ce brevet, jusqu’à son expiration. L’enregistrement de ces déclarations auprès du greffe de la juridiction pourra commencer dès l’ouverture d’une période préliminaire (sunrise period), probablement après que le système informatique soit opérationnel et le greffe institué en application du protocole provisoire.

L’avenir nous dira quelle politique adopteront les entreprises. Cela dépendra évidemment de la qualité, du coût et de la rapidité de la procédure devant cette nouvelle juridiction.

(Original publié par nmaximin)

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ne cesse décidément de nourrir l’actualité. Alors que la Commission vient de proposer une refonte globale du cadre en la matière (Doc. COM [2021] 420 à 423 final, 20 juill. 2021 ; v. notre article), la CJUE poursuit son travail sur les questions de fond. Et elles sont nombreuses. Le blanchiment des capitaux est une infraction de conséquence à une infraction principale. L’auteur de l’infraction principale peut-il alors être aussi poursuivi pour blanchiment (« autoblanchiment ») ? Dans l’affirmative, ceci ne porte-t-il pas atteinte au principe ne bis in idem ? Classiques en droit français, ces questions viennent d’être tranchées par la CJUE, dans une décision qui, bien qu’importante sur le plan des principes, a un intérêt limité. En effet, la dernière directive en la matière adoptée en 2018 impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que certains types d’activités de blanchiment constituent des infractions pénales lorsqu’ils sont le fait de personnes ayant commis l’activité criminelle dont le bien provient ou y ayant participé (Dir. [UE] 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil, 23 oct. 2018, art. 3, § 5, JOUE n° L 284, 12 nov.). Autrement dit, depuis la directive (UE) 2018/1673, dite « 5e directive anti-blanchiment », les États doivent incriminer l’autoblanchiment.

En l’espèce, la CJUE a été saisie de l’interprétation de la 4e directive...

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(Original publié par Thill)

Conclusion annuelle de la convention récapitulative par une centrale d’achats (avis n° 21-10 du 23 sept. 2021). La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) a été saisie par un fournisseur de produits destinés à la distribution automobile d’une demande d’avis sur la conformité au droit des pratiques mises en œuvre, principalement à l’occasion de la conclusion annuelle de la convention récapitulative, par l’un de ses clients, centrale d’achats. Le fournisseur expose, dans sa demande d’avis, que son client, à compter de la fin d’année 2017, et selon un processus similaire pour les années 2018, 2019 et 2020, a envoyé un projet de convention, élaboré unilatéralement, pour signature dans un délai très court (de l’ordre d’une quinzaine de jours au maximum) et sans laisser de possibilité de négociation. Pour la Commission, la pratique consistant, pour une centrale d’achats du secteur de la distribution automobile, à imposer à son fournisseur sa propre version de la convention récapitulative, sans possibilité de négociation et sous peine de déréférencement, peut, si les conditions prévues par le code de commerce sont réunies, contrevenir à la règle sur le déséquilibre significatif (C. com., art. L. 442-1, I, 2°) et à celle sur l’avantage sans contrepartie (C. com., art. L. 442-1, I, 1°). La solution vaut, selon la Commission,...

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(Original publié par Delpech)

L’adaptation du code de la consommation aux impératifs de la modernité est un objectif si ce n’est fondamental, au moins nécessaire pour la mise en jeu de la protection du consommateur notamment en droit de l’Union européenne (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Précis », 10e éd., 2020, sur la construction européenne, p. 47, nos 43 s.). L’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 sur la garantie légale de conformité vient à la fois moderniser et adapter les règles existantes pour tenir compte de cet objectif. Rappelons que cette ordonnance est la suite logique de la transposition de la directive (UE) 2019/770 sur les contrats de fourniture de contenus numériques ou de services numériques (v. J.-D. Pellier, Le droit de la consommation à l’ère du numérique, RDC 2019, n° 4, p. 86 s.) ainsi que de la directive (UE) 2019/771 concernant les contrats de vente de biens. L’ordonnance a été prise sur le fondement de la loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020. Le Rapport remis au Président de la République indique que cette transposition obéit à « un souci de modernisation du cadre juridique de la protection des consommateurs, tenant compte de l’accroissement des ventes de produits connectés (tels que « l’internet des objets »), ainsi que de la fourniture de contenus et services numériques sous différentes formes ». Les nouvelles règles concernant la garantie légale de conformité s’appliquent aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2022 ainsi qu’aux contenus et services numériques fournis à compter de cette date. Cette étape finale permettra aux directives précédemment citées de déployer tous leurs effets en droit positif et d’assurer une protection plus importante du consommateur à une époque où le numérique est omniprésent. Le parcours reste toutefois semé d’obstacles. Les dispositions introduites sont d’une certaine complexité et il faudra composer avec quelques doutes sur le sens de certaines dispositions jusqu’à des interprétations jurisprudentielles prochaines. Ceci n’empêche pas le texte d’être plutôt bien mené et respectueux, dans l’ensemble, des directives transposées avec quelques mois de retard sur la date initialement convenue (à savoir le 1er juill. 2021 avant la pandémie de covid-19).

Nous étudierons les traits caractéristiques de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 afin de les examiner et de percevoir les changements majeurs en droit positif. À titre préliminaire, notons immédiatement que plusieurs dispositions sont touchées de manière incidentes par les modifications opérées par l’ordonnance. Ainsi en est-il particulièrement de l’article liminaire du code de la consommation dont nous verrons que sa refonte peut laisser perplexe certains auteurs. Les principaux changements opérés par l’ordonnance sont sur le volet de la vente de biens et sur le volet de la fourniture de contenus et de services numériques, lequel dépend étroitement du précédent. Tel est le plan de notre étude.

Une modification substantielle de l’article liminaire

L’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 vient, en premier lieu, bousculer l’architecture de l’article liminaire du Code de la consommation. Le mot « bousculer » est employé à dessein puisqu’on assiste à une certaine hypertrophie de cet article liminaire avec l’ordonnance nouvelle. On sait que les définitions données avant le 1er octobre 2021 n’étaient pas forcément entièrement satisfaisantes (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Cours », p. 19, n°11). L’ordonnance du 14 mars 2016 ratifiée par la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 a pu apporter toutefois un éclairage intéressant en proposant un article unifiant trois définitions fondamentales à la matière pour l’application des règles du code de la consommation. La définition du professionnel, absente dans un premier temps, a pu à ce titre clarifier quelques discussions doctrinales en posant de nouvelles questions qui ne sont pas réglées par l’ordonnance n° 2021-1247 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Précis », p. 4, nos 3 s.). 

Désormais, l’article liminaire du Code de la consommation accueille dix nouveaux venus au rang des définitions apportées : le producteur, les biens comportant des éléments numériques, le contenu numérique, le service numérique, le support durable, la fonctionnalité, la compatibilité, l’interopérabilité, la durabilité et les données à caractère personnel. Il reste assez intéressant de voir la technique à l’œuvre : la définition donnée de ces termes à l’orée du Code de la consommation donne un tempo bien différent de celui du Code civil, par exemple. On sait que certains juristes ont pu s’interroger sur l’utilité et le risque de définir dans la loi (G. Cornu, Les définitions dans la loi, Mélanges dédiés au doyen Jean Vincent, Dalloz LexisNexis, 1981, § 1er à la fois un « trésor de définitions » et § 36 « dogmatique, elle est plus rigide »). Les définitions introduites dans l’ordonnance n° 2021-1247 multiplient, probablement un peu trop, les délimitations légales pour mieux encadrer les transpositions des deux directives (UE) 2019/770 et (UE) 2019/771. Mais il n’en reste pas moins que l’article perd probablement un peu en clarté au profit d’une délimitation certaine des notions évoquées par l’ordonnance (v. en ce sens, J.-D. Pellier, La dénaturation de l’article liminaire du code de la consommation (à propos de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques), à paraitre au Recueil).

Quoiqu’il en soit, l’ordonnance vient donc modifier de manière importante le cadre de l’article liminaire du Code de la consommation afin de procéder à des renvois réguliers pour mieux cerner les notions introduites, notamment sous l’angle des éléments numériques que sous-tend la transposition de la directive (UE) 2019/770.

Outre ce changement d’architecture de l’article liminaire, c’est bien évidemment la garantie légale de conformité qui occupe la place centrale de l’ordonnance éponyme. 

La métamorphose de la garantie légale de conformité

Comme le note le compte-rendu du Conseil des ministres du 29 septembre 2021, « la garantie légale de conformité couvre désormais également les produits numériques tels qu’un abonnement à une chaîne numérique ou l’achat d’un jeu vidéo en ligne. Elle est également applicable aux relations contractuelles des consommateurs avec les opérateurs de réseaux sociaux ».

L’ordonnance entend séparer dans deux sections distinctes la garantie légale de conformité pour la vente de biens (art. L. 217-1 à L. 217-32) et pour la fourniture des contenus et services numériques (art. L. 224-25-1 à L. 224-25-32) tous deux frappés du sceau de l’ordre public (art. L. 219-1 et L. 224-25-32) afin d’éviter tout contournement par le contrat ; ce qui réduirait la protection à une peau de chagrin (en ce sens, v. l’art. 22 de la dir. (UE) 2019/770 qui permet bien évidemment d’aller au-delà de la protection offerte par le législateur).

Une constante quel que soit le type de contrat envisagé doit immédiatement attirer l’attention. Les dispositions concernées sont applicables aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs mais aussi aux contrats conclus entre professionnels et non professionnels (C. consom., nouvel art. L. 217-32 pour la vente de biens et nouvel art. L. 224-25-31 pour la fourniture de contenus numériques ou de services numériques). C’est une modification substantielle qui élargit la protection à de nouveaux horizons, de manière fort bienvenue puisque le non-professionnel est, peu ou prou, dans une situation comparable à celui du consommateur dans le cadre de la vente de biens ou de fournitures de contenus numériques puisque, par définition, n’agissant pas à des fins professionnels (v. art. liminaire).

Afin de dissuader toute pratique des professionnels faisant obstacle à l’application des règles introduites, l’ordonnance cite une myriade de sanctions civiles (C. consom., art. L. 241-5 à L. 241-7 pour la vente de biens ; art. L. 242-18-1 à L. 242-18-3 pour la fourniture de contenus numériques) et de sanctions administratives (C. consom., art. L. 241-8 à L. 241-15 pour la vente de biens ; art. L. 242-18-4 à L. 242-18-9 pour la fourniture de contenus numériques) afin d’assurer au texte une application raisonnée et, par l’effet comminatoire, empêcher toute inapplication à titre préventif.

Est ajouté un article L. 112-4-1 ainsi libellé : « lorsque le contrat de vente de biens ou le contrat de fourniture de contenus numériques ou de services numériques ne prévoit pas le paiement d’un prix, le professionnel précise la nature de l’avantage procuré par le consommateur au sens des articles L. 217-1 et L. 224-25-2 ». L’addition permet un gain de clarté pour les consommateurs qui sauront à quoi s’en tenir quand un contrat de vente ou de fournitures est offert sans le paiement d’un prix, ce qui se distingue assez souvent d’une complète gratuité par ailleurs puisque parfois des données personnelles peuvent être récoltées par le professionnel.

Afin de mieux cerner les nouveautés, nous diviserons le propos en deux sous-parties. Le texte utilise un modèle, celui de la vente de biens pour parachever la protection en adaptant celui-ci aux fournitures de contenus numériques et de services numériques.

Le modèle de la protection : la vente de biens

En ce qui concerne le domaine de la garantie légale de conformité, l’ordonnance n° 2021-1247 vient réécrire de manière substantielle l’article L. 217-2 du code de la consommation afin de procéder à des exclusions déjà présentes dans la loi (biens vendus par autorité de justice et enchères publiques) et pour expressément exclure les contrats de vente d’animaux. Sur ce point, le Rapport remis au président de la République vient rappeler que des dispositions spécifiques du Code rural sont applicables à ces derniers contrats (p. 2, par renvoi en réalité aux dispositions des vices cachés à certaines conditions).

Les recours demeurent les mêmes qu’auparavant en cas de défaut de conformité : la réparation ou le remplacement du bien comme solution de principe (sans frais, évidemment) avec un délai maximum pour le professionnel de trente jours. Si ceci n’est pas possible, le consommateur obtient la réduction du prix ou la résolution du contrat comme par le passé. La durée de cette garantie reste de deux ans à compter de la délivrance du bien (art. L. 217-3). 

Se créent souvent des discussions autour de ce qu’est la conformité du produit. L’article L. 217-4 issu de l’ordonnance vient, sans réelle surprise, faire référence à la conformité au contrat et l’article L. 217-5 donne des critères de conformité que l’ordonnance liste de manière in abstracto comme l’usage habituellement attendu d’un bien de même type ou la conformité à un échantillon ou à un modèle. Il faudra, bien souvent, préférer l’approche contractuelle car les critères objectifs peuvent laisser perplexes tant il sera difficile pour le consommateur d’y faire référence utilement.

La présomption d’antériorité survit également à l’ordonnance n° 2021-1247 à l’article L. 217-7 lequel subit une réécriture assez importante, par ailleurs, pour y inclure le cas où la vente de biens comporte des éléments numériques prévoyant une fourniture continue de contenus. Notons que pour les biens d’occasion, le délai passe de six actuellement à douze mois au 1er janvier 2022 (art. L. 217-7, al. 2 nouv.).

La construction d’un régime de la garantie légale de conformité pour les contenus numériques et les services numériques s’adosse à ce régime en l’adaptant ponctuellement dans une section dédiée.

Le parachèvement de la protection à travers la fourniture de contenus et services numériques

Sur les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques, deux définitions (celles de l’environnement numérique et de l’intégration) sont données à l’article L. 224-25-1 nouveau, ce qui renforce l’idée selon laquelle les définitions se sont multipliées dans le Code de la consommation afin de respecter au mieux le champ des transpositions notamment de la directive (UE) 2019/770 (sur ce point, v. J.-D. Pellier, Le droit de la consommation à l’ère du numérique, préc., spéc. n° 6).

La garantie légale de conformité applicable aux contenus numériques et aux services numériques ressemble peu ou prou à celle que nous connaissons pour la vente de biens. On y retrouve les traits caractéristiques de l’attente contractuelle avec la conformité du contenu au contrat conclu (C. consom., art. L. 224-25-12 nouv.). Les remèdes offerts par la directive (UE) 2019/770 aux problèmes de conformité se retrouvent aux articles L. 224-25-17 et suivants opérant comme pour la vente de biens pour un choix hiérarchisé. En premier lieu, il s’agit de la mise en conformité du contenu numérique, si possible. En second lieu, le consommateur peut obtenir la réduction du prix ou la résolution du contrat. Cette structure hiérarchisée se déduit des articles L. 224-25-18 à L. 224-25-23 nouveaux du Code de la consommation. On notera l’application possible de l’exception d’inexécution de l’article 1219 du Code civil : le consommateur peut suspendre le paiement de tout ou partie du prix jusqu’à ce que le professionnel ait satisfait aux obligations qui lui incombent dans la mise en conformité du contenu. Voici un renvoi au droit commun fort intéressant montrant que le droit de la consommation reste du droit spécial des contrats.

Le délai retenu est celui de deux ans à partir de la fourniture. Quand le service est fourni de manière continue, le professionnel est tenu des défauts apparaissant au cours de la période de fourniture, ceci n’étant que l’adaptation du délai précédent au type particulier de fourniture pendant un temps précis. La règle permet de prendre acte de manière dynamique des abonnements continus de type abonnement à un cloud (de sauvegarde de données, par exemple) ou de streaming. La présomption d’antériorité est d’une année à compter de la fourniture du service (C. consom., art. L. 224-25-16-I nouv.), là où elle est de deux ans à compter de la délivrance du bien comme nous l’avons étudié précédemment. La présomption est simple, le professionnel peut rapporter la preuve contraire s’il y parvient.

L’ordonnance n° 2021-1247 fait une place de choix aux mises à jour des contenus numériques, à travers les articles L. 224-25-24 nouveaux du code de la consommation avec, une fois de plus, une définition de ce qu’est une mise à jour dont le critère est le maintien, l’adaptation ou l’évolution des fonctionnalités ou des services numériques souscrits. Le consommateur dispose d’un droit à l’information de la disponibilité de ces mises à jour ainsi qu’à leur réception sur le produit concerné. Le Rapport remis au président de la République (p. 3) rappelle, à ce titre, que l’ordonnance reprend les innovations de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 sur la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Ceci se traduit par l’ajout d’une information du consommateur sur la durée des fournitures de mise à jour. L’ajout est important, par exemple, pour les logiciels systèmes qui cessent peu à peu d’être mis à jour quand une nouvelle version payante est disponible.

Conclusion

Voici donc une ordonnance qui entend accompagner le Code de la consommation dans une société du tout-numérique qui évite le gaspillage par ailleurs (v. par ex., l’extension automatique de six mois de la garantie légale en cas de réparation, art. L. 217-3 nouv.). Certains regretteront des définitions à foison et des règles trop nombreuses, parfois qualifiées de peu digestes par la doctrine. Mais le contenu final est une transposition assez fidèle des directives (UE) 2019/770 et (UE) 2019/771 qui permettent une protection intéressante du consommateur. Le modèle de la vente de biens est tantôt calqué, tantôt adaptée pour éviter des écueils notamment sur les spécificités du numérique et la volatilité de son contenu. Ce premier pas doit être accueilli avec bienveillance et des adaptations se feront au fur et à mesure, notamment en premier lieu avec une loi de ratification.

(Original publié par chelaine)
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Des difficultés persistantes

Par sûretés grevant le fonds de commerce, il faut entendre le privilège du vendeur de ce fonds et le nantissement dudit fonds. Malgré une volonté de clarification du droit positif, ces sûretés ont été les oubliées de la grande réforme intervenue à l’occasion de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés. En effet, ni l’une ni l’autre ont été directement touchées par le nouveau texte. Cependant, leurs régimes et leur efficacité subissent tout de même quelques incidences des règles nouvelles. En effet, le régime spécial du nantissement sur fonds de commerce est source de difficultés pratiques en raison de l’absence d’harmonisation (R. Dammann, La réforme des sûretés mobilières : une occasion manquée, D. 2006. 1298 ), notamment s’agissant de la possibilité ou non de conclure un pacte commissoire et celle de nantir un fonds futur (A. Reygrobellet, Fonds de commerce, Dalloz Action, 2012, nos 73.22 et 73.39). Par ailleurs, l’efficacité de ces sûretés est critiquée par la doctrine alors qu’elles sont fréquemment utilisées – du moins le nantissement – par les entreprises pour garantir leurs financements (M.-P. Dumont-Lefrand et H. Kenfack [dir.] et alii, Droit et pratique des baux commerciaux 2021/2022, 6e éd., Dalloz Action, 2020, n° 783.08). Concernant le droit de préférence reconnu au vendeur du fonds, sa portée réduite lui est reprochée : dans la mesure où le législateur protège les intérêts des créanciers chirographaires de l’acquéreur, le code de commerce dérogeant au principe d’indivisibilité du droit commun des sûretés en vertu duquel toute sûreté garantit la totalité de la dette, il y a un fractionnement du privilège en trois parties (marchandises, matériel, éléments incorporels) et surtout, le paiement des acomptes s’impute chronologiquement sur les marchandises, puis le matériel et, enfin, les éléments incorporels, ce qui implique que la garantie effective dont dispose le vendeur ne s’exerce quasiment jamais sur la totalité de la créance impayée du prix de vente (ibid., n° 783.06 ; A. Reygrobellet, Fonds de commerce, op. cit., n° 71.21 ; S. Rezek, Réflexion sur l’unité du privilège de vendeur de fonds de commerce, JCP N juill. 2011, n° 29, étude 1224 ; S. Rezek, Vingt raisons de réformer la vente des fonds de commerce, JCP N sept. 2006, n° 39, étude 1311). Quant au nantissement, de nombreux griefs sont formulés à son encontre. Au-delà de la complexité de son mode de constitution et son rang relativement médiocre (P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, RD banc. fin. juill. 2008, n° 4, étude 13), il ne permet généralement pas au créancier d’être désintéressé de façon satisfaisante dans la mesure où celui-ci ne peut ni se prévaloir d’un droit de rétention même fictif ni demander l’attribution judiciaire ni en conséquence insérer dans le contrat de nantissement un pacte commissoire et la vente forcée du fonds n’est pas d’un grand secours dans le sens où ledit fonds a généralement perdu une grande partie de sa valeur (A. Reygrobellet, Fonds de commerce, op. cit., n° 71.22 ; M.-P. Dumont-Lefrand et H. Kenfack [dir.] et alii, Droit et pratique des baux commerciaux 2021/2022, op. cit., n° 783.07 ; P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, art. préc.). Qui plus est, l’étroitesse de son assiette est également décriée par certains auteurs, ceux-ci estimant incongrues les restrictions opérées par l’article L. 142-2 du code de commerce qui énumère certains éléments du fonds de commerce alors que « l’universalité de la notion de fonds de commerce ouvrait des perspectives intéressantes » (P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, préc. ; S. Rezek, Vingt raisons de réformer la vente des fonds de commerce, préc.). Voilà bien des doléances que le législateur de 2006 aurait dû entendre, mais il n’en fût rien. Par l’ordonnance de réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021, le législateur est venu impacter les deux garanties en modifiant les dispositions relatives au fonds de commerce dans le code de commerce, mais cela est-il bien suffisant ? Alors que les objectifs poursuivis par la réforme réunissaient la sécurité juridique, le renforcement de l’efficacité du droit des sûretés avec un maintien d’un niveau de protection satisfaisant des constituants et des garants ainsi que le renforcement de l’attractivité du droit français, notamment sur le plan économique, on constate que les changements apportés sont essentiellement superficiels, ce qui, certes, offre une simplification et une meilleure lisibilité des certaines règles en cause, mais ne s’attaque pas aux problèmes d’efficacité et d’attractivité économique en profondeur.

Des apports superficiels

Parmi les améliorations issues de l’ordonnance, on relate d’abord la simplification de certaines règles relatives à la publicité du nantissement du fonds de commerce. Alors que certaines dispositions relatives à la publicité de ce nantissement complexifiaient inutilement les formalités d’inscription et fragilisaient la sécurité de cette garantie (Rapport au président de la République, sept. 2021, texte n° 18 ; Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés), le nécessaire a été fait avec la modification du second alinéa de l’article L. 142-3 du code de commerce, et la suppression du premier alinéa de l’article L. 142-4 du même code. Ainsi, le défaut d’inscription du nantissement dans le délai préfix n’est plus sanctionné par la nullité, mais par l’inopposabilité de l’acte. Il en va de même pour le défaut d’inscription à l’Institut national de la propriété industrielle qui se voit frappé d’inopposabilité selon la nouvelle formule de l’article L. 143-17, alinéa premier. La même substitution de sanctions (de la nullité par l’inopposabilité) est adoptée pour les défauts d’inscription du privilège du vendeur du fonds de commerce avec la reformulation des articles L. 141-6, alinéa premier et L. 143-17, alinéa premier. On recense également des remaniements terminologiques puisqu’il n’est plus question de « créancier gagiste » mais de « créancier nanti » ou de « créancier inscrit ». De la même manière, les deux sûretés ne sont plus qualifiées de « gages », mais par leur propre appellation. Cela est plutôt bienvenu pour dissiper les éventuelles confusions. Enfin, en vue de clarifier les règles de classement entre créanciers inscrits sur l’entier fonds et ceux inscrits sur un seul élément du fonds, en cas de vente de ce dernier, un nouvel article L. 143-15-1 fait son entrée dans le code de commerce, prévoyant que l’ordre sera fonction de l’antériorité de la date de l’inscription, sans autre distinction. De même, une réorganisation de l’articulation de l’article L. 143-3 est opérée qui précise la procédure par laquelle le juge est saisi d’une demande de vente du fonds en cas de poursuite de saisie-vente à l’encontre de son propriétaire.

Pour le reste, il échet d’admettre que les codificateurs n’ont pas dissout les problématiques de fond intéressant par exemple l’unification de l’assiette du privilège du vendeur de fonds de commerce. Le travail de juriste n’est donc toujours pas facilité sur ce point puisqu’il continuera à effectuer le choix de l’imputation des paiements (S. Rezek, Réflexion sur l’unité du privilège de vendeur de fonds de commerce, préc.). Le droit de préférence de ce privilège n’est pas non plus renforcé dans la mesure où il ne subsiste pas sur le prix de revente de l’ensemble du fonds jusqu’à extinction totale de la dette garantie par le privilège (ibid.). Rien n’est prévu aussi pour corriger l’incohérence du droit de suite en cas de revente du fonds grevé. Le droit de suite est accordé au créancier inscrit uniquement lors de la revente du fonds de commerce dans son universalité alors que le droit de préférence ne lui est réservé que sur les seuls éléments sur lesquels subsiste le privilège de vendeur de fonds de commerce par suite de l’imputation d’ordre public des paiements à terme ou des mensualités bancaires, ce qui est paradoxal (ibid.). Pourtant, l’ordonnance de réforme aurait pu être l’opportunité de cette unification pour simplifier la constitution et l’exercice de ce privilège et améliorer la protection du créancier inscrit sans pour autant léser le débiteur propriétaire du fonds grevé. En outre, le silence est gardé à l’égard des incertitudes inhérentes au nantissement du fonds de commerce en formation, tout comme à propos de la possibilité ou non de conclure un pacte commissoire. S’agissant encore de l’assiette du nantissement du fonds de commerce, aucune innovation n’est envisagée. Cet état des lieux sommaire ne laisse donc pas présager de grands chamboulements.

Des perspectives circonscrites

Ces deux sûretés ne ressortent pas vraiment grandies de cette nouvelle réforme. Et on songe presque à une seconde occasion manquée du législateur (après celle de 2006) de s’attaquer au régime des garanties affectant le fonds de commerce. Si on reconnaît bien volontiers que ces deux garanties demeurent utilisées par la pratique, souvent couplées, et qu’elles présentent une certaine attractivité notamment pour les bailleurs de fonds engagés dans les financements de projet , il reste qu’eu égard aux objectifs défendus par la réforme et à l’utilité des sûretés, qui n’est autre que de gérer le risque d’insolvabilité de son partenaire, ou tout au moins de renforcer ses chances de paiement en aménageant des mécanismes propices à développer la confiance en son débiteur, quelques améliorations auraient probablement mérité de voir le jour. Les perspectives d’avenir du privilège du vendeur et du nantissement de fonds de commerce semblent ainsi circonscrites.

 

 

Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :

• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie, par Jean-Denis Pellier le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie, par Claire-Anne Michel le 24 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode final) : les sûretés réelles immobilières, par Cédric Hélaine le 24 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #1) : le code des procédures civiles d’exécution amendé, par Jean-Denis Pellier le 27 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #2) : le nantissement de compte-titres, par Cédric Hélaine le 28 septembre 2021

(Original publié par Dargent)

Le 20 juillet 2021, la Commission européenne a rendu public un ensemble de quatre textes dans le but de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (Doc. COM (2021) 420 à 423 final, 20 juill. 2021). Dans un avis du 22 septembre 2021, le Contrôleur européen de la protection des données revient sur ce paquet législatif. S’il admet que l’harmonisation permise par le cadre proposé est essentielle pour gagner en efficacité dans la lutte contre les infractions visées et s’il accueille favorablement l’approche adoptée, basée sur les risques, il émet plusieurs recommandations visant à assurer la conformité du dispositif aux règles applicables en matière de protection des données personnelles. Ces recommandations concernent en particulier les données recueillies et les registres des bénéficiaires effectifs mais elles s’étendent en réalité à d’autres...

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(Original publié par Thill)

À titre de principe, les relations financières entre la France et l’étranger sont libres (C. mon. fin., art. L. 151-1), ce qui signifie, au premier chef, que les ressortissants étrangers peuvent effectuer librement des investissements étrangers sur notre sol, sous forme de rachat d’une participation dans une société ou d’une branche d’activité essentiellement. Ce principe est toutefois assorti d’exceptions, le gouvernement ayant, en effet, la faculté, pour « assurer la défense des intérêts nationaux », de soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle lesdits investissements, cela dans un certain nombre de secteurs considérés comme sensibles (C. mon. fin., art. L. 151-2). S’agissant des activités dans lesquelles les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable du ministre de l’Économie, ce sont celles « de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts...

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(Original publié par Delpech)

La réglementation de l’assurance vie n’a cessé de proliférer, tentant d’apporter une protection croissante aux acteurs de l’assurance vie, qu’ils soient assureurs, assurés ou bénéficiaires, ces derniers étant dénombrés à 37 millions en France selon la Fédération française de l’assurance (L. Mounoussamy, Assurance-vie : chiffres et fiscalité, LPA 30 sept. 2021, p. 9). Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 16 septembre 2021 rappelle un principe procédural important : le bénéficiaire, s’il diffère de la personne du souscripteur, a dix ans pour agir dans un litige relatif à un contrat d’assurance sur la vie, et non cinq ans – comme en droit commun des contrats – ou deux ans – comme en droit commun des contrats d’assurance.

En effet, « il arrive que le législateur enserre certaines actions dans un délai spécial, ce qui conduit à écarter tout à la fois la prescription biennale et le délai de droit commun. L’article L. 114-1, alinéa 6, prévoit ainsi que « la prescription est portée à dix ans dans les contrats d’assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur et, dans les contrats d’assurance contre les accidents atteignant les personnes, lorsque les bénéficiaires sont les ayants droit de l’assuré décédé ». Cette disposition relève du bon sens. Dans les deux hypothèses visées par le texte, l’allongement du délai de prescription (de 2 à 10 ans) repose en effet sur la volonté de protéger les tiers au contrat désignés en qualité de bénéficiaires dans la police d’assurance. Ces derniers ont pu légitimement...

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(Original publié par rbigot)
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La Cour de cassation poursuit son œuvre d’uniformisation des sanctions civiles en matière de taux effectif global (TEG), comme en témoigne l’arrêt rendu par sa première chambre civile le 22 septembre 2021. En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux offres de prêts immobiliers, formalisés par actes authentiques les 17 et 23 octobre 2008. Arguant notamment d’un défaut de communication du taux de période du taux effectif global de chacun des contrats, les emprunteurs ont sollicité la nullité des stipulations d’intérêts.

La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 19 septembre 2019, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-24.914, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ), a prononcé cette nullité et a substitué le taux d’intérêt légal aux taux conventionnels, après avoir constaté que les taux de période des TEG des prêts incluant la période d’anticipation n’ont été ni mentionnés ni communiqués aux emprunteurs.

L’affaire ayant à nouveau été portée devant la Cour régulatrice, celle-ci censure l’arrêt douaisien au visa des articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et de l’article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2016-607 du 13 mai 2016 : les hauts magistrats rappellent tout d’abord le contenu de ces textes et l’existence, sous l’empire du droit normalement applicable à la cause, d’une dualité de sanctions suivant que le défaut de communication du TEG affecte l’offre de crédit (déchéance du droit au intérêts, v. par ex., Civ. 1re, 12 juin 2020, n° 19-12.984 et n° 19-16.401, Dalloz actualité, 26 juin 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1292 ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; 6 janv. 2021, n° 18-25.865, Dalloz actualité, 19 janv. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 76 ; RDI 2021. 145, obs. J. Bruttin ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2021. 169, obs. D. Legeais ) ou le contrat lui-même (nullité de la stipulation d’intérêt et substitution à celui-ci de l’intérêt légal, v. par ex., Civ. 1re, 24 juin 1981, n° 80-12.903 ; 15 oct. 2014, n° 13-16.555, D. 2014. 2108, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2015. 2145, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2014. 835, obs. D. Legeais ). Ils rappellent également que ces sanctions ne sont encourues que dans l’hypothèse où l’écart entre le taux communiqué à l’emprunteur et le taux réel est supérieur à la décimale (concernant l’offre, v. par ex., Civ. 1re, 5 févr. 2020, n° 19-11.939, Dalloz actualité, 21 févr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 279 ; RDI 2020. 298, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 145, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; RTD civ. 2020. 459, obs. N. Cayrol ; RTD com. 2020. 435, obs. D. Legeais . Concernant le contrat, v. par ex., Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 15-24.607, D. 2017. 293 ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 449 , obs. J. Moreau, O. Poindron et B. Wertenschlag ; RTD com. 2017. 152, obs. D. Legeais ; Com. 18 mai 2017, n° 16-11.147, D. 2017. 1958 , note G. Cattalano-Cloarec ; AJDI 2017. 601 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 336, obs. J. Martinet ).

Puis, la Cour fait état de l’évolution du droit en la matière : « pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur » (pt 7). Elle ajoute, ensuite, que « Pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, le régime des sanctions a été uniformisé et il a été jugé qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge (Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287 P, D. 2020. 1440 ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2021. 223 , obs. J. Moreau ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger ; RTD civ. 2020. 605, obs. H. Barbier ; RTD com. 2020. 693, obs. D. Legeais ) » (pt 8). La première chambre civile rappelle alors qu’« Il avait également été jugé que le défaut de communication du taux et/ou de la durée de la période dans le contrat de prêt ou un document relatif à celui-ci était sanctionné par la nullité de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l’intérêt légal (Civ. 1re, 1er juin 2016, n° 15-15.813, RTD com. 2016. 825, obs. D. Legeais ; 7 mars 2019, n° 18-11.617 ; 27 mars 2019, n° 18-11.448) » (pt 9). C’est précisément ce courant jurisprudentiel qui est brisé dans le présent arrêt et ce, au nom de l’uniformisation des sanctions civiles en matière de TEG : « Pour les motifs exposés au point 8 et dans la suite de l’arrêt précité du 10 juin 2020, il convient de poursuivre l’uniformisation des sanctions et de juger que le défaut de communication du taux et/ou de la durée de la période est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, sous réserve que l’écart entre le TEG mentionné et le taux réel soit supérieur à la décimale prescrite par l’annexe à l’article R. 313-1 susvisé » (pt 10). À l’aune de cet objectif d’uniformisation, l’arrêt des juges du fond, en ce qu’il avait prononcé la nullité des stipulations d’intérêts mentionnées dans les contrats de prêts immobiliers et substitué le taux d’intérêt légal aux taux conventionnels sans constater un écart entre le TEG mentionné et le TEG réel supérieur ou égal à la décimale, ne pouvait donc qu’être cassé : « En statuant ainsi, alors que n’était nullement allégué un écart entre le TEG mentionné et le TEG réel supérieur ou égal à la décimale et qu’est seule encourue la déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 12).

L’arrêt sous commentaire est une excellente synthèse de l’actuelle position prétorienne à l’égard des sanctions civiles en matière de TEG, qui est en réalité dictée par la volonté de tarir le contentieux dans ce domaine (v. à ce sujet, P. Métais et E. Valette, Le contentieux du TEG : état des lieux d’un contentieux évolutif à l’aube de la réforme, JCP 2019. 122) et de répondre aux objectifs du droit l’Union européenne, qui impose, en matière de crédit comme en d’autres domaines, des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » (on retrouve en effet une telle exigence au sein de nombreuses directives, dont la dir. 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs [art. 23] et la dir. 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 févr. 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel [art. 38]. La récente dir. 2019/2161/UE du Parlement européen et du Conseil du 27 nov. 2019, dite « Omnibus », prévoit également cette exigence et met en exergue un certain nombre de critères devant être pris en considération à cet égard. V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Regard sur la directive dite Omnibus 2019/2161/UE du 27 novembre 2019, RDC 2020/2, n° 9. Sur l’appréciation de ce triple caractère, v. CJUE 10 juin 2021, aff. C-303/20, Dalloz actualité, 2 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier). Il n’en demeure pas moins que la solution adoptée revient à faire une application anticipée de l’ordonnance du 17 juillet 2019 (sur laquelle, v. G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D. 2019. 1613 ; F. Clapiès, TEG : une clarification attendue du régime des sanctions civiles, RLDA oct. 2019, p. 20 ; X. Delpech, Un nouveau régime de sanctions en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, AJ Contrat 2019. 361 ; J. Lasserre Capdeville, L’adoption d’une sanction unique aux manquements liés au TEG/TAEG, JCP E 12 sept 2019. Act. 574 ; M. Latina, La sanction civile du TAEG est unifiée, L’essentiel Droit des contrats, oct. 2019, p. 2 ; P. Métais et E. Valette, La réforme du TEG adoptée : la déchéance du droit aux intérêts du prêteur proportionnée au préjudice… RLDC oct. 2019, p. 9 ; V. Prevesianos, Une ordonnance fixe les sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, Dalloz actualité, 30 juill. 2019), n’en déplaise à la Cour de cassation (Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287, D. 2020. 1440 ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2021. 223 , obs. J. Moreau ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger ; RTD civ. 2020. 605, obs. H. Barbier ; RTD com. 2020. 693, obs. D. Legeais ; v. égal., Civ. 1re, 10 juin 2020, avis n° 15004, D. 2020. 1410, point de vue G. Biardeaud ; ibid. 2085, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDI 2020. 446, obs. J. Bruttin ). Ce faisant, comme nous l’avions déjà souligné, elle applique (sans le dire) le principe de la rétroactivité in mitius en matière civile alors que ce principe est traditionnellement cantonné à la matière répressive en vertu de l’article 112-1, alinéa 3, du code pénal (en faveur d’une telle application, v. P.-Y. Gautier, Pour la rétroactivité in mitius en matière civile, in Mélanges dédiés à la mémoire du doyen J. Héron, LGDJ, 2009, p. 235).

En outre, et corrélativement, elle consacre une hypothèse de déchéance sans texte, ce qui est remarquable dans la mesure où elle y est en principe hostile (v. par ex., en matière de regroupement de crédits, Civ. 1re, 9 janv. 2019, n° 17-20.565, Dalloz actualité, 24 janv. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 68 ; AJDI 2019. 632 , obs. J. Moreau, M. Phankongsy et O. Poindron ; RDI 2019. 440, obs. J. Salvandy ; AJ contrat 2019. 184, obs. J. Lasserre Capdeville ; v. égal., en matière de surendettement, Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-25.160, D. 2020. 484 ; Rev. prat. rec. 2020. 9, chron. M. Draillard, Rudy Laher, A. Provansal, O. Salati et E. Jullien ; JCP E 11 juin 2020. 1227, note J.-D. Pellier). Il est vrai, cependant, que la solution présente le mérite de la cohérence, la Cour de cassation poursuivant son œuvre d’uniformisation, comme elle le déclare elle-même (v. égal., Com. 24 mars 2021, n° 19-14.307, Dalloz actualité, 8 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 692 ; AJDI 2021. 456 ; RTD civ. 2021. 404, obs. H. Barbier ).

(Original publié par jdpellier)
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La faute intentionnelle occupe, une nouvelle fois, le devant de la scène judiciaire. Les enjeux sont importants : trop ouvrir la conception d’une telle faute conduit les assureurs à la soulever avec beaucoup d’opportunisme ; trop la restreindre risque, au contraire, d’inhiber les vertus préventives de ce mécanisme disciplinaire de l’assurance. Dans l’affaire soumise à la deuxième chambre civile le 16 septembre 2021, le recours d’un assureur de dommages à l’encontre de l’assureur de responsabilité de l’auteur d’un incendie s’étant propagé au-delà de ses espérances met en lumière ces deux conceptions possibles de la faute intentionnelle, l’une restrictive, garante de l’indemnisation des victimes, l’autre assouplie, garante de la fonction normative face à de tels comportements antisociaux. La Cour de cassation devait ainsi, à nouveau, faire un choix entre ces deux approches de la faute intentionnelle, en somme entre deux sortes d’individus : l’« âne incendiaire » et l’« âme incendiaire ». L’âne incendiaire, lequel n’est pas conscient des dommages collatéraux dont il est à l’origine, doit-il continuer à bénéficier de la couverture d’assurance pour les dommages qu’il n’avait pas envisagés en démarrant le feu ? Doit-on le distinguer du pyromane ayant une âme incendiaire, lequel a délibérément recherché la réalisation de l’entier dommage, tel qu’il est survenu ? En présence d’une infraction pénale, la Cour de cassation continue de marquer sa préférence pour la conception restrictive de la faute intentionnelle, s’inscrivant généralement, et fort légitimement, dans une politique jurisprudentielle d’indemnisation des victimes.

La faute intentionnelle, cause d’exclusion de garantie de l’assureur

Rappelons que « L’assureur ne répond pas des pertes et dommages résultant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » (C. assur., art. L. 113-1, al. 2). En effet, « une telle faute supprime l’aléa qui doit être la source de la réalisation du risque. L’absence d’assurance vaut alors « à l’égard de tous » (Civ. 1re, 15 janv. 1985, n° 83-14.742) : toutes les personnes qui auraient pu bénéficier de la garantie de l’assureur s’en trouvent privées. Seule la faute de l’assuré est prise en compte (par ex. le meurtre de l’assuré par un tiers demeure un évènement aléatoire, et donc un risque assurable). La jurisprudence retient, traditionnellement, une conception unitaire de la faute inassurable, la faute dolosive étant absorbée par la faute intentionnelle. Cette dernière est définie très strictement, la Cour de cassation exigeant que l’auteur de la faute ait eu « la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé » (Civ. 2e, 23 sept. 2004, n° 03-14.389, D. 2005. 1324 ; ibid. 1317, obs. H. Groutel ; RDI 2004. 517, obs. L. Grynbaum ). Il ne suffit pas d’avoir voulu l’acte à l’origine du dommage : d’une part, le dommage doit lui-même avoir été recherché (Civ. 1re, 10 avr. 1996, n° 93-14.571 : ne commet pas de faute intentionnelle le conducteur qui provoque délibérément une collision s’il n’est pas établi qu’il avait la volonté de causer le dommage en ayant résulté) et, d’autre part, ce dernier ne doit pas excéder, lors de sa survenance, ce que son auteur avait l’intention de causer (Civ. 1re, 11 déc. 1990, n° 88-19.614 : lorsque l’assuré a voulu incendier un immeuble mais n’a pas recherché la réalisation de dommages aux propriétés voisines, sa faute intentionnelle n’est pas caractérisé concernant ces derniers) » (A. Cayol, Les garanties interdites, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 1re éd., 2020, p. 122).

Dit autrement, « deux visions s’affrontent concernant la notion même de faute intentionnelle en droit des assurances » (D. Krajeski, note sous art. L. 113-1, in B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances, LexisNexis, 2021, p. 95, n° 17).

En l’espèce, le propriétaire d’un immeuble a subi la destruction de son bien par suite d’un incendie volontaire. Par jugement du tribunal correctionnel, l’auteur des dommages a été déclaré coupable de l’infraction de dégradation ou détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes, et condamné à une peine d’emprisonnement. Par décision du 26 septembre 2014, le tribunal correctionnel, statuant sur intérêts civils, a condamné l’incendiaire à réparer le préjudice matériel subi par le propriétaire.

Ce dernier a perçu de son assureur « multirisque habitation », la société Gan assurances, une somme au titre de l’indemnité immédiate et une partie de l’indemnité différée. La société Gan assurances, exerçant son recours subrogatoire, a ensuite réclamé à la société Aviva assurances – assureur de l’auteur des dommages – le règlement de la somme payée, à titre amiable, à son assuré. La société Aviva assurances lui a opposé un refus, au regard de l’exclusion de garantie prévue au contrat « multirisque habitation ». Le propriétaire a alors assigné la société Aviva assurances afin que soit retenue la garantie de cette dernière, en qualité d’assureur « responsabilité civile » de l’auteur des dommages, et qu’elle soit condamnée à l’indemniser des dommages subis du fait de son assuré. La société Gan assurances est intervenue volontairement à l’instance aux fins de condamnation de la société Aviva assurances à lui payer les sommes versées à son assuré.

La cour d’appel a débouté la victime de ses demandes, aux motifs que « la faute intentionnelle était caractérisée dès lors que l’assuré avait volontairement commis un acte dont il ne pouvait ignorer qu’il allait inéluctablement entraîner le dommage et faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque et qu’il n’était dès lors pas nécessaire de rechercher si l’assuré avait voulu le dommage tel qu’il s’est réalisé » (pt 13). La conception souple - ou large - de la faute intentionnelle, était donc retenue. Les juges du fond relèvent ainsi que les pièces de l’enquête pénale établissent l’intention l’auteur du dommage de causer un préjudice à autrui dès lors qu’il a enflammé, en pleine nuit, volontairement, avec un briquet, de l’essence sous une porte vitrée de l’immeuble qui a explosé sous l’effet de la chaleur. Ils soulignent que l’auteur du dommage a recherché à commettre par incendie des dégâts dans des lieux habités, et qu’il importe peu que « son degré de réflexion ne lui ait pas fait envisager qu’il n’allait pas seulement nuire à son ex-compagne, qu’il a consciemment agi en utilisant des moyens à effet destructeur inéluctable avec la volonté manifeste de laisser se produire le dommage survenu » (pt 15).

Se voyant ainsi opposé une exclusion de garantie pour tous les préjudices causés par la faute intentionnelle de l’incendiaire, le propriétaire et son assureur de dommages ont formé un pourvoi en cassation. Selon eux, la cour d’appel aurait violé l’article L. 113-1 du code des assurances en retenant une faute intentionnelle sans caractériser la volonté de l’assuré de causer le dommage tel qu’il est survenu.

La Cour de cassation censure partiellement la décision des juges du fond, au visa de l’article 1134, devenu 1103, du code civil et de l’article L. 113-1 du code des assurances. Elle rappelle, tout d’abord, le principe selon lequel « la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu et n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction » (pt 11). Elle réaffirme aussi qu’il en résulte que, « pour exclure sa garantie en se fondant sur une clause d’exclusion visant les dommages causés ou provoqués intentionnellement par l’assuré, l’assureur doit prouver que l’assuré a eu la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » (pt 12). 

La Cour de cassation en conclut que la cour d’appel a violé les textes susvisés en retenant la qualification de faute intentionnelle « alors qu’il résultait de ses propres constatations que l’assuré, qui avait agi dans le but de détruire le bien de sa compagne, n’avait pas eu la volonté de créer le dommage tel qu’il était survenu » (pt 16). En somme, l’âme incendiaire portant sur l’entier dommage est écartée.

Bien que le contrat litigieux intègre une clause d’exclusion de garantie pour faute de l’assuré distincte de l’exclusion légale posée par l’article L. 113-1 – la deuxième chambre civile admettant cette autonomie (Civ. 2e, 18 oct. 2012 et 30 avr. 2014) à l’inverse de la chambre commerciale (Com. 20 nov. 2012) –, l’analyse retenue par la Cour de cassation en l’espèce conduit en pratique à dénuer une telle clause de toute utilité. La définition de la faute intentionnelle, au sens de la clause contractuelle, est en effet la même que celle de la faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances.

Une conception stricte de la faute intentionnelle

La Cour de cassation retient, en l’espèce, une conception stricte – objective – de la faute intentionnelle, à l’instar de nombreuses décisions similaires rendues par le passé. Tel a notamment été le cas concernant des collégiens qui avaient mis le feu à la façade, recouverte de vigne vierge, de leur établissement scolaire, dans le seul but de gêner l’administration, l’incendie s’étant propagé au-delà de leurs espérances. Dans la mesure où ces adolescents n’avaient pas souhaité aboutir à un tel dommage, aucune faute intentionnelle n’a été retenue à leur encontre (Civ. 1re, 21 juin 1988, n° 86-15.819). Le même raisonnement a été retenu concernant des incendies qui se sont étendus à d’autres biens que ceux visés par les incendiaires : l’incendie se propageant à un immeuble voisin de celui incendié volontairement (Civ. 1re, 13 nov. 1990, RCA 1991, n° 28 ; RGAT 1991. 53, note Maurice ; Civ. 1re, 11 déc. 1990, RCA 1991, n° 68), l’incendie de la porte d’un appartement se répandant à la cage d’escalier (Civ. 1re, 29 oct. 1985, n° 84-14.039, D. 1987. Somm. 35, obs. H. Groutel) ou encore l’incendie d’un appartement résultant d’une explosion elle-même provoquée par le gaz au moyen duquel le locataire s’était suicidé (Civ. 1re, 24 janv. 1966, Bull. civ. I, n° 51 ; D. 1966. 375 ; RGAT 1966. 375, note Besson ; 28 avr. 1993, RCA 1993, n° 241, obs. S. Bertolaso).

Rappelons que la qualification pénale ne lie pas les juges du fond concernant l’aspect assurantiel du litige. Ces derniers sont tenus d’examiner à nouveau que le fait générateur du dommage a été voulu, tout comme l’entier dommage qui en est résulté (Civ. 1re, 9 juin 2011, n° 10-15.933). L’assuré bénéficiant d’une ordonnance de non-lieu peut parfaitement être soumis à l’examen d’une faute intentionnelle devant le juge civil (Civ. 2e, 18 janv. 2006, n° 04-15.790, RCA 2006. Comm. 151).

Autrement dit, la faute intentionnelle selon le juge pénal n’est pas assimilable à la faute intentionnelle au sens de l’assurance et retenue par un juge judiciaire (Civ. 1re, 6 avr. 2004, n° 01-03.494, D. 2004. 1425, et les obs. ; Rev. sociétés 2005. 190, note H. Matsopoulou ; RGDA 2004. 370, note J. Kullmann). Seul le dommage recherché par l’assuré – condamné pénalement – est exclu de la garantie due par l’assureur, en présence d’une faute intentionnelle impliquant la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu (Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-15.836, RGDA 2014. 496, note J. Kullmann ; RCA 2014. 321, note H. Groutel ; 9 juin 2011, n° 10-15.933, RGDA 2011. 954, note J. Bigot). En dehors du domaine de l’incendie, un assuré condamné pour coups et blessures volontaires, mais n’ayant pas manifesté le désir d’obtenir le dommage tel qu’il est survenu, a ainsi obtenu la garantie de son assureur (Civ. 1re, 22 juill. 1985, n° 84-10.087). Le principe retenu par la Cour de cassation est que « la faute intentionnelle au sens de l’article susvisé, qui implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu, n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction » (Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-15.836, RGDA 2014. 496, note J. Kullmann ; 16 janv. 2020, n° 18-18.909, RCA 2020. 95, obs. H. Groutel). La deuxième chambre civile s’est encore récemment prononcée en ce sens pour des faits similaires à ceux de l’affaire commentée (incendie volontaire d’un local) concernant les dommages collatéraux causés à l’immeuble (Civ. 2e, 8 mars 2018, n° 17-15.143, LEDA 2018, obs. F. Patris).

La doctrine s’accorde à dénoncer la complexité des situations factuelles et le manichéisme des conséquences pour les victimes (S. Abravannel-Jolly, La faute intentionnelle ou dolosive en droit des assurances, intervention au congrès international du droit des assurances, bjda.fr 2019, n° 66 ; J. Bigot, L. Mayaux et A. Pélissier, Faute intentionnelle, faute dolosive, faute volontaire : le passé, le présent et l’avenir, RGDA 2015. 75). Après de nombreux tâtonnements, il semble que la Cour de cassation sorte progressivement du « flou » (J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances. Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, t. 3, 2014, n° 1651) dans laquelle elle pouvait parfois s’inscrire. La décision du 16 septembre 2021 confirme le maintien de la faute intentionnelle et de sa conception stricte dans le domaine de l’incendie volontaire en cas de condamnation pénale. Elle marque ainsi une césure nette avec la faute dolosive, retenue dans d’autres domaines, avec d’importants efforts pédagogiques, par la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538, Dalloz actualité, 9 juin 2020, obs. R. Bigot : « La faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire, la prise de risque en ayant manifestement conscience de commettre un dommage suffisant à caractériser la faute dolosive »). Bien qu’elle ne fasse pas expressément référence à la notion de faute dolosive, la troisième chambre civile a récemment retenu les mêmes critères pour exclure la garantie de l’assureur dans un arrêt inédit (Civ. 3e, 10 juin 2021, n° 20-10.774, R. Bigot et A. Cayol [dir.], « Chronique de droit des assurances », Lexbase, Hebdo édition privée, n° 874 du 22 juill. 2021). Elle semble ainsi enfin faire un pas vers la consécration d’une faute dolosive distincte de la faute intentionnelle, en abandonnant sa conception unitaire de ces deux notions (D. Noguéro, Vers une évolution de la troisième chambre civile pour une conception moins stricte de la faute intentionnelle ou dolosive ?, RDI 2017. 485 ; Faute intentionnelle ou dolosive ? Tradition confirmée de la troisième chambre civile de l’exigence du dommage tel qu’il est survenu, RDI 2015. 425 ). Un tel pluralisme des fautes (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, n° 512) permet de s’adapter aux spécificités de certains secteurs (par ex. de certaines professions réglementées, R. Bigot, Le radeau de la faute intentionnelle inassurable (à propos de Civ. 1re, 29 mars 2018, nos 17-11.886, 17-16.558), bjda.fr 2018, n° 57 ; La faute intentionnelle ou le phœnix de l’assurance de responsabilité civile professionnelle, RLDC 2009/59, n° 3406, p. 72-77) ou à leur complexité.

Afin que les victimes n’aient plus à supporter le risque de ne pas être indemnisées en cas d’insolvabilité du débiteur, il a pu être proposé de prévoir en la matière une simple déchéance de garantie – opposable à l’assuré mais pas aux victimes – (S. Pellet, La faute dolosive est inassurable : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation persiste et signe, RDC 2019, n° 1, p. 42). Plutôt que sonder parfois l’insondable âme incendiaire, ne serait-ce pas une voie pour dissuader davantage l’âne incendiaire tout en préservant les victimes collatérales ?

(Original publié par rbigot)

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provencele 29 septembre 2021

Civ. 1re, 22 sept. 2021, F-B, n° 19-24.817

Les panneaux photovoltaïques continuent de nourrir avec abondance le contentieux de droit de la consommation tant les particuliers qui les font installer peuvent parfois être déçus de la production effective d’électricité qu’ils peuvent revendre à EDF par raccordement au réseau ERDF. C’est ainsi qu’un certain nombre de déçus engagent des actions en nullité des contrats qui se répercutent nécessairement sur les emprunts qui y sont attachés. Dans d’autres situations, c’est au moment d’une action du prêteur de deniers qu’une demande reconventionnelle de nullité apparaît devant les juridictions. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 septembre 2021 commenté aujourd’hui s’inscrit dans cette seconde optique. Les faits sont classiques : une personne a conclu avec une société un contrat de fourniture et d’installation de douze panneaux photovoltaïques d’une puissance globale de 3 000 Wc financé par un crédit souscrit le même jour auprès d’une société bancaire aux droits de laquelle vient une autre société très connue du grand public. Une fois les panneaux posés, l’emprunteur ne rembourse aucune échéance du prêt conclu. La banque assigne donc en paiement l’acquéreur qui a sollicité reconventionnellement la nullité des contrats conclus hors établissement après avoir mis en cause la société venderesse des panneaux photovoltaïques.

L’affaire mélange un certain nombre de points car l’emprunteur avait soulevé de nombreux moyens devant la juridiction d’appel. Trois points majeurs ont été discutés devant les juges du fond. D’abord, la cour d’appel d’Orléans a refusé de voir dans le bon de commande les insuffisances reprochées par l’acquéreur des panneaux photovoltaïques. Ensuite, la composition collégiale a également refusé la nullité des contrats de vente sur le fondement...

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(Original publié par chelaine)

Alors que le décret d’application de la procédure judiciaire de traitement de sortie de crise se fait toujours attendre (K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : instauration temporaire d’une procédure judiciaire de traitement de sortie de crise, Dalloz actualité, 7 juin 2021), celui de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 réformant le droit des entreprises en difficulté vient d’être publié au Journal officiel. Les dispositions de cette ordonnance et de son décret d’application n° 2021-1218 du 23 septembre 2021 entreront en vigueur le 1er octobre 2021, et seront applicables aux procédures ouvertes à compter de cette date.

Toutefois, il est précisé que pour les procédures ouvertes avant le 22 mai 2020, les modifications des plans arrêtés seront soumises aux nouvelles dispositions relatives à la consultation des créanciers. L’organisation des dispositions du décret d’application suit celle de l’ordonnance. On y retrouve des dispositions de mise en cohérence des textes modifiant le code de commerce sur les aspects de droit des entreprises en difficulté, mais également d’adaptation avec la mise en place du « comité social et économique » et la modification de vocabulaire en droit des sûretés. Nos observations suivront l’articulation qui avait été choisie pour commenter l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 (K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : la nouvelle réforme publiée !, Dalloz actualité, 17 sept. 2021 ; Réforme du droit des entreprises en difficulté : instauration des classes de parties affectées, Dalloz actualité, 20 sept. 2021).

Les dispositions relatives à la prévention des difficultés des entreprises

Afin de renforcer le pouvoir du président du tribunal, l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 lui permet de déclencher une phase de « mini-enquête » dès qu’il convoque le dirigeant. L’article 3 du décret d’application précise que le délai pour la déclencher est de « trois mois au plus tard à compter de la date d’envoi de la convocation » (C. com., art. R. 611-12 mod.).

Dans le cadre de la procédure de conciliation, l’article 5 du décret d’application crée une nouvelle disposition imposant au débiteur de dresser, avec l’assistance du conciliateur, un état de l’intégralité des frais liés à cette procédure, mais également au mandat ad hoc qui aurait « immédiatement précédé l’ouverture de la conciliation » (C. com., art. R. 611-39-1 nouv.). Il s’agit d’une nouvelle exigence propre à la procédure de conciliation. Cette disposition vise une plus grande transparence dans le coût global des procédures amiables. Si les montants des honoraires tant du conciliateur que du mandataire ad hoc étaient déjà connus de la juridiction consulaire, puisqu’arrêtés par le président du tribunal, il n’en n’était pas ainsi pour les autres intervenants (avocat, expert-comptable, société de conseil et d’analyse financière). Au nom de cet objectif de transparence, la disposition souffre peut-être d’un écueil, celui de ne pas viser la situation, certes exceptionnelle mais possible, où trois procédures amiables se succèdent (conciliation, puis mandat ad hoc, puis conciliation) en raison par exemple de l’absence de finalisation de la négociation dans le délai classique de quatre voire cinq mois de la première conciliation). Les honoraires du conciliateur (de la première conciliation) ne semblent pas devoir être intégrés dans cet état.

On relèvera in fine la modification du premier alinéa de l’article R. 611-44 du code de commerce par l’article 6 du décret d’application prévoyant que l’accord de conciliation ne peut être communiqué au tiers opposant « qu’une fois la tierce opposition déclarée recevable ». Cette assertion renforce la confidentialité de la conciliation en évitant un détournement de la tierce opposition aux fins de se voir communiquer l’accord.

Les dispositions relatives à la procédure de sauvegarde et à la procédure de sauvegarde accélérée

Nous avions vu que l’article 23 de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 avait apporté une précision utile en prévoyant que « les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent procéder à la déclaration de leur créance pour la sauvegarde de leur recours personnel », et ce même avant paiement. Dans ce prolongement, l’article 13 du décret d’application précise que le débiteur doit porter à la connaissance du mandataire judiciaire l’identité de ces personnes. Celui-ci les informe ensuite de la possibilité qui leur est offerte de solliciter le bénéfice des dispositions de la procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers prévue aux articles L. 711-1 et suivants du code de la consommation (C. com., art. R. 622-5-1 nouv.). La conséquence de cette disposition est double. D’une part, l’information du mandataire judiciaire constitue un complément à la liste des créances que doit lui remettre le débiteur. Pour ces créanciers invités à déclarer leurs créances, on peut supposer qu’il s’agit d’un avis à produire spécifique en ce qu’il doit mentionner les articles L. 711-1 et suivants du code de la consommation. D’autre part, et dans ce prolongement, cette disposition vise à assurer une meilleure information des personnes physiques sur le recours aux mesures de traitement des situations de surendettement.

L’article 14 du décret d’application modifie le premier alinéa de l’article R. 622-7 du code de commerce en substituant les mots : « le prix est remis » par les mots : « la quote-part du prix est remise ». Cette modification était attendue depuis longtemps au regard de la contradiction entre l’article L. 622-8 du code de commerce (qui parle du versement de la « quote-part » du prix) et l’article R. 622-7 du code de commerce (qui parlait du versement du « prix »). Cette correction clarifie désormais le périmètre du prix qui fait l’objet de la consignation.

Des dispositions sont précisées en ce qui concerne les créances publiques au sein des articles 18 et 19 du décret d’application qui étendent les délais pour saisir la commission des chefs des services financiers (CCSF). Le délai de deux mois prévu jusqu’à présent est porté à cinq mois maximum à compter de l’ouverture de la procédure de conciliation, ce qui correspond à la durée maximum de la procédure de conciliation (C. com., art. D. 626-12 mod.). Le délai passe, par ailleurs, de deux mois à six mois pour l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire (C. com., art. D. 626-13 mod.), ce qui est le délai maximum pour la première période d’observation. La modification apparaît opportune : les délais prévus initialement apparaissaient courts en pratique pour avoir un regard éclairé sur le retournement de l’entreprise et, par-delà, finaliser une demande auprès de la CCSF.

L’article 21 du décret d’application augmente de quinze à vingt-et-un jours le délai pour permettre aux créanciers de faire part de leurs observations au commissaire à l’exécution du plan dans le cadre d’une consultation adressée par le greffe sur une modification substantielle du plan de sauvegarde ou de redressement (C. com., art. R. 626-45, mod.). La modification de la disposition est ici favorable aux créanciers pour lesquels le délai de quinze jours pouvait sembler court.

En revanche, une incohérence textuelle apparaît pour l’obligation de notification à la caution afin qu’elle puisse faire valoir ses droits alors même que le juge-commissaire a statué sur la créance. L’incohérence apparaît entre le nouvel alinéa 2 de l’article L. 624-3-1 (Ord., art. 26) et la modification de l’article R. 624-8 du code de commerce (Décr., art. 17) puisque le premier indique la « notification » à la caution alors que le second utilise le terme de « signification ». Or, il s’agit de modalités procédurales différentes, la lettre recommandée avec accusé de réception pour la notification, un acte d’huissier de justice pour la signification. La notification prévue dans le nouvel article L. 624-3-1 du code de commerce pouvait d’ailleurs laisser penser que celle-ci devait être effectuée par le greffe du tribunal au visa des observations présentes sur l’état des créances déposé par le mandataire judiciaire. Or, l’emploi du terme « signification » nous amène, de manière plus cohérente, a imposé cette obligation au créancier poursuivant qui devra, avant d’assigner le garant personne physique ou morale en paiement, purger cette voie de recours.

En outre, on notera que désormais, le créancier ne peut plus assigner le débiteur pour que le tribunal statue sur le projet de plan ou aux fins de clôture de la procédure (Décr., art. 31 ; suppression des mots « ou par assignation d’un créancier » à l’art. R. 628-11 c. com.).

Enfin, est supprimée la disposition réduisant le délai avant l’expiration duquel le juge-commissaire ne peut désigner aucun contrôleur, qui était de huit jours (contre 21 jours en droit commun ; Ord., art. 33 ; abrogation des art. R. 628-14 à R. 628-19 c. com.).

Les dispositions relatives au rebond du dirigeant

Dans le prolongement des dispositions relatives au rebond du dirigeant, la valeur de la réalisation de l’actif est réhaussée de 5 000 à 15 000 € pour l’ouverture d’un rétablissement professionnel (Décr., art. 44 ; C. com., art. R. 645-1 mod.).

Dans ce même objectif, une précision utile est apportée lorsque le tribunal prononce la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer (prévue à l’art. L. 653-8 c. com.). L’acte de notification du jugement doit mentionner « que la procédure pour obtenir le relèvement de ces sanctions est régie par les articles L. 653-11 et R. 653-4 du code de commerce » (Décr., art. 45 ; C. com., art. R. 653-3 mod.). Cette mesure d’information est une modification heureuse, le débiteur ayant souvent méconnaissance de la possibilité de relèvement de ces sanctions, notamment en contribuant personnellement au paiement du passif de la société.

Les dispositions relatives aux classes de parties affectées

À l’instar des dispositions relatives aux classes de parties affectées dans l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, celles du décret d’application du 23 septembre 2021 sont prévues dans un seul article (Décr., art. 22) portant réécriture intégrale de la section 3 du chapitre VI du titre II du livre VI du code de commerce.

Seuils pour le champ d’application des classes de parties affectées

Parmi les dispositions attendues, le décret précise les seuils pour le champ d’application des classes de parties affectées. Sans surprise, ils correspondent à ceux des tribunaux de commerce spécialisés désignés pour les grandes entreprises (C. com., art. L. 721-8), soit 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires net, ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net. Les seuils d’application sont donc réhaussés par rapport aux anciens comités de créanciers (si le seuil du chiffre d’affaires ne change pas, le nombre de salariés passe de 150 à 250). Ce rehaussement circonscrit davantage le nombre de sociétés pouvant bénéficier de plein droit de cette mesure phare de la réforme du livre VI du code de commerce.

Délais

Le décret précise en outre quelques délais applicables dans la mise en place des classes de parties affectées.

En particulier :

l’administrateur judiciaire invite les parties affectées à lui faire connaître par tout moyen l’existence d’un accord de subordination (mentionné au II de l’art. L. 626-30 c. com.) au plus tard dans un délai de dix jours à compter de la réception ou de la publication de cet avis (C. com., art. R. 626-55 nouv.). Ce bref délai concourt à l’accélération de la procédure ;au moins vingt et un jours avant la date du vote, l’administrateur judiciaire notifie à chaque partie affectée les modalités de répartition en classes et de calcul des voix retenues, au sein de la ou des classes auxquelles elle est affectée (C. com., art. R. 626-58 nouv.) ;chaque partie affectée est informée du projet de plan, au plus tard dix jours avant le vote des classes (C. com., art. R. 626-60, al. 2 nouv.) ;le nouvel article R. 626-62 du code de commerce précise les délais de mise en place et de consultation des détenteurs du capital. Ceux-ci peuvent être répartis au sein d’une ou plusieurs classes et sont convoqués selon les dispositions du livre II du code de commerce. Les délais afférents à la convocation sont toutefois aménagés par rapport au droit commun de la consultation des assemblées de détenteurs de capital, afin de permettre un déroulement rapide de la consultation des classes de parties affectées.

Voies de recours

Le décret précise également les voies de recours ouvertes aux classes de parties affectées. L’article R. 626-54, dans sa rédaction modifiée, précise que la décision par laquelle le juge-commissaire autorise qu’il soit fait application des dispositions des articles L. 626-29 à L. 626-34 est « une mesure d’administration judiciaire » ). Par conséquent, aucun recours n’est possible, notamment de la part des créanciers. Il en était de même avec les comités de créanciers.

Surtout, s’agissant de la contestation relative à la qualité de partie affectée et aux modalités de répartition en classes et de calcul des voix , le calendrier de la purge de la contestation est cadencé : délai de contestation devant le juge-commissaire de dix jours à compter de la notification par l’administrateur judiciaire ; convocation par le greffe sans délai ; décision du juge-commissaire dans un délai de dix jours au terme duquel, en cas d’absence de décision du juge-commissaire, le tribunal peut être saisi et dispose d’un délai de dix jours pour rendre sa décision ; appel contre la décision du juge-commissaire ou du tribunal pouvant être formé dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision ; cour d’appel qui statue dans un délai de quinze jours de sa saisine. Le calendrier est donc serré (entre 2 et 3 mois maximum) et favorise le déroulement rapide du process (C. com., art. R. 626-58-1 nouv.).

En outre, au plus tard dans un délai de dix jours à compter du vote des classes sur le projet de plan, la partie affectée, qui a voté contre le projet de plan et qui entend contester le respect de la condition prévue au 4° de l’article L. 626-31 ou du cinquième ou du dixième alinéa de l’article L. 626-32, saisit le tribunal par requête déposée au greffe contre récépissé (C. com. art. R. 626-64, I nouv.). Dans son jugement, le tribunal devra notamment statuer sur la valeur de l’entreprise du débiteur, au besoin en ordonnant une expertise. Nous avions déjà souligné que la détermination de la valeur de l’entreprise est source d’un contentieux compte tenu de son importance dans l’effectivité du respect des critères susvisés. Le décret d’application aménage un appel de la décision du tribunal et l’encadre dans un délai de dix jours à compter de sa notification ou de sa communication (pour le ministère public).

Nous noterons enfin le recours à la communication par voie électronique afin de faciliter et accélérer les échanges entre l’administrateur judiciaire et les classes de parties affectées, tout particulièrement le troisième alinéa du nouvel article R. 626-55 du code de commerce aux termes duquel : « Vaut consentement à la transmission par voie électronique l’utilisation de ces modalités de communication électronique » (Décr., art. 22). Cette adaptation des dispositions aux moyens de communication électroniques s’inscrit au demeurant dans les objectifs de la directive « restructuration et insolvabilité ». La boucle est bouclée… ou presque ! 

(Original publié par Delpech)
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Droit antérieur à la réforme

Dans une étude datant de 1995, un auteur a pu estimer que « le nantissement des valeurs mobilières ne représente qu’un aspect de l’éparpillement des techniques de mise en gage et renforce la nécessité d’une réforme d’ensemble du droit des sûretés, pour en faire un outil plus cohérent et mieux adapté aux richesses » (D. Fasquelle, Le nantissement de valeurs mobilières, RTD com. 1995. 1, spéc. n° 74 ). À l’heure de la publication de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, il est bon de savoir si les changements apportés au nantissement de compte-titres, à travers l’article 29 de l’ordonnance modifiant l’article L. 211-20 du code monétaire et financier et financier, sont parvenus à cet objectif.

Le nantissement de compte-titres – anciennement dénommé gage de compte d’instrument financier – a pu gagner souplesse et efficacité grâce à la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 (J.-Cl. BCB, v° Nantissement de compte titre, juin 2020, n° 4). L’institution a fait l’objet de plusieurs réformes successives jusqu’à arriver au modèle que nous connaissons aujourd’hui avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021-1192. L’article L. 211-20 du Code monétaire et financier parle d’instruments financiers, changement terminologique plutôt récent et important pour englober tout à la fois les valeurs mobilières classiques et les parts et actions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) incluant fonds communs et sociétés d’investissement à capital variable abrégés par la pratique en SICAV (L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, Paris, LGDJ, Droit civil, 2020, 14e éd., n° 537). Sous ce vocabulaire emportant avec lui donc tant les titres financiers que les contrats financiers, le législateur a voulu unifier la dénomination des titres éligibles à un nantissement de compte-titres (Pour une approche antérieure à cette dénomination, v. P. Emy, Le titre financier, thèse, Bordeaux, sous la dir. de B. Saintourens et la recension de la thèse par E. Putman, RTD civ. 2006. 647 ).

Actuellement, le mécanisme fonctionne grâce à une constitution très simple puisqu’il s’agit d’une déclaration signée par le titulaire du compte qui est la suite logique d’un contrat passé entre les parties sur les modalités du nantissement du compte-titres en lui-même (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, Dalloz, coll. « Précis », 7e éd., 2016, p. 630, n° 575). Cette déclaration est exigée à peine de nullité en nécessitant des mentions spécifiques prévues par l’article D. 211-10 du code monétaire et financier. Une solution rendue à propos de la législation antérieure – celle du gage de compte d’instruments financiers – a pu préciser que « la constitution en gage d’un compte d’instruments financiers est réalisée, tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, par la seule déclaration de gage signée par le titulaire du compte » (Com. 20 juin 2018, n° 17-12.559, D. 2018. 1381 ; ibid. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2018. 439, obs. L.-J. Laisney ). En d’autres termes, l’opposabilité du gage d’un compte d’instruments financiers (ou d’un nantissement de compte-titres depuis la nouvelle dénomination issue de l’ordonnance n° 2009-107 du 30 janv. 2009) n’est pas subordonnée à sa notification (sur cette question, S. Chenu, L’efficacité des sûretés réelles conventionnelles dans les financements d’acquisitions à effet de levier, thèse, Université Bretagne Loire, 2018, p. 59, nos 92 s.). La solution est garante d’une efficacité redoutable pour le créancier. L’article L. 211-20 du code monétaire et financier évoque le virement des titres nantis vers un compte spécifiquement dédié au nantissement que l’on appelle le compte spécial. Mais la doctrine s’accorde à dire que cette condition n’est pas exigée sous l’angle de la validité de la sûreté (Rép. civ., v° Nantissement, par P. Crocq, n° 86). C’est d’ailleurs également le cas pour l’inventaire décrit dans la fin du I- de l’article qui dispose que « le créancier nanti peut obtenir, sur simple demande au teneur de compte, une attestation de nantissement de compte-titres, comportant inventaire des titres financiers et sommes en toute monnaie inscrits en compte nanti à la date de délivrance de cette attestation ». Sur l’assiette du gage, l’article L. 211-20 prévoit encore une certaine souplesse faisant la part-belle à la subrogation réelle et à l’accession en considérant les titres substitués ou ceux qui les complètent comme compris dans l’assiette du nantissement à l’instar des fruits et produits des titres figurant initialement dans le compte et les titres financiers et sommes postérieurement inscrits (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, op. cit. p. 631, n° 675). La réalisation de la sûreté implique une condition essentielle : une mise en demeure du débiteur notifiée au constituant du nantissement quand il n’est pas le débiteur par ailleurs tout comme au teneur du compte quand il n’est pas le créancier nanti. La mise en demeure comprend des mentions exigées à peine de nullité à l’article D. 211-11 du code monétaire et financier. Dans sa thèse, Mme Claire Séjean-Chazal note le caractère tout à fait remarquable de cette disposition expresse alors que le droit commercial est normalement plus souple que le droit commun (C. Séjean-Chazal, La réalisation de la sûreté, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèse », 2019, p. 279, n° 227). Ceci montre l’attention portée par le législateur à la réalisation de la sûreté réelle et aux droits du débiteur défaillant pour que le créancier puisse appréhender le prix de vente ou s’attribuer le bien objet de la sûreté.

Quelles nouveautés sont issues de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ? Avant toute chose, notons que le nantissement de compte-titres reste dans le code monétaire et financier ; ce qui est discuté par une partie de la doctrine depuis 2006 qui souhaitait son inclusion dans le code civil. L’avant-projet présidé par Michel Grimaldi avait, en effet, prévu un plan du Livre IV « Des sûretés » incluant dans son Titre II « Des sûretés réelles » et dans son Chapitre III « Du nantissement », une sous-section III « Du nantissement d’instruments financiers ». La proposition était restée, assez malheureusement, lettre-morte. L’éparpillement reste ici de mise encore à partir du 1er janvier 2022 puisque l’institution est toujours codifiée à l’article L. 211-20 du code monétaire et financier.

Droit issu de la réforme et perspectives

Le droit issu de l’ordonnance n’entend pas bouleverser le nantissement de compte-titres mais il procède à de nombreux changements rendant l’institution encore plus souple et efficace contre quelques crans de sécurité supplémentaires pour le débiteur constituant. À titre liminaire, précisons que même si l’ordonnance nouvelle prévoit que les nantissements ne confèrent pas, en principe, un droit de rétention, le nantissement de comptes-titres conserve un tel droit de rétention car ce dernier est mentionné expressément par l’article L. 211-20 du code monétaire et financier (rapport remis au président de la République, s.-sect. 3 : dispositions relatives au nantissement de meubles incorporels citant, Com. 26 nov. 2013, n° 12-27.390, D. 2014. 1610, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2014. 158, obs. P. Crocq ; J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021). La précision est importante car la rétention fonde partiellement l’efficacité de cette sûreté (pour une étude de la rétention à la lumière des titres financiers, J.-D. Pellier, Droit de rétention et nantissement de titres financiers, D. 2019. 1846 distinguant l’universalité de fait du compte-titre et le titre lui-même ; sur les titres nantis spécifiquement et la possibilité des blockchain, M. Julienne et S. Praicheux, Réforme du code civil, crise financière, blockchain : où en sont les garanties financières ?, in Réforme du droit des sûretés et activités bancaires, ss dir. de H. Synvet, RD banc. fin. 2018. Dossier 27, art. 32).

Une modification majeure réside dans l’insertion explicite de la possibilité d’exclure les fruits et produits par la convention des parties au nantissement de comptes-titres. Le créancier et le débiteur peuvent donc tout à fait librement faire le choix d’inclure ou non les fruits et produits, ce qui laisse une marge importante à la liberté contractuelle. L’article L. 211-20 nouveau prévoit également, à ce titre, désormais une dualité terminologique plus claire pour distinguer le « compte spécial » (le compte qui fait l’objet du nantissement de compte-titres) et le « compte fruits et produits » (celui spécifiquement dédié pour y inscrire au crédit lesdits fruits et produits des titres). La distinction permet d’éviter des confusions sémantiques qui peuvent conduire à des erreurs dans le maniement de la sûreté notamment au moment de sa réalisation.

La souplesse préside, là-encore, quand le texte mentionne que l’inscription au crédit du compte fruits et produits peut avoir lieu à tout moment. Ceci permet de contrebalancer la dernière phrase l’article L. 211-20, III- nouveau qui prévoit qu’« à défaut d’inscription au crédit d’un compte fruits et produits, à la date à laquelle la sûreté peut être réalisée, les fruits et produits sont exclus de l’assiette du nantissement » (nous soulignons). Ite missa est : la loi est donc très claire sur la nécessité d’ouverture d’un compte « fruits et produits » spécifique pour que le créancier puisse en bénéficier. C’est l’un des crans de sécurité supplémentaires dont nous parlions précédemment. En pratique, les fruits et produits seront bien souvent dans l’assiette du nantissement pour maximiser l’efficacité de la sûreté.

L’exigence d’unification préside quand la dernière partie de l’article L. 211-20 du code monétaire et financier prend acte de l’abrogation de l’article L. 521-3 du code de commerce (Ord., art. 28). Ceci pouvait créer une interrogation sur la réalisation du gage commercial lequel se distinguait de la réalisation du nantissement de compte-titres. Le projet d’ordonnance notait en commentaire que « la réalisation du nantissement de compte titres portant sur des titres cotés repose sur une simple mise en demeure. Ainsi, dès lors que le gage commercial est supprimé et que les dispositions de l’article L. 521-3 sont reprises au sein de l’article L. 211-20 il ne semble pas justifié de maintenir cette différence. Il y a lieu d’aligner les modalités de réalisation dans un souci de simplification et de cohérence ». Il faut très certainement approuver cette unification qui conduit à reformuler à droit constant le V° de l’article L. 211-20 nouveau, mis à part donc sur l’unification de la notification au lieu d’une « simple signification » actuellement prévue pour le gage commercial par l’article L. 521-3, alinéa 1er, du code de commerce. Des perspectives intéressantes s’ouvrent donc, avec cette réforme, quant à l’objectif d’unité du gage et du nantissement évoqué par M. Fasquelle en 1995 (D. Fasquelle, Le nantissement de valeurs mobilières, préc.). Le texte harmonise d’ailleurs également les délais applicables pour la réalisation de la sûreté selon la qualité du titre qu’il soit ou non admissible à une plateforme de négociation.

Autre ajout textuel explicite important, celui de la possibilité de nantir successivement un même compte-titres qui avait fait l’objet d’un débat doctrinal en raison de l’indivisibilité du droit de rétention (contra pour une « impossibilité implicite », J. Mestre, M. Billiau et E. Putman, Traité de droit civil – Tome 2 : Droit spécial des sûretés réelles, ss la dir. de J. Ghestin, 1996, p. 389, n° 948 ; Pro : L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, op. cit. n° 538 : « rien ne s’oppose à ce que, à l’instar du tiers possesseur en cas d’entiercement, celui-ci exerce cette possession, et le droit de rétention qui en serait la conséquence, pour le compte de plusieurs créanciers »). Le débat est désormais terminé, l’ordonnance tranchant pour la solution la plus souple pour la sûreté. La prise de rang est alors classique, selon la date de la déclaration initiale étudiée précédemment mais les parties peuvent aménager ce point par convention ; ce qui est assurément une bonne chose en laissant donc une place encore importante à la liberté contractuelle.

On notera également, de manière plus ou moins anecdotique la substitution de l’expression de la qualité des titres « négociés sur un marché réglementé » par « admis sur une plateforme de négociation » que nous avions croisée déjà pour la fiducie à titre de garantie (C. Hélaine, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, Dalloz actualité, 23 sept. 2021). L’expression nouvelle recoupe, effectivement la sémantique utilisée par le Code monétaire et financier à l’article L. 420-1 qui définit la notion ainsi : « une plateforme de négociation est un marché réglementé au sens de l’article L. 421-1, un système multilatéral de négociation au sens de l’article L. 424-1 ou un système organisé de négociation au sens de l’article L. 425-1 ». L’harmonisation du vocabulaire poursuit donc sa route et le droit des sûretés n’y fait pas exception.

Conclusion

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 vient à la fois assouplir, clarifier et maintenir les grandes lignes d’une institution appréciée par la pratique. Le nantissement de compte-titre se trouve renforcé d’abord, par un gain de souplesse notamment sur ce que le contrat peut prévoir (par l’exclusion des fruits et produits du nantissement ou par la modification de la prise de rang en cas de nantissements successifs du même compte-titres). Cette souplesse était, à dire vrai, probablement déjà permise malgré des débats doctrinaux mais sa confirmation est fort bienvenue. L’institution se trouve, ensuite, également clarifiée, par exemple grâce à la spécificité terminologique entre compte spécial (le compte nanti) et compte « fruits et produits » qui permettra de savoir rapidement, au moment de la réalisation de la sûreté, si le créancier peut se servir également sur ces accroissements. Enfin, il faut noter que la conservation des grandes lignes de l’institution permettra aux créanciers de continuer à l’utiliser sans heurts, notamment en raison de son efficacité par le droit de rétention. L’avenir nous dira si ces modifications plus ou moins importantes auront conduit à conserver le nantissement de comptes-titres parmi les sûretés de droit spécial particulièrement appréciées par la pratique notamment bancaire et plus généralement du monde des affaires.

(Original publié par Dargent)