Encore une QPC pour l’hospitalisation sans consentement

Décidément, les questions prioritaires de constitutionnalité sont une préoccupation saisonnière pour l’hospitalisation sans consentement. Au printemps 2020, nous avions commenté la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC ) par la première chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1re, 5 mars 2020, n° 19-40.039, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine). Cette transmission allait, quelques mois plus tard, aboutir à l’abrogation de plusieurs textes concernant l’isolement et la contention dans le code de la santé publique (CSP). Au mois de décembre dernier, toujours dans ces colonnes, nous commentions le dispositif pris en six mois de réflexion pour pallier l’abrogation des textes concernés (Loi n° 2020-1576 du 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine).

Voici que se représente une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée devant le tribunal judiciaire de Versailles : « Les dispositions de l’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour l’année 2021 sont-elles compatibles avec les normes constitutionnelles en vigueur et plus particulièrement les articles 34, alinéa 20, et 66 de la Constitution ? ». Le juge des libertés et de la détention avait transmis la question à la Cour de cassation comme les textes le permettent.

En rappelant que « Nul ne peut être arbitrairement détenu » et dans son deuxième alinéa que « l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi », l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 (la Constitution) vient directement entrer en collision avec ces mesures délicates que représentent l’isolement et la contention ; mesures coercitives qui s’ajoutent à celle qui en sert de support, l’hospitalisation sans consentement elle-même. La collision perdure suffisamment pour que la question soit encore d’actualité, au moins pour valider le dispositif retenu a posteriori.

La première chambre civile de la Cour de cassation a décidé de transmettre la question au Conseil constitutionnel car elle présente un caractère sérieux. Notons que ce caractère sérieux n’existe que pour le volet concernant l’article 66 de la Constitution. Pour la compatibilité avec l’article 34, alinéa 20, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel « la procédure d’adoption d’une loi ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ». C’est une solution constante que nous ne commenterons pas (Rép. droit civil, v° Lois et règlements, par V. Lasserre, n° 178).

Que retenir d’une telle décision de transmission du volet concernant l’article 66 ?

Première question : quel état des lieux ayant généré cette QPC ?

L’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 accorde déjà une place importante, bien que nouvelle, au contrôle du JLD. Mais il est vrai que l’isolement et la contention ne débutent qu’après l’avis d’un psychiatre qui ne s’accompagne pas de celui du juge dans un premier temps. Le nouvel article L. 3222-5-1 du CSP rappelle que ce sont « des pratiques de dernier recours » et qu’elles doivent être prises « pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui ». Voici donc deux conditions cumulatives qui sont déjà prises en considération des droits de la personne internée sans consentement et, ce faisant, de sa liberté. Ces deux conditions ont vocation à limiter ces mesures au strict nécessaire. La pratique se révèle toutefois infiniment plus complexe.

Il faut bien avouer que les juristes doivent ici comprendre les psychiatres et les praticiens hospitaliers qui font face à des patients parfois particulièrement dangereux que ce soit pour eux-mêmes ou pour les praticiens les encadrant. L’hospitalisation sans consentement n’est pas un seul territoire de droit, il est au confluent de la médecine psychiatrique et du droit des libertés individuelles. Il ne faut donc pas faire une analyse seulement juridique de la situation ; elle serait probablement fausse et inadaptée. C’est précisément pour cette raison que le contrôle du juge ne débute qu’après un renouvellement des mesures et non ab initio.

Une analyse croisée laisse donc tout de même suggérer de l’équilibre du mécanisme retenu entre possibilités des praticiens et réponse judiciaire. Mais est-ce suffisant pour les libertés individuelles dont le juge est le garant ? La question se discute car il est vrai que le JLD n’intervient qu’après l’écoulement d’un certain temps. Pour rappel, le système est le suivant tel qu’il résulte de la loi de financement de la sécurité sociale précédemment commentée dans nos colonnes :

en ce qui concerne l’isolement, la mesure peut être répétée jusqu’à atteindre quarante-huit heures au maximum quand l’état de santé du patient le nécessite ; en ce qui concerne la contention, la mesure ne peut intervenir que pour une durée plus courte, six heures renouvelables jusqu’à atteindre vingt-quatre heures.

Une fois ces seuils dépassés, l’information au JLD est nécessaire et celui-ci peut se saisir d’office pour mettre fin à la mesure. Quand le majeur interné ou une personne de son entourage souhaite saisir le JLD, celui-ci a vingt-quatre heures pour rendre sa décision. La réponse judiciaire débute donc à ce moment précis.

Toute l’interrogation peut donc se résumer à la pertinence du système proposé eu égard à la norme constitutionnelle. Le résultat peut s’avérer brumeux. Nous tenterons de dégager quelques réflexions avant la décision QPC.

Seconde question : quel résultat envisageable ?

Une abrogation reste évidemment toujours possible. Mais une lecture attentive de la décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020 « M. Éric G. » qui avait abrogé l’ancien système nous permet de comprendre le raisonnement du Conseil : « Or, si le législateur a prévu que le recours à l’isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution » (nous soulignons).

Le droit positif s’est pourvu d’une disposition légale – l’article L. 3222-5-1 du CSP nouveau – et cette partie au moins du raisonnement ne devrait plus pouvoir être maintenue avec le dispositif actuel. Reste à savoir si le tout peut être suffisant eu égard à l’article 66. L’interprétation de la suite de la décision peut être davantage sujette à discussion sur ce point. En réalité, ce n’est pas l’absence de contrôle du JLD qui posait problème mais l’inexistence de divers paliers légaux qui, une fois dépassés, enclencherait une réponse judiciaire où le juge devrait autoriser le maintien ou la mainlevée de l’isolement et de la contention. Si la réponse judiciaire est désormais prévue, reste donc à déterminer s’il n’est pas saisi trop tardivement de la question ; c’est du moins tout l’enjeu du caractère sérieux soulevé par la Cour de cassation.

Il ne faut pas oublier que la charge de travail des JLD est particulièrement importante et la vérification des mesures d’isolement et de contention s’ajoutent à ce constat. Certes nécessaire, l’addition se révélera d’autant plus délicate à gérer si le mécanisme retenu est abrogé à nouveau. Il faudra alors refaire ce qui a déjà été refait. L’abrogation théoriquement possible devrait en tout état de cause être accompagnée d’un report dans le temps des effets de l’abrogation comme dans la décision de juin 2020. Boileau disait bien dans l’Art Poétique « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, Polissez-le sans cesse, et le repolissez, Ajoutez quelquefois, et souvent effacez ». Rien n’est donc impossible ! Mais il reste toutefois important de souligner que le mécanisme paraît, en l’état, cohérent compte tenu des enjeux complexes de la question. Trop durcir le mécanisme pourrait risquer de rendre le travail des équipes médicales plus difficile qu’il ne l’est aujourd’hui.

Affaire à suivre.